En contrepoint au poème, une ombre flamboyante dans la nuit se dresse, comme au somment d'une montagne, tel l’œil de Sauron dans "Le Seigneur des anneaux".

Ces âmes que tu rappelles…

Ces âmes que tu rappelles… – Les références

L’Art d’être grand-pèreXIV. À des âmes envolées ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 823.

Ces âmes que tu rappelles… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ces âmes que tu rappelles…, un poème du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.

Ces âmes que tu rappelles…


Ces âmes que tu rappelles… – Le texte

À des âmes envolées


Ces âmes que tu rappelles,
Mon cœur, ne reviennent pas.
Pourquoi donc s’obstinent-elles,
Hélas ! à rester là-bas ?

Dans les sphères éclatantes,
Dans l’azur et les rayons,
Sont-elles donc plus contentes
Qu’avec nous qui les aimions ?

Nous avions sous les tonnelles
Une maison près Saint-Leu.
Comme les fleurs étaient belles !
Comme le ciel était bleu !

Parmi les feuilles tombées,
Nous courions au bois vermeil ;
Nous cherchions des scarabées
Sur les vieux murs au soleil ;

On riait de ce bon rire
Qu’Éden jadis entendit,
Ayant toujours à se dire
Ce qu’on s’était déjà dit ;

Je contais la Mère l’Oie ;
On était heureux, Dieu sait !
On poussait des cris de joie
Pour un oiseau qui passait.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un nuage qui éclate au-dessus d'arbres et de toits, telle une bombe aux Feuillantines.

VI. Une bombe aux Feuillantines

Une bombe aux Feuillantines – Les références

L’Année terribleJanvier ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 67.

Une bombe aux Feuillantines – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Une bombe aux Feuillantines, un poème du recueil L’Année terrible, Janvier, de Victor Hugo.

Une bombe aux Feuillantines


Une bombe aux Feuillantines – Le texte

VI
Une bombe aux Feuillantines


Qu’es-tu ? quoi, tu descends de là-haut, misérable !
Quoi ! toi, le plomb, le feu, la mort, l’inexorable,
Reptile de la guerre au sillon tortueux,
Quoi ! toi, l’assassinat cynique et monstrueux
Que les princes du fond des nuits jettent aux hommes,
Toi, crime, toi, ruine et deuil, toi qui te nommes
Haine, effroi, guet-apens, carnage, horreur, courroux,
C’est à travers l’azur que tu t’abats sur nous !
Chute affreuse de fer, éclosion infâme,
Fleur de bronze éclatée en pétales de flamme,
Ô vile foudre humaine, ô toi par qui sont grands
Les bandits, et par qui sont divins les tyrans,
Servante des forfaits royaux, prostituée,
Par quel prodige as-tu jailli de la nuée ?
Quelle usurpation sinistre de l’éclair !
Comment viens-tu du ciel, toi qui sors de l’enfer !

L’homme que tout à l’heure effleura ta morsure,
S’était assis pensif au coin d’une masure.
Ses yeux cherchaient dans l’ombre un rêve qui brilla ;
Il songeait ; il avait, tout petit, joué là ;
Le passé devant lui, plein de voix enfantines,
Apparaissait ; c’est là qu’étaient les Feuillantines ;
Ton tonnerre idiot foudroie un paradis.
Oh ! que c’était charmant ! comme on riait jadis !
Vieillir, c’est regarder une clarté décrue.
Un jardin verdissait où passe cette rue.
L’obus achève, hélas, ce qu’a fait le pavé.
Ici les passereaux pillaient le sénevé,
Et les petits oiseaux se cherchaient des querelles ;
Les lueurs de ce bois étaient surnaturelles ;
Que d’arbres ! quel air pur dans les rameaux tremblants !
On fut la tête blonde, on a des cheveux blancs ;
On fut une espérance et l’on est un fantôme.
Oh ! comme on était jeune à l’ombre du vieux dôme !
Maintenant on est vieux comme lui. Le voilà.
Ce passant rêve. Ici son âme s’envola
Chantante, et c’est ici qu’à ses vagues prunelles
Apparurent des fleurs qui semblaient éternelles.
Ici la vie était de la lumière ; ici
Marchait, sous le feuillage en avril épaissi,
Sa mère qu’il tenait par un pan de sa robe.
Souvenirs ! comme tout brusquement se dérobe !
L’aube ouvrant sa corolle à ses regards a lui
Dans ce ciel où flamboie en ce moment sur lui
L’épanouissement effroyable des bombes.
Ô l’ineffable aurore où volaient des colombes !
Cet homme, que voici lugubre, était joyeux.
Mille éblouissements émerveillaient ses yeux.
Printemps ! en ce jardin abondaient les pervenches,
Les roses, et des tas de pâquerettes blanches
Qui toutes semblaient rire au soleil se chauffant,
Et lui-même était fleur, puisqu’il était enfant.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente trois têtes empalées et leurs ombres projetées.

