Articles

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les yeux, le nez et la bouche boudeuse d'un profil de femme offert au "doux rêveur qui veut aimer".

IX. Chanson (Il suffit de bien peu de choses…)

Chanson – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 390.

Chanson – L’enregistrement

Je vous invite à écouter cette Chanson, poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de VIII. Roman en trois sonnets et suivi par X. Hermina.

Chanson


Chanson – Le texte

IX
Chanson


Il suffit de bien peu de chose
Pour troubler l’ordre des saisons
Et cet azur dont se compose
La splendeur de nos horizons ;

Ma bien-aimée, il peut suffire,
Selon des lois que Dieu connaît,
Pour perdre ou sauver un empire,
D’un enfant qui meurt ou qui naît ;

Il ne faut, au milieu de Rome
Et d’un peuple qui suit un char,
Qu’un peu de fer aux mains d’un homme
Pour ôter le monde à César.

Les petites causes sans peine
Produisent des effets bien grands ;
Mais le plus hardi capitaine,
Mais le plus hautain des tyrans,

Mît-il en flamme Europe, Asie,
Troublât-il la terre et la mer,
N’ôtera pas sa fantaisie
Au doux rêveur qui veut aimer !

17 mai 1846.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l'océan, "le flot sombre" quand "l'onde est en furie", avec une vague déferlante. Une forme étrange apparaît sur la droite.

IX. Le chant de ceux qui s’en vont sur mer

Le chant de ceux qui s’en vont sur mer – Les références

ChâtimentsLivre V – L’Autorité est sacrée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 118.

Le chant de ceux qui s’en vont sur mer – Enregistrement

Je vous invite à écouter le poème Le chant de ceux qui s’en vont sur mer, du Livre V – L’Autorité est sacrée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.
Il est précédé de Le Progrès, calme et fort et toujours innocent….

Le chant de ceux qui s’en vont sur mer


Le chant de ceux qui s’en vont sur mer – Le texte

IX
Le chant de ceux qui s’en vont sur mer
— Air Breton —


Adieu, patrie !
L’onde est en furie.
Adieu, patrie,
Azur !

Adieu, maison, treille au fruit mûr,
Adieu, les fleurs d’or du vieux mur !

Adieu, patrie !
Ciel, forêt, prairie !
Adieu, patrie,
Azur !

Adieu, patrie !
L’onde est en furie.
Adieu, patrie,
Azur !

Adieu, fiancée au front pur,
Le ciel est noir, le vent est dur.

Adieu, patrie !
Lise, Anna, Marie !
Adieu, patrie,
Azur !

Adieu, patrie !
L’onde est en furie.
Adieu, patrie,
Azur !

Notre œil, que voile un deuil futur,
Va du flot sombre au sort obscur !

Adieu, patrie !
Pour toi mon cœur prie.
Adieu, patrie,
Azur !

En mer, 1er août 1852

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le sommet d'un arbre, nichée des petits oiseaux.

XXVII. La nichée sous le portail

La nichée sous le portail – Les références

Les ContemplationsLivre deuxième : L’Âme en fleur ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 324.

La nichée sous le portail – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La nichée sous le portail, un poème du recueil Les Contemplations, L’Âme en fleur, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXVI. Crépuscule et suivi de XXVIII. Un soir que je regardais le ciel.

La nichée sous le portail


La nichée sous le portail – Le texte

XXVII
La nichée sous le portail


Oui, va prier à l’église,
Va ; mais regarde en passant,
Sous la vieille voûte grise,
Ce petit nid innocent.

Aux grands temples où l’on prie,
Le martinet, frais et pur,
Suspend la maçonnerie
Qui contient le plus d’azur.

La couvée est dans la mousse
Du portail qui s’attendrit ;
Elle sent la chaleur douce
Des ailes de Jésus-Christ.

L’église, où l’ombre flamboie,
Vibre, émue à ce doux bruit ;
Les oiseaux sont pleins de joie,
La pierre est pleine de nuit.

Les saints, graves personnages,
Sous les porches palpitants,
Aiment ces doux voisinages
Du baiser et du printemps.

Les vierges et les prophètes
Se penchent dans l’âpre tour
Sur ces ruches d’oiseaux faites
Pour le divin miel amour.

L’oiseau se perche sur l’ange ;
L’apôtre rit sous l’arceau.
« Bonjour, saint ! » dit la mésange.
Le saint dit : « Bonjour, oiseau ! »

Les cathédrales sont belles
Et hautes sous le ciel bleu ;
Mais le nid des hirondelles
Est l’édifice de Dieu.

Lagny, juin 183..

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l'ombre d'un ange au-dessus de la terre.

X. Pendant que le marin…

Pendant que le marin… – Les références

Les contemplationsLivre quatrième : Pauca meae ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 407.

Pendant que le marin… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Pendant que le marin…, un court poème de la partie Pauca meae, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. Ô souvenirs ! Printemps ! Aurore !… et suivi par XI. On vit, on parle….

