Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un village féerique, dans l'écrin du pampre de la vigne.

II. Le vrai dans le vin

Le vrai dans le vin – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre second – SagesseLiberté, Égalité, Fraternité ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 993.

Le vrai dans le vin – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Le vrai dans le vin, un poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre second – Sagesse, Liberté, Égalité, Fraternité, de Victor Hugo.

Le vrai dans le vin


Le vrai dans le vin – Le texte

II
Le vrai dans le vin


Jean Sévère était fort ivre.
Ô barrière ! ô lieu divin
Où Surène nous délivre
Avec l’azur de son vin !

Un faune habitant d’un antre,
Sous les pampres de l’été,
Aurait approuvé son ventre
Et vénéré sa gaîté.

Il était beau de l’entendre.
On voit, quand cet homme rit,
Chacun des convives tendre
Comme un verre son esprit.

À travers les mille choses
Qu’on dit parmi les chansons,
Tandis qu’errent sous les roses
Les filles et les garçons,

On parla d’une bataille ;
Deux peuples, russe et prussien,
Sont hachés par la mitraille ;
Les deux rois se portent bien.

Chacun de ces deux bons princes
(De là tous les différends)
Trouve ses états trop minces
Et ceux du voisin trop grands.

Les peuples, eux, sont candides ;
Tout se termine à leur gré
Par un dôme d’Invalides
Plein d’infirmes et doré.

Les rois font pour la victoire
Un hospice, où le guerrier
Ira boiter dans la gloire,
Borgne, et coiffé d’un laurier.

Nous admirions ; mais, farouche,
En nous voyant tous béats,
Jean Sévère ouvrit la bouche
Et dit ces alinéas :

« Le pauvre genre humain pleure,
« Nos pas sont tremblants et courts,
« Je suis très ivre, et c’est l’heure
« De faire un sage discours.

« Le penseur joint sous la treille
« La logique à la boisson ;
« Le sage, après la bouteille,
« Doit déboucher la raison.

« Faire, au lieu des deux armées,
« Battre les deux généraux.
« Diminuerait les fumées
« Et grandirait les héros.

« Que me sert le dithyrambe
« Qu’on va chantant devant eux,
« Et que Dieu m’ait fait ingambe
« Si les rois me font boiteux ?

« Ils ne me connaissent guère
« S’ils pensent qu’il me suffit
« D’avoir les coups de la guerre
« Quand ils en ont le profit.

« Foin des beaux portails de marbre
« De la Flèche et de Saint-Cyr !
« Lorsqu’avril fait pousser l’arbre,
« Je n’éprouve aucun plaisir,

« En voyant la branche, où flambe
« L’aurore qui m’éveilla,
« À dire : « C’est une jambe
« Peut-être qui me vient là ! »

« L’invalide altier se traîne,
« Du poids d’un bras déchargé ;
« Mais moi je n’ai nulle haine
« Pour tous les membres que j’ai.

« Recevoir des coups de sabre,
« Choir sous les pieds furieux
« D’un escadron qui se cabre,
« C’est charmant ; boire vaut mieux.

« Plutôt gambader sur l’herbe
« Que d’être criblé de plomb !
« Le nez coupé, c’est superbe ;
« J’aime autant mon nez trop long.

« Décoré par mon monarque,
« Je m’en reviens, ébloui,
« Mais bancal, et je remarque
« Qu’il a ses deux pattes, lui.

« Manchot, fier, l’hymen m’attire ;
« Je vois celle qui me plaît
« En lorgner d’autres et dire :
« Je l’aimerais mieux complet. »

« Fils, c’est vrai, je ne savoure
« Qu’en douteur voltairien
« Cet effet de ma bravoure
« De n’être plus bon à rien.

« La jambe de bois est noire ;
« La guerre est un dur sentier ;
« Quant à ce qu’on nomme gloire,
« La gloire, c’est d’être entier.

« L’infirme adosse son râble,
« En trébuchant, aux piliers ;
« C’est une chose admirable,
« Fils, que d’user deux souliers.

« Fils, j’aimerais que mon prince,
« En qui je mets mon orgueil,
« Pût gagner une province
« Sans me faire perdre un œil.

