Les contemplations – Livre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 422.
Au fils d’un poëte – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Au fils d’un poëte, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de I. À Aug. V. et suivi de III. Écrit en 1846.
Au fils d’un poëte
Au fils d’un poëte – Le texte
II
Au fils d’un poëte
Enfant, laisse aux mers inquiètes
Le naufragé, tribun ou roi ;
Laisse s’en aller les poëtes !
La poésie est près de toi.
Elle t’échauffe, elle t’inspire,
Ô cher enfant, doux alcyon,
Car ta mère en est le sourire,
Et ton père en est le rayon.
Les yeux en pleurs, tu me demandes
Où je vais, et pourquoi je pars.
Je n’en sais rien ; les mers sont grandes,
L’exil s’ouvre de toutes parts.
Ce que Dieu nous donne, il nous l’ôte.
Adieu, patrie ! adieu, Sion !
Le proscrit n’est pas même un hôte,
Enfant, c’est une vision.
Il entre, il s’assied, puis se lève,
Reprend son bâton et s’en va.
Sa vie erre de grève en grève
Sous le souffle de Jéhovah.
Il fuit sur les vagues profondes,
Sans repos, toujours en avant.
Qu’importe ce qu’en font les ondes !
Qu’importe ce qu’en fait le vent !
Garde, enfant, dans ta jeune tête
Ce souvenir mystérieux,
Tu l’as vu dans une tempête
Passer comme l’éclair des cieux.
Son âme aux chocs habituée
Traversait l’orage et le bruit.
D’où sortait-il ? De la nuée.
Où s’enfonçait-il ? Dans la nuit.
Bruxelles, juillet 1852.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/aufils-dun-poete.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-11 17:33:522018-06-14 10:20:51II. Au fils d'un poëte
Les Contemplations – Livre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 355.
La querelle irritée, amère, à l’œil ardent,
Vipère dont la haine empoisonne la dent,
Siffle et trouble le toit d’une pauvre demeure.
Les mots heurtent les mots. L’enfant s’effraie et pleure.
La femme et le mari laissent l’enfant crier.
— D’où viens-tu ? — Qu’as-tu fait ? — Oh ! mauvais ouvrier !
Il vit dans la débauche et mourra sur la paille.
— Femme vaine et sans cœur qui jamais ne travaille !
— Tu sors du cabaret ? — Quelque amant est venu ?
— L’enfant pleure, l’enfant a faim, l’enfant est nu.
Pas de pain. — Elle a peur de salir ses mains blanches !
— Où cours-tu tous les jours ? — Et toi, tous les dimanches ?
— Va boire ! — Va danser ! — Il n’a ni feu ni lieu !
— Ta fille seulement ne sait pas prier Dieu !
— Et ta mère, bandit, c’est toi qui l’as tuée !
— Paix ! — Silence, assassin ! — Tais-toi, prostituée ! —
Un beau soleil couchant, empourprant le taudis,
Embrasait la fenêtre et le plafond, tandis
Que ce couple hideux, que rend deux fois infâme
La misère du cœur et la laideur de l’âme,
Étalait son ulcère et ses difformités
Sans honte, et sans pudeur montrait ses nudités.
Et leur vitre, où pendait un vieux haillon de toile,
Était, grâce au soleil, une éclatante étoile
Qui, dans ce même instant, vive et pure lueur,
Éblouissait au loin quelque passant rêveur !
Les Contemplations – Livre troisième : Les Luttes et le rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 364.
L’enfant, voyant l’aïeule… – L’enregistrement
Je vous invite à écouter L’enfant, voyant l’aïeule…, un très court poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXIV. Aux arbres et suivi de XXVI. Joies du soir.
L’enfant, voyant l’aïeule…
L’enfant, voyant l’aïeule… – Le texte
XXV
L’enfant, voyant l’aïeule à filer occupée,
Veut faire une quenouille à sa grande poupée.
L’aïeule s’assoupit un peu ; c’est le moment.
L’enfant vient par derrière et tire doucement
Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie,
Puis s’enfuit triomphante, emportant avec joie
La belle laine d’or que le safran jaunit,
Autant qu’en pourrait prendre un oiseau pour son nid.
