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VI. Quand nous habitions tous ensemble…

Quand nous habitions tous ensemble… – Les références

Les contemplationsLivre quatrième : Pauca meae ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 402.

Quand nous habitions tous ensemble… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Quand nous habitions tous ensemble…, un poème des Contemplations, Pauca meae, de Victor Hugo.
Il est précédé de V. Elle avait pris ce pli… et suivi par VII. Elle était pâle et pourtant rose….

Quand nous habitions tous ensemble…

Quand nous habitions tous ensemble… – Le texte

VI


Quand nous habitions tous ensemble
Sur nos collines d’autrefois,
Où l’eau court, où le buisson tremble,
Dans la maison qui touche aux bois,

Elle avait dix ans, et moi trente ;
J’étais pour elle l’univers.
Oh ! comme l’herbe est odorante
Sous les arbres profonds et verts !

Elle faisait mon sort prospère,
Mon travail léger, mon ciel bleu.
Lorsqu’elle me disait : Mon père,
Tout mon cœur s’écriait : Mon Dieu !

À travers mes songes sans nombre,
J’écoutais son parler joyeux,
Et mon front s’éclairait dans l’ombre
À la lumière de ses yeux.

Elle avait l’air d’une princesse
Quand je la tenais par la main.
Elle cherchait des fleurs sans cesse
Et des pauvres dans le chemin.

Elle donnait comme on dérobe,
En se cachant aux yeux de tous.
Oh ! la belle petite robe
Qu’elle avait, vous rappelez-vous ?

Le soir, auprès de ma bougie,
Elle jasait à petit bruit,
Tandis qu’à la vitre rougie
Heurtaient les papillons de nuit.

Les anges se miraient en elle.
Que son bonjour était charmant !
Le ciel mettait dans sa prunelle
Ce regard qui jamais ne ment.

Oh ! je l’avais, si jeune encore,
Vue apparaître en mon destin !
C’était l’enfant de mon aurore,
Et mon étoile du matin !

Quand la lune claire et sereine
Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,
Comme nous allions dans la plaine !
Comme nous courions dans les bois !

Puis, vers la lumière isolée
Étoilant le logis obscur,
Nous revenions par la vallée
En tournant le coin du vieux mur ;

Nous revenions, cœurs pleins de flamme,
En parlant des splendeurs du ciel.
Je composais cette jeune âme
Comme l’abeille fait son miel.

Doux ange aux candides pensées,
Elle était gaie en arrivant… —
Toutes ces choses sont passées
Comme l’ombre et comme le vent !

Villequier, 4 septembre 1844.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une tête de femme, tournée. Un ruban rouge orne des cheveux blonds.

XV. Paroles dans l’ombre

Paroles dans l’ombre – Les références

Les ContemplationsLivre deuxième : L’Âme en fleur ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 311.

Paroles dans l’ombre – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Paroles dans l’ombre, un poème du recueil Les Contemplations, L’Âme en fleur, de Victor Hugo.
Il est précédé de XIV. Billet du matin et suivi de XVI. L’hirondelle au printemps….

Paroles dans l’ombre


Paroles dans l’ombre – Le texte

XV
Paroles dans l’ombre


Elle disait : C’est vrai, j’ai tort de vouloir mieux ;
Les heures sont ainsi très-doucement passées ;
Vous êtes là ; mes yeux ne quittent pas vos yeux,
Où je regarde aller et venir vos pensées.

Vous voir est un bonheur ; je ne l’ai pas complet.
Sans doute, c’est encor bien charmant de la sorte !
Je veille, car je sais tout ce qui vous déplaît,
À ce que nul fâcheux ne vienne ouvrir la porte ;

Je me fais bien petite, en mon coin, près de vous ;
Vous êtes mon lion, je suis votre colombe ;
J’entends de vos papiers le bruit paisible et doux ;
Je ramasse parfois votre plume qui tombe ;

Sans doute, je vous ai ; sans doute, je vous voi.
La pensée est un vin dont les rêveurs sont ivres,
Je le sais ; mais, pourtant, je veux qu’on songe à moi.
Quand vous êtes ainsi tout un soir dans vos livres,

Sans relever la tête et sans me dire un mot,
Une ombre reste au fond de mon cœur qui vous aime ;
Et, pour que je vous voie entièrement, il faut
Me regarder un peu, de temps en temps, vous-même.

Paris, octobre 18..

