Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les fragments d'une ville disparue, engloutie dans des profondeurs.

La ville disparue

La ville disparue – Les références

La Légende des siècles – Nouvelle SérieLa Ville disparue ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 229.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 74.

La ville disparue – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La ville disparue, un poème du recueil La Légende des siècles – Nouvelle Série, de Victor Hugo.

La ville disparue


La ville disparue – Le texte

La ville disparue


Peuple, l’eau n’est jamais sans rien faire. Mille ans
Avant Adam, qui semble un spectre en cheveux blancs,
Notre aïeul, c’est du moins ainsi que tu le nommes,
Quand les géants étaient encor mêlés aux hommes,
Dans des temps dont jamais personne ne parla,
Une ville bâtie en briques était là
Où sont ces flots qu’agite un aquilon immense
Et cette ville était un lieu plein de démence
Que parfois menaçait de loin un blême éclair.
On voyait une plaine où l’on voit une mer ;
Alors c’étaient des chars qui passaient, non des barques ;
Les ouragans ont pris la place des monarques ;
Car pour faire un désert, Dieu, maître des vivants,
Commence par les rois et finit par les vents.
Ce peuple, voix, rumeurs, fourmillement de têtes,
Troupeau d’âmes, ému par les deuils et les fêtes,
Faisait le bruit que fait dans l’orage l’essaim,
Point inquiet d’avoir l’Océan pour voisin.

Donc cette ville avait des rois ; ces rois superbes
Avaient sous eux les fronts comme un faucheur les herbes.
Étaient-ils méchants ? Non. Ils étaient rois. Un roi
C’est un homme trop grand que trouble un vague effroi,
Qui, faisant plus de mal pour avoir plus de joie,
Chez les bêtes de somme est la bête de proie ;
Mais ce n’est pas sa faute, et le sage est clément.
Un roi serait meilleur s’il naissait autrement ;
L’homme est homme toujours ; les crimes du despote
Sont faits par sa puissance, ombre où son âme flotte,
Par la pourpre qu’il traîne et dont on le revêt,
Et l’esclave serait tyran s’il le pouvait.

Donc cette ville était toute bâtie en briques.
On y voyait des tours, des bazars, des fabriques,
Des arcs, des palais pleins de luths mélodieux,
Et des monstres d’airain qu’on appelait les dieux.
Cette ville était gaie et barbare ; ses places
Faisaient par leurs gibets rire les populaces ;
On y chantait des chœurs pleins d’oubli, l’homme étant
L’ombre qui jette un souffle et qui dure un instant ;
De claires eaux luisaient au fond des avenues ;
Et les reines du roi se baignaient toutes nues
Dans les parcs où rôdaient des paons étoilés d’yeux ;
Les marteaux, au dormeur nonchalant odieux,
Sonnaient, de l’aube au soir, sur les noires enclumes ;
Les vautours se posaient, fouillant du bec leurs plumes,
Sur les temples, sans peur d’être chassés, sachant
Que l’idole féroce aime l’oiseau méchant ;
Le tigre est bien venu près de l’hydre ; et les aigles
Sentent qu’ils n’ont jamais enfreint aucunes règles,
Quand le sang coule auprès des autels radieux,
En venant partager le meurtre avec les dieux.
L’autel du temple était d’or pur, que rien ne souille,
Le toit était en cèdre et, de peur de la rouille,
Au lieu de clous avait des chevilles de bois.
Jour et nuit les clairons, les cistres, les hautbois,
De crainte que le Dieu farouche ne s’endorme,
Chantaient dans l’ombre. Ainsi vivait la ville énorme.
Les femmes y venaient pour s’y prostituer.
Mais un jour l’Océan se mit à remuer ;
Doucement, sans courroux, du côté de la ville
Il rongea les rochers et les dunes, tranquille,
Sans tumulte, sans chocs, sans efforts haletants,
Comme un grave ouvrier qui sait qu’il a le temps ;
Et lentement, ainsi qu’un mineur solitaire,
L’eau jamais immobile avançait sous la terre ;
C’est en vain que sur l’herbe un guetteur assidu
Eût collé son oreille, il n’eût rien entendu ;
L’eau creusait sans rumeur comme sans violence,
Et la ville faisait son bruit sur ce silence.
Si bien qu’un soir, à l’heure où tout semble frémir,
À l’heure où, se levant comme un sinistre émir,
Sirius apparaît, et sur l’horizon sombre
Donne un signal de marche aux étoiles sans nombre,
Les nuages qu’un vent l’un à l’autre rejoint
Et pousse, seuls oiseaux qui ne dormissent point,
La lune, le front blanc des monts, les pâles astres,
Virent soudain, maisons, dômes, arceaux, pilastres,
Toute la ville, ainsi qu’un rêve, en un instant,
Peuple, armée, et le roi qui buvait en chantant
Et qui n’eut pas le temps de se lever de table,
Crouler dans on ne sait quelle ombre épouvantable ;
Et pendant qu’à la fois, de la base au sommet,
Ce chaos de palais et de tours s’abîmait,
On entendit monter un murmure farouche,
Et l’on vit brusquement s’ouvrir comme une bouche
Un trou d’où jaillissait un jet d’écume amer,
Gouffre où la ville entrait et d’où sortait la mer.
Et tout s’évanouit ; rien ne resta que l’onde.
Maintenant on ne voit au loin que l’eau profonde
Par les vents remuée et seule sous les cieux.
Tel est l’ébranlement des flots mystérieux.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente des entrelacs de constellations dans le ciel, en écho à la plume de Satan retenue au bord du gouffre. Intitulé Victor Hugo. Plume et lavis d'encre brune.

