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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le visage masqué d'une femme au buste nue, masquée, et aux cheveux flamboyants.

VIII. Sommation irrespectueuse

Sommation irrespectueuse – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 946.

Sommation irrespectueuse – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Sommation irrespectueuse, poème du Livre premier : Jeunesse, VI. L’Éternel Petit Roman, du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo.
Il est précédé du poème VII. À la belle impérieuse et suivi du poème IX. Fête de village en plein air.

Sommation irrespectueuse


Sommation irrespectueuse – Le texte

VIII
Sommation irrespectueuse


Rire étant si jolie,
C’est mal. Ô trahison
D’inspirer la folie,
En gardant la raison !

Rire étant si charmante !
C’est coupable, à côté
Des rêves, qu’on augmente
Par son trop de beauté.

Une chose peut-être
Qui va vous étonner,
C’est qu’à votre fenêtre
Le vent vient frissonner,

Qu’avril commence à luire,
Que la mer s’aplanit,
Et que cela veut dire :
Fauvette, fais ton nid.

Belle aux chansons naïves,
J’admets peu qu’on ait droit
Aux prunelles très vives,
Ayant le cœur très froid.

Quand on est si bien faite,
On devrait se cacher.
Un amant qu’on rejette,
À quoi bon l’ébaucher ?

On se lasse, ô coquette,
D’être toujours tremblant,
Vous êtes la raquette,
Et je suis le volant.

Le coq battant de l’aile,
Maître en son pachalick,
Nous prévient qu’une belle
Est un danger public.

Il a raison. J’estime
Qu’en leur gloire isolés,
Deux beaux yeux sont un crime.
Allumez, mais brûlez.

Pourquoi ce vain manège ?
L’eau qu’échauffe le jour,
La fleur perçant la neige,
Le loup hurlant d’amour,

L’astre que nos yeux guettent,
Sont l’eau, la fleur, le loup,
Et l’étoile, et n’y mettent
Pas de façons du tout.

Aimer est si facile
Que, sans cœur, tout est dit,
L’homme est un imbécile,
La femme est un bandit.

L’œillade est une dette.
L’insolvabilité,
Volontaire, complète
Ce monstre, la beauté.

Craindre ceux qu’on captive !
Nous fuir et nous lier !
Être la sensitive
Et le mancenillier !

C’est trop. Aimez, madame.
Quoi donc ! quoi ! mon souhait
Où j’ai tout mis, mon âme
Et mes rêves, me hait !

L’amour nous vise. Certe,
Notre effroi peut crier,
Mais rien ne déconcerte
Cet arbalétrier.

Sachez donc, ô rebelle,
Que souvent, trop vainqueur,
Le regard d’une belle
Ricoche sur son cœur.

Vous pouvez être sûre
Qu’un jour vous vous ferez
Vous-même une blessure
Que vous adorerez.

Vous comprendrez l’extase
Voisine du péché,
Et que l’âme est un vase
Toujours un peu penché.

Vous saurez, attendrie,
Le charme de l’instant
Terrible, où l’on s’écrie :
Ah ! vous m’en direz tant !

Vous saurez, vous qu’on gâte,
Le destin tel qu’il est,
Les pleurs, l’ombre, et la hâte
De cacher un billet.

Oui, — pourquoi tant remettre ? —
Vous sentirez, qui sait ?
La douceur d’une lettre
Que tiédit le corset.

Vous riez ! votre joie
À Tout préfère Rien.
En vain l’aube rougeoie,
En vain l’air change. Eh bien,

Je ris aussi ! Tout passe,
Ô muse, allons-nous-en.
J’aperçois l’humble grâce
D’un toit de paysan ;

L’arbre, libre volière,
Est plein d’heureuses voix ;
Dans les pousses du lierre
Le chevreau fait son choix ;

Et, jouant sous les treilles,
Un petit villageois
A pour pendants d’oreilles
Deux cerises des bois.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une femme qui éveille des pensée d'"amour, d'extase et d'ivresse" chez le poète.

IV. Ce qu’en vous voyant si belle…

Ce qu’en vous voyant si belle… – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 387.

Ce qu’en vous voyant si belle… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ce qu’en vous voyant si belle…, un poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de III. Vois-tu, mon ange, il faut accepter nos douleurs… et suivi par le poème V. Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves….

Ce qu’en vous voyant si belle…


Ce qu’en vous voyant si belle… – Le texte

IV


Ce qu’en vous voyant si belle
Je sens d’extase et d’orgueil,
Respectueux et fidèle,
Je le dis à votre seuil.

