Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un coin de ciel bleu et un nuage d'oiseaux, "buveurs d'azur faits pour s'enivrer d'air" qui s'envolent d'une île.

I. Liberté

Liberté – Les références

La Légende des siècles / Dernière SérieXVII. Le Cercle des tyrans ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 657.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des sièclesXXXIII. Le Cercle des tyrans, p. 550.

Liberté – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Liberté, un poème du recueil La Légende des siècles / Dernière Série, de Victor Hugo.

Liberté


Liberté – Le texte

Liberté


De quel droit mettez-vous des oiseaux dans des cages ?

De quel droit ôtez-vous ces chanteurs aux bocages,
Aux sources, à l’aurore, à la nuée, aux vents ?
De quel droit volez-vous la vie à ces vivants ?
Homme, crois-tu que Dieu, ce père, fasse naître
L’aile pour l’accrocher au clou de ta fenêtre ?
Ne peux-tu vivre heureux et content sans cela ?
Qu’est-ce qu’ils ont donc fait tous ces innocents-là
Pour être au bagne avec leur nid et leur femelle ?

Qui sait comment leur sort à notre sort se mêle ?
Qui sait si le verdier qu’on dérobe aux rameaux,
Qui sait si le malheur qu’on fait aux animaux
Et si la servitude inutile des bêtes
Ne se résolvent pas en Nérons sur nos têtes ?
Qui sait si le carcan ne sort pas des licous ?
Oh ! de nos actions qui sait les contre-coups,
Et quels noirs croisements ont au fond du mystère
Tant de choses qu’on fait en riant sur la terre ?
Quand vous cadenassez sous un réseau de fer
Tous ces buveurs d’azur faits pour s’enivrer d’air,
Tous ces nageurs charmants de la lumière bleue,
Chardonneret, pinson, moineau franc, hochequeue,
Croyez-vous que le bec sanglant des passereaux
Ne touche pas à l’homme en heurtant ces barreaux ?
Prenez garde à la sombre équité. Prenez garde !
Partout où pleure et crie un captif, Dieu regarde.
Ne comprenez-vous pas que vous êtes méchants ?
À tous ces enfermés donnez la clef des champs !
Aux champs les rossignols, aux champs les hirondelles !
Les âmes expieront tout ce qu’on fait aux ailes.
La balance invisible a deux plateaux obscurs.
Prenez garde aux cachots dont vous ornez vos murs !
Du treillage aux fils d’or naissent les noires grilles ;
La volière sinistre est mère des bastilles.
Respect aux doux passants des airs, des prés, des eaux !
Toute la liberté qu’on prend à des oiseaux
Le destin juste et dur la reprend à des hommes.
Nous avons des tyrans parce que nous en sommes.
Tu veux être libre, homme ? et de quel droit, ayant
Chez toi le détenu, ce témoin effrayant ?
Ce qu’on croit sans défense est défendu par l’ombre.
Toute l’immensité sur le pauvre oiseau sombre
Se penche, et te dévoue à l’expiation.
Je t’admire, oppresseur, criant : oppression !
Le sort te tient pendant que ta démence brave
Ce forçat qui sur toi jette une ombre d’esclave ;
Et la cage qui pend au seuil de ta maison
Vit, chante, et fait sortir de terre la prison.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un animal tenu en laisse par un ange vers lequel vient un autre animal. Une horloge est au-dessus du premier animal.

XXI. Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde…

Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde… – Les références

La Légende des siècles – Série ComplémentaireXXI ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 695.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 799.

Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde…, un poème du recueil La Légende des siècles – Série Complémentaire, de Victor Hugo.

Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde…


Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde… – Le texte

XXI


Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde.
— Les deux bêtes les plus gracieuses du monde,
Le chat et la souris, se haïssent. Pourquoi ?
Explique-moi cela, Jeanne. — Non sans effroi
Devant l’énormité de l’ombre et du mystère,
Jeanne se mit à rire. — Eh bien ? — Petit grand-père,
je ne sais pas. Jouons. — Et Jeanne repartit :
— Vois-tu, le chat c’est gros, la souris c’est petit.
— Eh bien ? — Et Jeanne alors, en se grattant la tête,
Reprit : — Si la souris était la grosse bête,
À moins que le bon Dieu là-haut ne se fâchât,
Ce serait la souris qui mangerait le chat.

IV. Mansuétude des anciens juges

Mansuétude des anciens juges – Les références

La Légende des siècles – Série ComplémentaireIV. Mansuétude des anciens juges ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 583.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 526.

Mansuétude des anciens juges – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Mansuétude des anciens juges, un poème du recueil La Légende des siècles – Série Complémentaire, de Victor Hugo.