Les Contemplations – Livre troisième : Les Luttes et le rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 349.
À la mère de l’enfant mort – L’enregistrement
Je vous invite à écouter À la mère de l’enfant mort, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XIII. La Chouette et suivi de XV. Épitaphe.
À la mère de l’enfant mort
À la mère de l’enfant mort – Le texte
XIV
À la mère de l’enfant mort
Oh ! vous aurez trop dit au pauvre petit ange
Qu’il est d’autres anges là-haut,
Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n’y change,
Qu’il est doux d’y rentrer bientôt ;
Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres,
Une tente aux riches couleurs,
Un jardin bleu rempli de lys qui sont des astres,
Et d’étoiles qui sont des fleurs ;
Que c’est un lieu joyeux plus qu’on ne saurait dire,
Où toujours, se laissant charmer,
On a les chérubins pour jouer et pour rire,
Et le bon Dieu pour nous aimer ;
Qu’il est doux d’être un cœur qui brûle comme un cierge,
Et de vivre, en toute saison,
Près de l’enfant Jésus et de la Sainte Vierge
Dans une si belle maison !
Et puis vous n’aurez pas assez dit, pauvre mère,
À ce fils si frêle et si doux,
Que vous étiez à lui dans cette vie amère,
Mais aussi qu’il était à vous ;
Que, tant qu’on est petit, la mère sur nous veille,
Mais que plus tard on la défend ;
Et qu’elle aura besoin, quand elle sera vieille,
D’un homme qui soit son enfant ;
Vous n’aurez point assez dit à cette jeune âme
Que Dieu veut qu’on reste ici-bas,
La femme guidant l’homme et l’homme aidant la femme,
Pour les douleurs et les combats ;
Si bien qu’un jour, ô deuil ! irréparable perte !
Le doux être s’en est allé !… —
Hélas ! vous avez donc laissé la cage ouverte,
Que votre oiseau s’est envolé !
Avril 1843.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/03/ala-mere-delenfant-mort-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-03-31 13:54:102018-06-14 10:21:18XIV. À la mère de l'enfant mort
Les Contemplations – Livre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 350.
Il vivait, il jouait, riante créature.
Que te sert d’avoir pris cet enfant, ô nature ?
N’as-tu pas les oiseaux peints de mille couleurs,
Les astres, les grands bois, le ciel bleu, l’onde amère ?
Que te sert d’avoir pris cet enfant à sa mère
Et de l’avoir caché sous des touffes de fleurs ?
Pour cet enfant de plus tu n’es pas plus peuplée,
Tu n’es pas plus joyeuse, ô nature étoilée !
Et le cœur de la mère en proie à tant de soins,
Ce cœur où toute joie engendre une torture,
Cet abîme aussi grand que toi-même, ô nature,
Est vide et désolé pour cet enfant de moins !
Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,
Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ;
Maintenant que je suis sous les branches des arbres,
Et que je puis songer à la beauté des cieux ;
Maintenant que du deuil qui m’a fait l’âme obscure
Je sors, pâle et vainqueur,
Et que je sens la paix de la grande nature
Qui m’entre dans le cœur ;
Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Ému par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ;
Maintenant, ô mon Dieu ! que j’ai ce calme sombre
De pouvoir désormais
Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l’ombre
Elle dort pour jamais ;
Maintenant qu’attendri par ces divins spectacles,
Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l’immensité ;
Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ;
Je vous porte, apaisé,
Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé ;
Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes
Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !
Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
Et que l’homme n’est rien qu’un jonc qui tremble au vent ;
Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament ;
Et que ce qu’ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement ;
Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,
Possédez l’infini, le réel, l’absolu ;
Je conviens qu’il est bon, je conviens qu’il est juste
Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l’a voulu !
Je ne résiste plus à tout ce qui m’arrive
Par votre volonté.
L’âme de deuils en deuils, l’homme de rive en rive,
Roule à l’éternité.
Nous ne voyons jamais qu’un seul côté des choses ;
L’autre plonge en la nuit d’un mystère effrayant.
L’homme subit le joug sans connaître les causes.
Tout ce qu’il voit est court, inutile et fuyant.
Vous faites revenir toujours la solitude
Autour de tous ses pas.