La plume de Satan

La Plume de Satan – Les références

La Fin de SatanLivre premier : Le Glaive ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 39.

La Plume de Satan – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La Plume de Satan, un poème de La Fin de Satan, de Victor Hugo.

La Plume de Satan


La Plume de Satan – Le texte

Hors de la terre II
La Plume de Satan

La plume, seul débris qui restât des deux ailes
De l’archange englouti dans les nuits éternelles,
Était toujours au bord du gouffre ténébreux.
Les morts laissent ainsi quelquefois derrière eux
Quelque chose d’eux-mêmes au seuil de la nuit triste,
Sorte de lueur vague et sombre, qui persiste.

Cette plume avait-elle une âme ? qui le sait ?
Elle avait un aspect étrange ; elle gisait
Et rayonnait ; c’était de la clarté tombée.

Les anges la venaient voir à la dérobée.
Elle leur rappelait le grand Porte-Flambeau ;
Ils l’admiraient, pensant à cet être si beau
Plus hideux maintenant que l’hydre et le crotale ;
Ils songeaient à Satan dont la blancheur fatale,
D’abord ravissement, puis terreur du ciel bleu,
Fut monstrueuse au point de s’égaler à Dieu.
Cette plume faisait revivre l’envergure
De l’Ange, colossale et hautaine figure ;
Elle couvrait d’éclairs splendides le rocher ;
Parfois les séraphins, effarés d’approcher
De ces bas-fonds où l’âme en dragon se transforme,
Reculaient, aveuglés par sa lumière énorme ;
Une flamme semblait flotter dans son duvet ;
On sentait, à la voir frissonner, qu’elle avait
Fait partie autrefois d’une aile révoltée ;
Le jour, la nuit, la foi tendre, l’audace athée,
La curiosité des gouffres, les essors
Démesurés, bravant les hasards et les sorts,
L’onde et l’air, la sagesse auguste, la démence,
Palpitaient vaguement dans cette plume immense ;
Mais dans son ineffable et sourd frémissement,
Au souffle de l’abîme, au vent du firmament,
On sentait plus d’amour encor que de tempête.

Et sans cesse, tandis que sur l’éternel faîte
Celui qui songe à tous pensait dans sa bonté,
La plume du plus grand des anges, rejeté
Hors de la conscience et hors de l’harmonie,
Frissonnait, près du puits de la chute infinie,
Entre l’abîme plein de noirceur et les cieux.

Tout à coup un rayon de l’œil prodigieux
Qui fit le monde avec du jour, tomba sur elle.
Sous ce rayon, lueur douce et surnaturelle,
La plume tressaillit, brilla, vibra, grandit,
Prit une forme et fut vivante, et l’on eût dit
Un éblouissement qui devient une femme.
Avec le glissement mystérieux d’une âme,
Elle se souleva debout, et, se dressant,
Éclaira l’infini d’un sourire innocent.
Et les anges tremblants d’amour la regardèrent.
Les chérubins jumeaux qui l’un à l’autre adhèrent,
Les groupes constellés du matin et du soir,
Les Vertus, les Esprits, se penchèrent pour voir
Cette sœur de l’enfer et du paradis naître.
Jamais le ciel sacré n’avait contemplé d’être
Plus sublime au milieu des souffles et des voix.
En la voyant si fière et si pure à la fois,
La pensée hésitait entre l’aigle et la vierge ;
Sa face, défiant le gouffre qui submerge,
Mêlant l’embrasement et le rayonnement,
Flamboyait, et c’était, sous un sourcil charmant,
Le regard de la foudre avec l’œil de l’aurore.
L’archange du soleil, qu’un feu céleste dore,
Dit : — De quel nom faut-il nommer cet ange, ô Dieu ?