IV. Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire…

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire… – Les références

L’Année terribleMai ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 120.

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire…, un poème du recueil L’Année terrible, Mai, de Victor Hugo.

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire…


Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire… – Le texte

IV


Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire !
Toute l’ombre est livrée à l’immense colère.
Coups de foudre, bruits sourds. Pâles, nous écoutons.
Le supplice imbécile et noir frappe à tâtons.
Rien de divin ne luit. Rien d’humain ne surnage.
Le hasard formidable erre dans le carnage,
Et mitraille un troupeau de vaincus, sans savoir
S’ils croyaient faire un crime ou remplir un devoir.
L’ombre engloutit Babel jusqu’aux plus hauts étages.
Des bandits ont tué soixante-quatre otages,
On réplique en tuant six mille prisonniers.
On pleure les premiers, on raille les derniers.
Le vent qui souffle a presque éteint cette veilleuse,
La conscience. Ô nuit ! brume ! heure périlleuse !
Les exterminateurs semblent doux, leur fureur
Plaît, et celui qui dit : Pardonnez ! fait horreur.
Ici l’armée et là le peuple ; c’est la France
Qui saigne ; et l’ignorance égorge l’ignorance.
Le droit tombe. Excepté Caïn, rien n’est debout.
Une sorte de crime épars flotte sur tout.
L’innocent paraît noir tant cette ombre le couvre.
L’un a brûlé le Louvre. Hein ? Qu’est-ce que le Louvre ?
Il ne le savait pas. L’autre, horribles exploits,
Fusille devant lui, stupide. Où sont les lois ?
Les ténèbres avec leurs sombres sœurs, les flammes,
Ont pris Paris, ont pris les cœurs, ont pris les âmes.
Je tue et ne vois pas. Je meurs et ne sais rien.
Tous mêlés, l’enfant blond, l’affreux galérien,
Pères, fils, jeunes, vieux, le démon avec l’ange,
L’homme de la pensée et l’homme de la fange,
Dans on ne sait quel gouffre expirent à la fois.
Dans l’effrayant brasier sait-on de quelles voix
Se compose le cri du bœuf d’airain qui beugle ?

La mort sourde, ô terreur, fauche la foule aveugle.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente deux taches collées l'une à l'autre, et leurs éclaboussures.

IX. À l’évêque qui m’appelle athée

À l’évêque qui m’appelle athée – Les références

L’Année terribleNovembre ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 42.

À l’évêque qui m’appelle athée – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À l’évêque qui m’appelle athée, un poème du recueil L’Année terrible, Novembre, de Victor Hugo.

À l’évêque qui m’appelle athée


À l’évêque qui m’appelle athée – Le texte

IX
À l’évêque qui m’appelle athée


Athée ? entendons-nous, prêtre, une fois pour toutes.
M’espionner, guetter mon âme, être aux écoutes,
Regarder par le trou de la serrure au fond
De mon esprit, chercher jusqu’où mes doutes vont,
Questionner l’enfer, consulter son registre
De police, à travers son soupirail sinistre,
Pour voir ce que je nie ou bien ce que je croi,
Ne prends pas cette peine inutile. Ma foi
Est simple, et je la dis. J’aime la clarté franche :

S’il s’agit d’un bonhomme à longue barbe blanche,
D’une espèce de pape ou d’empereur, assis
Sur un trône qu’on nomme au théâtre un châssis,
Dans la nuée, ayant un oiseau sur sa tête,
À sa droite un archange, à sa gauche un prophète,
Entre ses bras son fils pâle et percé de clous,
Un et triple, écoutant des harpes, Dieu jaloux,
Dieu vengeur, que Garasse enregistre, qu’annote
L’abbé Pluche en Sorbonne et qu’approuve Nonotte ;
S’il s’agit de ce Dieu que constate Trublet,
Dieu foulant aux pieds ceux que Moïse accablait,
Sacrant tous les bandits royaux dans leurs repaires,
Punissant les enfants pour la faute des pères,
Arrêtant le soleil à l’heure où le soir nait,
Au risque de casser le grand ressort tout net,
Dieu mauvais géographe et mauvais astronome,
Contrefaçon immense et petite de l’homme,
En colère, et faisant la moue au genre humain,
Comme un Père Duchêne un grand sabre à la main ;
Dieu qui volontiers damne et rarement pardonne,
Qui sur un passe-droit consulte une madone,
Dieu qui dans son ciel bleu se donne le devoir
D’imiter nos défauts et le luxe d’avoir
Des fléaux, comme on a des chiens ; qui trouble l’ordre,
Lâche sur nous Nemrod et Cyrus, nous fait mordre
Par Cambyse, et nous jette aux jambes Attila,
Prêtre, oui, je suis athée à ce vieux bon Dieu-là.

