Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un cimetière entouré d'arbres dans lesquels sont nichés des oiseaux (cachés). Une demeure surmonte cet enclos.

XVIII. Les oiseaux

Les oiseaux – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 284.

Les oiseaux – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Les oiseaux, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVII. À M. Froment Meurice et suivi de XIX. Vieille chanson du jeune temps.

Les oiseaux


Les oiseaux – Le texte

XVIII
Les oiseaux


Je rêvais dans un grand cimetière désert ;
De mon âme et des morts j’écoutais le concert,
Parmi les fleurs de l’herbe et les croix de la tombe.
Dieu veut que ce qui naît sorte de ce qui tombe.
Et l’ombre m’emplissait.

Autour de moi, nombreux,

Gais, sans avoir souci de mon front ténébreux,
Dans ce champ, lit fatal de la sieste dernière,
Des moineaux francs faisaient l’école buissonnière.
C’était l’éternité que taquine l’instant.
Ils allaient et venaient, chantant, volant, sautant,
Égratignant la mort de leurs griffes pointues,
Lissant leur bec au nez lugubre des statues,
Becquetant les tombeaux, ces grains mystérieux.
Je pris ces tapageurs ailés au sérieux ;
Je criai : — Paix aux morts ! vous êtes des harpies.
— Nous sommes des moineaux, me dirent ces impies.
— Silence ! allez-vous en ! repris-je, peu clément.
Ils s’enfuirent ; j’étais le plus fort. Seulement,
Un d’eux resta derrière, et, pour toute musique,
Dressa la queue, et dit : — Quel est ce vieux classique ?

Comme ils s’en allaient tous, furieux, maugréant,
Criant, et regardant de travers le géant,
Un houx noir qui songeait près d’une tombe, un sage,
M’arrêta brusquement par la manche au passage,
Et me dit : — Ces oiseaux sont dans leur fonction.
Laisse-les. Nous avons besoin de ce rayon.
Dieu les envoie. Ils font vivre le cimetière.
Homme, ils sont la gaîté de la nature entière ;
Ils prennent son murmure au ruisseau, sa clarté
À l’astre, son sourire au matin enchanté ;
Partout où rit un sage, ils lui prennent sa joie,
Et nous l’apportent ; l’ombre en les voyant flamboie ;
Ils emplissent leurs becs des cris des écoliers ;
À travers l’homme et l’herbe, et l’onde, et les halliers,
Ils vont pillant la joie en l’univers immense.
Ils ont cette raison qui te semble démence.
Ils ont pitié de nous qui loin d’eux languissons ;
Et, lorsqu’ils sont bien pleins de jeux et de chansons,
D’églogues, de baisers, de tous les commérages
Que les nids en avril font sous les verts ombrages,
Ils accourent, joyeux, charmants, légers, bruyants,
Nous jeter tout cela dans nos trous effrayants,
Et viennent, des palais, des bois, de la chaumière,
Vider dans notre nuit toute cette lumière !
Quand mai nous les ramène, ô songeur, nous disons :
« Les voilà ! » tout s’émeut, pierres, tertres, gazons ;
Le moindre arbrisseau parle, et l’herbe est en extase ;
Le saule pleureur chante en achevant sa phrase ;
Ils confessent les ifs, devenus babillards ;
Ils jasent de la vie avec les corbillards ;
Des linceuls trop pompeux ils décrochent l’agrafe ;
Ils se moquent du marbre ; ils savent l’orthographe ;
Et, moi qui suis ici le vieux chardon boudeur
Devant qui le mensonge étale sa laideur
Et ne se gêne pas, me traitant comme un hôte,
Je trouve juste, ami, qu’en lisant à voix haute
L’épitaphe où le mort est toujours bon et beau,
Ils fassent éclater de rire le tombeau.

Paris, mai 1835.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un village féerique, dans l'écrin du pampre de la vigne.

II. Le vrai dans le vin

Le vrai dans le vin – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre second – SagesseLiberté, Égalité, Fraternité ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 993.

Le vrai dans le vin – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Le vrai dans le vin, un poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre second – Sagesse, Liberté, Égalité, Fraternité, de Victor Hugo.

