Toute la lyre – Sixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 390.
Chanson – L’enregistrement
Je vous invite à écouter cette Chanson, poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de VIII. Roman en trois sonnets et suivi par X. Hermina.
Chanson
Chanson – Le texte
IX
Chanson
Il suffit de bien peu de chose
Pour troubler l’ordre des saisons
Et cet azur dont se compose
La splendeur de nos horizons ;
Ma bien-aimée, il peut suffire,
Selon des lois que Dieu connaît,
Pour perdre ou sauver un empire,
D’un enfant qui meurt ou qui naît ;
Il ne faut, au milieu de Rome
Et d’un peuple qui suit un char,
Qu’un peu de fer aux mains d’un homme
Pour ôter le monde à César.
Les petites causes sans peine
Produisent des effets bien grands ;
Mais le plus hardi capitaine,
Mais le plus hautain des tyrans,
Mît-il en flamme Europe, Asie,
Troublât-il la terre et la mer,
N’ôtera pas sa fantaisie
Au doux rêveur qui veut aimer !
17 mai 1846.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/08/chanson-il-suffit-amour-lyre.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-08-07 09:09:132018-06-14 10:19:54IX. Chanson (Il suffit de bien peu de choses...)
Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves… – Le texte
V
Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves,
Seigneur. J’ai bien souffert. Je suis pareil aux veuves
Qui travaillent la nuit et songent tristement ;
Je n’ai point fait le mal, et j’ai le châtiment ;
Mon œuvre est difficile et ma vie est amère.
Les choses que je fais sont comme une chimère.
Après le dur travail et la dure saison,
J’ai vu mes ennemis marcher sur ma moisson.
Le mensonge et la haine et l’injure avec joie
Ont mâché dans leurs dents mon nom comme une proie.
J’ai tout rêvé. Le doute a lassé ma raison.
L’ardente jalousie, âcre et fatal poison,
A dans mon cœur profond, qui brûle et se déchire,
Tué la confiance et le joyeux sourire.
J’ai vu, pâle et des yeux cherchant votre horizon,
Des cercueils adorés sortir de ma maison.
J’ai pleuré comme fils, j’ai pleuré comme père,
Et je tremble souvent par où tout autre espère.
Mais je ne me plains pas, et je tombe à genoux,
Et je vous remercie, ô maître amer et doux,
Car vous avez, Dieu bon, Dieu des âmes sincères,
Mis toutes les douleurs et toutes les misères
Sur moi, sur mon cœur sombre en vos mains comprimé,
Excepté celle-là, d’aimer sans être aimé !
23 juin 1843.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/08/vous-mavez-eprouve-par-amour-lyre.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-08-05 09:51:472018-06-14 10:19:56V. Vous m'avez éprouvé par toutes les épreuves...
Je prendrai par la main les deux petits enfants… – Les références
L’Art d’être grand-père – I. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 725.
Je prendrai par la main les deux petits enfants… – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Je prendrai par la main les deux petits enfants…, poème de la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de VIII. Lætitia rerum et suivi de X. Printemps.
Je prendrai par la main les deux petits enfants…
Je prendrai par la main les deux petits enfants… – Le texte
IX
Je prendrai par la main les deux petits enfants ;
J’aime les bois où sont les chevreuils et les faons,
Où les cerfs tachetés suivent les biches blanches
Et se dressent dans l’ombre effrayés par les branches ;
Car les fauves sont pleins d’une telle vapeur
Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur.
Les arbres ont cela de profond qu’ils vous montrent
Que l’éden seul est vrai, que les cœurs s’y rencontrent,
Et que, hors les amours et les nids, tout est vain ;
Théocrite souvent dans le hallier divin
Crut entendre marcher doucement la ménade.
C’est là que je ferai ma lente promenade
Avec les deux marmots. J’entendrai tour à tour
Ce que Georges conseille à Jeanne, doux amour,
Et ce que Jeanne enseigne à George. En patriarche
Que mènent les enfants, je réglerai ma marche
Sur le temps que prendront leurs jeux et leurs repas,
Et sur la petitesse aimable de leurs pas.
Ils cueilleront des fleurs, ils mangeront des mûres.
Ô vaste apaisement des forêts ! ô murmures !
Avril vient calmer tout, venant tout embaumer.
Je n’ai point d’autre affaire ici-bas que d’aimer.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/07/je-prendra-par-la-main-guernesey-art.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-07-08 14:32:572018-06-14 10:20:05IX. Je prendrai par la main les deux petits enfants...