Mais s’il s’agit de l’être absolu qui condense
Là-haut tout l’idéal dans toute l’évidence,
Par qui, manifestant l’unité de la loi,
L’univers peut, ainsi que l’homme, dire : Moi ;
De l’être dont je sens l’âme au fond de mon âme,
De l’être qui me parle à voix basse, et réclame
Sans cesse pour le vrai contre le faux, parmi
Les instincts dont le flot nous submerge à demi ;
S’il s’agit du témoin dont ma pensée obscure
A parfois la caresse et parfois la piqûre
Selon qu’en moi, montant au bien, tombant au mal,
Je sens l’esprit grandir ou croître l’animal ;
S’il s’agit du prodige immanent qu’on sent vivre
Plus que nous ne vivons, et dont notre âme est ivre
Toutes les fois qu’elle est sublime, et qu’elle va,
Où s’envola Socrate, où Jésus arriva,
Pour le juste, le vrai, le beau, droit au martyre,
Toutes les fois qu’au gouffre un grand devoir l’attire,
Toutes les fois qu’elle est dans l’orage alcyon,
Toutes les fois qu’elle a l’auguste ambition
D’aller, à travers l’ombre infâme qu’elle abhorre
Et de l’autre côté des nuits, trouver l’aurore ;
Ô prêtre, s’il s’agit de ce quelqu’un profond
Que les religions ne font ni ne défont,
Que nous devinons bon et que nous sentons sage,
Qui n’a pas de contour, qui n’a pas de visage,
Et pas de fils, ayant plus de paternité
Et plus d’amour que n’a de lumière l’été ;
S’il s’agit de ce vaste inconnu que ne nomme,
N’explique et ne commente aucun Deutéronome,
Qu’aucun Calmet ne peut lire en aucun Esdras,
Que l’enfant dans sa crèche et les morts dans leurs draps,
Distinguent vaguement d’en bas comme une cime,
Très-Haut qui n’est mangeable en aucun pain azime,
Qui parce que deux cœurs s’aiment, n’est point fâché,
Et qui voit la nature où tu vois le péché ;
S’il s’agit de ce Tout vertigineux des êtres
Qui parle par la voix des éléments, sans prêtres,
Sans bibles, point charnel et point officiel,
Qui pour livre a l’abîme et pour temple le ciel,
Loi, Vie, Âme, invisible à force d’être énorme,
Impalpable à ce point qu’en dehors de la forme
Des choses que dissipe un souffle aérien,
On l’aperçoit dans tout sans le saisir dans rien ;
S’il s’agit du suprême Immuable, solstice
De la raison, du droit, du bien, de la justice,
En équilibre avec l’infini, maintenant,
Autrefois, aujourd’hui, demain, toujours, donnant
Aux soleils la durée, aux cœurs la patience,
Qui, clarté hors de nous, est en nous conscience ;
Si c’est de ce Dieu-là qu’il s’agit, de celui
Qui toujours dans l’aurore et dans la tombe a lui,
Étant ce qui commence et ce qui recommence ;
S’il s’agit du principe éternel, simple, immense,
Qui pense puisqu’il est, qui de tout est le lieu,
Et que, faute d’un nom plus grand, j’appelle Dieu,
Alors tout change, alors nos esprits se retournent,
Le tien vers la nuit, gouffre et cloaque où séjournent
Les rires, les néants, sinistre vision,
Et le mien vers le jour, sainte affirmation,
Hymne, éblouissement de mon âme enchantée ;
Et c’est moi le croyant, prêtre, et c’est toi l’athée.

Un pont au-dessus de l'abîme relie deux versants, l'un obscur, l'autre qui va s'éclairant. Un ciel ocre et doré flamboie au-dessus.

V. L’Âme à la poursuite du vrai

L’Âme à la poursuite du vrai – Les références

L’Art d’être grand-pèreXVIII. Que les petits liront quand ils seront grands ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 858.

L’Âme à la poursuite du vrai – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’Âme à la poursuite du vrai, un poème du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.

L’Âme à la poursuite du vrai


L’Âme à la poursuite du vrai – Le texte

V
L’Âme à la poursuite du vrai

I

Je m’en irai dans les chars sombres
Du songe et de la vision ;
Dans la blême cité des ombres
Je passerai comme un rayon ;
J’entendrai leurs vagues huées ;
Je semblerai dans les nuées
Le grand échevelé de l’air ;
J’aurai sous mes pieds le vertige,
Et dans les yeux plus de prodige
Que le météore et l’éclair.

