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Une barque à voile s'éloigne d'un village en bord de berge.

I. À ma fille

À ma fille – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 258.

À ma fille – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À ma fille, premier poème du livre premier, Aurore, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est suivi de II. Le poëte s’en va….

À ma fille


À ma fille – Le texte

I
À ma fille


Ô mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
— Résignée ! —

Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l’azur de tes yeux
Mets ton âme !

Nul n’est heureux et nul n’est triomphant.
L’heure est pour tous une chose incomplète ;
L’heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.

Oui, de leur sort tous les hommes sont las.
Pour être heureux, à tous, — destin morose ! —
Tout a manqué. Tout, c’est-à-dire, hélas !
Peu de chose.

Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
Dans l’univers chacun cherche et désire :
Un mot, un nom, un peu d’or, un regard,
Un sourire !

La gaîté manque au grand roi sans amours ;
La goutte d’eau manque au désert immense.
L’homme est un puits où le vide toujours
Recommence.

Vois ces penseurs que nous divinisons,
Vois ces héros dont les fronts nous dominent,
Noms dont toujours nos sombres horizons
S’illuminent !

Après avoir, comme fait un flambeau,
Ébloui tout de leurs rayons sans nombre,
Ils sont allés chercher dans le tombeau
Un peu d’ombre.

Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs,
Prend en pitié nos jours vains et sonores.
Chaque matin, il baigne de ses pleurs
Nos aurores.

Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
Sur ce qu’il est et sur ce que nous sommes ;
Une loi sort des choses d’ici-bas,
Et des hommes !

Cette loi sainte, il faut s’y conformer,
Et la voici, toute âme y peut atteindre :
Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer,
Ou tout plaindre !

Paris, octobre 1842.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un nuage qui éclate au-dessus d'arbres et de toits, telle une bombe aux Feuillantines.

VI. Une bombe aux Feuillantines

Une bombe aux Feuillantines – Les références

L’Année terribleJanvier ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 67.

Une bombe aux Feuillantines – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Une bombe aux Feuillantines, un poème du recueil L’Année terrible, Janvier, de Victor Hugo.

Une bombe aux Feuillantines


Une bombe aux Feuillantines – Le texte

VI
Une bombe aux Feuillantines


Qu’es-tu ? quoi, tu descends de là-haut, misérable !
Quoi ! toi, le plomb, le feu, la mort, l’inexorable,
Reptile de la guerre au sillon tortueux,
Quoi ! toi, l’assassinat cynique et monstrueux
Que les princes du fond des nuits jettent aux hommes,
Toi, crime, toi, ruine et deuil, toi qui te nommes
Haine, effroi, guet-apens, carnage, horreur, courroux,
C’est à travers l’azur que tu t’abats sur nous !
Chute affreuse de fer, éclosion infâme,
Fleur de bronze éclatée en pétales de flamme,
Ô vile foudre humaine, ô toi par qui sont grands
Les bandits, et par qui sont divins les tyrans,
Servante des forfaits royaux, prostituée,
Par quel prodige as-tu jailli de la nuée ?
Quelle usurpation sinistre de l’éclair !
Comment viens-tu du ciel, toi qui sors de l’enfer !

L’homme que tout à l’heure effleura ta morsure,
S’était assis pensif au coin d’une masure.
Ses yeux cherchaient dans l’ombre un rêve qui brilla ;
Il songeait ; il avait, tout petit, joué là ;
Le passé devant lui, plein de voix enfantines,
Apparaissait ; c’est là qu’étaient les Feuillantines ;
Ton tonnerre idiot foudroie un paradis.
Oh ! que c’était charmant ! comme on riait jadis !
Vieillir, c’est regarder une clarté décrue.
Un jardin verdissait où passe cette rue.
L’obus achève, hélas, ce qu’a fait le pavé.
Ici les passereaux pillaient le sénevé,
Et les petits oiseaux se cherchaient des querelles ;
Les lueurs de ce bois étaient surnaturelles ;
Que d’arbres ! quel air pur dans les rameaux tremblants !
On fut la tête blonde, on a des cheveux blancs ;
On fut une espérance et l’on est un fantôme.
Oh ! comme on était jeune à l’ombre du vieux dôme !
Maintenant on est vieux comme lui. Le voilà.
Ce passant rêve. Ici son âme s’envola
Chantante, et c’est ici qu’à ses vagues prunelles
Apparurent des fleurs qui semblaient éternelles.
Ici la vie était de la lumière ; ici
Marchait, sous le feuillage en avril épaissi,
Sa mère qu’il tenait par un pan de sa robe.
Souvenirs ! comme tout brusquement se dérobe !
L’aube ouvrant sa corolle à ses regards a lui
Dans ce ciel où flamboie en ce moment sur lui
L’épanouissement effroyable des bombes.
Ô l’ineffable aurore où volaient des colombes !
Cet homme, que voici lugubre, était joyeux.
Mille éblouissements émerveillaient ses yeux.
Printemps ! en ce jardin abondaient les pervenches,
Les roses, et des tas de pâquerettes blanches
Qui toutes semblaient rire au soleil se chauffant,
Et lui-même était fleur, puisqu’il était enfant.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une tête de jeune femme aux cheveux tressés en nattes relevés en chignon.

