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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le visage masqué d'une femme au buste nue, masquée, et aux cheveux flamboyants.

VIII. Sommation irrespectueuse

Sommation irrespectueuse – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 946.

Sommation irrespectueuse – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Sommation irrespectueuse, poème du Livre premier : Jeunesse, VI. L’Éternel Petit Roman, du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo.
Il est précédé du poème VII. À la belle impérieuse et suivi du poème IX. Fête de village en plein air.

Sommation irrespectueuse


Sommation irrespectueuse – Le texte

VIII
Sommation irrespectueuse


Rire étant si jolie,
C’est mal. Ô trahison
D’inspirer la folie,
En gardant la raison !

Rire étant si charmante !
C’est coupable, à côté
Des rêves, qu’on augmente
Par son trop de beauté.

Une chose peut-être
Qui va vous étonner,
C’est qu’à votre fenêtre
Le vent vient frissonner,

Qu’avril commence à luire,
Que la mer s’aplanit,
Et que cela veut dire :
Fauvette, fais ton nid.

Belle aux chansons naïves,
J’admets peu qu’on ait droit
Aux prunelles très vives,
Ayant le cœur très froid.

Quand on est si bien faite,
On devrait se cacher.
Un amant qu’on rejette,
À quoi bon l’ébaucher ?

On se lasse, ô coquette,
D’être toujours tremblant,
Vous êtes la raquette,
Et je suis le volant.

Le coq battant de l’aile,
Maître en son pachalick,
Nous prévient qu’une belle
Est un danger public.

Il a raison. J’estime
Qu’en leur gloire isolés,
Deux beaux yeux sont un crime.
Allumez, mais brûlez.

Pourquoi ce vain manège ?
L’eau qu’échauffe le jour,
La fleur perçant la neige,
Le loup hurlant d’amour,

L’astre que nos yeux guettent,
Sont l’eau, la fleur, le loup,
Et l’étoile, et n’y mettent
Pas de façons du tout.

Aimer est si facile
Que, sans cœur, tout est dit,
L’homme est un imbécile,
La femme est un bandit.

L’œillade est une dette.
L’insolvabilité,
Volontaire, complète
Ce monstre, la beauté.

Craindre ceux qu’on captive !
Nous fuir et nous lier !
Être la sensitive
Et le mancenillier !

C’est trop. Aimez, madame.
Quoi donc ! quoi ! mon souhait
Où j’ai tout mis, mon âme
Et mes rêves, me hait !

L’amour nous vise. Certe,
Notre effroi peut crier,
Mais rien ne déconcerte
Cet arbalétrier.

Sachez donc, ô rebelle,
Que souvent, trop vainqueur,
Le regard d’une belle
Ricoche sur son cœur.

Vous pouvez être sûre
Qu’un jour vous vous ferez
Vous-même une blessure
Que vous adorerez.

Vous comprendrez l’extase
Voisine du péché,
Et que l’âme est un vase
Toujours un peu penché.

Vous saurez, attendrie,
Le charme de l’instant
Terrible, où l’on s’écrie :
Ah ! vous m’en direz tant !

Vous saurez, vous qu’on gâte,
Le destin tel qu’il est,
Les pleurs, l’ombre, et la hâte
De cacher un billet.

Oui, — pourquoi tant remettre ? —
Vous sentirez, qui sait ?
La douceur d’une lettre
Que tiédit le corset.

Vous riez ! votre joie
À Tout préfère Rien.
En vain l’aube rougeoie,
En vain l’air change. Eh bien,

Je ris aussi ! Tout passe,
Ô muse, allons-nous-en.
J’aperçois l’humble grâce
D’un toit de paysan ;

L’arbre, libre volière,
Est plein d’heureuses voix ;
Dans les pousses du lierre
Le chevreau fait son choix ;

Et, jouant sous les treilles,
Un petit villageois
A pour pendants d’oreilles
Deux cerises des bois.