Je rentrerai dans ma demeure,
Dans le noir monde illimité.
Jetant à l’éternité l’heure
Et la terre à l’immensité,
Repoussant du pied nos misères,
Je prendrai le vrai dans mes serres
Et je me transfigurerai,
Et l’on ne verra plus qu’à peine
Un reste de lueur humaine
Trembler sous mon sourcil sacré.

Car je ne serai plus un homme ;
Je serai l’esprit ébloui
À qui le sépulcre se nomme,
À qui l’énigme répond : Oui.
L’ombre aura beau se faire horrible ;
Je m’épanouirai terrible,
Comme Élie à Gethsémani,
Comme le vieux Thalès de Grèce,
Dans la formidable allégresse
De l’abîme et de l’infini.

Je questionnerai le gouffre
Sur le secret universel,
Et le volcan, l’urne de soufre,
Et l’océan, l’urne de sel ;
Tout ce que les profondeurs savent,
Tout ce que les tourmentes lavent,
Je sonderai tout ; et j’irai
Jusqu’à ce que, dans les ténèbres,
Je heurte mes ailes funèbres
À quelqu’un de démesuré.

Parfois m’envolant jusqu’au faîte,
Parfois tombant de tout mon poids,
J’entendrai crier sur ma tête
Tous les cris de l’ombre à la fois,
Tous les noirs oiseaux de l’abîme,
L’orage, la foudre sublime,
L’âpre aquilon séditieux,
Tous les effrois qui, pêle-mêle,
Tourbillonnent, battant de l’aile,
Dans le précipice des cieux.

La Nuit pâle, immense fantôme
Dans l’espace insondable épars,
Du haut du redoutable dôme,
Se penchera de toutes parts ;
Je la verrai lugubre et vaine,
Telle que la vit Antisthène
Qui demandait aux vents : Pourquoi ?
Telle que la vit Épicure,
Avec des plis de robe obscure
Flottant dans l’ombre autour de moi.

— Homme ! la démence t’emporte,
Dira le nuage irrité.
— Prends-tu la nuit pour une porte ?
Murmurera l’obscurité.
L’espace dira : — Qui t’égare ?
Passeras-tu, barde, où Pindare
Et David ne sont point passés ?
— C’est ici, criera la tempête,
Qu’Hésiode a dit : Je m’arrête !
Qu’Ézéchiel a dit : Assez !

Mais tous les efforts des ténèbres
Sur mon essor s’épuiseront
Sans faire fléchir mes vertèbres
Et sans faire pâlir mon front ;
Au sphinx, au prodige, au problème,
J’apparaîtrai, monstre moi-même,
Être pour deux destins construit,
Ayant, dans la céleste sphère,
Trop de l’homme pour la lumière,
Et trop de l’ange pour la nuit.

II

L’ombre dit au poète : — Imite
Ceux que retient l’effroi divin ;
N’enfreins pas l’étrange limite
Que nul n’a violée en vain ;
Ne franchis pas l’obscure grève
Où la nuit, la tombe et le rêve
Mêlent leurs souffles inouïs,
Où l’abîme sans fond, sans forme,
Rapporte dans sa houle énorme
Les prophètes évanouis.

Tous les essais que tu peux faire
Sont inutiles et perdus.
Prends un culte ; choisis ; préfère ;
Tes vœux ne sont pas entendus ;
Jamais le mystère ne s’ouvre ;
La tranquille immensité couvre
Celui qui devant Dieu s’enfuit
Et celui qui vers Dieu s’élance
D’une égalité de silence
Et d’une égalité de nuit.

Va sur l’Olympe où Stésichore,
Cherchant Jupiter, le trouva ;
Va sur l’Horeb qui fume encore
Du passage de Jéhovah ;
Ô songeur, ce sont là des cimes,
De grands buts, des courses sublimes…
On en revient désespéré,
Honteux, au fond de l’ombre noire,
D’avoir abdiqué jusqu’à croire !
Indigné d’avoir adoré !

L’Olympien est de la brume ;
Le Sinaïque est de la nuit.
Nulle part l’astre ne s’allume,
Nulle part l’ombre ne bleuit.
Que l’homme vive et s’en contente ;
Qu’il reste l’homme ; qu’il ne tente
Ni l’obscurité, ni l’éther ;
Sa flamme à la fange est unie,
L’homme est pour le ciel un génie,
Mais l’homme est pour la terre un ver.

