I. Une voix
[I]. Une voix – Les références
Dieu – Voix I à XIII ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 587.
Une voix – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Une voix, un poème du recueil Dieu, de Victor Hugo.
Une voix
[I]. Une voix – Le texte
[I] – Une voix
Les rudes bûcherons sont venus dans le bois.
— Si tu ne vois pas nie et doute si tu vois,
A dit Cratès. — Zénon, Gorgias, Pythagore,
Plaute et Sénèque ont dit : — Si tu vois, nie encore.
Bacon a dit — Voici l’objet, l’être, le corps,
Le fait. N’en sortez pas ; car tout tremble dehors.
— Quel est ce monde ? a dit Thalès. Apollodore
A dit : C’est de la nuit que de la cendre adore.
Et Démonax de Chypre, Epicharme de Cos,
Pyrrhon, le grand errant des monts et des échos,
Ont répondu : — Tout est fantôme. Pas de type.
Tout est larve. — Et fumée, a repris Aristippe.
— Rêve ! a dit Sergius, le fatal syrien.
— Rencontre de l’atome et de l’atome, et rien.
Ces mots noirs ont été jetés par Démocrite.
Ésope a dit : — À bas, monde ! masque hypocrite !
Épicure qui naît au mois Gamélion,
Et Job qui parle au ver, Dan qui parle au lion,
Amos et Jean troublés par les apocalypses,
Ont dit : — On ne le voit qu’à travers les éclipses.
— L’être est le premier texte et l’homme est le second.
Lisible dans la fleur et dans l’arbre fécond,
Et dans le calme éther des cieux que rien n’irrite,
La nature est dans l’homme obscure et mal transcrite.
Voilà ce qu’Alchindé l’Arabe a proclamé.
Cardan a dit : — Hélas ! c’est fermé, c’est fermé !
Alcidamas a dit : — Miracle, autel, croyance,
Dogme, religion, fondent sous la science ;
Dieu sous l’esprit humain, tas de neige au dégel.
Et Goethe au vaste front, Montaigne, Fichte, Hégel,
Se sont penchés pendant que le grand rieur maître,
Rabelais, chuchotait sur l’abîme : – Peut-être.
Diogène a crié : — Des flambeaux ! des flambeaux !
Shakespeare a murmuré, courbé sur les tombeaux :
— Fossoyeur, combien Dieu pèse-t-il dans ta pelle ?
Et Jean-Paul a repris : — Ce qu’ainsi l’homme appelle,
C’est la vague lueur qui tremble sur le sort ;
C’est la phosphorescence impalpable qui sort
De l’incommensurable et lugubre matière ;
Dieu, c’est le feu follet du monde cimetière.
Dante a levé les bras en s’écriant : Pourquoi ?
— Ô nuit, j’attends que tout s’affirme et dise : moi.
Quel est le sens des mots : foi, conscience humaine,
Raison, devoir ? a dit le pâle Anaximène.
Locke a dit : — On voit mal avec ces appareils.
Reuchlin a demandé : — Qu’est-ce que les soleils ?
Sont-ce des piloris ou des apothéoses ?
Lucrèce a dit : — Quelle est la nature des choses ?
Il a dit : – Tout est sourd, faux, muet, décevant.
Sous cette immense mort quelqu’un est-il vivant ?
Sent-on une âme au fond de la substance, et l’être
N’est-il pas tout entier dans ce mot : apparaître ?
L’ombre engendre la nuit. De quoi l’homme est-il sûr ?
Et le ciel, le hasard, l’obscurité, l’azur,
Le mystère, et la vie, et la tombe indignée
Retentissent encor de ces coups de cognée.
Oui, les douteurs, les fiers incrédules, les forts,
Ont appelé Quelqu’un, quoique restés dehors ;
Ils ont bravé l’odeur que le sépulcre exhale ;
Le front haut, ils disaient à l’ombre colossale :
— Ose donc nous montrer ton Dieu, que nous voyions
Ce qu’il a de carreaux, ce qu’il a de rayons,
Gouffre horrible, et si c’est avec de la colère
Ou du pardon divin que son visage éclaire !
Et, prêts à tout subir, sans peur, prêts à tout voir,
Calmes, ils regardaient en face le ciel noir,
Et le sourd firmament que l’obscurité voile,
Farouches, attendant quelque chute d’étoile !
Certes, ces curieux, ces hardis ignorants,
Ces lutteurs, ces esprits, ces hommes étaient grands,
Et c’étaient des penseurs à l’âme ferme et fière
Qui jetaient à la nuit ce défi de lumière.
Chercheur, trouveras-tu ce qu’ils n’ont pas trouvé ?
Songeur, rêveras-tu plus loin qu’ils n’ont rêvé ?