Les Chansons des rues et des bois – Livre premier : Jeunesse – VI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 964.
L’oubli – L’enregistrement
Je vous invite à écouter L’oubli, poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo, qui clôt la partie VI. L’Éternel Petit Roman du Livre premier : Jeunesse.
Il est précédé de XX. Lettre.
L’oubli
L’oubli – Le texte
XXI
L’oubli
Autrefois inséparables,
Et maintenant séparés.
Gaie, elle court dans les prés,
La belle aux chants adorables ;
La belle aux chants adorés,
Elle court dans la prairie ;
Les bois pleins de rêverie
De ses yeux sont éclairés.
Apparition exquise !
Elle marche en soupirant,
Avec cet air conquérant
Qu’on a quand on est conquise.
La Toilette, cet esprit,
Cette déesse grisette,
Qu’adore en chantant Lisette,
À qui Minerve sourit,
Pour la faire encor plus belle
Que ne l’avait faite Dieu,
Pour que le vague oiseau bleu
Sur son front batte de l’aile,
A sur cet ange câlin
Épuisé toute sa flore,
Les lys, les roses, l’aurore,
Et la maison Gagelin.
Soubrette divine et leste,
La Toilette au doigt tremblant
A mis un frais chapeau blanc
Sur ce flamboiement céleste.
Regardez-la maintenant.
Que cette belle est superbe !
Le cœur humain comme l’herbe
Autour d’elle est frissonnant.
Oh ! la fière conquérante !
Le grand œil mystérieux !
Prévost craint pour Desgrieux,
Molière a peur pour Dorante.
Elle a l’air, dans la clarté
Dont elle est toute trempée,
D’une étincelle échappée
À l’idéale beauté.
Ô grâce surnaturelle !
Il suffit, pour qu’on soit fou,
Qu’elle ait un ruban au cou,
Qu’elle ait un chiffon sur elle.
Ce chiffon charmant soudain
Aux rayons du jour ressemble,
Et ce ruban sacré semble
Avoir fleuri dans l’Éden.
Elle serait bien fâchée
Qu’on ne vît pas dans ses yeux
Que de la coupe des cieux
Sa lèvre s’est approchée,
Qu’elle veut vaincre et charmer,
Et que c’est là sa manière,
Et qu’elle est la prisonnière
Du doux caprice d’aimer.
Elle sourit, et, joyeuse,
Parle à son nouvel amant
Avec le chuchotement
D’une abeille dans l’yeuse.
— Prends mon âme et mes vingt ans.
Je n’aime que toi ! dit-elle. —
Ô fille d’Ève éternelle,
Ô femme aux cheveux flottants,
Ton roman sans fin s’allonge ;
Pendant qu’aux plaisirs tu cours,
Et que, te croyant toujours
Au commencement du songe,
Tu dis en baissant la voix :
— Pour la première fois, j’aime ! —
L’amour, ce moqueur suprême,
Rit, et compte sur ses doigts.
Et, sans troubler l’aventure
De la belle aux cheveux d’or,
Sur ce cœur, si neuf encor,
L’amour fait une rature.
Et l’ancien amant ? Pâli,
Brisé, sans doute à cette heure,
Il se désespère et pleure…
Écoutez ce hallali.
Passez les monts et les plaines ;
La curée est dans les bois ;
Les chiens mêlent leurs abois,
Les fleurs mêlent leurs haleines ;
Le voyez-vous ? Le voilà.
Il est le centre. Il flamboie.
Il luit. Jamais plus de joie
Dans plus d’orgueil ne brilla.
Il brille au milieu des femmes,
Tous les yeux lui disant oui,
Comme un astre épanoui
Dans un triomphe de flammes.
Il cherche en face de lui
Un sourire peu sévère,
Il chante, il lève son verre,
Éblouissant, ébloui.
Tandis que ces gaîtés franches
Tourbillonnent à sa voix,
Elle, celle d’autrefois,
Là-bas, bien loin, sous les branches,
Dans les taillis hasardeux,
Aime, adore, se recueille,
Et, près de l’autre, elle effeuille
Une marguerite à deux.
Fatal cœur, comme tu changes !
Lui sans elle, elle sans lui !
Et sur leurs fronts sans ennui
Ils ont la clarté des anges.
Le séraphin à l’œil pur
Les verrait avec envie,
Tant à leur âme ravie
Se mêle un profond azur !