Pendant que le marin…

Pendant que le marin… – Le texte

X

Pendant que le marin, qui calcule et qui doute,
Demande son chemin aux constellations ;
Pendant que le berger, l’œil plein de visions,
Cherche au milieu des bois son étoile et sa route ;
Pendant que l’astronome, inondé de rayons,

Pèse un globe à travers des millions de lieues,
Moi, je cherche autre chose en ce ciel vaste et pur.
Mais que ce saphir sombre est un abîme obscur !
On ne peut distinguer, la nuit, les robes bleues
Des anges frissonnants qui glissent dans l’azur.

Avril 1847.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un lion ailé sur une stèle portant l'inscription "CI GIT HOMO SALVUS".

XXVIII. Il faut que le poëte…

Il faut que le poëte… – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 295.

Il faut que le poëte… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Il faut que le poëte…, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXVII. Oui, je suis le rêveur… et suivi de XXIX. Halte en marchant.

Il faut que le poëte…


Il faut que le poëte… – Le texte

XXVIII


Il faut que le poëte, épris d’ombre et d’azur,
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,
Chanteur mystérieux qu’en tressaillant écoutent
Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,
Devienne formidable à de certains moments.
Parfois, lorsqu’on se met à rêver sur son livre,
Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,
Où l’âme, à chaque pas, trouve à faire son miel,
Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel,
Au milieu de cette humble et haute poésie,
Dans cette paix sacrée où croît la fleur choisie,
Où l’on entend couler les sources et les pleurs,
Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,
Volent chantant l’amour, l’espérance et la joie,
Il faut que, par instants, on frissonne, et qu’on voie
Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve sortir de l’ombre en rugissant !
Il faut que le poëte aux semences fécondes
Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,
Pleines de chants, amour du vent et du rayon,
Charmantes, où, soudain, l’on rencontre un lion.

Paris, mai 1842.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la Terre dans son voyage de nuit.

XIX. Voyage de nuit

Voyage de nuit – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 513.

Voyage de nuit – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Voyage de nuit, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVIII. Hélas ! tout est sépulcre… et suivi de XX. Relligio.

Voyage de nuit


Voyage de nuit – Le texte

XIX
Voyage de nuit


On conteste, on dispute, on proclame, on ignore.
Chaque religion est une tour sonore ;
Ce qu’un prêtre édifie, un prêtre le détruit ;
Chaque temple, tirant sa corde dans la nuit,
Fait, dans l’obscurité sinistre et solennelle,
Rendre un son différent à la cloche éternelle.
Nul ne connaît le fond, nul ne voit le sommet.
Tout l’équipage humain semble en démence ; on met
Un aveugle en vigie, un manchot à la barre ;
À peine a-t-on passé du sauvage au barbare,
À peine a-t-on franchi le plus noir de l’horreur,
À peine a-t-on, parmi le vertige et l’erreur,
Dans ce brouillard où l’homme attend, songe et soupire,
Sans sortir du mauvais, fait un pas hors du pire,
Que le vieux temps revient et nous mord les talons,
Et nous crie : Arrêtez ! Socrate dit : Allons !
Jésus-Christ dit : Plus loin ! et le sage et l’apôtre
S’en vont se demander dans le ciel l’un à l’autre
Quel goût a la ciguë et quel goût a le fiel.
Par moments, voyant l’homme ingrat, fourbe et cruel,
Satan lui prend la main sous le linceul de l’ombre.
Nous appelons science un tâtonnement sombre.
L’abîme, autour de nous, lugubre tremblement,
S’ouvre et se ferme ; et l’œil s’effraie également
De ce qui s’engloutit et de ce qui surnage.
Sans cesse le progrès, roue au double engrenage,
Fait marcher quelque chose en écrasant quelqu’un.
Le mal peut être joie, et le poison parfum.
Le crime avec la loi morne et mélancolique
Lutte ; le poignard parle, et l’échafaud réplique.
Nous entendons, sans voir la source ni la fin,
Derrière notre nuit, derrière notre faim,
Rire l’ombre Ignorance et la larve Misère.
Le lys a-t-il raison ? et l’astre est-il sincère ?
Je dis oui, tu dis non. Ténèbres et rayons
Affirment à la fois. Doute, Adam ! Nous voyons
De la nuit dans l’enfant, de la nuit dans la femme ;
Et sur notre avenir nous querellons notre âme ;
Et, brûlé, puis glacé, chaos, semoun, frimas,
L’homme de l’infini traverse les climats.
Tout est brume ; le vent souffle avec des huées,
Et de nos passions arrache des nuées ;
Rousseau dit : L’homme monte ; et de Maistre : Il descend !
Mais, ô Dieu ! le navire énorme et frémissant,
Le monstrueux vaisseau sans agrès et sans voiles,
Qui flotte, globe noir, dans la mer des étoiles,
Et qui porte nos maux, fourmillement humain,
Va, marche, vogue et roule, et connaît son chemin ;
Le ciel sombre, où parfois la blancheur semble éclore,
À l’effrayant roulis mêle un frisson d’aurore ;
De moment en moment le sort est moins obscur ;
Et l’on sent bien qu’on est emporté vers l’azur.