Vous n’avez pas voulu qu’il eût la certitude
Ni la joie ici-bas !
Dès qu’il possède un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
Pour qu’il s’en puisse faire une demeure, et dire :
C’est ici ma maison, mon champ et mes amours !
Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ;
Il vieillit sans soutiens.
Puisque ces choses sont, c’est qu’il faut qu’elles soient ;
J’en conviens, j’en conviens !
Le monde est sombre, ô Dieu ! l’immuable harmonie
Se compose des pleurs aussi bien que des chants ;
L’homme n’est qu’un atome en cette ombre infinie,
Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.
Je sais que vous avez bien autre chose à faire
Que de nous plaindre tous,
Et qu’un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,
Ne vous fait rien, à vous !
Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,
Que l’oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ;
Que la création est une grande roue
Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un ;
Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,
Passent sous le ciel bleu ;
Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent ;
Je le sais, ô mon Dieu !
Dans vos cieux, au delà de la sphère des nues,
Au fond de cet azur immobile et dormant,
Peut-être faites-vous des choses inconnues
Où la douleur de l’homme entre comme élément.
Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre
Que des êtres charmants
S’en aillent, emportés par le tourbillon sombre
Des noirs événements.
Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses
Que rien ne déconcerte et que rien n’attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites clémences
Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit !
Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme,
Et de considérer
Qu’humble comme un enfant et doux comme une femme,
Je viens vous adorer !
Considérez encor que j’avais, dès l’aurore,
Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,
Expliquant la nature à l’homme qui l’ignore,
Éclairant toute chose avec votre clarté ;
Que j’avais, affrontant la haine et la colère,
Fait ma tâche ici-bas,
Que je ne pouvais pas m’attendre à ce salaire,
Que je ne pouvais pas
Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie,
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyiez comme j’ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant !
Qu’une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,
Que j’ai pu blasphémer,
Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
Une pierre à la mer !
Considérez qu’on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre,
Que l’œil qui pleure trop finit par s’aveugler,
Qu’un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,
Et qu’il ne se peut pas que l’homme, lorsqu’il sombre
Dans les afflictions,
Ait présente à l’esprit la sérénité sombre
Des constellations !
Aujourd’hui, moi qui fus faible comme une mère,
Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.
Je me sens éclairé dans ma douleur amère
Par un meilleur regard jeté sur l’univers.
Seigneur, je reconnais que l’homme est en délire
S’il ose murmurer ;
Je cesse d’accuser, je cesse de maudire,
Mais laissez-moi pleurer !
Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela !
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant : Sens-tu que je suis là ?
Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,
Le soir, quand tout se tait,
Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,
Cet ange m’écoutait !
Hélas ! vers le passé tournant un œil d’envie,
Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler,
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Où je l’ai vue ouvrir son aile et s’envoler !
Je verrai cet instant jusqu’à ce que je meure,
L’instant, pleurs superflus !
Où je criai : L’enfant que j’avais tout à l’heure,
Quoi donc ! je ne l’ai plus !
Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
Ô mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné !
L’angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,
Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné.
Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame,
Mortels sujets aux pleurs,
Il nous est malaisé de retirer notre âme
De ces grandes douleurs.
Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires,
Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin,
Au milieu des ennuis, des peines, des misères,
Et de l’ombre que fait sur nous notre destin,
Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,
Petit être joyeux,
Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir à son entrée
Une porte des cieux ;
Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même
Croître la grâce aimable et la douce raison,
Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime
Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,
Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste
De tout ce qu’on rêva,
Considérez que c’est une chose bien triste
De le voir qui s’en va !
Villequier, 4 septembre 1847.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/03/avillequier-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-03-14 17:11:262018-06-14 10:21:34XV. À Villequier
Quel âge hier ? Vingt ans. Et quel âge aujourd’hui ?
L’éternité. Ce front pendant une heure a lui.
Elle avait les doux chants et les grâces superbes ;
Elle semblait porter de radieuses gerbes ;
Rien qu’à la voir passer, on lui disait : merci !
Qu’est-ce donc que la vie, hélas ! pour mettre ainsi
Les êtres les plus purs et les meilleurs en fuite ?
Et, moi, je l’avais vue encor toute petite.
Elle me disait vous, et je lui disais tu.
