XIV. Claire P.
Claire P. – Les références
Les contemplations – Livre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 444.
Claire P. – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Claire P., un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XIII. Paroles sur la dune et suivi de XV. À Alexandre D..
Claire P.
Claire P. – Le texte
XIV
Claire P.
Quel âge hier ? Vingt ans. Et quel âge aujourd’hui ?
L’éternité. Ce front pendant une heure a lui.
Elle avait les doux chants et les grâces superbes ;
Elle semblait porter de radieuses gerbes ;
Rien qu’à la voir passer, on lui disait : merci !
Qu’est-ce donc que la vie, hélas ! pour mettre ainsi
Les êtres les plus purs et les meilleurs en fuite ?
Et, moi, je l’avais vue encor toute petite.
Elle me disait vous, et je lui disais tu.
Son accent ineffable avait cette vertu
De faire en mon esprit, douces voix éloignées,
Chanter le vague chœur de mes jeunes années.
Il n’a brillé qu’un jour, ce beau front ingénu.
Elle était fiancée à l’hymen inconnu.
À qui mariez-vous, mon Dieu, toutes ces vierges ?
Un vague et pur reflet de la lueur des cierges
Flottait dans son regard céleste et rayonnant ;
Elle était grande et blanche et gaie ; et, maintenant,
Allez à Saint-Mandé, cherchez dans le champ sombre,
Vous trouverez le lit de sa noce avec l’ombre ;
Vous trouverez la tombe où gît ce lys vermeil ;
Et c’est là que tu fais ton éternel sommeil,
Toi qui, dans ta beauté naïve et recueillie,
Mêlais à la madone auguste d’Italie
La flamande qui rit à travers les houblons,
Douce Claire aux yeux noirs avec des cheveux blonds.
Elle s’en est allée avant d’être une femme ;
N’étant qu’un ange encor ; le ciel a pris son âme
Pour la rendre en rayons à nos regards en pleurs,
Et l’herbe sa beauté, pour nous la rendre en fleurs.
Les êtres étoilés que nous nommons archanges
La bercent dans leurs bras au milieu des louanges,
Et, parmi les clartés, les lyres, les chansons,
D’en haut elle sourit à nous qui gémissons.
Elle sourit, et dit aux anges sous leurs voiles :
Est-ce qu’il est permis de cueillir des étoiles ?
Et chante, et, se voyant elle-même flambeau,
Murmure dans l’azur : Comme le ciel est beau !
Mais cela ne fait rien à sa mère qui pleure ;
La mère ne veut pas que son doux enfant meure
Et s’en aille, laissant ses fleurs sur le gazon,
Hélas ! et le silence au seuil de la maison !
Son père, le sculpteur, s’écriait : — Qu’elle est belle !
Je ferai sa statue aussi charmante qu’elle.
C’est pour elle qu’avril fleurit les verts sentiers.
Je la contemplerai pendant des mois entiers
Et je ferai venir du marbre de Carrare.
Ce bloc prendra sa forme éblouissante et rare ;
Elle restera chaste et candide à côté.
On dira : « Le sculpteur a deux filles : Beauté
« Et Pudeur ; Ombre et Jour ; la Vierge et la Déesse ;
« Quel est cet ouvrier de Rome et de la Grèce
« Qui, trouvant dans son art des secrets inconnus,
« En copiant Marie, a su faire Vénus ? »
Le marbre restera dans la montagne blanche,
Hélas ! car c’est à l’heure où tout rit, que tout penche ;
Car nos mains gardent mal tout ce qui nous est cher ;
Car celle qu’on croyait d’azur était de chair ;
Et celui qui taillait le marbre était de verre ;
Et voilà que le vent a soufflé, Dieu sévère,
Sur la vierge au front pur, sur le maître au bras fort,
Et que la fille est morte, et que le père est mort !
Claire, tu dors. Ta mère, assise sur ta fosse,
Dit : — Le parfum des fleurs est faux, l’aurore est fausse,
L’oiseau qui chante au bois ment, et le cygne ment,
L’étoile n’est pas vraie au fond du firmament,
Le ciel n’est pas le ciel et là-haut rien ne brille,
Puisque, lorsque je crie à ma fille : « Ma fille,
« Je suis là. Lève-toi ! » quelqu’un le lui défend ;
Et que je ne puis pas réveiller mon enfant ! —
Juin 1854.
Remarques
Ce poème est écrit à la mémoire de Claire Pradier, fille de Juliette Drouet et du sculpteur Louis Pradier, et que Victor Hugo avait bien connue. Je le publie en écho à Claire, qui appartient à la section Au Bord de l’infini des Contemplations.
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