Le vrai dans le vin


Le vrai dans le vin – Le texte

II
Le vrai dans le vin


Jean Sévère était fort ivre.
Ô barrière ! ô lieu divin
Où Surène nous délivre
Avec l’azur de son vin !

Un faune habitant d’un antre,
Sous les pampres de l’été,
Aurait approuvé son ventre
Et vénéré sa gaîté.

Il était beau de l’entendre.
On voit, quand cet homme rit,
Chacun des convives tendre
Comme un verre son esprit.

À travers les mille choses
Qu’on dit parmi les chansons,
Tandis qu’errent sous les roses
Les filles et les garçons,

On parla d’une bataille ;
Deux peuples, russe et prussien,
Sont hachés par la mitraille ;
Les deux rois se portent bien.

Chacun de ces deux bons princes
(De là tous les différends)
Trouve ses états trop minces
Et ceux du voisin trop grands.

Les peuples, eux, sont candides ;
Tout se termine à leur gré
Par un dôme d’Invalides
Plein d’infirmes et doré.

Les rois font pour la victoire
Un hospice, où le guerrier
Ira boiter dans la gloire,
Borgne, et coiffé d’un laurier.

Nous admirions ; mais, farouche,
En nous voyant tous béats,
Jean Sévère ouvrit la bouche
Et dit ces alinéas :

« Le pauvre genre humain pleure,
« Nos pas sont tremblants et courts,
« Je suis très ivre, et c’est l’heure
« De faire un sage discours.

« Le penseur joint sous la treille
« La logique à la boisson ;
« Le sage, après la bouteille,
« Doit déboucher la raison.

« Faire, au lieu des deux armées,
« Battre les deux généraux.
« Diminuerait les fumées
« Et grandirait les héros.

« Que me sert le dithyrambe
« Qu’on va chantant devant eux,
« Et que Dieu m’ait fait ingambe
« Si les rois me font boiteux ?

« Ils ne me connaissent guère
« S’ils pensent qu’il me suffit
« D’avoir les coups de la guerre
« Quand ils en ont le profit.

« Foin des beaux portails de marbre
« De la Flèche et de Saint-Cyr !
« Lorsqu’avril fait pousser l’arbre,
« Je n’éprouve aucun plaisir,

« En voyant la branche, où flambe
« L’aurore qui m’éveilla,
« À dire : « C’est une jambe
« Peut-être qui me vient là ! »

« L’invalide altier se traîne,
« Du poids d’un bras déchargé ;
« Mais moi je n’ai nulle haine
« Pour tous les membres que j’ai.

« Recevoir des coups de sabre,
« Choir sous les pieds furieux
« D’un escadron qui se cabre,
« C’est charmant ; boire vaut mieux.

« Plutôt gambader sur l’herbe
« Que d’être criblé de plomb !
« Le nez coupé, c’est superbe ;
« J’aime autant mon nez trop long.

« Décoré par mon monarque,
« Je m’en reviens, ébloui,
« Mais bancal, et je remarque
« Qu’il a ses deux pattes, lui.

« Manchot, fier, l’hymen m’attire ;
« Je vois celle qui me plaît
« En lorgner d’autres et dire :
« Je l’aimerais mieux complet. »

« Fils, c’est vrai, je ne savoure
« Qu’en douteur voltairien
« Cet effet de ma bravoure
« De n’être plus bon à rien.

« La jambe de bois est noire ;
« La guerre est un dur sentier ;
« Quant à ce qu’on nomme gloire,
« La gloire, c’est d’être entier.

« L’infirme adosse son râble,
« En trébuchant, aux piliers ;
« C’est une chose admirable,
« Fils, que d’user deux souliers.

« Fils, j’aimerais que mon prince,
« En qui je mets mon orgueil,
« Pût gagner une province
« Sans me faire perdre un œil.

« Un discours de cette espèce
« Sortant de mon hiatus,
« Prouve que la langue épaisse
« Ne fait pas l’esprit obtus. »

Ainsi parla Jean Sévère,
Ayant dans son cœur sans fiel
La justice, et dans son verre
Un vin bleu comme le ciel.