Alors, dans l’absolu que l’Être a pour milieu,
On entendit sortir des profondeurs du Verbe
Ce mot qui, sur le front du jeune ange superbe
Encor vague et flottant dans la vaste clarté,
Fit tout à coup éclore un astre : — Liberté.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une jeune femme assise, bras croisés, raide, indifférente.

VIII. Roman en trois sonnets

Roman en trois sonnets – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 389.

Roman en trois sonnets – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Roman en trois sonnets, un poème du recueil Toute la lyre, de la Sixième partie : [L’Amour], de Victor Hugo.
Il est précédé de VII. Certe, elle n’était pas femme et charmante en vain… et suivi par le poème IX. Chanson.

Roman en trois sonnets


Roman en trois sonnets – Le texte

VIII
Roman en trois sonnets

I

Fille de mon portier! l’Érymanthe sonore,
Devant vous, sentirait tressaillir ses pins verts ;
L’Horeb, dont le sommet étonne l’univers,
Inclinerait son cèdre altier qu’un peuple adore ;

Les docteurs juifs, quittant les talmuds entr’ouverts,
Songeraient ; et les grecs, dans le temple d’Aglaure
Le long duquel Platon marche en lisant des vers,
Diraient en vous voyant: Salut, déesse Aurore !

Ainsi palpiteraient les grecs et les hébreux,
Quand vous passez, les yeux baissés sous votre mante ;
Ainsi frissonneraient sur l’Horeb ténébreux

Les cèdres, et les pins sur l’auguste Érymanthe;
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante,
Je ne vous cache pas que je suis amoureux.

3 décembre.

II

Je ne vous cache pas que je suis amoureux,
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante ;
Soit ; mais vous comprenez que ce qui me tourmente,
C’est, ayant le cœur plein, d’avoir le gousset creux.

On fuit le pauvre ainsi qu’on fuyait le lépreux ;
Pour Tircis sans le sou Philis est peu clémente,
Et l’amant dédoré n’éblouit point l’amante ;
Il sied d’être Rothschild avant d’être Saint-Preux.

N’importe, je m’obstine ; et j’ai l’audace étrange
D’être pauvre et d’aimer, et je vous veux, bel ange ;
Car l’ange n’est complet que lorsqu’il est déchu ;

Et je vous offre, Églé, giletière étonnée,
Tout ce qu’une âme, hélas, vers l’infini tournée,
Mêle de rêverie aux rondeurs d’un fichu.

9 décembre.

III

Une étoile du ciel me parlait ; cette vierge
Disait: – « Ô descendant crotté des Colletets,
J’ai ri de tes sonnets d’hier où tu montais
Jusqu’à la blonde Églé, fille de ton concierge.

« Églé fait – j’en pourrais jaser, mais je me tais –
Des rêves de velours sous ses rideaux de serge.
Tu perds ton temps. Maigris, fais des vers, brûle un cierge,
Chante-la ; ce sera comme si tu chantais.

Un galant sans argent est un oiseau sans aile.
Elle est trop haut pour toi. Les poètes sont fous.
Jamais tu n’atteindras jusqu’à cette donzelle. » –

Et je dis à l’étoile, à l’étoile aux yeux doux :
– Mais vous avez cent fois raison, mademoiselle !
Et je ferais bien mieux d’être amoureux de vous.

10 décembre.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un visage en haut à droite, un autre en diagonale ainsi qu'un lézard stylisé (ou un dinosaure) et de la dentelle avec, en bas à gauche, le mot « DENTELLES ».

Le passereau, la huppe et la bergeronnette…

Le passereau, la huppe et la bergeronnette… – Les références

Océan ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 1066.

Le passereau, la huppe et la bergeronnette… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Le passereau, la huppe et la bergeronnette…, un poème du recueil Océan, œuvre posthume de Victor Hugo.

Le passereau, la huppe et la bergeronnette…


Le passereau, la huppe et la bergeronnette… – Le texte


Le passereau, la huppe et la bergeronnette
Discutaient, entre oiseaux on jase, on est honnête,
Mais on est susceptible, et quelquefois les becs
Font comme les troyens ennuyés par les grecs ;
On se chamaille ; ainsi les bons rapports s’altèrent ;
Les trois oiseaux ayant discuté, disputèrent ;
C’est la pente ; on descend par cet escalier-là ;
On s’aima dans l’Éden, puis on se querella ;
Sitôt que la discorde amère fait un signe,
Le sage à ne plus être sage se résigne.

Les oiseaux sont un peu des hommes et des femmes.
Et nous, n’avons-nous pas des ailes dans nos âmes ?

Vers 1880 ?