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un cours d'eau qui traverse la feuille en diagonale ascendante. L'une des berges est sombre, à gauche, l'autre est blanche, comme enneigée. Un pont (une planche ?) relie les deux berges.

XIV. Ô mes lettres d’amour…

Ô mes lettres d’amour… – Les références

Les Feuilles d’automne ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie I, p 602.

Ô mes lettres d’amour… – L’enregistrement

Je vous propose d’écouter Ô mes lettres d’amour…, un poème des Feuilles d’automne, de Victor Hugo.

Ô mes lettres d’amour…


Ô mes lettres d’amour… – Le texte

XIV

Oh primavera ! gioventù dell’anno
Oh gioventù ! primavera della vità.


Ô mes lettres d’amour, de vertu, de jeunesse,
C’est donc vous ! Je m’enivre encore à votre ivresse ;
Je vous lis à genoux.
Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge !
Laissez-moi me cacher, moi, l’heureux et le sage,
Pour pleurer avec vous !

J’avais donc dix-huit ans ! j’étais donc plein de songes !
L’espérance en chantant me berçait de mensonges.
Un astre m’avait lui !
J’étais un dieu pour toi qu’en mon cœur seul je nomme !
J’étais donc cet enfant, hélas ! devant qui l’homme
Rougit presque aujourd’hui !

Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce !
Attendre tous les soirs une robe qui passe !
Baiser un gant jeté !
Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire !
Être pur, être fier, être sublime et croire
À toute pureté !

À présent, j’ai senti, j’ai vu, je sais. — Qu’importe ?
Si moins d’illusions viennent ouvrir ma porte
Qui gémit en tournant !
Oh ! que cet âge ardent, qui me semblait si sombre,
À côté du bonheur qui m’abrite à son ombre,
Rayonne maintenant !

Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années !
Pour m’avoir fui si vite, et vous être éloignées,
Me croyant satisfait ?
Hélas ! pour revenir m’apparaître si belles,
Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,
Que vous ai-je donc fait ?

Oh ! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache,
Avec sa robe blanche où notre amour s’attache,
Revient dans nos chemins,
On s’y suspend, et puis que de larmes amères
Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères
Qui vous restent aux mains !

Oublions ! oublions ! Quand la jeunesse est morte,
Laissons-nous emporter par le vent qui l’emporte
À l’horizon obscur.
Rien ne reste de nous ; notre œuvre est un problème.
L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même
Son ombre sur le mur !

Mai 1830.

Détail d'un dessin de Victor Hugo qui représente un pont joignant deux rives "entre deux escarpements sombres".

Partout l’ombre, partout le désert froid et mort…

Partout l’ombre, partout le désert froid et mort… – Les références

Océan ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 958.

Partout l’ombre, partout le désert froid et mort… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Partout l’ombre, partout le désert froid et mort…, un poème du recueil Océan, œuvre posthume de Victor Hugo.

Partout l’ombre, partout le désert froid et mort…


Partout l’ombre, partout le désert froid et mort… – Le texte


Partout l’ombre, partout le désert froid et mort ;
Les monts semblaient de grands décombres ;
Un ancien pont allait de l’un à l’autre bord
Entre deux escarpements sombres ;

J’y passai ; le couchant d’un lointain reflet d’or
Éclairait les arches massives ;
Comme ce pont croulant, mais qu’on traverse encor,
Le souvenir rejoint deux rives.

11 nov. 1850 [Surcharge 1840 ?].

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une colline, sur laquelle se dresse une église (ou, du moins, une tour avec son clocher), de l'autre côté d'un étang, à travers des frondaisons.

III. Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs…

Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs… – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 386.

Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs…, un poème du recueil Toute la lyre, de la Sixième partie : [L’Amour], de Victor Hugo.
Il est précédé de II. Oh ! si vous existez, mon ange, mon génie… et suivi par le poème IV. Ce qu’en vous voyant si belle….

Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs…


Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs… – Le texte

III

Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs.
L’amour est comme la rosée
Qui luit de mille feux et de mille couleurs
Dans l’ombre où l’aube l’a posée.
Rien n’est plus radieux sous le haut firmament ;
De cette goutte d’eau qui rayonne un moment
N’approchez pas vos yeux que tant de splendeur charme ;
De loin, c’était un diamant,
De près, ce n’est plus qu’une larme.