L’ivresse mit dans sa tête
Ce bon sens qu’il nous versa.
Quelquefois Silène prête
Son âne à Sancho Pança.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un mur (d'une prison ?), dans lequel apparaît un soupirail, sur la gauche ; à droite, deux yeux semblent lui faire face.

XII. À quatre prisonniers (Après leur condamnation)

À quatre prisonniers – Les références

ChâtimentsLivre IV – La Religion est glorifiée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 102.

À quatre prisonniers – Enregistrement

Je vous invite à écouter À quatre prisonniers, un poème du recueil Châtiments, Livre IV – La Religion est glorifiée, de Victor Hugo.

À quatre prisonniers (Après leur condamnation)


À quatre prisonniers – Le texte

XII
À quatre prisonniers
(Après leur condamnation.)


Mes fils, soyez contents ; l’honneur est où vous êtes.
Et vous, mes deux amis, la gloire, ô fiers poëtes,
Couronne votre nom par l’affront désigné ;
Offrez aux juges vils, groupe abject et stupide,
Toi, ta douceur intrépide,
Toi, ton sourire indigné.

Dans cette salle où Dieu voit la laideur des âmes,
Devant ces froids jurés, choisis pour être infâmes,
Ces douze hommes, muets, de leur honte chargés,
Ô justice, j’ai cru, justice auguste et sombre,
Voir autour de toi dans l’ombre
Douze sépulcres rangés.

Ils vous ont condamnés, que l’avenir les juge !
Toi, pour avoir crié : la France est le refuge
Des vaincus, des proscrits ! — Je t’approuve, mon fils !
Toi, pour avoir, devant la hache qui s’obstine,
Insulté la guillotine,
Et vengé le crucifix !

Les temps sont durs ; c’est bien. Le martyre console.
J’admire, ô Vérité, plus que toute auréole,
Plus que le nimbe ardent des saints en oraison,
Plus que les trônes d’or devant qui tout s’efface,
L’ombre que font sur ta face
Les barreaux d’une prison !

Quoi que le méchant fasse en sa bassesse noire,
L’outrage injuste et vil là-haut se change en gloire.
Quand Jésus commençait sa longue passion,
Le crachat qu’un bourreau lança sur son front blême
Fit au ciel à l’instant même
Une constellation !

Conciergerie, novembre 1851.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une haie d'arbres pliés par la tourmente le long d'un chemin.

XIII. Veni, vidi, vixi

Veni, vidi, vixi – Les références

Les contemplationsLivre quatrième : Pauca meae ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 409.

Veni, vidi, vixi – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Veni, vidi, vixi, un poème de la partie Pauca meae, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est précédé de XII. À quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt et suivi par XIV. Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne….

Veni, vidi, vixi

Veni, vidi, vixi – Le texte

XIII
Veni, vidi, vixi

J’ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
Je marche sans trouver de bras qui me secourent,
Puisque je ris à peine aux enfants qui m’entourent,
Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ;

Puisqu’au printemps, quand Dieu met la nature en fête,
J’assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ;
Puisque je suis à l’heure où l’homme fuit le jour,
Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ;

Puisque l’espoir serein dans mon âme est vaincu ;
Puisqu’en cette saison des parfums et des roses,
Ô ma fille ! j’aspire à l’ombre où tu reposes,
Puisque mon cœur est mort, j’ai bien assez vécu.

Je n’ai pas refusé ma tâche sur la terre.
Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici.
J’ai vécu souriant, toujours plus adouci,
Debout, mais incliné du côté du mystère.

J’ai fait ce que j’ai pu ; j’ai servi, j’ai veillé,
Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine.
Je me suis étonné d’être un objet de haine,
Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

Dans ce bagne terrestre où ne s’ouvre aucune aile,
Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,
J’ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.

Maintenant, mon regard ne s’ouvre qu’à demi ;
Je ne me tourne plus même quand on me nomme ;
Je suis plein de stupeur et d’ennui, comme un homme
Qui se lève avant l’aube et qui n’a pas dormi.

Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
Répondre à l’envieux dont la bouche me nuit.
Ô Seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
Afin que je m’en aille et que je disparaisse !

