Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le sommet d'un champignon, ou une arche rouge semée de points blancs, en accord avec le "mystérieux jour" de la nature.

XIV. À Granville, en 1836

À Granville, en 1836 – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 279.

À Granville, en 1836 – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Granville, en 1836, un poème des Contemplations, de Victor Hugo, du premier livre : Aurore.
Il est précédé de XIII. À propos d’Horace et suivi de XV. La Coccinelle.

À Granville, en 1836


À Granville, en 1836 – Le texte

XIV
À Granville, en 1836


Voici juin. Le moineau raille
Dans les champs les amoureux ;
Le rossignol de muraille
Chante dans son nid pierreux.

Les herbes et les branchages,
Pleins de soupirs et d’abois,
Font de charmants rabâchages
Dans la profondeur des bois.

La grive et la tourterelle
Prolongent, dans les nids sourds,
La ravissante querelle
Des baisers et des amours.

Sous les treilles de la plaine,
Dans l’antre où verdit l’osier,
Virgile enivre Silène,
Et Rabelais Grandgousier.

Ô Virgile, verse à boire !
Verse à boire, ô Rabelais !
La forêt est une gloire ;
La caverne est un palais !

Il n’est pas de lac ni d’île
Qui ne nous prenne au gluau,
Qui n’improvise une idylle,
Ou qui ne chante un duo.

Car l’amour chasse aux bocages,
Et l’amour pêche aux ruisseaux,
Car les belles sont les cages
Dont nos cœurs sont les oiseaux.

De la source, sa cuvette,
La fleur, faisant son miroir,
Dit : « Bonjour, » à la fauvette,
Et dit au hibou : « Bonsoir. »

Le toit espère la gerbe,
Pain d’abord et chaume après ;
La croupe du bœuf dans l’herbe
Semble un mont dans les forêts.

L’étang rit à la macreuse,
Le pré rit au loriot,
Pendant que l’ornière creuse
Gronde le lourd chariot.

L’or fleurit en giroflée ;
L’ancien zéphyr fabuleux
Souffle avec sa joue enflée
Au fond des nuages bleus.

Jersey, sur l’onde docile,
Se drape d’un beau ciel pur,
Et prend des airs de Sicile
Dans un grand haillon d’azur.

Partout l’églogue est écrite :
Même en la froide Albion,
L’air est plein de Théocrite,
Le vent sait par cœur Bion ;

Et redit, mélancolique,
La chanson que fredonna
Moschus, grillon bucolique
De la cheminée Etna.

L’hiver tousse, vieux phtisique,
Et s’en va ; la brume fond ;
Les vagues font la musique
Des vers que les arbres font.

Toute la nature sombre
Verse un mystérieux jour ;
L’âme qui rêve a plus d’ombre
Et la fleur a plus d’amour.

L’herbe éclate en pâquerettes ;
Les parfums, qu’on croit muets,
Content les peines secrètes
Des liserons aux bleuets.

Les petites ailes blanches
Sur les eaux et les sillons
S’abattent en avalanches ;
Il neige des papillons.

Et sur la mer, qui reflète
L’aube au sourire d’émail,
La bruyère violette
Met au vieux mont un camail ;

Afin qu’il puisse, à l’abîme
Qu’il contient et qu’il bénit,
Dire sa messe sublime
Sous sa mitre de granit.

Granville, juin 1836.

0 réponses

Répondre

Se joindre à la discussion ?
Vous êtes libre de contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.