Mansuétude des anciens juges


Mansuétude des anciens juges – Le texte

Les chambres de torture étaient d’âpres demeures ;
On n’y passait jamais plus de quatre ou cinq heures,
Et l’on entrait jeune homme et l’on sortait vieillard.
Le juge pour le code et le bourreau pour l’art
S’épuisaient, et, mêlant fer rouge et loi romaine,
Ayant à travailler sur de la chair humaine,
N’épargnaient rien afin d’arriver à l’aveu.
Sous leurs mains, l’os, le muscle, et l’ongle et le cheveu
Frémissaient, et, hurlant plus fort selon la fibre
Qui tressaille, et selon le nerf profond qui vibre,
Un homme devenait un clavier où Vouglans
Jouait de l’agonie avec ses doigts sanglants.
Ne croyez pas pourtant que lui, ni Farinace,
Ou Levert, n’eussent rien au cœur que la menace ;
Ils priaient au besoin le captif garrotté ;
Ils sucraient la torture avec de la bonté ;
L’accusé qui résiste attriste la grand’chambre ;
Bénins, ils l’imploraient en lui brisant un membre ;
Ils étaient paternels ; ils se penchaient, prêchant,
Suppliant, regrettant d’agir, l’air pas méchant,
Pour faire à cet œil terne et sombre, à cette bouche,
À cette âme aux abois, vomir l’aveu farouche.
Pasquier leurrait d’espoir ces regards presque éteints ;
Delancre au patient disait des vers latins ;
Bodin, sachant par cœur Virgile et ses idylles,
Les citait ; et parfois ils pleuraient, crocodiles.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la guillotine, l'échafaud, qui se dresse dans la brume. On devine le trou dans lequel était enfilée la tête du condamné. Devant, on aperçoit des pavés.

L’échafaud

L’échafaud – Les références

La Légende des siècles – Série ComplémentaireV. L’échafaud ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 585.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 527.

L’échafaud – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’échafaud, un poème du recueil La Légende des siècles – Série Complémentaire, de Victor Hugo.

L’échafaud


L’échafaud – Le texte

C’était fini. Splendide, étincelant, superbe,
Luisant sur la cité comme la faulx sur l’herbe,
Large acier dont le jour faisait une clarté,
Ayant je ne sais quoi dans sa tranquillité
De l’éblouissement du triangle mystique,
Pareil à la lueur au fond d’un temple antique,
Le fatal couperet relevé triomphait.
Il n’avait rien gardé de ce qu’il avait fait
Qu’une petite tache imperceptible et rouge.

Le bourreau s’en était retourné dans son bouge ;
Et la peine de mort, remmenant ses valets,
Juges, prêtres, était rentrée en son palais,
Avec son tombereau terrible dont la roue,
Silencieuse, laisse un sillon dans la boue,
Qui se remplit de sang sitôt qu’elle a passé.

La foule disait : bien ! car l’homme est insensé,
Et ceux qui suivent tout, et dont c’est la manière,
Suivent même ce char et même cette ornière.

J’étais là. Je pensais. Le couchant empourprait
Le grave hôtel de ville aux luttes toujours prêt,
Entre Hier qu’il médite et Demain dont il rêve.
L’échafaud achevait, resté seul sur la Grève,
La journée, en voyant expirer le soleil.

Le crépuscule vint, aux fantômes pareil.
Et j’étais toujours là, je regardais la hache,
La nuit, la ville immense et la petite tache.

À mesure qu’au fond du firmament obscur
L’obscurité croissait comme un effrayant mur,
L’échafaud, bloc hideux de charpentes funèbres,
S’emplissait de noirceur et devenait ténèbres ;
Les horloges sonnaient, non l’heure, mais le glas ;
Et toujours, sur l’acier, quoique le coutelas
Ne fût plus qu’une forme épouvantable et sombre,
La rougeur de la tache apparaissait dans l’ombre.

Un astre, le premier qu’on aperçoit le soir,
Pendant que je songeais montait dans le ciel noir.

Sa lumière rendait l’échafaud plus difforme.
L’astre se répétait dans le triangle énorme ;
Il y jetait ainsi qu’en un lac son reflet,
Lueur mystérieuse et sacrée ; il semblait
Que sur la hache horrible, aux meurtres coutumière,
L’astre laissait tomber sa larme de lumière.
Son rayon, comme un dard qui heurte et rebondit,
Frappait le fer d’un choc lumineux ; on eût dit
Qu’on voyait rejaillir l’étoile de la hache.
Comme un charbon tombant qui d’un feu se détache,
Il se répercutait dans ce miroir d’effroi ;
Sur la justice humaine et sur l’humaine loi,
De l’éternité calme auguste éclaboussure.
— Est-ce au ciel que ce fer a fait une blessure ?
Pensai-je. Sur qui donc frappe l’homme hagard ?
Quel est donc ton mystère, ô glaive ? — Et mon regard
Errait, ne voyant plus rien qu’à travers un voile,
De la goutte de sang à la goutte d’étoile.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un gibet, auquel sont accrochés des pendus, et une croix, sur une colline, sous un ciel de traîne.

