De la nuit de la guerre à celle de la lapidation de sa maison, en passant par la mort du fils aîné
Le retour d’exil correspond au retour de la République. Après la nuit des Châtiments, serait-ce la lumière future qu’ils annonçaient? Non, car si on peut désormais les lire au grand jour, l’heure n’est pas à la paix mais à la guerre avec la Prusse. Paris est assiégé. Élu député en février 1871, Hugo rejoint l’assemblée à Bordeaux mais n’accepte pas que l’élection de Garibaldi qu’il admire soit invalidée sous prétexte que, né à Nice avant que la ville soit rattachée à la France, il n’est pas considéré comme Français. Hugo donne sa démission. Il a la douleur de perdre son fils Charles ; le jour de son enterrement, le 18 mars, une insurrection éclate : la Commune de Paris se soulève contre le gouvernement central. Hugo quitte Paris pour Bruxelles où il doit régler la difficile succession de Charles. Le conflit entre la Commune et le pouvoir replié à Versailles tourne à la guerre civile. Au cours d’une « semaine sanglante » du 21 au 28 mai, les troupes gouvernementales écrasent les partisans de la Commune. Hugo offre asile aux Communards pourchassés dans la maison où il réside à Bruxelles. Celle-ci est lapidée dans la nuit du 27 au 28, mais c’est Hugo qui est tenu pour responsable des troubles et expulsé. Il gagne le Luxembourg et s’installe à Vianden. Il décide de réunir les poèmes qu’il a rédigés depuis août 1870 sous ce titre : L’Année terrible. Le recueil paraîtra en 1872, peu après un volume intitulé Actes et Paroles qui rassemble ses interventions publiques de 1870 et 1871.
Ténèbres de l’esprit de sa fille, de la mort de son second fils et célébration des lumières
Ramenée de la Barbade, sa fille Adèle a été placée en maison de santé et, en 1873, son second fils, François-Victor, meurt des suites d’une tuberculose rénale. Hugo publie en 1874 un roman, Quatrevingt-Treize, qui n’est pas sans rapport avec les événements récents. Il élargit la publication de ses Actes et Paroles à ses interventions « Avant l’exil » et « Pendant l’exil ». Élu sénateur en 1876, il poursuit son action contre la répression des communards. Il fait paraître une « Nouvelle Série » de La Légende des siècles et un recueil plein de tendresse pour ses petits-enfants, L’Art d’être grand-père, mais qui plaide aussi, à sa manière, pour l’amnistie. Contre les menées de Mac Mahon, il publie Histoire d’un crime – celui du 2 décembre 1851 –avec la conviction de son utilité en tant que mise en garde contre les risques de rechute dans une forme de pouvoir personnel ou de restauration monarchique. Avec Le Pape, vaste poème où il imagine les faits et gestes généreux d’un pape idéal, il propose en 1878 au nouveau pontife une sorte de modèle mais, sans illusion sur le résultat, il évoque le réveil de son pape, horrifié par le rêve « affreux » qu’il vient de faire. Un discours pour célébrer le centenaire de la mort de Voltaire confirme l’admiration de Hugo pour l’esprit des « lumières » et son opposition à l’intolérance et à toutes les formes de ce qu’il considère comme l’obscurantisme. La publication, en 1879, d’un poème conçu pendant l’exil, La Pitié suprême, où seule « la nuit » est mise en accusation, s’inscrit dans le combat pour l’amnistie qui sera enfin obtenue l’année suivante ; celle de Religions et Religion, en même temps qu’elle tourne en dérision les fables sacrées, concilie foi et liberté de pensée. L’Âne est un réquisitoire, ironiquement placé dans la bouche de la bête la plus méprisée, contre tout ce qui peut faire « la nuit autour de l’homme » et le détourner de la bonté. Au moment où Hugo entre dans sa quatre-vingtième année, Les Quatre Vents de l’esprit apparaissent comme la somme des inspirations de sa poésie : satirique, dramatique (« Les Deux Trouvailles de Gallus », extraites pour l’occasion, du Théâtre en liberté, encore inédit), lyrique et épique (« La Révolution » qui aurait pu prendre place dans La Légende des siècles). Par testament, Hugo « donne tous ses manuscrits « et tout ce qui sera trouvé écrit ou dessiné » par lui « à la bibliothèque nationale de Paris qui sera un jour la Bibliothèque des États-Unis d’Europe ».
Recrudescence de ténèbres et aspiration à la lumière
Nouvel assaut de la nuit en 1882, la persécution des juifs en Russie, contre laquelle s’élève Hugo par la publication de Torquemada, écrit en 1869, et par un appel vibrant à l’humanité où il oppose deux avenirs possibles et qu’il conclut ainsi : « D’un côté la lumière, de l’autre les ténèbres. / Choisis ». L’année suivante s’éteint Juliette Drouet, après cinquante ans d’un amour traversé de moments de révolte mais qui n’a jamais défailli, tout comme celui de Hugo, même s’il n’a pas été aussi exclusif. La Légende des siècles, après publication d’une « série complémentaire », finit de paraître en 1884 dans une édition qui amalgame les trois séries. Hugo meurt le 22 mai 1885. Il aurait dit sur son lit d’agonie un ultime alexandrin : « C’est ici le combat du jour et de la nuit ». L’Église Sainte-Geneviève est désaffectée au culte pour retrouver la fonction de temple des grands hommes, qui lui avait été assignée en 1791, et accueillir celui qui avait réaffirmé en 1883 sa croyance en Dieu mais aussi son refus de « l’oraison de toutes les églises ». Une immense ferveur populaire et internationale accompagne son dernier voyage, de l’Arc-de-Triomphe au Panthéon.
Mise au jour des œuvres inédites
Un des esprits hôtes des tables de Jersey, celui qui s’était présenté comme la Mort, lui avait suggéré la publication échelonnée d’œuvres posthumes, façon d’emplir sa tombe de résurrections. Hugo avait aussitôt décidé de suivre ce « sublime conseil ». Il a gardé en réserve quantité d’œuvres et de textes qui vont être publiés à des intervalles irréguliers : pièces du Théâtre en liberté qu’il n’en avait pas détachées de son vivant – celles en vers dès 1886, mais deux en prose – Mille francs de récompense et L’Intervention – devront attendre 1934 et 1951, et une autre, connue sous deux titres – Zut dit Mémorency ou Peut-être un frère de Gavroche – a disparu ; œuvres inachevées, telles La Fin de Satan et Dieu, respectivement en 1886 et 1891, mais dont maints fragments seront révélés postérieurement ; recueils poétiques composés par ses exécuteurs testamentaires – Toute la lyre en 1888 et 1893, Les Années funestes (poèmes datant du Second Empire) en 1898, Dernière Gerbe en 1902, Océan et Tas de pierres en 1942 – et reclassés ultérieurement dans des éditions plus rigoureuses ; notes de ses carnets, parfois organisées par Hugo lui-même en un ensemble autonome tel le Journal de ce que j’apprends chaque jour, versées indistinctement dans Choses vues en 1887 et 1900, Post-scriptum de ma vie en 2001, et génératrices d’éditions très variables ; lettres et récits de voyages regroupés dans France et Belgique en 1892, Alpes et Pyrénées en 1910. À quoi s’ajoutent des dessins, en très grand nombre, dont l’originalité est saisissante. Restent encore inédits une partie de ses carnets et la majorité de sa correspondance. Espérons que ces précieux documents soient arrachés à la nuit et voient le jour dans un avenir pas trop lointain.
Arnaud Laster