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un paysage au crépuscule du jour et de l'été : Quatre arbres se dressent sur la ligne d'horizon.

V. Voici que la saison décline…

Voici que la saison décline – Les références

Dernière Gerbe ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 816.

Voici que la saison décline – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Voici que la saison décline, un poème du recueil posthume Dernière Gerbe, de Victor Hugo.

Voici que la saison décline


Voici que la saison décline – Le texte

V


Voici que la saison décline,
L’ombre grandit, l’azur décroît,
Le vent fraîchit sur la colline,
L’oiseau frissonne, l’herbe a froid.

Août contre septembre lutte ;
L’océan n’a plus d’alcyon ;
Chaque jour perd une minute,
Chaque aurore pleure un rayon.

La mouche, comme prise au piège,
Est immobile à mon plafond ;
Et comme un blanc flocon de neige,
Petit à petit, l’été fond.

[Carnet 1861]

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un visage vu de face et de côté, comme saisi aux rayons X.

L. Aubin – Le Passant – La Passante

Aubin – Les références

Les Années funestes ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 779.

Aubin – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Aubin, un poème des Années funestes, de Victor Hugo.

Aubin


Aubin – Le texte

Aubin
Le Passant – La Passante

I

— Quel âge as-tu ? — Seize ans. — De quel pays es-tu ?
— D’Aubin. — N’est-ce pas là, dis-moi, qu’on s’est battu ?
— On ne s’est pas battu, l’on a tué. — La mine
Prospérait. Quel était son produit ? — La famine.
— Oui, je sais, le mineur vit sous terre, et n’a rien.
Avec la nuit de plus, il est galérien.
Mais toi, faisais-tu donc ce travail, jeune fille ?
— Avec tout mon village et toute ma famille,
Oui. Pour chaque hottée on me donnait un sou.
Mon grand-père était mort, tué du feu grisou.
Mon petit frère était boiteux d’un coup de pierre.
Nous étions tous mineurs, lui, mon père, ma mère,
Moi. L’ouvrage était dur, le chef n’était pas bon.
Comme on manquait de pain, on mâchait du charbon.
Aussi, vous le voyez, monsieur, je suis très maigre ;
Ce qui me fait du tort. – Le mineur, c’est le nègre.
Hélas, oui ! — Dans la mine on descend, on descend.
On travaille à genoux dans le puits. C’est glissant.
Il pleut, quoiqu’on n’ait pas de ciel. On est sous l’arche
D’un caveau bas, et tant qu’on peut marcher, on marche ;
Après on rampe ; on est dans une eau noire ; il faut
Étayer le plafond, s’il a quelque défaut ;
La mort fait un grand bruit quand tout à coup elle entre ;
C’est comme le tonnerre. On se couche à plat ventre.
Ceux qui ne sont pas morts se relèvent. Pas d’air.
Chaque sape est un trou dont un homme est le ver.
Quand la veine est en long, c’est bien ; quand elle est droite,
Alors la tâche est rude et la sape est étroite :
On sue, on gèle, on tousse ; on a chaud, on a froid.
On n’est pas sûr si c’est vivant tout ce qu’on voit.
Sitôt qu’on est sous terre on devient des fantômes.
— Les pauvres paysans qui vivent sous les chaumes
Respirent du moins l’air des cieux. — On étouffait.
— Pourquoi ne pas vous plaindre aussi ? — Nous l’avons fait.
Nous avons demandé, ne croyant pas déplaire,
Un peu moins de travail, un peu plus de salaire.
— Et l’on vous a donné, quoi ? — Des coups de fusil.
— Je m’en souviens, le maître a froncé le sourcil.
— Mon père est mort frappé d’une balle. — Et ta mère ?
— Folle. — Et tu n’as plus rien ? — Si. J’ai mon petit frère.
Il est infirme, il faut qu’il vive, de façon
Que j’ai mendié, mais on m’a mise en prison.
Je ne sais pas les lois, mais on me les applique.
— Que fais-tu donc alors ? — Je suis fille publique.

*

Reposons nos regards sur d’autres femmes.

Dieu

A mis toute la paix d’en-haut dans ce beau lieu ;
C’est un palais et c’est un éden. Faste et joie.
Le rubis sur les seins, l’aube au ciel, tout rougeoie,
Tout est pourpre et splendeur, lumière et volupté.
Roses et femmes sont ouvertes, c’est l’été ;
Et l’on voit dans les fleurs et l’on voit dans les âmes.
César rêve, entouré de parfums et de flammes.
Le soir, on fait errer des orchestres sur l’eau ;
Diane en marbre avec la lune en son halo
Mêlent leur regard chaste à la tiède soirée ;
L’eau par les coups de rame est mollement moirée ;
La voix du rossignol, la flûte de Tulou,
Alternent, et l’on chante un refrain andalou,
L’air se tait, toute l’ombre écoute la fanfare,
Et le daim qui buvait au lac sombre, s’effare.