Ce détail d'un dessin abstrait de Victor Hugo représente une sorte d'amibe se déplaçant comme une "pensée indistincte qu'on a", où toute "rive s'efface".

I. Effets de réveil

Effets de réveil – Les références

Toute la lyreIII. [La Pensée] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 239.

Effets de réveil – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Effets de réveil, un poème de la troisième partie : [La Pensée], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est suivi du poème II. Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder….

Effets de réveil


Effets de réveil – Le texte

I
Effets de réveil


On ouvre les yeux ; rien ne remue ; on entend
Au chevet de son lit la montre palpitant ;
La fenêtre livide aux spectres est pareille ;
On est gisant ainsi qu’un mort. On se réveille,
Pourquoi ? parce qu’on s’est la veille réveillé
Au même instant. Ainsi qu’un rouage rouillé
Et vieilli, mais exact, l’âme a ses habitudes.
Oh ! la nuit, c’est la plus sombre des solitudes.
L’heure apparaît, entrant, sortant, comme un passeur
D’ombres, et notre esprit voit tout dans la noirceur ;
Des pas sans but, des deuils sans fin, des maux sans nombre.
Le rêve qu’on avait et qui tremblait dans l’ombre,
S’ajuste à la pensée indistincte qu’on a.
Tous les gouffres au bord desquels nous amena
Ce fantôme appelé le Hasard, reparaissent ;
Les mêmes visions redoutables s’y dressent ;
Ici le précipice, ici l’écroulement,
Ici la chute, ici ce qui fuit, ce qui ment,
Ce qui tue, et là-bas, dans l’âpre transparence,
Les vagues bras levés de la pâle espérance.
Comme on est triste ! on sent l’inexprimable effroi ;
On croit avoir le mur du tombeau devant soi ;
On médite, effaré par les choses possibles ;
Toute rive s’efface. On voit les invisibles,
Les absents, les manquants, cette morte, ce mort,
On leur tend les mains. Ombre et songe ! On se rendort… —

Homme, debout ! voici le jour, l’aube ravie,
L’azur ; et qu’est-ce donc qui rentre ? C’est la vie,
C’est le cri du travail, c’est le chant des oiseaux,
C’est le rayonnement des champs, des airs, des eaux ;
La nuit traîne un linceul, l’aurore agite un lange ;
Tout ce qu’on vient de voir spectre, on le revoit ange ;
Du père qu’on vit mort on voit l’enfant vivant ;
Le monde reparaît, clair comme auparavant ;
On ne reconnaît plus son âme ; elle était noire,
Elle est blanche ; elle espère et se remet à croire,
À sourire, à vouloir ; on a devant les yeux
Un éblouissement doré, chantant, joyeux,
On ne sait quel fouillis charmant de lueurs roses ;
Et tout l’homme est changé parce qu’on voit les choses,
Les hommes, Dieu, les cœurs, les amours, le destin,
À travers le vitrail splendide du matin.

HH 14 septembre 1872.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente deux tours d'un château dans lequel habite le duc d'Athène, Cordon bleu. Le ciel bleu se reflète dans l'une de ces tours.

XIII. L’amour vient en lisant

L’amour vient en lisant – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 394.

L’amour vient en lisant – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’amour vient en lisant, poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de XII. J’étais le songeur qui pense… et suivi par XIV. Elle vit que j’étais en train de lire Homère, non encore enregistré sur ce site.

L’amour vient en lisant


L’amour vient en lisant – Le texte

XIII
L’amour vient en lisant


Madeleine
Et moi, lisions près du feu
Cette histoire : « En Aquitaine,
« Un page aimait une reine…
« Le père était duc d’Athène,
« Cordon bleu. — »

— Sois ma femme ! —
Lui disais-je. Oh ! charmant jeu !
Amour ! dans mon cœur, madame,
Votre œil voyait une flamme ;
Moi, je voyais dans votre âme
Le ciel bleu.

