Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un pont de pierres traversant le lit d'une rivière asséchée. La silhouette d'un château se profile sur l'horizon, à droite.

I. La terre a vu jadis…

La terre a vu jadis… – Les références

La Légende des siècles – Première sérieV. Les Chevaliers errants ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 635.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 247.

La terre a vu jadis… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La terre a vu jadis…, un poème de La Légende des siècles – Première Série, V. Les Chevaliers errants, de Victor Hugo.

La terre a vu jadis…

La terre a vu jadis… – Le texte

I

La terre a vu jadis errer des paladins ;
Ils flamboyaient ainsi que des éclairs soudains,
Puis s’évanouissaient, laissant sur les visages
La crainte, et la lueur de leurs brusques passages ;
Ils étaient, dans des temps d’oppression, de deuil,
De honte, où l’infamie étalait son orgueil,
Les spectres de l’honneur, du droit, de la justice ;
Ils foudroyaient le crime, ils souffletaient le vice ;
On voyait le vol fuir, l’imposture hésiter,
Blêmir la trahison, et se déconcerter
Toute puissance injuste, inhumaine, usurpée,
Devant ces magistrats sinistres de l’épée ;
Malheur à qui faisait le mal ! Un de ces bras
Sortait de l’ombre avec ce cri : « Tu périras ! »
Contre le genre humain et devant la nature,
De l’équité suprême ils tentaient l’aventure ;
Prêts à toute besogne, à toute heure, en tout lieu,
Farouches, ils étaient les chevaliers de Dieu.

Ils erraient dans la nuit ainsi que des lumières.

Leur seigneurie était tutrice des chaumières ;
Ils étaient justes, bons, lugubres, ténébreux ;
Quoique gardé par eux, quoique vengé par eux,
Le peuple en leur présence avait l’inquiétude
De la foule devant la pâle solitude ;
Car on a peur de ceux qui marchent en songeant,
Pendant que l’aquilon, du haut des cieux plongeant,
Rugit, et que la pluie épand à flots son urne
Sur leur tête entrevue au fond du bois nocturne.

Ils passaient effrayants, muets, masqués de fer.

Quelques-uns ressemblaient à des larves d’enfer ;
Leurs cimiers se dressaient difformes sur leurs heaumes,
On ne savait jamais d’où sortaient ces fantômes ;
On disait : « Qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? Ils sont
Ceux qui punissent, ceux qui jugent, ceux qui vont. »
Tragiques, ils avaient l’attitude du rêve.

Ô les noirs chevaucheurs ! ô les marcheurs sans trêve !
Partout où reluisait l’acier de leur corset,
Partout où l’un d’eux, calme et grave, apparaissait
Posant sa lance au coin ténébreux de la salle,
Partout où surgissait leur ombre colossale,
On sentait la terreur des pays inconnus ;
Celui-ci vient du Rhin ; celui-là du Cydnus ;
Derrière eux cheminait la Mort, squelette chauve ;
Il semblait qu’aux naseaux de leur cavale fauve
On entendît la mer ou la forêt gronder ;
Et c’est aux quatre vents qu’il fallait demander
Si ce passant était roi d’Albe ou de Bretagne ;
S’il sortait de la plaine ou bien de la montagne,
S’il avait triomphé du maure, ou du chenil
Des peuples monstrueux qui hurlent près du Nil ;
Quelle ville son bras avait prise ou sauvée ;
De quel monstre il avait écrasé la couvée.

Les noms de quelques-uns jusqu’à nous sont venus ;
Ils s’appelaient Bernard, Lahire, Eviradnus ;
Ils avaient vu l’Afrique ; ils éveillaient l’idée
D’on ne sait quelle guerre effroyable en Judée ;
Rois dans l’Inde, ils étaient en Europe barons ;
Et les aigles, les cris des combats, les clairons,
Les batailles, les rois, les dieux, les épopées,
Tourbillonnaient dans l’ombre au vent de leurs épées ;
Qui les voyait passer à l’angle de son mur
Pensait à ces cités d’or, de brume et d’azur,
Qui font l’effet d’un songe à la foule effarée :
Tyr, Héliopolis, Solyme, Césarée.
Ils surgissaient du sud ou du septentrion,
Portant sur leur écu l’hydre ou l’alérion,
Couverts des noirs oiseaux du taillis héraldique,
Marchant seuls au sentier que le devoir indique,
Ajoutant au bruit sourd de leur pas solennel
La vague obscurité d’un voyage éternel,
Ayant franchi les flots, les monts, les bois horribles,
Ils venaient de si loin, qu’ils en étaient terribles ;
Et ces grands chevaliers mêlaient à leurs blasons
Toute l’immensité des sombres horizons.

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