H. H. Xbre.

II

Soit. Entre ce deuil morne et ce joyeux azur,
La différence est grande. Oui. Mais es-tu bien sûr,
Dis, que ce ne soit pas au fond le même abîme ?
Et que, dans cette cour qui croit être une cime,
Parmi ces femmes, chœur de déesses, beautés
Qui, mêlant aux rayons de César leurs clartés,
Visibles à travers de majestueux voiles,
Enferment ce soleil dans leur cercle d’étoiles,
Parmi ces déités, reines au front charmant,
Qui semblent faites d’aube et d’éblouissement,
Puisant à pleines mains dans l’or, dans la fortune,
Dans la toute-puissance, il n’en est pas plus d’une
Qui, toute rayonnante en ce royal palais,
Si tu l’interrogeais et si tu lui parlais,
Sous ton œil froid chassant toute pensée oblique,
Répondrait, elle aussi : Je suis fille publique.

H. H. 10 décembre.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le visage tourmenté d'un homme barbu.

[IX]. Une autre voix

[IX]. Une autre voix – Les références

DieuVoix I à XIII ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 608.

Une autre voix – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Une autre voix, un poème du recueil Dieu, de Victor Hugo.

Une autre voix


[IX]. Une autre voix – Le texte

[IX] – Une autre voix


Te figures-tu donc être, par aventure,
Autre chose qu’un point dans l’aveugle nature ?
Toi, l’homme, cendre et chair, te persuades-tu
Que d’une fonction l’ombre t’a revêtu ?
Quel droit te crois-tu donc à chercher, à poursuivre,
À saisir ce qui peut exister, durer, vivre,
À surprendre, à connaître, à savoir, toi qui n’es
Qu’une larve, et qui meurs aussitôt que tu nais ?
J’admire ton néant inouï s’il suppose
Qu’il est par l’absolu compté pour quelque chose !
Quelle idée, ô songeur du songe humanité,
As-tu de ton cerveau pour croire, en vérité,
Qu’il peut prendre ou laisser une empreinte à l’abîme ?
Ta pensée est abjecte, étroite, folle, infime ;
L’homme est de la fumée obscure qui descend.
T’imagines-tu donc laisser trace, ô passant ?
Rêves-tu l’absolu comme ton fleuve Seine
Coulant entre les quais de ta ville malsaine,
Recueillant les égouts de toutes tes maisons,
Doctrines, volontés, illusions, raisons,
Ayant dans son courant, si quelqu’un te réclame,
Quelque pont de Saint-Cloud où l’on repêche l’âme ?
Crois-tu que cette eau vaste et sourde, Immensité,
Ne t’enveloppe pas d’oubli, de cécité,
De silence, et sanglote à ta chute, et soit triste ?
Crois-tu que ta chimère en ce gouffre persiste,
Qu’elle y garde sa forme, espoir, rêve, action ;
Et qu’on retrouve, après ta disparition,
Quelque chose de toi, ton cadavre ou ton ombre,
Aux noirs filets flottants de l’éternité sombre ?

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un pégase en furie s'élevant vers le firmament.

La Trappe d’en bas et la Trappe d’en haut – Strophe cinquième

La Trappe d’en bas et la Trappe d’en haut – Les références

La Fin de SatanLivre premier : Le Glaive ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 33.

La Trappe d’en bas et la Trappe d’en haut – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La Trappe d’en bas et la Trappe d’en haut, un poème de La Fin de Satan, de Victor Hugo.

La Trappe d’en bas et la Trappe d’en haut


La Trappe d’en bas et la Trappe d’en haut – Le texte

Strophe cinquième

La Trappe d’en bas et la Trappe d’en haut

1

L’infini se laissait pousser comme une porte ;
Et tout le premier jour se passa de la sorte ;
Et les aigles montaient.

Or Nemrod, sans le voir,

Sentit, au souffle obscur qui se répand le soir,
Que la nuit froide allait ouvrir sa pâle crypte ;
Les mains sur les genoux comme l’Hermès d’Égypte,
Il dit au noir : — Hibou que ma droite soutient,
Vois comment est la terre et ce qu’elle devient. —
L’eunuque ouvrit la trappe en bas, et dit : — La terre,
Tachée et jaune ainsi qu’une peau de panthère,
Emplit l’immensité ; dans l’espace changeant
Les fleuves sont épars comme des fils d’argent ;
Notre ombre noire court sur les collines vertes ;
De vos ennemis morts les plaines sont couvertes
Comme d’épis fauchés au temps de la moisson ;
Les villes sont en flamme autour de l’horizon ;
Ô Roi, vous êtes grand. Malheur à qui vous brave !
— Approchons-nous du ciel, dit Nemrod ? — et l’esclave
Ouvrit la trappe haute et dit : — Le ciel est bleu.