« Un discours de cette espèce
« Sortant de mon hiatus,
« Prouve que la langue épaisse
« Ne fait pas l’esprit obtus. »

Ainsi parla Jean Sévère,
Ayant dans son cœur sans fiel
La justice, et dans son verre
Un vin bleu comme le ciel.

L’ivresse mit dans sa tête
Ce bon sens qu’il nous versa.
Quelquefois Silène prête
Son âne à Sancho Pança.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un horizon de nature, avec un arbre seul sur l'horizon et, près de lui, le soleil couchant.

III. À un ami

À un ami – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre second : SagesseIV. Nivôse ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 1019.

À un ami – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Pendant une maladie, un poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre second : SagesseIV. Nivôse , de Victor Hugo.

À un ami


À un ami – Le texte

III
À un ami


Sur l’effrayante falaise,
Mur par la vague entr’ouvert,
Roc sombre où fleurit à l’aise
Un charmant petit pré vert.

Ami, puisque tu me laisses
Ta maison loin des vivants
Entre ces deux allégresses,
Les grands flots et les grands vents,

Salut ! merci ! les fortunes
Sont fragiles, et nos temps,
Comme l’algue sous les dunes,
Sont dans l’abîme, et flottants.

Nos âmes sont des nuées
Qu’un vent pousse, âpre ou béni,
Et qui volent, dénouées,
Du côté de l’infini.

L’énorme bourrasque humaine,
Dont l’étoile est la raison,
Prend, quitte, emporte et ramène
L’espérance à l’horizon.

Cette grande onde inquiète
Dont notre siècle est meurtri,
Écume et gronde, et me jette
Parfois mon nom dans un cri.

La haine sur moi s’arrête.
Ma pensée est dans ce bruit
Comme un oiseau de tempête
Parmi des oiseaux de nuit.

Pendant qu’ici je cultive
Ton champ comme tu le veux,
Dans maint journal l’invective
Grince et me prend aux cheveux.

La diatribe m’écharpe.
Je suis âne ou scélérat ;
Je suis Pradon pour La Harpe,
Et pour de Maistre Marat.

Qu’importe ! les cœurs sont ivres.
Les temps qui viennent feront
Ce qu’ils pourront de mes livres
Et de moi ce qu’ils voudront.

J’ai pour joie et pour merveille
De voir, dans ton pré d’Honfleur,
Trembler au poids d’une abeille
Un brin de lavande en fleur.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la face d'un crâne humain, ses yeux vides tournés vers le haut.

II. Pendant une maladie

Pendant une maladie – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre second : SagesseIV. Nivôse ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 1017.

Pendant une maladie – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Pendant une maladie, un poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre second : SagesseIV. Nivôse , de Victor Hugo.

Pendant une maladie


Pendant une maladie – Le texte

II
Pendant une maladie

On dit que je suis fort malade,
Ami ; j’ai déjà l’œil terni ;
Je sens la sinistre accolade
Du squelette de l’infini.

Sitôt levé, je me recouche ;
Et je suis comme si j’avais
De la terre au fond de la bouche ;
Je trouve le souffle mauvais.

Comme une voile entrant au havre,
Je frissonne ; mes pas sont lents,
J’ai froid ; la forme du cadavre,
Morne, apparaît sous mes draps blancs.

Mes mains sont en vain réchauffées ;
Ma chair comme la neige fond ;
Je sens sur mon front des bouffées
De quelque chose de profond ;

Est-ce le vent de l’ombre obscure ?
Ce vent qui sur Jésus passa !
Est-ce le grand Rien d’Épicure,
Ou le grand Tout de Spinosa ?

Les médecins s’en vont moroses ;
On parle bas autour de moi,
Et tout penche, et même les choses
Ont l’attitude de l’effroi.

Perdu ! voilà ce qu’on murmure.
Tout mon corps vacille, et je sens
Se déclouer la sombre armure
De ma raison et de mes sens.

Je vois l’immense instant suprême
Dans les ténèbres arriver.
L’astre pâle au fond du ciel blême
Dessine son vague lever.

L’heure réelle, ou décevante,
Dresse son front mystérieux.
Ne crois pas que je m’épouvante ;
J’ai toujours été curieux.