Sur ces deux bouches il semble
Que le ciel met son frisson ;
Sur l’une erre la chanson.
Sur l’autre le baiser tremble.
Ces êtres s’aimaient jadis ;
Mais qui viendrait le leur dire
Ferait éclater de rire
Ces bouches du paradis.
Les baisers de l’autre année,
Où sont-ils ? Quoi ! nul remord !
Non ! tout cet avril est mort,
Toute cette aube est fanée.
Bah ! le baiser, le serment,
Rien de tout cela n’existe.
Le myosotis, tout triste,
Y perdrait son allemand.
Elle ! à travers ses longs voiles,
Que son regard est charmant !
Lui ! comme il jette gaîment
Sa chanson dans les étoiles !
Qu’elle est belle ! Qu’il est beau !
Le morne oubli prend dans l’ombre,
Par degrés, l’épaisseur sombre
De la pierre du tombeau.
Remarque
Gagelin était une maison de soieries et de cachemire.
Les Chansons des rues et des bois – Livre premier : Jeunesse – II. Les Complications de l’idéal ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 864.
Paupertas – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Paupertas, poème du Livre premier : Jeunesse, II. Les Complications de l’idéal, du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo.
Paupertas
Paupertas – Le texte
IV
Paupertas
Être riche n’est pas l’affaire ;
Toute l’affaire est de charmer ;
Du palais le grenier diffère
En ce qu’on y sait mieux aimer.
L’aube au seuil, un grabat dans l’angle ;
Un éden peut être un taudis ;
Le craquement du lit de sangle
Est un des bruits du paradis.
Moins de gros sous, c’est moins de rides.
L’or de moins, c’est le doute ôté.
Jamais l’amour, ô cieux splendides !
Ne s’éraille à la pauvreté.
À quoi bon vos trésors mensonges,
Et toutes vos piastres en tas,
Puisque le plafond bleu des songes
S’ajuste à tous les galetas !
Croit-on qu’au Louvre on se débraille
Comme dans mon bouge vainqueur,
Et que l’éclat de la muraille
S’ajoute aux délices du cœur ?
La terre, que gonfle la sève,
Est un lieu saint, mystérieux,
Sublime, où la nudité d’Ève
Éclipse tout, hormis les cieux.
L’opulence est vaine, et s’oublie
Dès que l’idéal apparaît,
Et quand l’âme est d’extase emplie
Comme de souffles la forêt.
Horace est pauvre avec Lydie ;
Les amours ne sont point accrus
Par le marbre de Numidie
Qui pave les bains de Scaurus.
L’amour est la fleur des prairies.
Ô Virgile, on peut être Églé
Sans traîner dans les Tuileries
Des flots de velours épinglé.
Femmes, nos vers qui vous défendent,
Point avares et point pédants,
Pour vous chanter, ne vous demandent
Pas d’autres perles que vos dents.
Femmes, ni Chénier, ni Properce
N’ajoutent la condition
D’une alcôve tendue en perse
À vos yeux, d’où sort le rayon.
Une Madelon bien coiffée,
Blanche et limpide, et riant frais,
Sera pour Perrault une fée,
Une dryade pour Segrais.
Suzon qui, tresses dénouées,
Chante en peignant ses longs cheveux,
Fait envoler dans les nuées
Tous nos songes et tous nos vœux.
Margot, c’est Glycère en cornette ;
Ô chimères qui me troublez,
Le jupon de serge d’Annette
Flotte en vos azurs étoilés.
Que m’importe, dans l’ombre obscure,
L’habit qu’on revêt le matin,
Et que la robe soit de bure
Lorsque la femme est de satin !
Le sage a son cœur pour richesse ;
Il voit, tranquille accapareur,
Sans trop de respect la duchesse,
La grisette sans trop d’horreur.
L’amour veut que sans crainte on lise
Les lettres de son alphabet ;
Si la première est Arthémise,
Certes, la seconde est Babet.
Les pauvres filles sont des anges
Qui n’ont pas plus d’argent parfois
Que les grives et les mésanges
Et les fauvettes dans les bois.
Je ne rêve, en mon amourette,
Pas plus d’argent, ô vieux Paris,
Sur la gaîté de Turlurette
Que sur l’aile de la perdrix.
Est-ce qu’on argente la grâce ?
Est-ce qu’on dore la beauté ?
Je crois, quand l’humble Alizon passe,
Voir la lumière de l’été.
Les Contemplations – Livre deuxième : L’Âme en fleur ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 301.