Doux mystère !
Mots furtifs ! timide aveu !
Le livre aidant, j’osai plaire.
Mais le bonhomme de père
S’écria plein de colère :
Ventrebleu !

Ce tapage
Effraya la belle un peu.
Mais nous tournâmes la page ;
Malgré son mince équipage,
La reine épousa le page ;
Conte bleu.

L’hirondelle
Nous dit bonjour, puis adieu.
Hélas ! l’amour vient comme elle,
Et comme elle, à tire d’aile,
Il s’enfuit, l’amour fidèle,
Oiseau bleu.

22 novembre 1853.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le dos nu, de la tête aux fesses, d'une femme qui s'offre, pas vraiment "chaste comme l'orient".

XII. J’étais le songeur qui pense…

J’étais le songeur qui pense… – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 393.

J’étais le songeur qui pense… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter J’étais le songeur qui pense…, poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de XI Oh ! la femme et l’amour ! inventions maudites ! et suivi par XII. L’amour vient en lisant.

J’étais le songeur qui pense…


J’étais le songeur qui pense… – Le texte

XII

J’étais le songeur qui pense,
Elle était l’oiseau qui fuit ;
Je l’adorais en silence,
Elle m’aimait à grand bruit.

Quand dans quelque haute sphère
Je croyais planer, vainqueur,
Je l’entendais en bas faire
Du vacarme dans mon cœur.

Mais je reprenais mon songe
Et je l’adorais toujours,
Crédule au divin mensonge
Des roses et des amours.

Les profondeurs constellées,
L’aube, la lune qui naît,
Amour, me semblaient mêlées
Aux rubans de son bonnet.

Dieu pour moi, sont-ce des fables ?
Avait mis dans sa beauté
Tous les frissons ineffables
De l’abîme volupté.

Je rêvais un ciel étrange
Pour notre éternel hymen.
— Qu’êtes-vous ? criais-je ; un ange ?
Moi! disait-elle, un gamin.

Je sentais, âme saisie
Dans les cieux par un pinson,
S’effeuiller ma poésie
Que becquetait sa chanson.

Elle me disait: — Écoute,
C’est mal, tu me dis vous ! fi ! —
Et la main se donnait toute
Quand le gant m’aurait suffi.

Me casser pour elle un membre,
C’était mon désir parfois.
Un jour je vins dans sa chambre,
Nous devions aller au bois,

Je comptais la voir bien mise,
Chaste comme l’orient ;
Elle m’ouvrit en chemise,
Moi tout rouge, elle riant.

Je ne savais que lui dire,
Et je fus contraint d’oser ;
Je ne voulais qu’un sourire,
Il fallut prendre un baiser.

Et ma passion discrète
S’évanouit sans retour ;
C’est ainsi que l’amourette
Mit à la porte l’amour.

12 avril 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les yeux, le nez et la bouche boudeuse d'un profil renversé de femme, dont on a supprimé l’œil.

XI. Oh ! la femme et l’amour ! inventions maudites !

Oh ! la femme et l’amour ! inventions maudites ! – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 392.

Oh ! la femme et l’amour ! inventions maudites ! – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Oh ! la femme et l’amour ! inventions maudites !, poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de X. Hermina et suivi par XII. J’étais le songeur qui pense….

Oh ! la femme et l’amour ! inventions maudites !