Marine-Terrrace, octobre 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un village féerique, dans l'écrin du pampre de la vigne.

II. Le vrai dans le vin

Le vrai dans le vin – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre second – SagesseLiberté, Égalité, Fraternité ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 993.

Le vrai dans le vin – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Le vrai dans le vin, un poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre second – Sagesse, Liberté, Égalité, Fraternité, de Victor Hugo.

Le vrai dans le vin


Le vrai dans le vin – Le texte

II
Le vrai dans le vin


Jean Sévère était fort ivre.
Ô barrière ! ô lieu divin
Où Surène nous délivre
Avec l’azur de son vin !

Un faune habitant d’un antre,
Sous les pampres de l’été,
Aurait approuvé son ventre
Et vénéré sa gaîté.

Il était beau de l’entendre.
On voit, quand cet homme rit,
Chacun des convives tendre
Comme un verre son esprit.

À travers les mille choses
Qu’on dit parmi les chansons,
Tandis qu’errent sous les roses
Les filles et les garçons,

On parla d’une bataille ;
Deux peuples, russe et prussien,
Sont hachés par la mitraille ;
Les deux rois se portent bien.

Chacun de ces deux bons princes
(De là tous les différends)
Trouve ses états trop minces
Et ceux du voisin trop grands.

Les peuples, eux, sont candides ;
Tout se termine à leur gré
Par un dôme d’Invalides
Plein d’infirmes et doré.

Les rois font pour la victoire
Un hospice, où le guerrier
Ira boiter dans la gloire,
Borgne, et coiffé d’un laurier.

Nous admirions ; mais, farouche,
En nous voyant tous béats,
Jean Sévère ouvrit la bouche
Et dit ces alinéas :

« Le pauvre genre humain pleure,
« Nos pas sont tremblants et courts,
« Je suis très ivre, et c’est l’heure
« De faire un sage discours.

« Le penseur joint sous la treille
« La logique à la boisson ;
« Le sage, après la bouteille,
« Doit déboucher la raison.

« Faire, au lieu des deux armées,
« Battre les deux généraux.
« Diminuerait les fumées
« Et grandirait les héros.

« Que me sert le dithyrambe
« Qu’on va chantant devant eux,
« Et que Dieu m’ait fait ingambe
« Si les rois me font boiteux ?

« Ils ne me connaissent guère
« S’ils pensent qu’il me suffit
« D’avoir les coups de la guerre
« Quand ils en ont le profit.

« Foin des beaux portails de marbre
« De la Flèche et de Saint-Cyr !
« Lorsqu’avril fait pousser l’arbre,
« Je n’éprouve aucun plaisir,

« En voyant la branche, où flambe
« L’aurore qui m’éveilla,
« À dire : « C’est une jambe
« Peut-être qui me vient là ! »

« L’invalide altier se traîne,
« Du poids d’un bras déchargé ;
« Mais moi je n’ai nulle haine
« Pour tous les membres que j’ai.

« Recevoir des coups de sabre,
« Choir sous les pieds furieux
« D’un escadron qui se cabre,
« C’est charmant ; boire vaut mieux.

« Plutôt gambader sur l’herbe
« Que d’être criblé de plomb !
« Le nez coupé, c’est superbe ;
« J’aime autant mon nez trop long.

« Décoré par mon monarque,
« Je m’en reviens, ébloui,
« Mais bancal, et je remarque
« Qu’il a ses deux pattes, lui.

« Manchot, fier, l’hymen m’attire ;
« Je vois celle qui me plaît
« En lorgner d’autres et dire :
« Je l’aimerais mieux complet. »

« Fils, c’est vrai, je ne savoure
« Qu’en douteur voltairien
« Cet effet de ma bravoure
« De n’être plus bon à rien.

« La jambe de bois est noire ;
« La guerre est un dur sentier ;
« Quant à ce qu’on nomme gloire,
« La gloire, c’est d’être entier.

« L’infirme adosse son râble,
« En trébuchant, aux piliers ;
« C’est une chose admirable,
« Fils, que d’user deux souliers.

« Fils, j’aimerais que mon prince,
« En qui je mets mon orgueil,
« Pût gagner une province
« Sans me faire perdre un œil.

« Un discours de cette espèce
« Sortant de mon hiatus,
« Prouve que la langue épaisse
« Ne fait pas l’esprit obtus. »

Ainsi parla Jean Sévère,
Ayant dans son cœur sans fiel
La justice, et dans son verre
Un vin bleu comme le ciel.

L’ivresse mit dans sa tête
Ce bon sens qu’il nous versa.
Quelquefois Silène prête
Son âne à Sancho Pança.