L’homme a Dante, Shakspeare, Homère ;
Ses arts sont un trépied fumant ;
Mais prétend-il de sa chimère
Illuminer le firmament ?
C’est toujours quelque ancienne idée
De l’Élide ou de la Chaldée
Que l’âge nouveau rajeunit.
Parce que tu luis dans ta sphère,
Esprit humain, crois-tu donc faire
De la flamme jusqu’au Zénith !

Après Socrate et le Portique,
Sans t’en douter, tu mets le feu
À la même chimère antique
Dont l’Inde ou Rome ont fait un dieu ;
Comme cet Éson de la fable,
Tu retrempes dans l’ineffable,
Dans l’absolu, dans l’infini,
Quelque Ammon d’Égypte ou de Grèce,
Ce qu’avant toi maudit Lucrèce,
Ce qu’avant toi Job a béni.

Tu prends quelque être imaginaire,
Vieux songe de l’humanité,
Et tu lui donnes le tonnerre,
L’auréole, l’éternité.
Tu le fais, tu le renouvelles ;
Puis, tremblant, tu te le révèles,
Et tu frémis en le créant ;
Et, lui prêtant vie, abondance,
Sagesse, bonté, providence,
Tu te chauffes à ce néant !

Sous quelque mythe qu’il s’enferme,
Songeur, il n’est point de Baal
Qui ne contienne en lui le germe
D’un éblouissant idéal ;
De même qu’il n’est pas d’épine,
Pas d’arbre mort dans la ruine,
Pas d’impur chardon dans l’égout,
Qui, si l’étincelle le touche,
Ne puisse, dans l’âtre farouche,
Faire une aurore tout à coup !

Vois dans les forêts la broussaille,
Culture abjecte du hasard ;
Déguenillée, elle tressaille
Au glissement froid du lézard ;
Jette un charbon, ce houx sordide
Va s’épanouir plus splendide
Que la tunique d’or des rois ;
L’éclair sort de la ronce infâme ;
Toutes les pourpres de la flamme
Dorment dans ce haillon des bois.

Comme un enfant qui s’émerveille
De tirer, à travers son jeu,
Une splendeur gaie et vermeille
Du vil sarment qu’il jette au feu,
Tu concentres toute la flamme
De ce que peut rêver ton âme
Sur le premier venu des dieux,
Puis tu t’étonnes, ô poussière,
De voir sortir une lumière
De cet Irmensul monstrueux.

À la vague étincelle obscure
Que tu tires d’un Dieu pervers,
Tu crois raviver la nature,
Tu crois réchauffer l’univers ;
Ô nain, ton orgueil s’imagine
Avoir retrouvé l’origine,
Que tous vont s’aimer désormais,
Qu’on va vaincre les nuits immondes,
Et tu dis : La lueur des mondes
Va flamboyer sur les sommets !

Tu crois voir une aube agrandie
S’élargir sous le firmament
Parce que ton rêve incendie
Un Dieu, qui rayonne un moment.
Non. Tout est froid. L’horreur t’enlace.
Tout est l’affreux temple de glace,
Morne à Delphes, sombre à Béthel.
Tu fais à peine, esprit frivole,
En brûlant le bois de l’idole,
Tiédir la pierre de l’autel.

III

Je laisse ces paroles sombres
Passer sur moi sans m’émouvoir
Comme on laisse dans les décombres
Frissonner les branches le soir ;
J’irai, moi le curieux triste ;
J’ai la volonté qui persiste ;
L’énigme traître a beau gronder ;
Je serai, dans les brumes louches,
Dans les crépuscules farouches,
La face qui vient regarder.

Vie et mort ! ô gouffre ! Est-ce un piège
La fleur qui s’ouvre et se flétrit,
L’atome qui se désagrège,
Le néant qui se repétrit ?
Quoi ! rien ne marche ! rien n’avance !
Pas de moi ! Pas de survivance !
Pas de lien ! Pas d’avenir !
C’est pour rien, ô tombes ouvertes,
Qu’on entend vers les découvertes
Les chevaux du rêve hennir !

Est-ce que la nature enferme
Pour des avortements bâtards
L’élément, l’atome, le germe,
Dans le cercle des avatars ?
Que serait donc ce monde immense,
S’il n’avait pas la conscience
Pour lumière et pour attribut ?
Épouvantable échelle noire
De renaissances sans mémoire
Dans une ascension sans but !

La larve du spectre suivie,
Ce serait tout ! Quoi donc ! ô sort,
J’aurais un devoir dans la vie
Sans avoir un droit dans la mort !
Depuis la pierre jusqu’à l’ange,
Qu’est-ce alors que ce vain mélange
D’êtres dans l’obscur tourbillon ?
L’aube est-elle sincère ou fausse ?
Naître, est-ce vivre ? En quoi la fosse
Diffère-t-elle du sillon ?

