Soleils et ténèbres
Soleils et ténèbres d’une enfance errante
Soleil d’hiver de Besançon où le petit Victor Hugo est né le 26 février 1802 et où son père est en garnison. Ténèbres de la mésentente entre ses parents. Voyages avec sa mère et ses deux frères aînés : pour rejoindre leur père à Avellino où il réside en qualité de gouverneur de la province ; soleil de Naples ; « éblouissante et formidable campagne de Rome » vue par l’enfant et qui lui restera « dans l’esprit et dans la prunelle » comme s’il avait vu « du soleil mêlé à de la mort » ; pour retrouver le père à Madrid ; traversée de « belles vieilles villes d’Espagne […] ; larges places ouvertes au grand soleil pour les fêtes ; rues étroites, tortueuses, quelquefois obscures » ; retour de Madrid sous un soleil cuisant mais les puits ayant été empoisonnés, ceux qui vont à pied meurent de soif.
Soleil de l’amour heureux et ténèbres de la folie d’un frère
Soleil de l’union, à vingt ans, avec Adèle, la fiancée si longtemps désirée, mais permise par la mort, douloureusement ressentie, de la mère qui s’opposait à ce mariage. Ténèbres de la folie de son frère Eugène, interné l’année suivante, et de la mort d’un premier enfant, âgé de trois mois. Publication de deux romans que seul ensoleille l’amour pour l’héroïne, Ethel dans Han d’Islande (1823) et Marie dans Bug-Jargal (1826).
Soleil des naissances et de la création, ténèbres de la mort du père
Soleils des naissances successives de Léopoldine (1824), Charles (1826), Victor (1828) et Adèle (1830) ; parution, en 1827, d’un drame colossal, Cromwell, dont la préface constitue un manifeste en faveur du mélange des genres et de la liberté de l’art ; publication progressive d’un premier recueil poétique : Odes et Ballades. Ténèbres de la mort du père.
Soleil et ténèbres des œuvres et de l’amour
L’année suivante, en 1829, soleils des Orientales où coexistent volupté et cruauté ; ténèbres du Dernier jour d’un condamné, plaidoyer implicite contre l’horreur de la peine capitale ; interdiction de Marion de Lorme et, en 1830, bataille d’Hernani, ce drame de la rivalité amoureuse de trois hommes qui gravitent autour d’une héroïne au nom solaire, et de la puissance mortifère du passé sur celui qui seul est aimé d’elle mais ne parvient pas à se libérer d’« une âme de malheur faite avec des ténèbres ». Ténèbres intimes de l’amitié trahie et de l’amour perdu d’une épouse qui lui ferme sa porte. Rédaction d’un roman, Notre-Dame de Paris (1831) au centre duquel s’inscrit le cœur ténébreux d’un homme, l’archidiacre Claude Frollo, sauveur d’un enfant monstrueux, Quasimodo, dont il a fait le sonneur de la cathédrale, mais épris d’un amour interdit et fou pour une danseuse qui passe pour bohémienne et qui est séduite par le faux soleil d’un bel officier nommé Phoebus. Clair-obscur des titres et de nombreux poèmes des nouveaux recueils : Les Feuilles d’automne (1831), Les Chants du crépuscule (1835). Interdiction, malgré le soleil de la révolution de juillet 1830 et l’abolition de la censure, d’un nouveau drame intitulé Le Roi s’amuse (1832).
Soleil de l’amour retrouvé, ténèbres de la mort d’un frère et de la fille aînée
Soleil de l’amour retrouvé entre les bras et dans le cœur de Juliette Drouet, une actrice du drame suivant, Lucrèce Borgia (1833), qui commence par l’évocation d’« une chose ténébreuse faite par des hommes ténébreux ». Le dénouement changé de Marie Tudor témoigne peut-être de celui de la crise sentimentale de l’auteur. Retour des ténèbres avec la mort en 1837 du frère fou à Charenton. Hommage lui est rendu dans Les Voix intérieures. Préfaçant Ruy Blas (1838), le dramaturge déclare avoir voulu couvrir sa pièce « des ténèbres d’un crépuscule. Dans Hernani, le soleil de la maison d’Autriche se lève ; dans Ruy Blas, il se couche ». Les Rayons et les Ombres semblent refléter un moment d’équilibre, comme l’accession à une pleine maturité. Une étude sur Mirabeau en 1834, l’interpellation de la Chambre, la même année, à propos de la peine de mort et du système pénitentiaire en conclusion de Claude Gueux, le discours de Ruy Blas aux ministres ont révélé de possibles visées d’action politique. L’élection, en 1841, à l’Académie française, la rend possible. Mais les ténèbres ne sont jamais loin : échec, au théâtre, des Burgraves et surtout mort par noyade de sa fille Léopoldine, âgée de 19 ans, six mois après son mariage avec un jeune homme qui, n’ayant pu la sauver, s’est laissé mourir avec elle.
Soleils et ténèbres d’une passion et germination ténébreuse d’œuvres futures
Il faudra peut-être pour arracher Hugo au désespoir et à l’abattement qui s’ensuivent le soleil d’une passion irrésistible pour l’épouse d’un peintre, Léonie Biard. Le soleil paraît à son zénith, en 1845, lorsque l’académicien est nommé par Louis-Philippe à la Chambre des pairs. Les ténèbres ne tardent pas à prendre leur revanche avec le flagrant délit d’adultère qui discrédite le tout récent pair de France. Pour faire passer son message social, Il entreprend un roman qui deviendra Les Misérables. La mort, en 1846, de Claire Pradier, fille de Juliette Drouet et du sculpteur, ravive le souvenir et la douleur de la perte de Léopoldine. Ils inspirent des poèmes qui entreront dans Les Contemplations. Hugo rédige, deux ans durant, un Journal de ce que j’apprends chaque jour.
Soleils des prises de conscience et ténèbres de la clandestinité
Fidèle à son serment de pair, il ne prend pas part à la Révolution de février 1848, dont il crédite son ami Lamartine d’avoir été « l’homme lumineux ». Il n’est pas candidat aux premières élections à l’assemblée constituante mais y est élu en juin. Il réprouve la façon dont le général Cavaignac réprime ceux qui se sont insurgés contre la dissolution des Ateliers nationaux et soutient contre lui, pour l’élection de décembre à la présidence de la République, la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte. Mais les discours qu’il prononce, député, sur la misère, qu’il refuse de considérer comme inéluctable, et contre l’enseignement clérical auquel il appelle à substituer un enseignement laïque, marquent une évolution qui le conduit à siéger dans les rangs de l’opposition de gauche et à s’opposer en décembre 1851 au coup d’État du prince-président dont il a dénoncé les ambitions. Il fait partie du comité de résistance qui appelle le peuple à l’insurrection sans parvenir à le mobiliser suffisamment et, échappant, notamment avec l’aide de Juliette Drouet, à l’arrestation, voire à une exécution sommaire, quitte dans les ténèbres de la clandestinité le territoire français.
Arnaud Laster