Premier mai – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Premier mai, premier poème de L’Âme en fleur, deuxième livre du recueil Les Contemplations, de Victor Hugo.
Il est suivi de II. Mes vers fuiraient…, l’un des premiers poèmes enregistrés sur ce site.
Premier mai
Premier mai – Le texte
I
Premier mai
Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.
Je ne suis pas en train de parler d’autres choses ;
Premier mai ! L’amour gai, triste, brûlant, jaloux,
Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ;
L’arbre où j’ai, l’autre automne, écrit une devise,
La redit pour son compte et croit qu’il l’improvise ;
Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,
Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en cœur ;
L’atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine
Des déclarations qu’au Printemps fait la plaine,
Et que l’herbe amoureuse adresse au ciel charmant.
À chaque pas du jour dans le bleu firmament,
La campagne éperdue, et toujours plus éprise,
Prodigue les senteurs, et, dans la tiède brise,
Envoie au renouveau ses baisers odorants ;
Tous ces bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans,
Dont l’haleine s’envole en murmurant : Je t’aime !
Sur le ravin, l’étang, le pré, le sillon même,
Font des taches partout de toutes les couleurs ;
Et, donnant les parfums, elle a gardé les fleurs ;
Comme si ses soupirs et ses tendres missives
Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives,
Et tous les billets doux de son amour bavard,
Avaient laissé leur trace aux pages du buvard !
Les oiseaux dans les bois, molles voix étouffées,
Chantent des triolets et des rondeaux aux fées ;
Tout semble confier à l’ombre un doux secret ;
Tout aime, et tout l’avoue à voix basse ; on dirait
Qu’au nord, au sud brûlant, au couchant, à l’aurore,
La haie en fleur, le lierre et la source sonore,
Les monts, les champs, les lacs et les chênes mouvants
Répètent un quatrain fait par les quatre vents.
Saint-Germain, 1er mai 18..
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/premier-mai-ame-contemplation.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-01 16:16:502018-06-14 10:21:01I. Premier mai
Les Contemplations – Livre troisième : Les Luttes et le rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 349.
À la mère de l’enfant mort – L’enregistrement
Je vous invite à écouter À la mère de l’enfant mort, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XIII. La Chouette et suivi de XV. Épitaphe.
À la mère de l’enfant mort
À la mère de l’enfant mort – Le texte
XIV
À la mère de l’enfant mort
Oh ! vous aurez trop dit au pauvre petit ange
Qu’il est d’autres anges là-haut,
Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n’y change,
Qu’il est doux d’y rentrer bientôt ;
Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres,
Une tente aux riches couleurs,
Un jardin bleu rempli de lys qui sont des astres,
Et d’étoiles qui sont des fleurs ;
Que c’est un lieu joyeux plus qu’on ne saurait dire,
Où toujours, se laissant charmer,
On a les chérubins pour jouer et pour rire,
Et le bon Dieu pour nous aimer ;
Qu’il est doux d’être un cœur qui brûle comme un cierge,
Et de vivre, en toute saison,
Près de l’enfant Jésus et de la Sainte Vierge
Dans une si belle maison !
Et puis vous n’aurez pas assez dit, pauvre mère,
À ce fils si frêle et si doux,
Que vous étiez à lui dans cette vie amère,
Mais aussi qu’il était à vous ;
Que, tant qu’on est petit, la mère sur nous veille,
Mais que plus tard on la défend ;
Et qu’elle aura besoin, quand elle sera vieille,
D’un homme qui soit son enfant ;
Vous n’aurez point assez dit à cette jeune âme
Que Dieu veut qu’on reste ici-bas,
La femme guidant l’homme et l’homme aidant la femme,
Pour les douleurs et les combats ;
Si bien qu’un jour, ô deuil ! irréparable perte !
Le doux être s’en est allé !… —
Hélas ! vous avez donc laissé la cage ouverte,
Que votre oiseau s’est envolé !
Avril 1843.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/03/ala-mere-delenfant-mort-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-03-31 13:54:102018-06-14 10:21:18XIV. À la mère de l'enfant mort
Les contemplations – Livre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 448.
Mugitusque boum – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Mugitusque boum, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVI. Lueur au couchant et suivi de XVIII. Apparition.
Mugitusque boum
Mugitusque boum – Le texte
XVII
Mugitusque boum
Mugissement des bœufs, au temps du doux Virgile,
Comme aujourd’hui, le soir, quand fuit la nuit agile,
Ou, le matin, quand l’aube aux champs extasiés
Verse à flots la rosée et le jour, vous disiez :
« Mûrissez, blés mouvants ! prés, emplissez-vous d’herbes !