Ce qu’en ma pensée éveille
Votre œil si fier et si doux,
Votre bouche si vermeille,
Je le dis à vos genoux.

Ce que tu mets dans mon âme,
Où toujours tu régneras,
D’amour, d’ivresse et de flamme,
Je veux le dire en tes bras.

Décembre 1844.

Remarques

Ce poème est dédié à Léonie Biard, autre grand amour de Victor Hugo.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un "bois plein de rêverie", avec de hautes herbes, un tronc qui s'élance vers le ciel et des fleurs des champs.

XXI. L’oubli

L’oubli – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 964.

L’oubli – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’oubli, poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo, qui clôt la partie VI. L’Éternel Petit Roman du Livre premier : Jeunesse.
Il est précédé de XX. Lettre.

L’oubli


L’oubli – Le texte

XXI
L’oubli


Autrefois inséparables,
Et maintenant séparés.
Gaie, elle court dans les prés,
La belle aux chants adorables ;

La belle aux chants adorés,
Elle court dans la prairie ;
Les bois pleins de rêverie
De ses yeux sont éclairés.

Apparition exquise !
Elle marche en soupirant,
Avec cet air conquérant
Qu’on a quand on est conquise.

La Toilette, cet esprit,
Cette déesse grisette,
Qu’adore en chantant Lisette,
À qui Minerve sourit,

Pour la faire encor plus belle
Que ne l’avait faite Dieu,
Pour que le vague oiseau bleu
Sur son front batte de l’aile,

A sur cet ange câlin
Épuisé toute sa flore,
Les lys, les roses, l’aurore,
Et la maison Gagelin.

Soubrette divine et leste,
La Toilette au doigt tremblant
A mis un frais chapeau blanc
Sur ce flamboiement céleste.

Regardez-la maintenant.
Que cette belle est superbe !
Le cœur humain comme l’herbe
Autour d’elle est frissonnant.

Oh ! la fière conquérante !
Le grand œil mystérieux !
Prévost craint pour Desgrieux,
Molière a peur pour Dorante.

Elle a l’air, dans la clarté
Dont elle est toute trempée,
D’une étincelle échappée
À l’idéale beauté.

Ô grâce surnaturelle !
Il suffit, pour qu’on soit fou,
Qu’elle ait un ruban au cou,
Qu’elle ait un chiffon sur elle.

Ce chiffon charmant soudain
Aux rayons du jour ressemble,
Et ce ruban sacré semble
Avoir fleuri dans l’Éden.

Elle serait bien fâchée
Qu’on ne vît pas dans ses yeux
Que de la coupe des cieux
Sa lèvre s’est approchée,

Qu’elle veut vaincre et charmer,
Et que c’est là sa manière,
Et qu’elle est la prisonnière
Du doux caprice d’aimer.

Elle sourit, et, joyeuse,
Parle à son nouvel amant
Avec le chuchotement
D’une abeille dans l’yeuse.

— Prends mon âme et mes vingt ans.
Je n’aime que toi ! dit-elle. —
Ô fille d’Ève éternelle,
Ô femme aux cheveux flottants,

Ton roman sans fin s’allonge ;
Pendant qu’aux plaisirs tu cours,
Et que, te croyant toujours
Au commencement du songe,

Tu dis en baissant la voix :
— Pour la première fois, j’aime ! —
L’amour, ce moqueur suprême,
Rit, et compte sur ses doigts.

Et, sans troubler l’aventure
De la belle aux cheveux d’or,
Sur ce cœur, si neuf encor,
L’amour fait une rature.

Et l’ancien amant ? Pâli,
Brisé, sans doute à cette heure,
Il se désespère et pleure…
Écoutez ce hallali.

Passez les monts et les plaines ;
La curée est dans les bois ;
Les chiens mêlent leurs abois,
Les fleurs mêlent leurs haleines ;

Le voyez-vous ? Le voilà.
Il est le centre. Il flamboie.
Il luit. Jamais plus de joie
Dans plus d’orgueil ne brilla.

Il brille au milieu des femmes,
Tous les yeux lui disant oui,
Comme un astre épanoui
Dans un triomphe de flammes.

Il cherche en face de lui
Un sourire peu sévère,
Il chante, il lève son verre,
Éblouissant, ébloui.