2

Et les aigles montaient.

L’espace sans milieu

Ne leur résistait pas et cédait à leurs ailes ;
L’ombre, où les soleils sont comme des étincelles,
Laissait passer ce char plein d’un sombre projet.
Lorsque l’eunuque avait faim ou soif, il mangeait ;
Et Nemrod regardait, muet, cette chair noire
Prendre un pain et manger, percer une outre et boire ;
Le chasseur infernal qui se croyait divin
Songeait, et, dédaignant le maïs et le vin,
Il buvait et mangeait, cet homme de désastres,
L’orgueil d’être traîné par les aigles aux astres.
Sans dire un mot, sans faire un geste, il attendit,
Rêveur, une semaine entière, puis il dit :
— Vois comment est la terre. — Et l’eunuque difforme
Dit : — La terre apparaît comme une sphère énorme
Et pâle, et les vapeurs, à travers leurs réseaux,
Laissent voir par moments les plaines et les eaux. —
Nemrod dit : — Et le ciel ? — Zaïm reprit : — Roi sombre,
Le ciel est bleu. —

3

Le vent soufflait en bas dans l’ombre.

Et les aigles montaient.

Et Nemrod attendit

Un mois ; montant toujours ; puis il cria : — Maudit,
Regarde en bas et vois ce que devient la terre. —
Zaïm dit : — Roi, sous qui la foudre doit se taire,
La terre est un point noir et semble un grain de mil. —
Et Nemrod fut joyeux. — Nous approchons, dit-il.
Vois ! regarde le ciel maintenant. Il doit être
Plus près. — Zaïm leva la trappe et dit : — Ô maître,
Le ciel est bleu. —

4

Le vent triste soufflait en bas ;

Et les aigles montaient.

L’archer des noirs combats

Attendit, sans qu’un souffle échappât à son âme,
Un an, montant toujours, puis : — Chien que hait la femme,
Cria-t-il ! Vois ! La terre a-t-elle encor décru ?
L’eunuque répondit : — La terre a disparu.
Roi, l’on ne voit plus rien dans la profondeur sombre.
Nemrod dit : — Que m’importe une terre qui sombre !
Vois comment est le ciel. Approchons-nous un peu ?
Regarde. — Et Zaïm dit : — Ô roi, le ciel est bleu.

5

Le vent soufflait en bas.

Tournant son cou rapide,

Un aigle alors cria : — J’ai faim, homme stupide ! —
Et Nemrod leur donna l’eunuque à dévorer.

Les aigles montaient.

Rien ne venait murmurer

Autour de la machine en sa course effrénée.
Nemrod, montant toujours, attendit une année,
Dans l’ombre, et le géant, durant ce noir chemin,
Compta les douze mois sur les doigts de sa main ;
Quand l’an fut révolu, le sinistre satrape
Resté seul, n’ayant plus l’eunuque, ouvrit la trappe
Que le soleil dora d’une lueur de feu ;
Et regarda le ciel, et le ciel était bleu.

6

Alors, son arc en main, tranquille, l’homme énorme
Sortit hors de la cage et sur la plate-forme
Se dressa tout debout et cria : Me voilà.
Il ne regarda rien en bas ; il contempla,
Pensif, les bras croisés, le ciel toujours le même ;
Puis, calme et sans qu’un pli tremblât sur son front blême,
Il ajusta la flèche à son arc redouté.
Les aigles frissonnants regardaient de côté.
Nemrod éleva l’arc au dessus de sa tête,
Le câble lâché fit le bruit d’une tempête,
Et, comme un éclair meurt quand on ferme les yeux,
L’effrayant javelot disparut dans les cieux.

Et la terre entendit un long coup de tonnerre.

7

Un mois après, la nuit, un pâtre centenaire
Qui rêvait dans la plaine où Caïn prit Abel,
Champ hideux d’où l’on voit le front noir de Babel,
Vit tout à coup tomber des cieux, dans l’ombre étrange,
Quelqu’un de monstrueux qu’il prit pour un archange ;
C’était Nemrod.

8

Couché sur le dos, mort, puni,

Le noir chasseur tournait encor vers l’infini
Sa tête aux yeux profonds que rien n’avait courbée.
Auprès de lui gisait sa flèche retombée.
La pointe, qui s’était enfoncée au ciel bleu,
Était teinte de sang. Avait-il blessé Dieu ?

