Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une femme avec de longs cheveux, portant un masque, qui se dévoile et révèle un sein.

XXII. La Fête chez Thérèse

La Fête chez Thérèse – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 287.

La Fête chez Thérèse – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La Fête chez Thérèse, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXI. Elle était déchaussée et suivi de XXIII. L’enfance.

La Fête chez Thérèse


La Fête chez Thérèse – Le texte

XXII
La Fête chez Thérèse


La chose fut exquise et fort bien ordonnée.
C’était au mois d’avril, et dans une journée
Si douce, qu’on eût dit qu’amour l’eût faite exprès.
Thérèse la duchesse à qui je donnerais,
Si j’étais roi, Paris, si j’étais Dieu, le monde,
Quand elle ne serait que Thérèse la blonde ;
Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant,
Nous avait conviés dans son jardin charmant.
On était peu nombreux. Le choix faisait la fête.
Nous étions tous ensemble et chacun tête à tête.
Des couples pas à pas erraient de tous côtés.
C’étaient les fiers seigneurs et les rares beautés,
Les Amyntas rêvant auprès des Léonores,
Les marquises riant avec les monsignores ;
Et l’on voyait rôder dans les grands escaliers
Un nain qui dérobait leur bourse aux cavaliers.

À midi, le spectacle avec la mélodie.
Pourquoi jouer Plautus la nuit ? La comédie
Est une belle fille, et rit mieux au grand jour.
Or, on avait bâti, comme un temple d’amour,
Près d’un bassin dans l’ombre habité par un cygne,
Un théâtre en treillage où grimpait une vigne.
Un cintre à claire-voie en anse de panier,
Cage verte où sifflait un bouvreuil prisonnier,
Couvrait toute la scène, et sur leurs gorges blanches,
Les actrices sentaient errer l’ombre des branches.
On entendait au loin de magiques accords ;
Et, tout en haut, sortant de la frise à mi-corps,
Pour attirer la foule aux lazzis qu’il répète,
Le blanc Pulcinella sonnait de la trompette.
Deux faunes soutenaient le manteau d’Arlequin ;
Trivelin leur riait au nez comme un faquin.
Parmi les ornements sculptés dans le treillage,
Colombine dormait dans un gros coquillage,
Et, quand elle montrait son sein et ses bras nus,
On eût cru voir la conque, et l’on eût dit Vénus.
Le seigneur Pantalon, dans une niche, à droite,
Vendait des limons doux sur une table étroite,
Et criait par instants : « Seigneurs, l’homme est divin.
Dieu n’avait fait que l’eau, mais l’homme a fait le vin ! »
Scaramouche en un coin harcelait de sa batte
Le tragique Alcantor, suivi du triste Arbate ;
Crispin, vêtu de noir, jouait de l’éventail ;
Perché, jambe pendante, au sommet du portail,
Carlino se penchait, écoutant les aubades,
Et son pied ébauchait de rêveuses gambades.

Le soleil tenait lieu de lustre ; la saison
Avait brodé de fleurs un immense gazon,
Vert tapis déroulé sous maint groupe folâtre.
Rangés des deux côtés de l’agreste théâtre,
Les vrais arbres du parc, les sorbiers, les lilas,
Les ébéniers qu’avril charge de falbalas,
De leur sève embaumée exhalant les délices,
Semblaient se divertir à faire les coulisses,
Et, pour nous voir, ouvrant leurs fleurs comme des yeux,
Joignaient aux violons leur murmure joyeux ;
Si bien qu’à ce concert gracieux et classique,
La nature mêlait un peu de sa musique.

Tout nous charmait, les bois, le jour serein, l’air pur,
Les femmes tout amour, et le ciel tout azur.
Pour la pièce, elle était fort bonne, quoique ancienne.
C’était, nonchalamment assis sur l’avant-scène,
Pierrot qui haranguait, dans un grave entretien,
Un singe timbalier à cheval sur un chien.

Rien de plus. C’était simple et beau. — Par intervalles,
Le singe faisait rage et cognait ses timbales ;
Puis Pierrot répliquait. — Écoutait qui voulait.
L’un faisait apporter des glaces au valet ;
L’autre, galant drapé d’une cape fantasque,
Parlait bas à sa dame en lui nouant son masque ;
Trois marquis attablés chantaient une chanson ;
Thérèse était assise à l’ombre d’un buisson :
Les roses pâlissaient à côté de sa joue,
Et, la voyant si belle, un paon faisait la roue.