« Que la terre, agitant son panache de gerbes,
« Chante dans l’onde d’or d’une riche moisson !
« Vis, bête ; vis, caillou ; vis, homme ; vis, buisson !
« À l’heure où le soleil se couche, où l’herbe est pleine
« Des grands fantômes noirs des arbres de la plaine
« Jusqu’aux lointains coteaux rampant et grandissant,
« Quand le brun laboureur des collines descend
« Et retourne à son toit d’où sort une fumée,
« Que la soif de revoir sa femme bien-aimée
« Et l’enfant qu’en ses bras hier il réchauffait,
« Que ce désir, croissant à chaque pas qu’il fait,
« Imite dans son cœur l’allongement de l’ombre !
« Êtres ! choses ! vivez ! sans peur, sans deuil, sans nombre !
« Que tout s’épanouisse en sourire vermeil !
« Que l’homme ait le repos et le bœuf le sommeil !
« Vivez ! croissez ! semez le grain à l’aventure !
« Qu’on sente frissonner dans toute la nature,
« Sous la feuille des nids, au seuil blanc des maisons,
« Dans l’obscur tremblement des profonds horizons,
« Un vaste emportement d’aimer, dans l’herbe verte,
« Dans l’antre, dans l’étang, dans la clairière ouverte,
« D’aimer sans fin, d’aimer toujours, d’aimer encor,
« Sous la sérénité des sombres astres d’or !
« Faites tressaillir l’air, le flot, l’aile, la bouche,
« Ô palpitations du grand amour farouche !
« Qu’on sente le baiser de l’être illimité !
« Et, paix, vertu, bonheur, espérance, bonté,
« Ô fruits divins, tombez des branches éternelles ! »
Ainsi vous parliez, voix, grandes voix solennelles ;
Et Virgile écoutait comme j’écoute, et l’eau
Voyait passer le cygne auguste, et le bouleau
Le vent, et le rocher l’écume, et le ciel sombre
L’homme… Ô nature ! abîme ! immensité de l’ombre !
Les contemplations – Livre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 258.
À ma fille – L’enregistrement
Je vous invite à écouter À ma fille, premier poème du livre premier, Aurore, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est suivi de II. Le poëte s’en va….
À ma fille
À ma fille – Le texte
I
À ma fille
Ô mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
— Résignée ! —
Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l’azur de tes yeux
Mets ton âme !
Nul n’est heureux et nul n’est triomphant.
L’heure est pour tous une chose incomplète ;
L’heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.
Oui, de leur sort tous les hommes sont las.
Pour être heureux, à tous, — destin morose ! —
Tout a manqué. Tout, c’est-à-dire, hélas !
Peu de chose.
Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
Dans l’univers chacun cherche et désire :
Un mot, un nom, un peu d’or, un regard,
Un sourire !
La gaîté manque au grand roi sans amours ;
La goutte d’eau manque au désert immense.
L’homme est un puits où le vide toujours
Recommence.
Vois ces penseurs que nous divinisons,
Vois ces héros dont les fronts nous dominent,
Noms dont toujours nos sombres horizons
S’illuminent !
Après avoir, comme fait un flambeau,
Ébloui tout de leurs rayons sans nombre,
Ils sont allés chercher dans le tombeau
Un peu d’ombre.
Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs,
Prend en pitié nos jours vains et sonores.
Chaque matin, il baigne de ses pleurs
Nos aurores.
Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
Sur ce qu’il est et sur ce que nous sommes ;
Une loi sort des choses d’ici-bas,
Et des hommes !
Cette loi sainte, il faut s’y conformer,
Et la voici, toute âme y peut atteindre :
Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer,
Ou tout plaindre !
Paris, octobre 1842.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/01/ama-fille-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-01-06 19:13:472018-06-14 10:23:22I. À ma fille
Toute la lyre – Annexes ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 572.
Théâtre en liberté – Annexes ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Théâtre II, p. 598.
Être aimé – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Être aimé, poème qui appartient aux annexes de Toute la lyre mais aussi à celles du Théâtre en liberté.
Être aimé
Être aimé – Le texte
Être aimé
Écoute-moi. Voici la chose nécessaire :
Être aimé. Hors de là rien n’existe, entends-tu ?
Être aimé, c’est l’honneur, le devoir, la vertu,
C’est Dieu, c’est le démon, c’est tout. J’aime, et l’on m’aime.