Mon âme se change en prunelle ;
Ma raison sonde Dieu voilé ;
Je tâte la porte éternelle,
Et j’essaie à la nuit ma clé.

C’est Dieu que le fossoyeur creuse ;
Mourir, c’est l’heure de savoir ;
Je dis à la mort : Vieille ouvreuse.
Je viens voir le spectacle noir.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une campagne sous la pluie. On aperçoit un toit et une charrette et, sur le bord de la route, les arbres ploient sous la bise.

I. – Va-t-en, me dit la bise…

Va-t-en, me dit la bise… – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre second : SagesseIV. Nivôse ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 1017.

Va-t-en, me dit la bise… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Va-t-en, me dit la bise…, un poème du Livre second : Sagesse, IV. Nivôse, du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo.

Va-t-en, me dit la bise…


Va-t-en, me dit la bise… – Le texte

I


— Va-t’en, me dit la bise,
C’est mon tour de chanter. —
Et, tremblante, surprise,
N’osant pas résister,

Fort décontenancée
Devant un Quos ego,
Ma chanson est chassée
Par cette virago.

Pluie. On me congédie
Partout, sur tous les tons.
Fin de la comédie,
Hirondelles, partons.

Grêle et vent. La ramée
Tord ses bras rabougris ;
Là-bas fuit la fumée,
Blanche sur le ciel gris.

Une pâle dorure
Jaunit les coteaux froids.
Le trou de ma serrure
Me souffle sur les doigts.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente trois têtes empalées devant une tente ouverte.

I – Depuis six mille ans la guerre…

Depuis six mille ans la guerre… – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre second – SagesseLiberté, Égalité, Fraternité ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 991.

Depuis six mille ans la guerre… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Depuis six mille ans la guerre…, un poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre second – Sagesse, Liberté, Égalité, Fraternité, de Victor Hugo.

Depuis six mille ans la guerre…


Depuis six mille ans la guerre… – Autre enregistrement

Je vous invite à réécouter Depuis six mille ans la guerre…. L’un des vers comporte une syllabe de trop dans le précédent enregistrement. Mais ce dernier a été réalisé en référence à Bouquins (Il y a donc une coquille à trouver dans Bouquins).

Depuis six mille ans la guerre…


Depuis six mille ans la guerre… – Le texte

I


Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.

Les conseils du ciel immense,
Du lys pur, du nid doré,
N’ôtent aucune démence
Du cœur de l’homme effaré.

Les carnages, les victoires,
Voilà notre grand amour ;
Et les multitudes noires
Ont pour grelot le tambour.

La gloire, sous ses chimères
Et sous ses chars triomphants,
Met toutes les pauvres mères
Et tous les petits enfants.

Notre bonheur est farouche ;
C’est de dire : Allons ! mourons !
Et c’est d’avoir à la bouche
La salive des clairons.

L’acier luit, les bivouacs fument ;
Pâles, nous nous déchaînons ;
Les sombres âmes s’allument
Aux lumières des canons.

Et cela pour des altesses
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que vous pourrirez,

Et que, dans le champ funeste,
Les chacals et les oiseaux,
Hideux, iront voir s’il reste
De la chair après vos os !

Aucun peuple ne tolère
Qu’un autre vive à côté ;
Et l’on souffle la colère
Dans notre imbécillité.

C’est un russe ! Égorge, assomme.
Un croate ! Feu roulant.
C’est juste. Pourquoi cet homme
Avait-il un habit blanc ?

Celui-ci, je le supprime
Et m’en vais, le cœur serein,
Puisqu’il a commis le crime
De naître à droite du Rhin.

Rosbach, Waterloo ! Vengeance !
L’homme, ivre d’un affreux bruit,
N’a plus d’autre intelligence
Que le massacre et la nuit.

On pourrait boire aux fontaines,
Prier dans l’ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes ;
Tuer son frère est plus doux.

On se hache, on se harponne,
On court par monts et par vaux ;
L’épouvante se cramponne
Du poing aux crins des chevaux.

Et l’aube est là sur la plaine !
Oh ! j’admire, en vérité,
Qu’on puisse avoir de la haine
Quand l’alouette a chanté.