Moi, j’écoutais, pensif, un profane couplet
Que fredonnait dans l’ombre un abbé violet.

La nuit vint, tout se tut ; les flambeaux s’éteignirent ;
Dans les bois assombris les sources se plaignirent ;
Le rossignol, caché dans son nid ténébreux,
Chanta comme un poëte et comme un amoureux.
Chacun se dispersa sous les profonds feuillages ;
Les folles en riant entraînèrent les sages ;
L’amante s’en alla dans l’ombre avec l’amant ;
Et, troublés comme on l’est en songe, vaguement,
Ils sentaient par degrés se mêler à leur âme,
À leurs discours secrets, à leurs regards de flamme,
À leur cœur, à leurs sens, à leur molle raison,
Le clair de lune bleu qui baignait l’horizon.

Avril 18..

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un phénix, ou du moins un être ailé dressant sa collerette à la lumière.

XXV. Ô strophe du poëte…

Ô strophe du poëte… – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 455.

Ô strophe du poëte… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ô strophe du poëte…, un poème des Contemplations, du livre En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXIV. J’ai cueilli cette fleur… et suivi de XXVI. Les Malheureux. À mes enfants.

Ô strophe du poëte…


Ô strophe du poëte… – Le texte

XXV


Ô strophe du poëte, autrefois, dans les fleurs,
Jetant mille baisers à leurs mille couleurs,
Tu jouais, et d’avril tu pillais la corbeille ;
Papillon pour la rose et pour la ruche abeille,
Tu semais de l’amour et tu faisais du miel ;
Ton âme bleue était presque mêlée au ciel ;
Ta robe était d’azur et ton œil de lumière ;
Tu criais aux chansons, tes sœurs : « Venez ! chaumière,
Hameau, ruisseau, forêt, tout chante. L’aube a lui ! »
Et, douce, tu courais et tu riais. Mais lui,
Le sévère habitant de la blême caverne
Qu’en haut le jour blanchit, qu’en bas rougit l’Averne,
Le poëte qu’ont fait avant l’heure vieillard
La douleur dans la vie et le drame dans l’art,
Lui, le chercheur du gouffre obscur, le chasseur d’ombres,
Il a levé la tête un jour hors des décombres,
Et t’a saisie au vol dans l’herbe et dans les blés,
Et, malgré tes effrois et tes cris redoublés,
Toute en pleurs, il t’a prise à l’idylle joyeuse ;
Il t’a ravie aux champs, à la source, à l’yeuse,
Aux amours dans les bois près des nids palpitants ;
Et maintenant, captive et reine en même temps,
Prisonnière au plus noir de son âme profonde,
Parmi les visions qui flottent comme l’onde,
Sous son crâne à fois céleste et souterrain,
Assise, et t’accoudant sur un trône d’airain,
Voyant dans ta mémoire, ainsi qu’une ombre vaine
Fuir l’éblouissement du jour et de la plaine,
Par le maître gardée, et calme et sans espoir,
Tandis que, près de toi, les drames, groupe noir,
Des sombres passions feuillettent le registre,
Tu rêves dans sa nuit, Proserpine sinistre.

Jersey, novembre 1854.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un pont au-dessus d'un charmant vallon, près de l'océan.

XXIII. Pasteurs et troupeaux À Madame Louise C.

Pasteurs et troupeaux – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 453.

Pasteurs et troupeaux – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Pasteurs et troupeaux, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXII. Je payai le pécheur… et suivi de XXIV. J’ai cueilli cette fleur…

Pasteurs et troupeaux


Pasteurs et troupeaux – Le texte

XXIII
Pasteurs et troupeaux
À Madame Louise C.