— Mange le pain, je mange l’homme,
Dit Tibère. A-t-il donc raison ?
Satan la femme, Ève la pomme,
Est-ce donc la même moisson ?
Nemrod souffle comme la bise ;
Gengis le sabre au poing, Cambyse
Avec un flot d’hommes démons,
Tue, extermine, écrase, opprime,
Et ne commet pas plus de crime
Qu’un roc roulant du haut des monts !

Oh non ! la vie au noir registre,
Parmi le genre humain troublé,
Passe, inexplicable et sinistre,
Ainsi qu’un espion voilé ;
Grands et petits, les fous, les sages,
S’en vont, nommés dans les messages
Qu’elle jette au ciel triste ou bleu ;
Malheur aux méchants ! et la tombe
Est la bouche de bronze où tombe
Tout ce qu’elle dénonce à Dieu.

— Mais ce Dieu même, je le nie ;
Car il aurait, ô vain croyant,
Créé sa propre calomnie
En créant ce monde effrayant. —
Ainsi parle, calme et funèbre,
Le doute appuyé sur l’algèbre ;
Et moi qui sens frémir mes os,
Allant des langes aux suaires,
Je regarde les ossuaires
Et je regarde les berceaux.

Mort et vie ! énigmes austères !
Dessous est la réalité.
C’est là que les Kants, les Voltaires,
Les Euclides ont hésité.
Eh bien ! j’irai, moi qui contemple,
Jusqu’à ce que, perçant le temple,
Et le dogme, ce double mur,
Mon esprit découvre et dévoile
Derrière Jupiter l’étoile,
Derrière Jéhovah l’azur !

Car il faut qu’enfin on rencontre
L’indestructible vérité,
Et qu’un front de splendeur se montre
Sous ces masques d’obscurité ;
La nuit tâche, en sa noire envie,
D’étouffer le germe de vie,
De toute-puissance et de jour,
Mais moi, le croyant de l’aurore,
Je forcerai bien Dieu d’éclore
À force de joie et d’amour !

Est-ce que vous croyez que l’ombre
A quelque chose à refuser
Au dompteur du temps et du nombre,
À celui qui veut tout oser,
Au poète qu’emporte l’âme,
Qui combat dans leur culte infâme
Les payens comme les hébreux,
Et qui, la tête la première,
Plonge, éperdu, dans la lumière,
À travers leur dieu ténébreux.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la Terre, astre dans les cieux.

XI. ?

? – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 345.

? – L’enregistrement

Je vous invite à écouter ?, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de X. Amour et suivi de XII. Explication.

?


? – Le texte

XI
?


Une terre au flanc maigre, âpre, avare, inclément,
Où les vivants pensifs travaillent tristement,
Et qui donne à regret à cette race humaine
Un peu de pain pour tant de labeur et de peine ;
Des hommes durs, éclos sur ces sillons ingrats ;
Des cités d’où s’en vont, en se tordant les bras,
La charité, la paix, la foi, sœurs vénérables ;
L’orgueil chez les puissants et chez les misérables ;
La haine au cœur de tous ; la mort, spectre sans yeux,
Frappant sur les meilleurs des coups mystérieux ;
Sur tous les hauts sommets des brumes répandues ;
Deux vierges, la justice et la pudeur, vendues ;
Toutes les passions engendrant tous les maux ;
Des forêts abritant des loups sous leurs rameaux ;
Là le désert torride, ici les froids polaires ;
Des océans émus de subites colères,
Pleins de mâts frissonnants qui sombrent dans la nuit ;
Des continents couverts de fumée et de bruit,
Où, deux torches aux mains, rugit la guerre infâme,
Où toujours quelque part fume une ville en flamme,
Où se heurtent sanglants les peuples furieux ; —

Et que tout cela fasse un astre dans les cieux !

Octobre 1840.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un intérieur misérable où la faim déforme les visages.

XVII. Chose vue un jour de printemps

Chose vue un jour de printemps – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 354.

Chose vue un jour de printemps – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Chose vue un jour de printemps, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVI. Le Maître d’études et suivi de XVIII. Intérieur.

Chose vue un jour de printemps


Chose vue un jour de printemps – Le texte

VIII
Chose vue un jour de printemps


Entendant des sanglots, je poussai cette porte.