Avril 1848.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un ciel nébuleux dans lequel on aperçoit une tornade. Sur la droite, les tours d'un château...

XII. Aux anges qui nous voient

Aux anges qui nous voient – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 500.

Aux anges qui nous voient – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Aux anges qui nous voient, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.

Aux anges qui nous voient

Aux anges qui nous voient – Le texte

XII
Aux anges qui nous voient


— Passant, qu’es-tu ? je te connais.
Mais, étant spectre, ombre et nuage,
Tu n’as plus de sexe ni d’âge.
— Je suis ta mère, et je venais !

— Et toi dont l’aile hésite et brille,
Dont l’œil est noyé de douceur,
Qu’es-tu, passant ? — Je suis ta sœur.
— Et toi, qu’es-tu ? — Je suis ta fille.

— Et toi, qu’es-tu, passant ? — Je suis
Celle à qui tu disais : « Je t’aime ! »
— Et toi ? — Je suis ton âme même. —
Oh ! cachez-moi, profondes nuits !

Juin 1855

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente des dunes en bord d'océan. Des paroles, invisibles à l’œil, y naissent.

XIII. Paroles sur la dune

Paroles sur la dune – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 443.

Paroles sur la dune – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Paroles sur la dune, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XII. Dolorosæ et suivi de XIV. Claire P..

Paroles sur la dune


Paroles sur la dune – Le texte

XIII
Paroles sur la dune


Maintenant que mon temps décroît comme un flambeau,
Que mes tâches sont terminées ;
Maintenant que voici que je touche au tombeau
Par les deuils et par les années,

Et qu’au fond de ce ciel que mon essor rêva,
Je vois fuir, vers l’ombre entraînées,
Comme le tourbillon du passé qui s’en va,
Tant de belles heures sonnées ;

Maintenant que je dis : — Un jour, nous triomphons ;
Le lendemain, tout est mensonge ! —
Je suis triste, et je marche au bord des flots profonds,
Courbé comme celui qui songe.

Je regarde, au-dessus du mont et du vallon,
Et des mers sans fin remuées,
S’envoler sous le bec du vautour aquilon,
Toute la toison des nuées ;

J’entends le vent dans l’air, la mer sur le récif,
L’homme liant la gerbe mûre ;
J’écoute, et je confronte en mon esprit pensif
Ce qui parle à ce qui murmure ;

Et je reste parfois couché sans me lever
Sur l’herbe rare de la dune,
Jusqu’à l’heure où l’on voit apparaître et rêver
Les yeux sinistres de la lune.

Elle monte, elle jette un long rayon dormant
À l’espace, au mystère, au gouffre ;
Et nous nous regardons tous les deux fixement,
Elle qui brille et moi qui souffre.

Où donc s’en sont allés mes jours évanouis ?
Est-il quelqu’un qui me connaisse ?
Ai-je encor quelque chose en mes yeux éblouis,
De la clarté de ma jeunesse ?

Tout s’est-il envolé ? Je suis seul, je suis las ;
J’appelle sans qu’on me réponde ;
Ô vents ! ô flots ! ne suis-je aussi qu’un souffle, hélas !
Hélas ! ne suis-je aussi qu’une onde ?

Ne verrai-je plus rien de tout ce que j’aimais ?
Au dedans de moi le soir tombe.
Ô terre, dont la brume efface les sommets,
Suis-je le spectre, et toi la tombe ?

Ai-je donc vidé tout, vie, amour, joie, espoir ?
J’attends, je demande, j’implore ;
Je penche tour à tour mes urnes pour avoir
De chacune une goutte encore !

Comme le souvenir est voisin du remord !
Comme à pleurer tout nous ramène !
Et que je te sens froide en te touchant, ô mort,
Noir verrou de la porte humaine !

Et je pense, écoutant gémir le vent amer,
Et l’onde aux plis infranchissables ;
L’été rit, et l’on voit sur le bord de la mer
Fleurir le chardon bleu des sables.

5 août 1854, anniversaire de mon arrivée à Jersey.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les arbres de la forêt sous la lumière du ciel.

XXIV. Aux arbres

Aux arbres – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 363.