Tandis que ces gaîtés franches
Tourbillonnent à sa voix,
Elle, celle d’autrefois,
Là-bas, bien loin, sous les branches,

Dans les taillis hasardeux,
Aime, adore, se recueille,
Et, près de l’autre, elle effeuille
Une marguerite à deux.

Fatal cœur, comme tu changes !
Lui sans elle, elle sans lui !
Et sur leurs fronts sans ennui
Ils ont la clarté des anges.

Le séraphin à l’œil pur
Les verrait avec envie,
Tant à leur âme ravie
Se mêle un profond azur !

Sur ces deux bouches il semble
Que le ciel met son frisson ;
Sur l’une erre la chanson.
Sur l’autre le baiser tremble.

Ces êtres s’aimaient jadis ;
Mais qui viendrait le leur dire
Ferait éclater de rire
Ces bouches du paradis.

Les baisers de l’autre année,
Où sont-ils ? Quoi ! nul remord !
Non ! tout cet avril est mort,
Toute cette aube est fanée.

Bah ! le baiser, le serment,
Rien de tout cela n’existe.
Le myosotis, tout triste,
Y perdrait son allemand.

Elle ! à travers ses longs voiles,
Que son regard est charmant !
Lui ! comme il jette gaîment
Sa chanson dans les étoiles !

Qu’elle est belle ! Qu’il est beau !
Le morne oubli prend dans l’ombre,
Par degrés, l’épaisseur sombre
De la pierre du tombeau.

Remarque

Gagelin était une maison de soieries et de cachemire.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un sous-bois, d'où on aperçoit, "dans une nudité de songe", les tourelles d'un château.

XX. Lettre

Lettre – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 962.

Lettre – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Lettre, poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre premier : Jeunesse, VI. L’Éternel Petit Roman, de Victor Hugo.
Il est précédé de XIX. Réponse à l’esprit des bois, et suivi de XXI. L’Oubli.

Lettre


Lettre – Le texte

XX
Lettre


J’ai mal dormi. C’est votre faute.
J’ai rêvé que, sur des sommets,
Nous nous promenions côte à côte,
Et vous chantiez, et tu m’aimais.

Mes dix-neuf ans étaient la fête
Qu’en frissonnant je vous offrais ;
Vous étiez belle et j’étais bête
Au fond des bois sombres et frais.

Je m’abandonnais aux ivresses ;
Au-dessus de mon front vivant
Je voyais fuir les molles tresses
De l’aube, du rêve et du vent.

J’étais ébloui, beau, superbe ;
Je voyais des jardins de feu,
Des nids dans l’air, des fleurs dans l’herbe,
Et dans un immense éclair, Dieu.

Mon sang murmurait dans mes tempes
Une chanson que j’entendais ;
Les planètes étaient mes lampes ;
J’étais archange sous un dais.

Car la jeunesse est admirable,
La joie emplit nos sens hardis ;
Et la femme est le divin diable
Qui taquine ce paradis.

Elle tient un fruit qu’elle achève
Et qu’elle mord, ange et tyran :
Ce qu’on nomme la pomme d’Ève,
Tristes cieux ! c’est le cœur d’Adam.

J’ai toute la nuit eu la fièvre.
Je vous adorais en dormant ;
Le mot amour sur votre lèvre
Faisait un vague flamboiement.

Pareille à la vague où l’œil plonge,
Votre gorge m’apparaissait
Dans une nudité de songe,
Avec une étoile au corset.

Je voyais vos jupes de soie,
Votre beauté, votre blancheur ;
J’ai jusqu’à l’aube été la proie
De ce rêve mauvais coucheur.

Vous aviez cet air qui m’enchante,
Vous me quittiez, vous me preniez ;
Vous changiez d’amour, plus méchante
Que les tigres calomniés.

Nos âmes se sont dénouées,
Et moi, de souffrir j’étais las ;
Je me mourais dans des nuées
Où je t’entendais rire, hélas !

Je me réveille, et ma ressource
C’est de ne plus penser à vous,
Madame, et de fermer la source
Des songes sinistres et doux.

Maintenant, calmé, je regarde,
Pour oublier d’être jaloux,
Un tableau qui dans ma mansarde
Suspend Venise à quatre clous.

C’est un cadre ancien qu’illumine,
Sous de grands arbres, jadis verts,
Un soleil d’assez bonne mine
Quoique un peu mangé par les vers.

Le paysage est plein d’amantes,
Et du vieux sourire effacé
De toutes les femmes charmantes
Et cruelles du temps passé.