IX. Ô souvenirs ! printemps ! aurore !…

Ô souvenirs ! printemps ! aurore !… – Les références

Les contemplationsLivre quatrième : Pauca meae ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 406.

Ô souvenirs ! printemps ! aurore !… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ô souvenirs ! printemps ! aurore !…, un poème des Contemplations, Pauca meae, de Victor Hugo.
Il est précédé de VIII. À qui donc sommes-nous ? et suivi par X. Pendant que le marin….

Ô souvenirs ! printemps ! aurore !…

Ô souvenirs ! printemps ! aurore !… – Le texte

VII


Ô souvenirs ! printemps ! aurore !
Doux rayon triste et réchauffant !
— Lorsqu’elle était petite encore,
Que sa sœur était tout enfant… —

Connaissez-vous sur la colline
Qui joint Montlignon à Saint-Leu,
Une terrasse qui s’incline
Entre un bois sombre et le ciel bleu ?

C’est là que nous vivions. — Pénètre,
Mon cœur, dans ce passé charmant ! —
Je l’entendais sous ma fenêtre
Jouer le matin doucement.

Elle courait dans la rosée,
Sans bruit, de peur de m’éveiller ;
Moi, je n’ouvrais pas ma croisée,
De peur de la faire envoler.

Ses frères riaient… — Aube pure !
Tout chantait sous ces frais berceaux,
Ma famille avec la nature,
Mes enfants avec les oiseaux !

Je toussais, on devenait brave ;
Elle montait à petits pas,
Et me disait d’un air très grave :
« J’ai laissé les enfants en bas. »

Qu’elle fût bien ou mal coiffée,
Que mon cœur fût triste ou joyeux,
Je l’admirais. C’était ma fée,
Et le doux astre de mes yeux !

Nous jouions toute la journée.
Ô jeux charmants ! chers entretiens !
Le soir, comme elle était l’aînée,
Elle me disait : « Père, viens !

« Nous allons t’apporter ta chaise,
« Conte-nous une histoire, dis ! » —
Et je voyais rayonner d’aise
Tous ces regards du paradis.

Alors, prodiguant les carnages,
J’inventais un conte profond
Dont je trouvais les personnages
Parmi les ombres du plafond.

Toujours, ces quatre douces têtes
Riaient, comme à cet âge on rit,
De voir d’affreux géants très bêtes
Vaincus par des nains pleins d’esprit.

J’étais l’Arioste et l’Homère
D’un poëme éclos d’un seul jet ;
Pendant que je parlais, leur mère
Les regardait rire, et songeait.

Leur aïeul, qui lisait dans l’ombre,
Sur eux parfois levait les yeux,
Et moi, par la fenêtre sombre
J’entrevoyais un coin des cieux !

Villequier, 4 septembre 1846.

VII. Elle était pâle et pourtant rose…

Elle était pâle et pourtant rose… – Les références

Les contemplationsLivre quatrième : Pauca meae ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 404.

Elle était pâle et pourtant rose… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Elle était pâle et pourtant rose…, un poème des Contemplations, Pauca meae, de Victor Hugo.
Il est précédé de VI. Quand nous habitions tous ensemble et suivi par VIII. À qui donc sommes-nous ?.

Elle était pâle et pourtant rose…

Elle était pâle et pourtant rose… – Le texte

VII

Elle était pâle, et pourtant rose,
Petite avec de grands cheveux.
Elle disait souvent : Je n’ose,
Et ne disait jamais : Je veux.

Le soir, elle prenait ma Bible
Pour y faire épeler sa sœur,
Et, comme une lampe paisible,
Elle éclairait ce jeune cœur.

Sur le saint livre que j’admire,
Leurs yeux purs venaient se fixer ;
Livre où l’une apprenait à lire,
Où l’autre apprenait à penser !

Sur l’enfant, qui n’eût pas lu seule,
Elle penchait son front charmant,
Et l’on aurait dit une aïeule,
Tant elle parlait doucement !

Elle lui disait : « Sois bien sage ! »
Sans jamais nommer le démon ;
Leurs mains erraient de page en page
Sur Moïse et sur Salomon,

Sur Cyrus qui vint de la Perse,
Sur Moloch et Léviathan,
Sur l’enfer que Jésus traverse,
Sur l’éden où rampe Satan.

Moi, j’écoutais… — Ô joie immense
De voir la sœur près de la sœur !
Mes yeux s’enivraient en silence
De cette ineffable douceur.

Et dans la chambre humble et déserte,
Où nous sentions, cachés tous trois,
Entrer par la fenêtre ouverte
Les souffles des nuits et des bois,

Tandis que, dans le texte auguste,
Leurs cœurs, lisant avec ferveur,
Puisaient le beau, le vrai, le juste,
Il me semblait, à moi, rêveur,

Entendre chanter des louanges
Autour de nous, comme au saint lieu,
Et voir sous les doigts de ces anges
Tressaillir le livre de Dieu !