Son accent ineffable avait cette vertu
De faire en mon esprit, douces voix éloignées,
Chanter le vague chœur de mes jeunes années.
Il n’a brillé qu’un jour, ce beau front ingénu.
Elle était fiancée à l’hymen inconnu.
À qui mariez-vous, mon Dieu, toutes ces vierges ?
Un vague et pur reflet de la lueur des cierges
Flottait dans son regard céleste et rayonnant ;
Elle était grande et blanche et gaie ; et, maintenant,
Allez à Saint-Mandé, cherchez dans le champ sombre,
Vous trouverez le lit de sa noce avec l’ombre ;
Vous trouverez la tombe où gît ce lys vermeil ;
Et c’est là que tu fais ton éternel sommeil,
Toi qui, dans ta beauté naïve et recueillie,
Mêlais à la madone auguste d’Italie
La flamande qui rit à travers les houblons,
Douce Claire aux yeux noirs avec des cheveux blonds.
Elle s’en est allée avant d’être une femme ;
N’étant qu’un ange encor ; le ciel a pris son âme
Pour la rendre en rayons à nos regards en pleurs,
Et l’herbe sa beauté, pour nous la rendre en fleurs.
Les êtres étoilés que nous nommons archanges
La bercent dans leurs bras au milieu des louanges,
Et, parmi les clartés, les lyres, les chansons,
D’en haut elle sourit à nous qui gémissons.
Elle sourit, et dit aux anges sous leurs voiles :
Est-ce qu’il est permis de cueillir des étoiles ?
Et chante, et, se voyant elle-même flambeau,
Murmure dans l’azur : Comme le ciel est beau !
Mais cela ne fait rien à sa mère qui pleure ;
La mère ne veut pas que son doux enfant meure
Et s’en aille, laissant ses fleurs sur le gazon,
Hélas ! et le silence au seuil de la maison !
Son père, le sculpteur, s’écriait : — Qu’elle est belle !
Je ferai sa statue aussi charmante qu’elle.
C’est pour elle qu’avril fleurit les verts sentiers.
Je la contemplerai pendant des mois entiers
Et je ferai venir du marbre de Carrare.
Ce bloc prendra sa forme éblouissante et rare ;
Elle restera chaste et candide à côté.
On dira : « Le sculpteur a deux filles : Beauté
« Et Pudeur ; Ombre et Jour ; la Vierge et la Déesse ;
« Quel est cet ouvrier de Rome et de la Grèce
« Qui, trouvant dans son art des secrets inconnus,
« En copiant Marie, a su faire Vénus ? »
Le marbre restera dans la montagne blanche,
Hélas ! car c’est à l’heure où tout rit, que tout penche ;
Car nos mains gardent mal tout ce qui nous est cher ;
Car celle qu’on croyait d’azur était de chair ;
Et celui qui taillait le marbre était de verre ;
Et voilà que le vent a soufflé, Dieu sévère,
Sur la vierge au front pur, sur le maître au bras fort,
Et que la fille est morte, et que le père est mort !
Claire, tu dors. Ta mère, assise sur ta fosse,
Dit : — Le parfum des fleurs est faux, l’aurore est fausse,
L’oiseau qui chante au bois ment, et le cygne ment,
L’étoile n’est pas vraie au fond du firmament,
Le ciel n’est pas le ciel et là-haut rien ne brille,
Puisque, lorsque je crie à ma fille : « Ma fille,
« Je suis là. Lève-toi ! » quelqu’un le lui défend ;
Et que je ne puis pas réveiller mon enfant ! —
Juin 1854.
Remarques
Ce poème est écrit à la mémoire de Claire Pradier, fille de Juliette Drouet et du sculpteur Louis Pradier, et que Victor Hugo avait bien connue. Je le publie en écho à Claire, qui appartient à la section Au Bord de l’infini des Contemplations.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/03/clairep-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-03-03 17:28:142018-06-14 10:21:45XIV. Claire P.
Les contemplations – Livre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 491.
Claire – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Claire, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.
Claire
Claire – Le texte
VIII
Claire
Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne !
Ô mère au cœur profond, mère, vous avez beau
Laisser la porte ouverte afin qu’elle revienne,
Cette pierre là-bas dans l’herbe est un tombeau !