Oh ! la femme et l’amour ! inventions maudites ! – Le texte

XI


Oh ! la femme et l’amour ! inventions maudites !
Il n’est de gens heureux que les hermaphrodites !
Que nous dit-on que Dieu doit nous punir un jour ?
Le diable, c’est la femme, et l’enfer, c’est l’amour !
O rage ! être jaloux ! surveiller une belle,
L’épier, et toujours laisser pendre sur elle
L’heure où l’on ne vient pas, mais où l’on peut venir !
Se rider par le front, par le cœur rajeunir !
Compter ses cheveux gris ! faire mille sots rôles !
Voir reluire autour d’elle un tas de jeunes drôles !
N’oser rien accorder, n’oser rien refuser !
Être heureux pour un signe et fou pour un baiser !
Porter les éventails durant les promenades !
La suivre en se cachant entre les colonnades !
Oh! que l’homme amoureux est un triste animal !
Puis la rupture, hélas ! qui se ressoude mal,
Le raccommodement, la querelle, la brouille,
Sur l’amour qui vieillit épaississent leur rouille !
Ou, si l’on aime encor, le soir, pour son péché,
Mordu de jalousie, errant, effarouché,
On va grincer des dents parmi les sérénades ;
Ou bien on la conduit, parée, aux pasquinades
Pour la faire manger par les regards d’autrui !
Puis les petites voix : – Vous êtes aujourd’hui
Bien maussade ! — (On enrage!) — Oh non ! ma souveraine !
— Conduisez-moi ce soir au jardin de la reine !
Et puis un doux sourire, et puis la trahison !
Je n’en veux plus ! adieu l’amour ! j’ai ma raison !
C’est vil ! c’est dégradant ! c’est affreux ! c’est infâme !
Je ne veux de ma vie approcher d’une femme !

Que diriez-vous si Pierre en ces mots vous parlait :
— C’est un malheur de voir, car le monde est fort laid.
Les lunettes parfois grossissent fort les choses.
Les yeux craignent le froid, le chaud, les amauroses,
Les fraîcheurs, les amours trop vifs ou trop rassis,
Sans compter l’ophtalmie et la trichiasis.
Si quelqu’un, dans un duel pour des filles qu’on lorgne,
Vous crève un œil, cela suffit pour qu’on soit borgne.
L’oignon vous fait pleurer, et quand il fait du vent,
La poussière dans l’œil vous entre fort souvent ;
Pour peu qu’on boive un coup, on s’expose à voir double.
Un trop grand jour vous blesse, un trop faible vous trouble ;
Voir clair est un péril étrange et sérieux.
Fort bien : je vais me faire arracher les deux yeux !

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le profil un peu rigide d'une jeune femme indifférente, assise bras croisés.

X. Hermina

Hermina – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 391.

Hermina – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Hermina, poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. Chanson et suivi par XI. Oh ! la femme et l’amour ! inventions maudites !, non encore enregistré sur ce site.

Hermina


Hermina – Le texte

X
Hermina


J’atteignais l’âge austère où l’on est fort en thème,
Où l’on cherche, enivré d’on ne sait quel parfum,
Afin de pouvoir dire éperdument : Je t’aime !
Quelqu’un.

J’entrais dans ma treizième année. Ô feuilles vertes !
Jardins ! croissance obscure et douce du printemps !
Et j’aimais Hermina, dans l’ombre. Elle avait, certes,
Huit ans.

Parfois, bien qu’elle fût à jouer occupée,
J’allais, muet, m’asseoir près d’elle, avec ferveur ;
Et je la regardais regarder sa poupée,
Rêveur.

Il est une heure étrange où l’on sent l’âme naître.
Un jour, j’eus comme un chant d’aurore au fond du cœur.
Soit, pensai-je ! Avançons, parlons, c’est l’instant d’être
Vainqueur.

Je pris un air profond, et je lui dis: — Minette,
Unissons nos destins. Je demande ta main. —
Elle me répondit par cette pichenette:
— Gamin !

22 juin 1878.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un feu (l'ardente jalousie, âcre et fatal poison ?) au loin dans la forêt.

V. Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves…

Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves… – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 387.

Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves…, poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de V. Ce qu’en vous voyant si belle… et suivi par le poème VI. Sais-tu ce que Dieu dit à l’enfant qui va naître ?.

Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves…


Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves… – Le texte

V


Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves,
Seigneur. J’ai bien souffert. Je suis pareil aux veuves
Qui travaillent la nuit et songent tristement ;
Je n’ai point fait le mal, et j’ai le châtiment ;
Mon œuvre est difficile et ma vie est amère.
Les choses que je fais sont comme une chimère.

Après le dur travail et la dure saison,
J’ai vu mes ennemis marcher sur ma moisson.
Le mensonge et la haine et l’injure avec joie
Ont mâché dans leurs dents mon nom comme une proie.
J’ai tout rêvé. Le doute a lassé ma raison.
L’ardente jalousie, âcre et fatal poison,
A dans mon cœur profond, qui brûle et se déchire,
Tué la confiance et le joyeux sourire.
J’ai vu, pâle et des yeux cherchant votre horizon,
Des cercueils adorés sortir de ma maison.
J’ai pleuré comme fils, j’ai pleuré comme père,
Et je tremble souvent par où tout autre espère.

Mais je ne me plains pas, et je tombe à genoux,
Et je vous remercie, ô maître amer et doux,
Car vous avez, Dieu bon, Dieu des âmes sincères,
Mis toutes les douleurs et toutes les misères
Sur moi, sur mon cœur sombre en vos mains comprimé,
Excepté celle-là, d’aimer sans être aimé !

23 juin 1843.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente deux tours qui pointent vers le ciel au-dessus des toits.

II. Oh ! si vous existez, mon ange, mon génie…

Oh ! si vous existez, mon ange, mon génie… – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 386.

Oh ! si vous existez, mon ange, mon génie… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Oh ! si vous existez, mon ange, mon génie…, un poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de I. Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure… et suivi par le poème III. Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs….

Oh ! si vous existez, mon ange, mon génie…


Oh ! si vous existez, mon ange, mon génie… – Le texte

II


Oh! si vous existez, mon ange, mon génie,
Qui m’emplissez le cœur d’amour et d’harmonie,
Esprit qui m’inspirez, sylphe pur qu’en rêvant
J’écoute me parler à l’oreille souvent !
Avec vos ailes d’or volez à la nuit close
Dans l’alcôve qu’embaume une senteur de rose
Vers cet être charmant que je sers à genoux
Et qui, puisqu’il est femme, est plus ange que vous !
Dites-lui, bon génie, avec votre voix douce,
A cet être si cher qui parfois me repousse,
Que, tandis que la foule a le regard sur lui,
Que son sourire émeut le théâtre ébloui,
Que tous les cœurs charmés ne sont, tant on l’admire,
Qu’un orchestre confus qui sous ses pieds soupire,
Tandis que par moments le peuple transporté
Se lève tout debout et rit à sa beauté,
Il est ailleurs une âme, éperdue, enivrée,
Qui, pour mieux recueillir son image adorée,
Se cache dans la nuit comme dans un linceul,
Et qu’admiré de tous, il est aimé d’un seul !

Février 1833.

Remarques

Ce poème est adressé à Juliette Drouet. Victor Hugo lui a déclaré son amour le 16 février 1833.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un horizon au-dessus duquel apparaît la lune (ou le soleil ?). Au premier plan, dans un bassin, on aperçoit un homme, exilé et contemplant cet horizon.

I. L’exilé satisfait

L’exilé satisfait – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 717.

L’exilé satisfait – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’exilé satisfait, poème qui ouvre la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est suivi de II. Qu’est-ce que cette terre ? Un tempête d’âme….