Sans les éteindre, les années
Ont couvert de molles pâleurs
Les robes vaguement trainées
Dans de la lumière et des fleurs.

Un bateau passe. Il porte un groupe
Où chante un prélat violet ;
L’ombre des branches se découpe
Sur le plafond du tendelet.

À terre, un pâtre, aimé des muses,
Qui n’a que la peau sur les os,
Regarde des choses confuses
Dans le profond ciel, plein d’oiseaux.

Remarque

Tendelet : Petite tente sur le pont arrière d’un bateau, ou partie en toile ou en cuir protégeant les places extérieures d’un coupé.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le sein d'une femme qui émerge d'une mante, ou d'un "foulard pour cachemire".

V. Interruption à une lecture de Platon

Interruption à une lecture de Platon – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseI. Floréal ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 852.

Interruption à une lecture de Platon – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Interruption à une lecture de Platon, un poème du Livre premier : Jeunesse, I. Floréal, du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo.
Il est précédé par IV. Le Poëte bat aux champs et suivi de VI. Quand les guignes furent mangées….

Interruption à une lecture de Platon


Interruption à une lecture de Platon – Le texte

V
Interruption à une lecture de Platon


Je lisais Platon. — J’ouvris
La porte de ma retraite,
Et j’aperçus Lycoris,
C’est-à-dire Turlurette.

Je n’avais pas dit encor
Un seul mot à cette belle.
Sous un vague plafond d’or
Mes rêves battaient de l’aile.

La belle, en jupon gris-clair,
Montait l’escalier sonore ;
Ses frais yeux bleus avaient l’air
De revenir de l’aurore.

Elle chantait un couplet
D’une chanson de la rue
Qui dans sa bouche semblait
Une lumière apparue.

Son front éclipsa Platon.
Ô front céleste et frivole !
Un ruban sous son menton
Rattachait son auréole.

Elle avait l’accent qui plaît,
Un foulard pour cachemire,
Dans sa main son pot au lait,
Des flammes dans son sourire.

Et je lui dis (le Phédon
Donne tant de hardiesse !) :
— Mademoiselle, pardon,
Ne seriez-vous pas déesse ?

Remarque

Le hasard a fait que le micro professionnel que j’utilise n’était pas branché lord d’un premier enregistrement. Je vous propose d’écouter la différence entre le bon enregistrement (ci-dessus) et celui réalisé avec le microphone inclus dans l’ordinateur :

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une tour bleue, ronde, lumineuse, associée à une tour sombre, sous un ciel flamboyant, en un "éclat de rire enfantin".

V. Ô Hyménée !

Ô Hyménée ! – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseII. Les Complications de l’idéal ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 866.

Ô Hyménée ! – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ô Hyménée !, poème du Livre premier : Jeunesse, II. Les Complications de l’idéal, du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo.
Il est précédé de IV. Paupertas, et suivi de VI. Hilaritas.

Ô Hyménée !


Ô Hyménée ! – Le texte

V
Ô Hyménée !


Pancrace entre au lit de Lucinde ;
Et l’heureux hymen est bâclé
Quand un maire a mis le coq d’Inde
Avec la fauvette sous clé.

Un docteur tout noir d’encre passe
Avec Cyllanire à son bras ;
Un bouc mène au bal une grâce ;
L’aurore épouse le fatras.

C’est la vieille histoire éternelle ;
Faune et Flore ; on pourrait, hélas,
Presque dire : — À quoi bon la belle ? —
Si la bête n’existait pas.

Dans un vase une clématite,
Qui tremble, et dont l’avril est court !
Je trouve la fleur bien petite,
Et je trouve le pot bien lourd.

Que Philistine est adorable,
Et que Philistin est hideux !
L’épaule blanche à l’affreux râble
S’appuie, en murmurant : Nous deux !

Le capricieux des ténèbres,
Cupidon, compose, ô destin !
De toutes ces choses funèbres
Son éclat de rire enfantin.

Fatal amour ! charmant, morose,
Taquin, il prend le mal au mot ;
D’autant plus sombre qu’il est rose,
D’autant plus dieu qu’il est marmot !

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le visage d'une jeune fille regardant vers le bas, les cheveux volant dans le vent.

IX. Jeune fille, la grâce emplit…

Jeune fille, la grâce emplit… – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 344.