La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ;
Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t’envolas.
Est-ce donc que là-haut dans l’ombre elles s’appellent,
Qu’elles s’en vont ainsi l’une après l’autre, hélas ?
Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse,
Que ta mère jadis berçait de sa chanson,
Qui d’abord la charmas avec ta petitesse
Et plus tard lui remplis de clarté l’horizon,
Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise !
Voilà que tu n’es plus, ayant à peine été !
L’astre attire le lys, et te voilà reprise,
Ô vierge, par l’azur, cette virginité !
Te voilà remontée au firmament sublime,
Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois,
Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l’abîme
Des rayons, des amours, des parfums et des voix !
Nous ne t’entendrons plus rire en notre nuit noire.
Nous voyons seulement, comme pour nous bénir,
Errer dans notre ciel et dans notre mémoire
Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir !
Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ?
Marchant sur notre monde à pas silencieux,
De tous les idéals tu composais ton âme,
Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux !
En te voyant si calme et toute lumineuse,
Les cœurs les plus saignants ne haïssaient plus rien.
Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse,
Et, comme Ruth l’épi, tu ramassais le bien.
La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce,
L’aurore sa candeur, et les champs leur bonté ;
Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe,
Toute cette douceur dans toute la beauté !
Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose
Que la forme qui sort des cieux éblouissants ;
Et de tous les rosiers elle semblait la rose,
Et de tous les amours elle semblait l’encens.
Ceux qui n’ont pas connu cette charmante fille
Ne peuvent pas savoir ce qu’était ce regard
Transparent comme l’eau qui s’égaie et qui brille
Quand l’étoile surgit sur l’océan hagard.
Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ;
Chantant à demi-voix son chant d’illusion,
Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne
De vague et de lointain comme la vision.
On sentait qu’elle avait peu de temps sur la terre,
Qu’elle n’apparaissait que pour s’évanouir,
Et qu’elle acceptait peu sa vie involontaire ;
Et la tombe semblait par moments l’éblouir.
Elle a passé dans l’ombre où l’homme se résigne ;
Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit,
Belle, candide, ainsi qu’une plume de cygne
Qui reste blanche, même en traversant la nuit !
Elle s’en est allée à l’aube qui se lève,
Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu,
Bouche qui n’a connu que le baiser du rêve,
Âme qui n’a dormi que dans le lit de Dieu !
Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes,
Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés,
Regardant à jamais dans les ténèbres mornes
La disparition des êtres adorés !
Croire qu’ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse.
Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous,
Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse
Ces fantômes charmants que nous croyons à nous.
Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ;
Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur,
Et derrière eux, et sans que leur candeur s’en doute,
Leurs ailes font parfois de l’ombre sur le mur.
Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ;
Nous leur disons : Ma fille, ou : Mon fils ; ils sont doux,
Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. —
Ô mère, ce sont là les anges, voyez-vous !
C’est une volonté du sort, pour nous sévère,
Qu’ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ;
Et qu’avant d’avoir mis leur lèvre à notre verre,
Avant d’avoir rien fait et d’avoir rien souffert,
Ils partent radieux ; et qu’ignorant l’envie,
L’erreur, l’orgueil, le mal, la haine, la douleur,
Tous ces êtres bénis s’envolent de la vie
À l’âge où la prunelle innocente est en fleur !
Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres,
Nous devons travailler, attendre, préparer ;
Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d’autres ;
Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer.
Eux, ils sont l’air qui fuit, l’oiseau qui ne se pose
Qu’un instant, le soupir qui vole, avril vermeil
Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose
Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil.
Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l’âme
Pour notre chair coupable et pour notre destin ;
Ils ont, êtres rêveurs qu’un autre azur réclame,
Je ne sais quelle soif de mourir le matin !
Ils sont l’étoile d’or se couchant dans l’aurore,
Mourant pour nous, naissant pour l’autre firmament ;
Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore,
Continue, au delà, l’épanouissement.
Oui, mère, ce sont là les élus du mystère,
Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs,
À qui Dieu n’a permis que d’effleurer la terre
Pour faire un peu de joie à quelques pauvres cœurs.