L’exilé satisfait


L’exilé satisfait – Le texte

I
L’exilé satisfait


Solitude ! silence ! oh ! le désert me tente.
L’âme s’apaise là, sévèrement contente ;
Là d’on ne sait quelle ombre on se sent l’éclaireur.
Je vais dans les forêts chercher la vague horreur ;
La sauvage épaisseur des branches me procure
Une sorte de joie et d’épouvante obscure ;
Et j’y trouve un oubli presque égal au tombeau.
Mais je ne m’éteins pas ; on peut rester flambeau
Dans l’ombre, et, sous le ciel, sous la crypte sacrée,
Seul, frissonner au vent profond de l’empyrée.
Rien n’est diminué dans l’homme pour avoir
Jeté la sonde au fond ténébreux du devoir.
Qui voit de haut, voit bien ; qui voit de loin, voit juste.
La conscience sait qu’une croissance auguste
Est possible pour elle, et va sur les hauts lieux
Rayonner et grandir, loin du monde oublieux.
Donc je vais au désert, mais sans quitter le monde.

Parce qu’un songeur vient, dans la forêt profonde
Ou sur l’escarpement des falaises, s’asseoir
Tranquille et méditant l’immensité du soir,
Il ne s’isole point de la terre où nous sommes.
Ne sentez-vous donc pas qu’ayant vu beaucoup d’hommes
On a besoin de fuir sous les arbres épais,
Et que toutes les soifs de vérité, de paix,
D’équité, de raison et de lumière, augmentent
Au fond d’une âme, après tant de choses qui mentent ?

Mes frères ont toujours tout mon cœur, et, lointain
Mais présent, je regarde et juge le destin ;
Je tiens, pour compléter l’âme humaine ébauchée,
L’urne de la pitié sur les peuples penchée,
Je la vide sans cesse et je l’emplis toujours.
Mais je prends pour abri l’ombre des grands bois sourds.

Oh ! j’ai vu de si près les foules misérables,
Les cris, les chocs, l’affront aux têtes vénérables,
Tant de lâches grandis par les troubles civils,
Des juges qu’on eût dû juger, des prêtres vils
Servant et souillant Dieu, prêchant pour, prouvant contre,
J’ai tant vu la laideur que notre beauté montre,
Dans notre bien le mal, dans notre vrai le faux,
Et le néant passant sous nos arcs triomphaux,
J’ai tant vu ce qui mord, ce qui fuit, ce qui ploie
Que, vieux, faible et vaincu, j’ai désormais pour joie
De rêver immobile en quelque sombre lieu ;
Là, saignant, je médite ; et, lors même qu’un dieu
M’offrirait pour rentrer dans les villes la gloire,
La jeunesse, l’amour, la force, la victoire,
Je trouve bon d’avoir un trou dans les forêts,
Car je ne sais pas trop si je consentirais.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un "bois plein de rêverie", avec de hautes herbes, un tronc qui s'élance vers le ciel et des fleurs des champs.

XXI. L’oubli

L’oubli – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 964.

L’oubli – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’oubli, poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo, qui clôt la partie VI. L’Éternel Petit Roman du Livre premier : Jeunesse.
Il est précédé de XX. Lettre.

L’oubli


L’oubli – Le texte

XXI
L’oubli


Autrefois inséparables,
Et maintenant séparés.
Gaie, elle court dans les prés,
La belle aux chants adorables ;

La belle aux chants adorés,
Elle court dans la prairie ;
Les bois pleins de rêverie
De ses yeux sont éclairés.

Apparition exquise !
Elle marche en soupirant,
Avec cet air conquérant
Qu’on a quand on est conquise.

La Toilette, cet esprit,
Cette déesse grisette,
Qu’adore en chantant Lisette,
À qui Minerve sourit,

Pour la faire encor plus belle
Que ne l’avait faite Dieu,
Pour que le vague oiseau bleu
Sur son front batte de l’aile,

A sur cet ange câlin
Épuisé toute sa flore,
Les lys, les roses, l’aurore,
Et la maison Gagelin.

Soubrette divine et leste,
La Toilette au doigt tremblant
A mis un frais chapeau blanc
Sur ce flamboiement céleste.

Regardez-la maintenant.
Que cette belle est superbe !
Le cœur humain comme l’herbe
Autour d’elle est frissonnant.