Souffrons, puisqu’il le faut. Aimons et louons Dieu !
L’amour, c’est presque toute l’âme.
Le Seigneur aime à voir brûler sous le ciel bleu
Deux cœurs, mêlant leur double flamme.
Il fixe sur nous tous son œil calme et clément,
Mais parmi ces vivants qu’il voit incessamment
Marcher, lutter, courir, récolter ce qu’ils sèment,
Dieu regarde plus doucement
Ceux qui pleurent parce qu’ils aiment !

1er janvier 1835.

Ce dessin de Victor Hugo représente une forteresse imposante, avec une tour, ayant une flèche, bleue. Les lions y sont sans doute enfermés.

IV. Les lions

Les lions – Les références

La Légende des siècles – Première sérieI – D’Ève à Jésus ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 580.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 34.

Les lions – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Les lions, un poème de La Légende des siècles – Première Série, I – D’Ève à Jésus, de Victor Hugo.
Il est précédé du poème III. Puissance égale bonté et suivi de V. Le temple.

Les lions

Les lions – Le texte

IV
Les lions


Les lions dans la fosse étaient sans nourriture.
Captifs, ils rugissaient vers la grande nature
Qui prend soin de la brute au fond des antres sourds.
Les lions n’avaient pas mangé depuis trois jours.
Ils se plaignaient de l’homme, et, pleins de sombres haines,
À travers leur plafond de barreaux et de chaînes,
Regardaient du couchant la sanglante rougeur ;
Leur voix grave effrayait au loin le voyageur
Marchant à l’horizon dans les collines bleues.

Tristes, ils se battaient le ventre de leurs queues ;
Et les murs du caveau tremblaient, tant leurs yeux roux
À leur gueule affamée ajoutaient de courroux !

La fosse était profonde ; et, pour cacher leur fuite,
Og et ses vastes fils l’avaient jadis construite ;
Ces enfants de la terre avaient creusé pour eux
Ce palais colossal dans le roc ténébreux ;
Leurs têtes en ayant crevé la large voûte,
La lumière y tombait et s’y répandait toute,
Et ce cachot de nuit pour dôme avait l’azur.
Nabuchodonosor, qui régnait dans Assur,
En avait fait couvrir d’un dallage le centre ;
Et ce roi fauve avait trouvé bon que cet antre,
Qui jadis vit les Chams et les Deucalions,
Bâti par les géants, servît pour les lions.

Ils étaient quatre, et tous affreux. Une litière
D’ossements tapissait le vaste bestiaire ;
Les rochers étageaient leur ombre au-dessus d’eux ;
Ils marchaient, écrasant sur le pavé hideux
Des carcasses de bête et des squelettes d’homme.

Le premier arrivait du désert de Sodome ;
Jadis, quand il avait sa fauve liberté,
Il habitait le Sin, tout à l’extrémité
Du silence terrible et de la solitude ;
Malheur à qui tombait sous sa patte au poil rude !
Et c’était un lion des sables.

Le second

Sortait de la forêt de l’Euphrate fécond ;
Naguère, en le voyant vers le fleuve descendre,
Tout tremblait ; on avait eu du mal à le prendre,
Car il avait fallu les meutes de deux rois ;
Il grondait ; et c’était une bête des bois.

Et le troisième était un lion des montagnes.
Jadis il avait l’ombre et l’horreur pour compagnes ;
Dans ce temps-là, parfois, vers les ravins bourbeux
Se ruaient des galops de moutons et de bœufs ;
Tous fuyaient, le pasteur, le guerrier et le prêtre ;
Et l’on voyait sa face effroyable apparaître.