Jeune fille, la grâce emplit… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Jeune fille, la grâce emplit…, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de VIII. Je lisais. Que lisais-je ?… et suivi de X. Amour.

Jeune fille, la grâce emplit…


Jeune fille, la grâce emplit… – Le texte

IX


Jeune fille, la grâce emplit tes dix-sept ans.
Ton regard dit : Matin, et ton front dit : Printemps.
Il semble que ta main porte un lys invisible.
Don Juan te voit passer et murmure : Impossible ! —
Sois belle. Sois bénie, enfant, dans ta beauté.
La nature s’égaie à toute ta clarté ;
Tu fais une lueur sous les arbres ; la guêpe
Touche ta joue en fleur de son aile de crêpe ;
La mouche à tes yeux vole ainsi qu’à des flambeaux.
Ton souffle est un encens qui monte au ciel. Lesbos
Et les marins d’Hydra, s’ils te voyaient sans voiles,
Te prendraient pour l’Aurore aux cheveux pleins d’étoiles.
Les êtres de l’azur froncent leur pur sourcil
Quand l’homme, spectre obscur du mal et de l’exil,
Ose approcher ton âme, aux rayons fiancée.
Sois belle. Tu te sens par l’ombre caressée,
Un ange vient baiser ton pied quand il est nu,
Et c’est ce qui te fait ton sourire ingénu.

Février 1843.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un voile d'écume d'argent sur le "sombre océan".

X. À Madame D. G. de G.

À Madame D. G. de G. – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 272.

À Madame D. G. de G. – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Madame D. G. de G., un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. Le poëme éploré se lamente… et suivi de XI. Lise.

À Madame D. G. de G.


À Madame D. G. de G. – Le texte

X
À Madame D. G. de G.


Jadis je vous disais : — Vivez, régnez, Madame !
Le salon vous attend ! le succès vous réclame !
Le bal éblouissant pâlit quand vous partez !
Soyez illustre et belle ! aimez ! riez ! chantez !
Vous avez la splendeur des astres et des roses !
Votre regard charmant, où je lis tant de choses,
Commente vos discours légers et gracieux ;
Ce que dit votre bouche étincelle en vos yeux.
Il semble, quand parfois un chagrin vous alarme,
Qu’ils versent une perle et non pas une larme.
Même quand vous rêvez, vous souriez encor.
Vivez, fêtée et fière, ô belle aux cheveux d’or !
Maintenant vous voilà pâle, grave, muette,
Morte, et transfigurée, et je vous dis : — Poëte !
Viens me chercher ! Archange ! être mystérieux !
Fais pour moi transparents et la terre et les cieux !
Révèle-moi, d’un mot de ta bouche profonde,
La grande énigme humaine et le secret du monde !
Confirme en mon esprit Descarte ou Spinosa !
Car tu sais le vrai nom de celui qui perça,
Pour que nous puissions voir sa lumière sans voiles,
Ces trous du noir plafond qu’on nomme les étoiles !
Car je te sens flotter sous mes rameaux penchants ;
Car ta lyre invisible a de sublimes chants !
Car mon sombre océan, où l’esquif s’aventure,
T’épouvante et te plaît ; car la sainte nature,
La nature éternelle, et les champs, et les bois,
Parlent à ta grande âme avec leur grande voix !

Paris, 1840. – Jersey, 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la tête rougissante d'une jeune femme aux joues roses.

XIX. Vieille chanson du jeune temps

Vieille chanson du jeune temps – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 285.

Vieille chanson du jeune temps – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Vieille chanson du jeune temps, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVIII. Les oiseaux et suivi de XX. À un poëte aveugle.

Vieille chanson du jeune temps


Vieille chanson du jeune temps – Le texte

XIX
Vieille chanson du jeune temps


Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.

J’étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres ;
Son œil semblait dire : « Après ? »

La rosée offrait ses perles,
Le taillis ses parasols ;
J’allais ; j’écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.

Moi, seize ans, et l’air morose ;
Elle vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.

Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches ;
Je ne vis pas son bras blanc.

Une eau courait, fraîche et creuse,
Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.

Rose défit sa chaussure,
Et mit, d’un air ingénu,
Son petit pied dans l’eau pure ;
Je ne vis pas son pied nu.

Je ne savais que lui dire ;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.

Je ne vis qu’elle était belle
Qu’en sortant des grands bois sourds.
« Soit ; n’y pensons plus ! » dit-elle.
Depuis, j’y pense toujours.

Paris, juin 1834.