Oh ! la fière conquérante !
Le grand œil mystérieux !
Prévost craint pour Desgrieux,
Molière a peur pour Dorante.

Elle a l’air, dans la clarté
Dont elle est toute trempée,
D’une étincelle échappée
À l’idéale beauté.

Ô grâce surnaturelle !
Il suffit, pour qu’on soit fou,
Qu’elle ait un ruban au cou,
Qu’elle ait un chiffon sur elle.

Ce chiffon charmant soudain
Aux rayons du jour ressemble,
Et ce ruban sacré semble
Avoir fleuri dans l’Éden.

Elle serait bien fâchée
Qu’on ne vît pas dans ses yeux
Que de la coupe des cieux
Sa lèvre s’est approchée,

Qu’elle veut vaincre et charmer,
Et que c’est là sa manière,
Et qu’elle est la prisonnière
Du doux caprice d’aimer.

Elle sourit, et, joyeuse,
Parle à son nouvel amant
Avec le chuchotement
D’une abeille dans l’yeuse.

— Prends mon âme et mes vingt ans.
Je n’aime que toi ! dit-elle. —
Ô fille d’Ève éternelle,
Ô femme aux cheveux flottants,

Ton roman sans fin s’allonge ;
Pendant qu’aux plaisirs tu cours,
Et que, te croyant toujours
Au commencement du songe,

Tu dis en baissant la voix :
— Pour la première fois, j’aime ! —
L’amour, ce moqueur suprême,
Rit, et compte sur ses doigts.

Et, sans troubler l’aventure
De la belle aux cheveux d’or,
Sur ce cœur, si neuf encor,
L’amour fait une rature.

Et l’ancien amant ? Pâli,
Brisé, sans doute à cette heure,
Il se désespère et pleure…
Écoutez ce hallali.

Passez les monts et les plaines ;
La curée est dans les bois ;
Les chiens mêlent leurs abois,
Les fleurs mêlent leurs haleines ;

Le voyez-vous ? Le voilà.
Il est le centre. Il flamboie.
Il luit. Jamais plus de joie
Dans plus d’orgueil ne brilla.

Il brille au milieu des femmes,
Tous les yeux lui disant oui,
Comme un astre épanoui
Dans un triomphe de flammes.

Il cherche en face de lui
Un sourire peu sévère,
Il chante, il lève son verre,
Éblouissant, ébloui.

Tandis que ces gaîtés franches
Tourbillonnent à sa voix,
Elle, celle d’autrefois,
Là-bas, bien loin, sous les branches,

Dans les taillis hasardeux,
Aime, adore, se recueille,
Et, près de l’autre, elle effeuille
Une marguerite à deux.

Fatal cœur, comme tu changes !
Lui sans elle, elle sans lui !
Et sur leurs fronts sans ennui
Ils ont la clarté des anges.

Le séraphin à l’œil pur
Les verrait avec envie,
Tant à leur âme ravie
Se mêle un profond azur !

Sur ces deux bouches il semble
Que le ciel met son frisson ;
Sur l’une erre la chanson.
Sur l’autre le baiser tremble.

Ces êtres s’aimaient jadis ;
Mais qui viendrait le leur dire
Ferait éclater de rire
Ces bouches du paradis.

Les baisers de l’autre année,
Où sont-ils ? Quoi ! nul remord !
Non ! tout cet avril est mort,
Toute cette aube est fanée.

Bah ! le baiser, le serment,
Rien de tout cela n’existe.
Le myosotis, tout triste,
Y perdrait son allemand.

Elle ! à travers ses longs voiles,
Que son regard est charmant !
Lui ! comme il jette gaîment
Sa chanson dans les étoiles !

Qu’elle est belle ! Qu’il est beau !
Le morne oubli prend dans l’ombre,
Par degrés, l’épaisseur sombre
De la pierre du tombeau.

Remarque

Gagelin était une maison de soieries et de cachemire.