Le quatrième, monstre épouvantable et fier,
Était un grand lion des plages de la mer.
Il rôdait près des flots avant son esclavage.
Gur, cité forte, était alors sur le rivage ;
Ses toits fumaient ; son port abritait un amas
De navires mêlant confusément leurs mâts ;
Le paysan portant son gomor plein de manne
S’y rendait ; le prophète y venait sur son âne ;
Ce peuple était joyeux comme un oiseau lâché ;
Gur avait une place avec un grand marché,
Et l’Abyssin venait y vendre des ivoires ;
L’Amorrhéen, de l’ambre et des chemises noires ;
Ceux d’Ascalon, du beurre, et ceux d’Aser, du blé.
Du vol de ses vaisseaux l’abîme était troublé.
Or, ce lion était gêné par cette ville ;
Il trouvait, quand le soir il songeait immobile,
Qu’elle avait trop de peuple et faisait trop de bruit.
Gur était très-farouche et très-haute ; la nuit,
Trois lourds barreaux fermaient l’entrée inabordable ;
Entre chaque créneau se dressait, formidable,
Une corne de buffle ou de rhinocéros ;
Le mur était solide et droit comme un héros ;
Et l’Océan roulait à vagues débordées
Dans le fossé, profond de soixante coudées.
Au lieu de dogues noirs jappant dans le chenil,
Deux dragons monstrueux pris dans les joncs du Nil
Et dressés par un mage à la garde servile,
Veillaient des deux côtés de la porte de ville.
Or, le lion s’était une nuit avancé,
Avait franchi d’un bond le colossal fossé,
Et broyé, furieux, entre ses dents barbares,
La porte de la ville avec ses triples barres,
Et, sans même les voir, mêlé les deux dragons
Au vaste écrasement des verrous et des gonds ;
Et, quand il s’en était retourné vers la grève,
De la ville et du peuple il ne restait qu’un rêve,
Et, pour loger le tigre et nicher les vautours,
Quelques larves de murs sous des spectres de tours.

Celui-là se tenait accroupi sur le ventre.
Il ne rugissait pas, il bâillait ; dans cet antre
Où l’homme misérable avait le pied sur lui,
Il dédaignait la faim, ne sentant que l’ennui.

Les trois autres allaient et venaient ; leur prunelle,
Si quelque oiseau battait leurs barreaux de son aile,
Le suivait ; et leur faim bondissait, et leur dent
Mâchait l’ombre à travers leur cri rauque et grondant.

Soudain, dans l’angle obscur de la lugubre étable,
La grille s’entr’ouvrit ; sur le seuil redoutable,
Un homme que poussaient d’horribles bras tremblants,
Apparut ; il était vêtu de linceuls blancs ;
La grille referma ses deux battants funèbres ;
L’homme avec les lions resta dans les ténèbres.
Les monstres, hérissant leur crinière, écumant,
Se ruèrent sur lui, poussant ce hurlement
Effroyable, où rugit la haine et le ravage
Et toute la nature irritée et sauvage
Avec son épouvante et ses rébellions ;
Et l’homme dit : « La paix soit avec vous, lions ! »
L’homme dressa la main ; les lions s’arrêtèrent.

Les loups qui font la guerre aux morts et les déterrent,
Les ours au crâne plat, les chacals convulsifs
Qui pendant le naufrage errent sur les récifs,
Sont féroces ; l’hyène infâme est implacable ;
Le tigre attend sa proie et d’un seul bond l’accable ;
Mais le puissant lion, qui fait de larges pas,
Parfois lève sa griffe et ne la baisse pas,
Étant le grand rêveur solitaire de l’ombre.

Et les lions, groupés dans l’immense décombre,
Se mirent à parler entre eux, délibérant ;
On eût dit des vieillards réglant un différend
Au froncement pensif de leurs moustaches blanches.
Un arbre mort pendait, tordant sur eux ses branches.

Et, grave, le lion des sables dit : « Lions,
Quand cet homme est entré, j’ai cru voir les rayons
De midi dans la plaine où l’ardent semoun passe,
Et j’ai senti le souffle énorme de l’espace ;
Cet homme vient à nous de la part du désert. »

Le lion des bois dit : « Autrefois, le concert
Du figuier, du palmier, du cèdre et de l’yeuse,
Emplissait jour et nuit ma caverne joyeuse ;
Même à l’heure où l’on sent que le monde se tait,
Le grand feuillage vert autour de moi chantait.
Quand cet homme a parlé, sa voix m’a semblé douce
Comme le bruit qui sort des nids d’ombre et de mousse ;
Cet homme vient à nous de la part des forêts. »

Et celui qui s’était approché le plus près,
Le lion noir des monts dit : « Cet homme ressemble
Au Caucase, où jamais une roche ne tremble ;
Il a la majesté de l’Atlas ; j’ai cru voir,
Quand son bras s’est levé, le Liban se mouvoir
Et se dresser, jetant l’ombre immense aux campagnes ;
Cet homme vient à nous de la part des montagnes. »