II. Les Mangeurs

Les Mangeurs – Les références

La Légende des siècles – Série ComplémentaireXVII. Le Cercle des tyrans ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 658.
Autre référence : Collection Poésie / Gallimard, La Légende des siècles, XXXIII. Le Cercle des tyrans, p 559.

Les Mangeurs – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Les Mangeurs, un poème du recueil La Légende des siècles – Série Complémentaire, de Victor Hugo.

Les Mangeurs


Les Mangeurs – Le texte

II
Les Mangeurs


Ils ont des surnoms, Juste, Auguste, Grand, Petit,
Bien-Aimé, Sage, et tous ont beaucoup d’appétit.
Qui sont-ils ? Ils sont ceux qui nous mangent. La vie
Des hommes, notre vie à tous, leur est servie.
Ils nous mangent. Quel est leur droit ? Le droit divin.

Ils vivent. Tout le reste est inutile et vain,
Le vent après le vent, le nombre après le nombre
Passe, et le genre humain n’est qu’une fuite d’ombre.

Est-ce qu’ils ont pour voix la foudre ? Ils ont la voix
Que vous avez. Sont-ils malades ? Quelquefois.
Sont-ils forts ? Comme vous. Beaux ? Comme vous. Leur âme ?
Vous ressemble. Et de qui sont-ils nés ? D’une femme.
Ils ont, pour vous dompter et vous accabler tous,
Des châteaux, des donjons. Bâtis par qui ? Par vous.
Et quelle est leur grandeur ? À peu près votre taille.
Ils ont une servante affreuse, la bataille ;
Ils ont un noir valet qu’on nomme l’échafaud.
Ils ont pour fonction de n’avoir nul défaut,
D’être pour les passants chefs, souverains et maîtres,
Pour la femme aux seins nus sultans, dieux pour les prêtres.
Par ces êtres, élus du destin hasardeux,
La suprême parole est dite, et chacun d’eux
Pèse plus à lui seul qu’un monde et qu’une foule ;
Il écrit : ma raison, sur le canon qui roule.
Et quels sont leurs cerveaux ? Étroits. Leurs volontés ?
Énormes. Quelles sont leurs œuvres ? Écoutez.

Celui-ci, que la croix du vieil Ivan protège,
A le bonheur d’avoir un sépulcre de neige
Assez grand pour y mettre un peuple tout entier ;
Il y met la Pologne ; il faut bien châtier
Ce peuple puisqu’il ose exister. Cette reine
Fut jeune, belle, heureuse, ignorante, sereine,
Et n’a jamais fait grâce, et tout son alphabet,
Hélas ! commence au trône et finit au gibet.
Celui-ci parle au nom du martyr qu’on adore ;
Sous la sublime croix qu’un reflet du ciel dore,
Cet homme plein d’un sombre et périlleux pouvoir,
Prie et songe, et n’est pas épouvanté de voir
Son crucifix jeter l’ombre des guillotines.
Cet autre, torche au poing, dans les cités mutines,
Se rue, et brûle et pille, et d’Irun à Cadix
Règne, et fait fusiller un prisonnier sur dix,
Et dit : Je n’en fais pas fusiller davantage,
Étant civilisé ; puis il reprend : Le Tage
Et l’Èbre feront voir que le maître est présent ;
Peuples, je veux qu’on dise en voyant tant de sang
Et tant de morts passer que c’est le roi qui passe !
Cet autre est un césar de l’espèce rapace ;
Le laurier est chétif, mais le profit est grand,
Cela suffit ; il vient ; et que fait-il ? il prend.
Il empoche ; quoi ? tout ; les sacs d’or qu’on lui compte,
Les provinces, les morts, Strasbourg, Metz, et la honte ;
Ce que fit Metternich est refait par Bismarck.
Le père de cet autre a bombardé Saint-Marc
Et dans l’affreux Spielberg reconstruit la Bastille.
Cet autre à son visir a marié sa fille :
Cette fille abusant de son droit à l’enfant,
Met au monde un garçon, ce que la loi défend ;
L’aïeul fait étrangler son petit-fils. Cet autre,
Jeune, dans les tripots et les femmes se vautre,
Puis il se dit : Je suis Bonaparte à peu près ;
Si je songeais au trône et si je m’empourprais ?
Il s’empourpre ; il devient sanglant. C’est un vrai prince.

Chez eux le plus puissant est souvent le plus mince ;
Ils ont le cœur des rocs et la dent des lions ;
Ils sont ivres d’encens, d’effroi, de millions,
De volupté, d’horreur, et leur splendeur est noire.
S’ils ont soif, il leur faut beaucoup de sang à boire ;
La guerre leur en verse ; il leur faut, s’ils ont faim,
Beaucoup de nations à dévorer.

Enfin,

Revanche ! les mangeurs sont mangés, ô mystère !

— Comme c’est bon les rois ! disent les vers de terre.