Octobre 1846

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un animal tenu en laisse par un ange vers lequel vient un autre animal. Une horloge est au-dessus du premier animal.

XXI. Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde…

Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde… – Les références

La Légende des siècles – Série ComplémentaireXXI ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 695.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 799.

Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde…, un poème du recueil La Légende des siècles – Série Complémentaire, de Victor Hugo.

Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde…


Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde… – Le texte

XXI


Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde.
— Les deux bêtes les plus gracieuses du monde,
Le chat et la souris, se haïssent. Pourquoi ?
Explique-moi cela, Jeanne. — Non sans effroi
Devant l’énormité de l’ombre et du mystère,
Jeanne se mit à rire. — Eh bien ? — Petit grand-père,
je ne sais pas. Jouons. — Et Jeanne repartit :
— Vois-tu, le chat c’est gros, la souris c’est petit.
— Eh bien ? — Et Jeanne alors, en se grattant la tête,
Reprit : — Si la souris était la grosse bête,
À moins que le bon Dieu là-haut ne se fâchât,
Ce serait la souris qui mangerait le chat.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un ciel vers lequel est tendu un visage (ou une forme ?) dont le regard semble flirter avec l'infini.

II. Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder…

Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder… – Les références

Toute la lyreIII. [La Pensée] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 240.

Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder…, un poème de la troisième partie : [La Pensée], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé du poème I. Effets de réveil.

Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder…


Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder… – Le texte

II


Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder.
Quand il pleure, j’entends le tonnerre gronder ;
Car penser c’est entendre ; et le visionnaire
Est souvent averti par un vague tonnerre.
Quand ce petit être, humble et pliant les genoux,
Attache doucement sa prunelle sur nous,
Je ne sais pas pourquoi je tremble ; quand cette âme,
Qui n’est pas homme encore et n’est pas encor femme,
En qui rien ne s’admire et rien ne se repent,
Sans sexe, sans passé derrière elle rampant,
Verse, à travers les cils de sa rose paupière,
Sa clarté dans laquelle on sent de la prière,
Sur nous les combattants, les vaincus, les vainqueurs,
Quand ce pur esprit semble interroger nos cœurs,
Quand cet ignorant, plein d’un jour que rien n’efface,
A l’air de regarder notre science en face,
Et jette, dans cette ombre où passe Adam banni,
On ne sait quel rayon de rêve et d’infini,
On dirait, tant l’enfance est ressemblante au temple,
Que la lumière, chose étrange, nous contemple ;
Toute la profondeur du ciel est dans cet œil.
Fût-on Christ ou Socrate, eût-on droit à l’orgueil,
On dit : laissez venir à moi cette auréole !
Comme on sent qu’il était hier l’esprit qui vole !
Comme on sent manquer l’aile à ce petit pied blanc !
Oh ! comme c’est débile et frêle et chancelant !
Comme on devine aux cris de cette bouche, un songe
De paradis qui jusqu’en enfer se prolonge,
Et que le doux enfant ne veut pas voir finir !
L’homme, ayant un passé, craint pour cet avenir ;
Que la vie apparaît fatale ! Comme on pense
À tant de peine avec si peu de récompense !
Oh ! comme on s’attendrit sur ce nouveau venu !
Lui cependant, qu’est-il, ô vivants ? l’inconnu.
Qu’a-t-il en lui ? l’énigme. Et que porte-t-il ? l’âme.
Il vit à peine ; il est si chétif qu’il réclame
Du brin d’herbe ondoyant aux vents, un point d’appui ;
Parfois, lorsqu’il se tait, on le croit presque enfui,
Car on a peur que tout ici-bas ne le blesse.
Lui, que fait-il ? Il rit. Fait d’ombre et de faiblesse
Et de tout ce qui tremble, il ne craint rien. Il est
Parmi nous le seul être encor vierge et complet ;
L’ange devient l’enfant lorsqu’il se rapetisse ;
Si toute pureté contient toute justice,
On ne rencontre pas l’enfant sans quelque effroi ;
On sent qu’on est devant un plus juste que soi ;
C’est l’atome, le nain souriant, le pygmée ;
Et quand il passe, honneur, gloire, éclat, renommée,
Méditent ; on se dit tout bas : Si je priais ?
On rêve ; et les plus grands sont les plus inquiets ;
Sa haute exception dans notre obscure sphère,
C’est que n’ayant rien fait, lui seul n’a pu mal faire ;
Le monde est un mystère inondé de clarté ;
L’enfant est sous l’énigme adorable abrité ;
Toutes les vérités couronnent, condensées
Ce doux front qui n’a pas encore de pensées ;
On comprend que l’enfant, ange de nos douleurs,
Si petit ici-bas, doit être grand ailleurs ;
Il se traîne, il trébuche ; il n’a dans l’attitude,
Dans la voix, dans le geste, aucune certitude ;
Un souffle à qui la fleur résiste fait ployer
Cet être à qui fait peur le grillon du foyer ;
L’œil hésite pendant que la lèvre bégaie ;
Dans ce naïf regard que l’ignorance égaie
L’étonnement avec la grâce se confond,
Et l’immense lueur étoilée est au fond.

Juin 1874