Cela dit, tout est dit. Pour que je sois moi-même,
Fier, content, respirant l’air libre à pleins poumons,
Il faut que j’aie une ombre et qu’elle dise: Aimons !
Il faut que de mon âme une autre âme se double,
Il faut que, si je suis absent, quelqu’un se trouble,
Et, me cherchant des yeux, murmure : Où donc est-il ?
Si personne ne dit cela, je sens l’exil,
L’anathème et l’hiver sur moi, je suis terrible,
Je suis maudit. Le grain que rejette le crible,
C’est l’homme sans foyer, sans but, épars au vent.
Ah ! celui qui n’est pas aimé, n’est pas vivant.
Quoi, nul ne vous choisit ! Quoi, rien ne vous préfère!
A quoi bon l’univers ? l’âme qu’on a, qu’en faire ?
Que faire d’un regard dont personne ne veut ?
La vie attend l’amour, le fil cherche le nœud.
Flotter au hasard ? Non ! Le frisson vous pénètre ;
L’avenir s’ouvre ainsi qu’une pâle fenêtre ;
Où mettra-t-on sa vie et son rêve ? On se croit
Orphelin ; l’azur semble ironique. On a froid ;
Quoi ! ne plaire à personne au monde ! rien n’apaise
Cette honte sinistre ; on languit, l’heure pèse,
Demain, qu’on sent venir triste, attriste aujourd’hui.
Où vivre ? où fuir ? On est seul dans l’immense ennui.
Une maîtresse, c’est quelqu’un dont on est maître ;
Ayons cela. Soyons aimé, non par un être
Grand et puissant, déesse ou dieu. Ceci n’est pas
La question. Aimons ! Cela suffit. Mes pas
Cessent d’être perdus si quelqu’un les regarde.
Ah ! vil monde, passants vagues, foule hagarde,
Sombre table de jeu, caverne sans rayons !
Qu’est-ce que je viens faire à ce tripot, voyons ?
J’y bâille. Si de moi personne ne s’occupe,
Le sort est un escroc, et je suis une dupe.
J’aspire à me brûler la cervelle. Ah ! quel deuil !
Quoi ! rien ! pas un soupir pour vous, pas un coup d’œil !
Que le fuseau des jours lentement se dévide !
Hélas ! comme le cœur est lourd quand il est vide !
Comment porter ce poids énorme, le néant ?
Toute l’ombre est un trou de ténèbres, béant ;
Vous vous sentez tomber dans ce gouffre. Ah ! quand Dante
Livre à l’affreuse bise implacable et grondante
Françoise échevelée, un baiser éternel
La console, et l’enfer alors devient le ciel.
Mais quoi ! je vais, je viens, j’entre, je sors, je passe
Je meurs, sans faire rien remuer dans l’espace !
N’avoir pas un atome à soi dans l’infini !
Qu’est-ce donc que j’ai fait ? De quoi suis-je puni ?
Je ris, nul ne sourit ; je souffre, nul ne pleure ;
Cette chauve-souris de son aile m’effleure,
L’indifférence, blême habitante du soir.
Être aimé ! sous ce ciel bleu – moins souvent que noir –
Je ne sais que cela qui vaille un peu la peine
De mêler son visage à la laideur humaine,
Et de vivre. Ah ! pour ceux dont le cœur bat, pour ceux
Qui sentent un regard quelconque aller vers eux,
Pour ceux-là seulement, Dieu vit, et le jour brille !
Qu’on soit aimé d’un gueux, d’un voleur, d’une fille,
D’un forçat jaune et vert sur l’épaule imprimé,
Qu’on soit aimé d’un chien, pourvu qu’on soit aimé !
14 mars 1874
Remarques
Sur ce poème, Arnaud Laster m’a apporté les précisions suivantes : il a été publié de façon tronquée dans l’édition de 1893 du recueil posthume Toute la lyre, puis intégralement en 1931, avec sa date de rédaction (14 mars 1874) dans le reliquat du Théâtre en liberté de l’édition dite de l’Imprimerie nationale, en annexe d’un fragment dramatique de même titre, rédigé par Hugo le lendemain et mis dans la bouche d’un Roi (Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Théâtre II, p. 550) ; s’y ajoutait une toute première version écrite « près de quarante ans » plus tôt (p. 599), où le texte était censé être dit par le personnage de Maglia, voix du rire dans quantité de fragments dramatiques.