Le vallon où je vais tous les jours est charmant,
Serein, abandonné, seul sous le firmament,
Plein de ronces en fleurs ; c’est un sourire triste.
Il vous fait oublier que quelque chose existe,
Et, sans le bruit des champs remplis de travailleurs,
On ne saurait plus là si quelqu’un vit ailleurs.
Là, l’ombre fait l’amour ; l’idylle naturelle
Rit ; le bouvreuil avec le verdier s’y querelle,
Et la fauvette y met de travers son bonnet ;
C’est tantôt l’aubépine et tantôt le genêt ;
De noirs granits bourrus, puis des mousses riantes ;
Car Dieu fait un poëme avec des variantes ;
Comme le vieil Homère, il rabâche parfois,
Mais c’est avec les fleurs, les monts, l’onde et les bois !
Une petite mare est là, ridant sa face,
Prenant des airs de flot pour la fourmi qui passe,
Ironie étalée au milieu du gazon,
Qu’ignore l’océan grondant à l’horizon.
J’y rencontre parfois sur la roche hideuse
Un doux être ; quinze ans, yeux bleus, pieds nus, gardeuse
De chèvres, habitant, au fond d’un ravin noir,
Un vieux chaume croulant qui s’étoile le soir ;
Ses sœurs sont au logis et filent leur quenouille ;
Elle essuie aux roseaux ses pieds que l’étang mouille ;
Chèvres, brebis, béliers, paissent ; quand, sombre esprit,
J’apparais, le pauvre ange a peur, et me sourit ;
Et moi, je la salue, elle étant l’innocence.
Ses agneaux, dans le pré plein de fleurs qui l’encense,
Bondissent, et chacun, au soleil s’empourprant,
Laisse aux buissons, à qui la bise le reprend,
Un peu de sa toison, comme un flocon d’écume.
Je passe ; enfant, troupeau, s’effacent dans la brume ;
Le crépuscule étend sur les longs sillons gris
Ses ailes de fantôme et de chauve-souris ;
J’entends encore au loin dans la plaine ouvrière
Chanter derrière moi la douce chevrière,
Et, là-bas, devant moi, le vieux gardien pensif
De l’écume, du flot, de l’algue, du récif,
Et des vagues sans trêve et sans fin remuées,
Le pâtre promontoire au chapeau de nuées,
S’accoude et rêve au bruit de tous les infinis,
Et, dans l’ascension des nuages bénis,
Regarde se lever la lune triomphale,
Pendant que l’ombre tremble, et que l’âpre rafale
Disperse à tous les vents avec son souffle amer
La laine des moutons sinistres de la mer.

Jersey, Grouville, avril 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un château, issu d'un songe de Shakspeare, fait d'ombre et de lumière.

XXVIII. Le Poëte

Le Poëte – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 367.

Le Poëte – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Le Poëte, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXVII. J’aime l’araignée… et suivi de XXIX. La Nature.

Le Poëte


Le Poëte – Le texte

XXVIII
Le Poëte


Shakspeare songe ; loin du Versaille éclatant,
Des buis taillés, des ifs peignés, où l’on entend
Gémir la tragédie éplorée et prolixe,
Il contemple la foule avec son regard fixe,
Et toute la forêt frissonne devant lui.
Pâle, il marche, au dedans de lui-même ébloui ;
Il va, farouche, fauve, et, comme une crinière,
Secouant sur sa tête un haillon de lumière.
Son crâne transparent est plein d’âmes, de corps,
De rêves, dont on voit la lueur du dehors ;
Le monde tout entier passe à travers son crible ;
Il tient toute la vie en son poignet terrible ;
Il fait sortir de l’homme un sanglot surhumain.
Dans ce génie étrange où l’on perd son chemin,
Comme dans une mer, notre esprit parfois sombre ;
Nous sentons, frémissants, dans son théâtre sombre,
Passer sur nous le vent de sa bouche soufflant,
Et ses doigts nous ouvrir et nous fouiller le flanc.
Jamais il ne recule ; il est géant ; il dompte
Richard Trois, léopard, Caliban, mastodonte.
L’idéal est le vin que verse ce Bacchus.
Les sujets monstrueux qu’il a pris et vaincus
Râlent autour de lui, splendides ou difformes ;
Il étreint Lear, Brutus, Hamlet, êtres énormes,
Capulet, Montaigu, César, et, tour à tour,
Les stryges dans le bois, le spectre sur la tour ;
Et, même après Eschyle, effarant Melpomène,
Sinistre, ayant aux mains des lambeaux d’âme humaine,
De la chair d’Othello, des restes de Macbeth,
Dans son œuvre, du drame effrayant alphabet,
Il se repose ; ainsi le noir lion des jongles
S’endort dans l’antre immense avec du sang aux ongles.