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un gibet, auquel sont accrochés des pendus, et une croix, sur une colline, sous un ciel de traîne.

II. Les Mangeurs

Les Mangeurs – Les références

La Légende des siècles – Série ComplémentaireXVII. Le Cercle des tyrans ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 658.
Autre référence : Collection Poésie / Gallimard, La Légende des siècles, XXXIII. Le Cercle des tyrans, p 559.

Les Mangeurs – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Les Mangeurs, un poème du recueil La Légende des siècles – Série Complémentaire, de Victor Hugo.

Les Mangeurs


Les Mangeurs – Le texte

II
Les Mangeurs


Ils ont des surnoms, Juste, Auguste, Grand, Petit,
Bien-Aimé, Sage, et tous ont beaucoup d’appétit.
Qui sont-ils ? Ils sont ceux qui nous mangent. La vie
Des hommes, notre vie à tous, leur est servie.
Ils nous mangent. Quel est leur droit ? Le droit divin.

Ils vivent. Tout le reste est inutile et vain,
Le vent après le vent, le nombre après le nombre
Passe, et le genre humain n’est qu’une fuite d’ombre.

Est-ce qu’ils ont pour voix la foudre ? Ils ont la voix
Que vous avez. Sont-ils malades ? Quelquefois.
Sont-ils forts ? Comme vous. Beaux ? Comme vous. Leur âme ?
Vous ressemble. Et de qui sont-ils nés ? D’une femme.
Ils ont, pour vous dompter et vous accabler tous,
Des châteaux, des donjons. Bâtis par qui ? Par vous.
Et quelle est leur grandeur ? À peu près votre taille.
Ils ont une servante affreuse, la bataille ;
Ils ont un noir valet qu’on nomme l’échafaud.
Ils ont pour fonction de n’avoir nul défaut,
D’être pour les passants chefs, souverains et maîtres,
Pour la femme aux seins nus sultans, dieux pour les prêtres.
Par ces êtres, élus du destin hasardeux,
La suprême parole est dite, et chacun d’eux
Pèse plus à lui seul qu’un monde et qu’une foule ;
Il écrit : ma raison, sur le canon qui roule.
Et quels sont leurs cerveaux ? Étroits. Leurs volontés ?
Énormes. Quelles sont leurs œuvres ? Écoutez.

Celui-ci, que la croix du vieil Ivan protège,
A le bonheur d’avoir un sépulcre de neige
Assez grand pour y mettre un peuple tout entier ;
Il y met la Pologne ; il faut bien châtier
Ce peuple puisqu’il ose exister. Cette reine
Fut jeune, belle, heureuse, ignorante, sereine,
Et n’a jamais fait grâce, et tout son alphabet,
Hélas ! commence au trône et finit au gibet.
Celui-ci parle au nom du martyr qu’on adore ;
Sous la sublime croix qu’un reflet du ciel dore,
Cet homme plein d’un sombre et périlleux pouvoir,
Prie et songe, et n’est pas épouvanté de voir
Son crucifix jeter l’ombre des guillotines.
Cet autre, torche au poing, dans les cités mutines,
Se rue, et brûle et pille, et d’Irun à Cadix
Règne, et fait fusiller un prisonnier sur dix,
Et dit : Je n’en fais pas fusiller davantage,
Étant civilisé ; puis il reprend : Le Tage
Et l’Èbre feront voir que le maître est présent ;
Peuples, je veux qu’on dise en voyant tant de sang
Et tant de morts passer que c’est le roi qui passe !
Cet autre est un césar de l’espèce rapace ;
Le laurier est chétif, mais le profit est grand,
Cela suffit ; il vient ; et que fait-il ? il prend.
Il empoche ; quoi ? tout ; les sacs d’or qu’on lui compte,
Les provinces, les morts, Strasbourg, Metz, et la honte ;
Ce que fit Metternich est refait par Bismarck.
Le père de cet autre a bombardé Saint-Marc
Et dans l’affreux Spielberg reconstruit la Bastille.
Cet autre à son visir a marié sa fille :
Cette fille abusant de son droit à l’enfant,
Met au monde un garçon, ce que la loi défend ;
L’aïeul fait étrangler son petit-fils. Cet autre,
Jeune, dans les tripots et les femmes se vautre,
Puis il se dit : Je suis Bonaparte à peu près ;
Si je songeais au trône et si je m’empourprais ?
Il s’empourpre ; il devient sanglant. C’est un vrai prince.