Aux arbres – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Aux arbres, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXIII. Le Revenant et suivi de XXIV. L’enfant, voyant l’aïeule….

Aux arbres


Aux arbres – Le texte

XXIV
Aux arbres

Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme !
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous ! — vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le cœur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’œil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu !
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence !
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, — je vous atteste, ô bois aimés du ciel ! —
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère !
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives !
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime !

Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt ! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.

Juin 1843.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un pont de pierres traversant le lit d'une rivière asséchée. La silhouette d'un château se profile sur l'horizon, à droite.

I. La terre a vu jadis…

La terre a vu jadis… – Les références

La Légende des siècles – Première sérieV. Les Chevaliers errants ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 635.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 247.

La terre a vu jadis… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La terre a vu jadis…, un poème de La Légende des siècles – Première Série, V. Les Chevaliers errants, de Victor Hugo.

La terre a vu jadis…

La terre a vu jadis… – Le texte

I

La terre a vu jadis errer des paladins ;
Ils flamboyaient ainsi que des éclairs soudains,
Puis s’évanouissaient, laissant sur les visages
La crainte, et la lueur de leurs brusques passages ;
Ils étaient, dans des temps d’oppression, de deuil,
De honte, où l’infamie étalait son orgueil,
Les spectres de l’honneur, du droit, de la justice ;
Ils foudroyaient le crime, ils souffletaient le vice ;
On voyait le vol fuir, l’imposture hésiter,
Blêmir la trahison, et se déconcerter
Toute puissance injuste, inhumaine, usurpée,
Devant ces magistrats sinistres de l’épée ;
Malheur à qui faisait le mal ! Un de ces bras
Sortait de l’ombre avec ce cri : « Tu périras ! »
Contre le genre humain et devant la nature,
De l’équité suprême ils tentaient l’aventure ;
Prêts à toute besogne, à toute heure, en tout lieu,
Farouches, ils étaient les chevaliers de Dieu.

Ils erraient dans la nuit ainsi que des lumières.

Leur seigneurie était tutrice des chaumières ;
Ils étaient justes, bons, lugubres, ténébreux ;
Quoique gardé par eux, quoique vengé par eux,
Le peuple en leur présence avait l’inquiétude
De la foule devant la pâle solitude ;
Car on a peur de ceux qui marchent en songeant,
Pendant que l’aquilon, du haut des cieux plongeant,
Rugit, et que la pluie épand à flots son urne
Sur leur tête entrevue au fond du bois nocturne.

Ils passaient effrayants, muets, masqués de fer.

Quelques-uns ressemblaient à des larves d’enfer ;
Leurs cimiers se dressaient difformes sur leurs heaumes,
On ne savait jamais d’où sortaient ces fantômes ;
On disait : « Qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? Ils sont
Ceux qui punissent, ceux qui jugent, ceux qui vont. »
Tragiques, ils avaient l’attitude du rêve.

Ô les noirs chevaucheurs ! ô les marcheurs sans trêve !
Partout où reluisait l’acier de leur corset,
Partout où l’un d’eux, calme et grave, apparaissait
Posant sa lance au coin ténébreux de la salle,
Partout où surgissait leur ombre colossale,
On sentait la terreur des pays inconnus ;
Celui-ci vient du Rhin ; celui-là du Cydnus ;
Derrière eux cheminait la Mort, squelette chauve ;
Il semblait qu’aux naseaux de leur cavale fauve
On entendît la mer ou la forêt gronder ;
Et c’est aux quatre vents qu’il fallait demander
Si ce passant était roi d’Albe ou de Bretagne ;
S’il sortait de la plaine ou bien de la montagne,
S’il avait triomphé du maure, ou du chenil
Des peuples monstrueux qui hurlent près du Nil ;
Quelle ville son bras avait prise ou sauvée ;
De quel monstre il avait écrasé la couvée.