Comme l’ange à Jacob, comme Jésus à Pierre,
Ils viennent jusqu’à nous qui loin d’eux étouffons,
Beaux, purs, et chacun d’eux portant sous sa paupière
La sereine clarté des paradis profonds.
Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes nos plaies,
Pansé notre douleur, azuré nos raisons,
Et fait luire un moment l’aube à travers nos claies,
Et chanté la chanson du ciel dans nos maisons,
Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes,
Et, pour lui faire voir quel est notre chemin,
Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes,
S’en vont avec un peu de terre dans la main.
Ils s’en vont ; c’est tantôt l’éclair qui les emporte,
Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus.
Alors, nous, pâles, froids, l’œil fixé sur la porte,
Nous ne savons plus rien, sinon qu’ils ne sont plus.
Nous disons : — À quoi bon l’âtre sans étincelles ?
À quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ?
À quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ?
Qui donc attendons-nous s’ils ne reviendront pas ? —
Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres.
Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit,
Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires
Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit.
Car ils sont revenus, et c’est là le mystère ;
Nous entendons quelqu’un flotter, un souffle errer,
Des robes effleurer notre seuil solitaire,
Et cela fait alors que nous pouvons pleurer.
Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ;
Nous sentons, lorsqu’ayant la lassitude en nous,
Nous nous levons après quelque prière sombre,
Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux.
Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre :
« Mon père, encore un peu ! Ma mère, encore un jour !
« M’entends-tu ? Je suis là. Je reste pour t’attendre
« Sur l’échelon d’en bas de l’échelle d’amour.
« Je t’attends pour pouvoir nous en aller ensemble.
« Cette vie est amère, et tu vas en sortir.
« Pauvre cœur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble.
« Tu redeviendras ange ayant été martyr. »
Oh ! quand donc viendrez-vous ? vous retrouver, c’est naître.
Quand verrons-nous, ainsi qu’un idéal flambeau,
La douce étoile mort, rayonnante, apparaître
À ce noir horizon qu’on nomme le tombeau ?
Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes !
Où sont les enfants morts et les printemps enfuis,
Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes,
Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ?
Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames,
Les aimés, les absents, les êtres purs et doux,
Les baisers des esprits et les regards des âmes,
Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ?
Quand nous en irons-nous où sont l’aube et la foudre ?
Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor,
Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre,
Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d’or ?
Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie
Où les hymnes vivants sont des anges voilés,
Où l’on voit, à travers l’azur de l’harmonie,
La strophe bleue errer sur les luths étoilés ?
Quand viendrez-vous chercher notre humble cœur qui sombre ?
Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel,
Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l’ombre,
Sous l’éblouissement du regard éternel ?
L’enfant chantait ; la mère au lit, exténuée,
Agonisait, beau front dans l’ombre se penchant ;
La mort au-dessus d’elle errait dans la nuée ;
Et j’écoutais ce râle, et j’entendais ce chant.
L’enfant avait cinq ans, et, près de la fenêtre
Ses rires et ses jeux faisaient un charmant bruit ;
Et la mère, à côté de ce pauvre doux être
Qui chantait tout le jour, toussait toute la nuit.
La mère alla dormir sous les dalles du cloître ;
Et le petit enfant se remit à chanter… —
La douleur est un fruit : Dieu ne le fait pas croître
Sur la branche trop faible encor pour le porter.
Les contemplations – Livre quatrième : Pauca meae ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 396.
15 février 1843 – L’enregistrement
Je vous invite à écouter 15 février 1843, un court poème des Contemplations, Pauca meae, de Victor Hugo.
Il est précédé de I. Pure innocence !… et suivi de III. Trois ans après.
15 février 1843
15 février 1843 – Le texte
II
15 février 1843
Aime celui qui t’aime, et sois heureuse en lui.
— Adieu ! — Sois son trésor, ô toi qui fus le nôtre !
Va, mon enfant béni, d’une famille à l’autre.
Emporte le bonheur et laisse-nous l’ennui !
Ici, l’on te retient ; là-bas, on te désire.
Fille, épouse, ange, enfant, fais ton double devoir.
Donne-nous un regret, donne-leur un espoir,
Sors avec une larme ! entre avec un sourire !
Dans l’église, 15 février 1843.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/02/15-fevrier-1843-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-02-11 18:18:452018-06-14 10:22:13II. 15 février 1843