Le lion qui, jadis, au bord des flots rôdant,
Rugissait aussi haut que l’Océan grondant,
Parla le quatrième, et dit : « Fils, j’ai coutume,
En voyant la grandeur, d’oublier l’amertume,
Et c’est pourquoi j’étais le voisin de la mer.
J’y regardais — laissant les vagues écumer —
Apparaître la lune et le soleil éclore,
Et le sombre infini sourire dans l’aurore ;
Et j’ai pris, ô lions, dans cette intimité,
L’habitude du gouffre et de l’éternité ;
Or, sans savoir le nom dont la terre le nomme,
J’ai vu luire le ciel dans les yeux de cet homme ;
Cet homme au front serein vient de la part de Dieu. »

Quand la nuit eut noirci le grand firmament bleu,
Le gardien voulut voir la fosse, et cet esclave,
Collant sa face pâle aux grilles de la cave,
Dans la profondeur vague aperçut Daniel
Qui se tenait debout et regardait le ciel,
Et songeait, attentif aux étoiles sans nombre,
Pendant que les lions léchaient ses pieds dans l’ombre.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la Terre perdue dans l'univers, entre l'ombre et la lumière, et qui permet au poète de poser la question : À qui donc sommes-nous ?

VIII. À qui donc sommes-nous ?…

À qui donc sommes-nous ?… – Les références

Les contemplationsLivre quatrième : Pauca meae ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 405.

À qui donc sommes-nous ?… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À qui donc sommes-nous ?…, un poème des Contemplations, Pauca meae, de Victor Hugo.
Il est précédé de VII. Elle était pâle et pourtant rose… et suivi par IX. Ô souvenirs ! Printemps ! Aurore !….

À qui donc sommes-nous ?…

À qui donc sommes-nous ?… – Le texte

VIII


À qui donc sommes-nous ? Qui nous a ? qui nous mène ?
Vautour fatalité, tiens-tu la race humaine ?
Oh ! parlez, cieux vermeils,
L’âme sans fond tient-elle aux étoiles sans nombre ?
Chaque rayon d’en haut est-il un fil de l’ombre
Liant l’homme aux soleils ?

Est-ce qu’en nos esprits, que l’ombre a pour repaires,
Nous allons voir rentrer les songes de nos pères ?
Destin, lugubre assaut !
Ô vivants, serions-nous l’objet d’une dispute ?
L’un veut-il notre gloire, et l’autre notre chute ?
Combien sont-ils là-haut ?

Jadis, au fond du ciel, aux yeux du mage sombre,
Deux joueurs effrayants apparaissaient dans l’ombre.
Qui craindre ? qui prier ?
Les Manès frissonnants, les pâles Zoroastres
Voyaient deux grandes mains qui déplaçaient les astres
Sur le noir échiquier.

Songe horrible ! le bien, le mal, de cette voûte
Pendent-ils sur nos fronts ? Dieu, tire-moi du doute !
Ô sphinx, dis-moi le mot !
Cet affreux rêve pèse à nos yeux qui sommeillent,
Noirs vivants ! heureux ceux qui tout à coup s’éveillent
Et meurent en sursaut !

Villequier, 4 septembre 1845

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un vallon où il a plu. L'air et les arbres frissonnent. L'ombre ouvre un gouffre obscure.

VI. Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent…

Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent… – Les références

Toute la lyreII. [La Nature] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 205.

Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent…, un poème de la deuxième partie : [La Nature], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de V. … Une tempête.

Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent…


Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent… – Le texte

VI


Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent
Pleure dans les sapins ; pas de soleil levant ;
Tout frissonne ; le ciel, de teinte grise et mate,
Nous verse tristement un jour de casemate.
Tout à coup, au détour du sentier recourbé,
Apparaît un nuage entre deux monts tombé.
Il est dans le vallon comme en un vase énorme,
C’est un mur de brouillard, sans couleur et sans forme.
Rien au delà. Tout cesse. On n’entend aucun son ;
On voit le dernier arbre et le dernier buisson.
La brume, chaos morne, impénétrable et vide,
Où flotte affreusement une lueur livide,
Emplit l’angle hideux du ravin de granit.
On croirait que c’est là que le monde finit
Et que va commencer la nuée éternelle.

– Borne où l’âme et l’oiseau sentent faiblir leur aile,
Abîme où le penseur se penche avec effroi,
Puits de l’ombre infinie, oh! disais-je, est-ce toi ?

Alors je m’enfonçai dans ma pensée obscure,
Laissant mes compagnons errer à l’aventure.

Pyrénées, 28 août.