Les quatre enfants pleuraient et la mère était morte.
Tout dans ce lieu lugubre effrayait le regard.
Sur le grabat gisait le cadavre hagard ;
C’était déjà la tombe et déjà le fantôme.
Pas de feu ; le plafond laissait passer le chaume.
Les quatre enfants songeaient comme quatre vieillards.
On voyait, comme une aube à travers des brouillards,
Aux lèvres de la morte un sinistre sourire ;
Et l’aîné, qui n’avait que six ans, semblait dire :
« Regardez donc cette ombre où le sort nous a mis ! »

Un crime en cette chambre avait été commis.
Ce crime, le voici : — Sous le ciel qui rayonne,
Une femme est candide, intelligente, bonne ;
Dieu, qui la suit d’en haut d’un regard attendri,
La fit pour être heureuse. Humble, elle a pour mari
Un ouvrier ; tous deux, sans aigreur, sans envie,
Tirent d’un pas égal le licou de la vie.
Le choléra lui prend son mari ; la voilà
Veuve avec la misère et quatre enfants qu’elle a.
Alors, elle se met au labeur comme un homme.
Elle est active, propre, attentive, économe ;
Pas de drap à son lit, pas d’âtre à son foyer ;
Elle ne se plaint pas, sert qui veut l’employer,
Ravaude de vieux bas, fait des nattes de paille,
Tricote, file, coud, passe les nuits, travaille
Pour nourrir ses enfants ; elle est honnête enfin.
Un jour, on va chez elle, elle est morte de faim.

Oui, les buissons étaient remplis de rouges-gorges,
Les lourds marteaux sonnaient dans la lueur des forges,
Les masques abondaient dans les bals, et partout
Les baisers soulevaient la dentelle du loup ;
Tout vivait ; les marchands comptaient de grosses sommes ;
On entendait rouler les chars, rire les hommes ;
Les wagons ébranlaient les plaines ; le steamer
Secouait son panache au-dessus de la mer ;
Et, dans cette rumeur de joie et de lumière,
Cette femme étant seule au fond de sa chaumière,
La faim, goule effarée aux hurlements plaintifs,
Maigre et féroce, était entrée à pas furtifs,
Sans bruits, et l’avait prise à la gorge, et tuée.

La faim, c’est le regard de la prostituée,
C’est le bâton ferré du bandit, c’est la main
Du pâle enfant volant un pain sur le chemin,
C’est la fièvre du pauvre oublié, c’est le râle
Du grabat naufragé dans l’ombre sépulcrale.
Ô Dieu ! la sève abonde, et, dans ses flancs troublés,
La terre est pleine d’herbe et de fruits et de blés,
Dès que l’arbre a fini, le sillon recommence ;
Et pendant que tout vit, ô Dieu, dans ta clémence,
Que la mouche connaît la feuille du sureau,
Pendant que l’étang donne à boire au passereau,
Pendant que le tombeau nourrit les vautours chauves,
Pendant que la nature, en ses profondeurs fauves,
Fait manger le chacal, l’once et le basilic,
L’homme expire ! — Oh ! la faim, c’est le crime public ;
C’est l’immense assassin qui sort de nos ténèbres.

Dieu ! pourquoi l’orphelin, dans ses langes funèbres,
Dit-il : « J’ai faim ! » L’enfant, n’est-ce pas un oiseau ?
Pourquoi le nid a-t-il ce qui manque au berceau ?

Avril 1840.

Pourquoi Chose vue un jour de printemps est-il publié en ce 25 décembre 2014 ?

Parce que, comme me l’a précisé Arnaud Laster, Chose vue un jour de printemps a été publié le 25 décembre 1854 dans L’Almanach de l’exil, il y aura tout juste 160 ans. Il est bon, aussi, dans l’esprit de Noël, de rappeler certains faits toujours d’actualité.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un cours d'eau qui traverse la feuille en diagonale ascendante. L'une des berges est sombre, à gauche, l'autre est blanche, comme enneigée. Un pont (une planche ?) relie les deux berges.

XIV. Ô mes lettres d’amour…

Ô mes lettres d’amour… – Les références

Les Feuilles d’automne ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie I, p 602.

Ô mes lettres d’amour… – L’enregistrement

Je vous propose d’écouter Ô mes lettres d’amour…, un poème des Feuilles d’automne, de Victor Hugo.

Ô mes lettres d’amour…


Ô mes lettres d’amour… – Le texte

XIV

Oh primavera ! gioventù dell’anno
Oh gioventù ! primavera della vità.


Ô mes lettres d’amour, de vertu, de jeunesse,
C’est donc vous ! Je m’enivre encore à votre ivresse ;
Je vous lis à genoux.
Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge !
Laissez-moi me cacher, moi, l’heureux et le sage,
Pour pleurer avec vous !

J’avais donc dix-huit ans ! j’étais donc plein de songes !
L’espérance en chantant me berçait de mensonges.
Un astre m’avait lui !
J’étais un dieu pour toi qu’en mon cœur seul je nomme !
J’étais donc cet enfant, hélas ! devant qui l’homme
Rougit presque aujourd’hui !

Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce !
Attendre tous les soirs une robe qui passe !
Baiser un gant jeté !
Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire !
Être pur, être fier, être sublime et croire
À toute pureté !

À présent, j’ai senti, j’ai vu, je sais. — Qu’importe ?
Si moins d’illusions viennent ouvrir ma porte
Qui gémit en tournant !
Oh ! que cet âge ardent, qui me semblait si sombre,
À côté du bonheur qui m’abrite à son ombre,
Rayonne maintenant !

Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années !
Pour m’avoir fui si vite, et vous être éloignées,
Me croyant satisfait ?
Hélas ! pour revenir m’apparaître si belles,
Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,
Que vous ai-je donc fait ?

Oh ! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache,
Avec sa robe blanche où notre amour s’attache,
Revient dans nos chemins,
On s’y suspend, et puis que de larmes amères
Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères
Qui vous restent aux mains !

Oublions ! oublions ! Quand la jeunesse est morte,
Laissons-nous emporter par le vent qui l’emporte
À l’horizon obscur.
Rien ne reste de nous ; notre œuvre est un problème.
L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même
Son ombre sur le mur !

Mai 1830.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un château lumineux, qui apparaît derrière un rideau d'arbres, où l'ombre couve, menaçante.

À G……Y

À G……Y – Les références

Odes et ballades ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie I, p 274.

À G……Y – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À G……Y, un poème du recueil Odes et ballades, de Victor Hugo.

À G……Y


À G……Y – Le texte

À G……Y.

Ô rus !
VIRGILE

Ode dixième


Il est pour tout mortel, soit que, loin de l’envie,
Un astre aux rayons purs illumine sa vie ;
Soit qu’il suive à pas lents un cercle de douleurs,
Et, regrettant quelque ombre à son amour ravie,
Veille auprès de sa lampe, et répande des pleurs ;

Il est des jours de paix, d’ivresse et de mystère,
Où notre cœur savoure un charme involontaire,
Où l’air vibre, animé d’ineffables accords,
Comme si l’âme heureuse entendait de la terre
Le bruit vague et lointain de la cité des morts.

Souvent ici, domptant mes douleurs étouffées,
Mon bonheur s’éleva comme un château de fées,
Avec ses murs de nacre, aux mobiles couleurs,
Ses tours, ses portes d’or, ses pièges, ses trophées,
Et ses fruits merveilleux et ses magiques fleurs.

Puis soudain tout fuyait : sur d’informes décombres
Tout à tour à mes yeux passaient de pâles ombres ;
D’un crêpe nébuleux le ciel était voilé ;
Et, de spectres en deuil peuplant ces déserts sombres,
Un tombeau dominait le palais écroulé.

Vallon ! j’ai bien souvent laissé dans ta prairie,
Comme une eau murmurante, errer ma rêverie ;
Je n’oublîrai jamais ces fugitifs instants ;
Ton souvenir sera, dans mon âme attendrie,
Comme un son triste et doux qu’on écoute longtemps !

1823

VIII. Chanson

Chanson – Les références

Toute la lyreSeptième partie : [La Fantaisie] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 449.

Chanson – L’enregistrement

Je vous invite à écouter cette Chanson, ce poème du recueil Toute la lyre, de la Septième partie : [La Fantaisie], de Victor Hugo.

Chanson


Chanson – Le texte

VIII
Chanson

L’hiver gronde et fait cent querelles,
Ô vieilles gens, ô vieilles gens,
Aux girouettes des tourelles ;
Pendant qu’elles grincent entre elles,
Courez aux tripots indulgents,
Ô jeunes gens, ô jeunes gens.

L’araignée au mur fait sa trame,
Ô vieilles gens, ô vieilles gens.
L’archet frémit, le gaz s’enflamme,
L’aile du beau papillon femme
Étale ses reflets changeants,
Ô jeunes gens, ô jeunes gens.

Cachez de l’or dans vos paillasses,
Ô vieilles gens, ô vieilles gens.
Buvez du punch, prenez des glaces,
Les rires narguent les grimaces,
Les masques raillent les sergents,
Ô jeunes gens, ô jeunes gens.

La mort tient tout dans ses doigts grêles,
Ô vieilles gens, ô vieilles gens.
Vous serez dupés par les belles,
Et vous fuirez hors de chez elles,
Nus comme de petits Saint-Jeans,
Ô jeunes gens, ô jeunes gens.

La mort vide vos escarcelles,
Ô vieilles gens, ô vieilles gens.
Les tourtereaux aux molles ailes
Sont plumés par les tourterelles ;
Bouches roses et becs rongeants ;
Ô jeunes gens, ô jeunes gens.