Chez eux le plus puissant est souvent le plus mince ;
Ils ont le cœur des rocs et la dent des lions ;
Ils sont ivres d’encens, d’effroi, de millions,
De volupté, d’horreur, et leur splendeur est noire.
S’ils ont soif, il leur faut beaucoup de sang à boire ;
La guerre leur en verse ; il leur faut, s’ils ont faim,
Beaucoup de nations à dévorer.

Enfin,

Revanche ! les mangeurs sont mangés, ô mystère !

— Comme c’est bon les rois ! disent les vers de terre.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une route de terre menant à une grande ville en contrebas.

Tristesse du philosophe

Tristesse du philosophe – Les références

L’ÂneTristesse du philosophe ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 1107.

Tristesse du philosophe – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Tristesse du philosophe, un poème du recueil L’Âne, de Victor Hugo.

Tristesse du philosophe


Tristesse du philosophe – Le texte

Tristesse du philosophe


Et l’âne disparut, et Kant resta lugubre.

— Oui ! dit-il, la science est encore insalubre ;
L’esprit marche, baissant la tête et parlant bas ;
Et cette surdité de la bête n’est pas
Si stupide en effet que d’abord elle semble.
Puisqu’aux mains du savoir le flambeau sacré tremble,
La protestation est juste.

Jusqu’au jour

Où la science aura pour but l’immense amour,
Où partout l’homme, aidant la nature asservie,
Fera de la lumière et fera de la vie,
Où les peuples verront les puissants écrivains,
Les songeurs, les penseurs, les poètes divins,
Tous les saints instructeurs, toutes les fières âmes,
Passer devant leurs yeux comme des vols de flammes ;
Où l’on verra, devant le grand, le pur, le beau,
Fuir le dernier despote et le dernier fléau ;
Jusqu’au jour de vertu, de candeur, d’espérance,
Où l’étude pourra s’appeler délivrance,
Où les livres plus clairs refléteront les cieux,
Où tout convergera vers ce point radieux :
— L’esprit humain meilleur, l’âme humaine plus haute,
La terre, éden sacré, digne d’Adam son hôte,
L’homme marchant vers Dieu sans trouble et sans effroi,
La douce liberté cherchant la douce loi,
La fin des attentats, la fin des catastrophes ; —
Oui, jusqu’à ce jour-là, tant que les philosophes,
Prêtres du beau, d’autant plus vils qu’ils sont plus grands,
Seront les courtisans possibles des tyrans ;
Tant qu’ils conseilleront César qui délibère ;
Tant qu’Uranie ira s’attabler chez Tibère ;
Tant que l’astronomie au vol sublime et prompt,
Et la métaphysique, et l’algèbre seront
Des servantes du crime et des filles publiques ;
Tant que Dieu louchera dans leurs regards obliques ;
Tant que la vérité, mère des droits humains,
Ô douleur ! sortira difforme de leurs mains ;
Tant qu’insultant le juste, abjects, creusant sa fosse,
Les scribes salueront la religion fausse,
Le faux pouvoir, Caïphe à qui Néron se joint ;
Tant que l’intelligence, hélas, ne sera point
La grande propagande et la grande bravoure ;
Tant qu’épris des faux biens que le méchant savoure,
Les froids penseurs prendront l’erreur pour minerai ;
Tant qu’ils ne seront pas les Hercules du vrai,
Acceptant du progrès les gigantesques tâches ;
Tant que les lumineux pourront être les lâches ;
Tant que la science, ange à qui l’Être a parlé,
Infâme, baissera sur son front constellé
Ce capuchon sinistre et noir, l’hypocrisie ;
Tant que de l’air des cours elle sera noircie ;
Tant qu’on admirera ce Bacon effrayant,
Ce monstre fait d’azur et d’infamie, ayant
Le cloaque dans l’âme et dans les yeux l’étoile ;
Tant qu’arrêtant l’esprit qui veut mettre à la voile,
D’abjects vendeurs pourront, sans être foudroyés,
Dire au seuil rayonnant des écoles : Payez !
Tant que le fisc tendra devant l’aube sa toile ;
Tant qu’Isis lèvera pour de l’argent son voile,
Et pour qui n’a pas d’or, pour le pauvre fatal,
Le fermera, Phryné sombre de l’idéal,
Oui, quand même, ô ciel noir, seraient là réunies
Les pléiades des fronts radieux, des génies,
Des Homères aïeux et des Dantes leurs fils,
Oui, contre Athènes, Rome, et Genève, et Memphis,
Et Londre, et toi, Paris, et l’Inde et la Chaldée,
Contre tout le rayon, contre toute l’idée,
Contre les livres pleins de vérités dormant,
Contre l’enseignement, contre le firmament,
Et les esprit sans fin, et les astres sans nombre,
Les oreilles de l’âne auront raison dans l’ombre !