Les noms de quelques-uns jusqu’à nous sont venus ;
Ils s’appelaient Bernard, Lahire, Eviradnus ;
Ils avaient vu l’Afrique ; ils éveillaient l’idée
D’on ne sait quelle guerre effroyable en Judée ;
Rois dans l’Inde, ils étaient en Europe barons ;
Et les aigles, les cris des combats, les clairons,
Les batailles, les rois, les dieux, les épopées,
Tourbillonnaient dans l’ombre au vent de leurs épées ;
Qui les voyait passer à l’angle de son mur
Pensait à ces cités d’or, de brume et d’azur,
Qui font l’effet d’un songe à la foule effarée :
Tyr, Héliopolis, Solyme, Césarée.
Ils surgissaient du sud ou du septentrion,
Portant sur leur écu l’hydre ou l’alérion,
Couverts des noirs oiseaux du taillis héraldique,
Marchant seuls au sentier que le devoir indique,
Ajoutant au bruit sourd de leur pas solennel
La vague obscurité d’un voyage éternel,
Ayant franchi les flots, les monts, les bois horribles,
Ils venaient de si loin, qu’ils en étaient terribles ;
Et ces grands chevaliers mêlaient à leurs blasons
Toute l’immensité des sombres horizons.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une éclaircie dans le ciel.

X. Éclaircie

Éclaircie – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 498.

Éclaircie – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Éclaircie, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.

Éclaircie


Éclaircie – Le texte

X
Éclaircie


L’Océan resplendit sous sa vaste nuée.
L’onde, de son combat sans fin exténuée,
S’assoupit, et, laissant l’écueil se reposer,
Fait de toute la rive un immense baiser.
On dirait qu’en tous lieux, en même temps, la vie
Dissout le mal, le deuil, l’hiver, la nuit, l’envie,
Et que le mort couché dit au vivant debout :
Aime ! et qu’une âme obscure, épanouie en tout,
Avance doucement sa bouche vers nos lèvres.
L’être, éteignant dans l’ombre et l’extase ses fièvres,
Ouvrant ses flancs, ses seins, ses yeux, ses cœurs épars,
Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts
La pénétration de la sève sacrée.
La grande paix d’en haut vient comme une marée.
Le brin d’herbe palpite aux fentes du pavé ;
Et l’âme a chaud. On sent que le nid est couvé.
L’infini semble plein d’un frisson de feuillée.
On croit être à cette heure où la terre éveillée
Entend le bruit que fait l’ouverture du jour,
Le premier pas du vent, du travail, de l’amour,
De l’homme, et le verrou de la porte sonore,
Et le hennissement du blanc cheval aurore.
Le moineau d’un coup d’aile, ainsi qu’un fol esprit,
Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit ;
L’air joue avec la mouche, et l’écume avec l’aigle ;
Le grave laboureur fait ses sillons et règle
La page où s’écrira le poëme des blés ;
Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés ;
L’horizon semble un rêve éblouissant où nage
L’écaille de la mer, la plume du nuage,
Car l’Océan est hydre et le nuage oiseau.
Une lueur, rayon vague, part du berceau
Qu’une femme balance au seuil d’une chaumière,
Dore les champs, les fleurs, l’onde et devient lumière
En touchant un tombeau qui dort près du clocher.
Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher
L’ombre, et la baise au front sous l’eau sombre et hagarde.
Tout est doux, calme, heureux, apaisé ; Dieu regarde.

Marine-Terrace, juillet 1855

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l'océan au pied d'une falaise. On aperçoit une gerbe d'écume sur la droite.

IV. La source tombait du rocher…

La source tombait du rocher… – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 433.

La source tombait du rocher… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La source tombait du rocher…, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de III. Écrit en 1846 et Écrit en 1855 et suivi de V. À Mademoiselle Louise B.

La source tombait du rocher…

La source tombait du rocher… – Le texte

IV

La source tombait du rocher
Goutte à goutte à la mer affreuse.
L’Océan, fatal au nocher,
Lui dit : « Que me veux-tu, pleureuse ?

« Je suis la tempête et l’effroi ;
« Je finis où le ciel commence.
« Est-ce que j’ai besoin de toi,
« Petite, moi qui suis l’immense ? »

La source dit au gouffre amer :
« Je te donne, sans bruit ni gloire,
« Ce qui te manque, ô vaste mer !
« Une goutte d’eau qu’on peut boire. »

Avril 1854.