Paris, avril 1835.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une colline recouverte d'un forêt où se promène le "bel adolescent Avril", surmonté de la dentelle de ses rêves.

XVI. Vers 1820

Vers 1820 – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 282.

Vers 1820 – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Vers 1820, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de XV. La Coccinelle et suivi de XVII. À M. Froment Meurice.

Vers 1820


Vers 1820 – Le texte

XVI
Vers 1820


Denise, ton mari, notre vieux pédagogue,
Se promène ; il s’en va troubler la fraîche églogue
Du bel adolescent Avril dans la forêt ;
Tout tremble et tout devient pédant, dès qu’il paraît :
L’âne bougonne un thème au bœuf son camarade ;
Le vent fait sa tartine, et l’arbre sa tirade ;
L’églantier verdissant, doux garçon qui grandit,
Déclame le récit de Théramène, et dit :
« Son front large est armé de cornes menaçantes. »

Denise, cependant, tu rêves et tu chantes,
À l’âge où l’innocence ouvre sa vague fleur ;
Et, d’un œil ignorant, sans joie et sans douleur,
Sans crainte et sans désir, tu vois, à l’heure où rentre
L’étudiant en classe et le docteur dans l’antre,
Venir à toi, montant ensemble l’escalier,
L’ennui, maître d’école, et l’amour, écolier.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un village entouré de fumées. Sur sa terre est inscrit : "VICTOR HUGO". "Quand la terre est embaumée, Le cœur de l'homme est meilleur."

XXIII. Après l’hiver

Après l’hiver – Les références

Les ContemplationsLivre deuxième : L’Âme en fleur ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 319.

Après l’hiver – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Après l’hiver, un poème du recueil Les Contemplations, L’Âme en fleur, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXII. Aimons toujours ! aimons encore !… et suivi de XXIV. Que le sort, quel qu’il soit….

Après l’hiver


Après l’hiver – Le texte

XXIII
Après l’hiver


Tout revit, ma bien-aimée !
Le ciel gris perd sa pâleur ;
Quand la terre est embaumée,
Le cœur de l’homme est meilleur.

En haut, d’où l’amour ruisselle,
En bas, où meurt la douleur,
La même immense étincelle
Allume l’astre et la fleur.

L’hiver fuit, saison d’alarmes,
Noir avril mystérieux
Où l’âpre sève des larmes
Coule, et du cœur monte aux yeux.

Ô douce désuétude
De souffrir et de pleurer !
Veux-tu, dans la solitude,
Nous mettre à nous adorer ?

La branche au soleil se dore
Et penche, pour l’abriter,
Ses boutons qui vont éclore
Sur l’oiseau qui va chanter.

L’aurore où nous nous aimâmes
Semble renaître à nos yeux ;
Et mai sourit dans nos âmes
Comme il sourit dans les cieux.

On entend rire, on voit luire
Tous les êtres tour à tour,
La nuit, les astres bruire,
Et les abeilles, le jour.

Et partout nos regards lisent,
Et, dans l’herbe et dans les nids,
De petites voix nous disent :
« Les aimants sont les bénis ! »

L’air enivre ; tu reposes
À mon cou tes bras vainqueurs.
Sur les rosiers que de roses !
Que de soupirs dans nos cœurs !

Comme l’aube, tu me charmes ;
Ta bouche et tes yeux chéris
Ont, quand tu pleures, ses larmes,
Et ses perles quand tu ris.

La nature, sœur jumelle
D’Ève et d’Adam et du jour,
Nous aime, nous berce et mêle
Son mystère à notre amour.

Il suffit que tu paraisses
Pour que le ciel, t’adorant,
Te contemple ; et, nos caresses,
Toute l’ombre nous les rend !

Clartés et parfums nous-mêmes,
Nous baignons nos cœurs heureux
Dans les effluves suprêmes
Des éléments amoureux.

Et, sans qu’un souci t’oppresse,
Sans que ce soit mon tourment,
J’ai l’étoile pour maîtresse,
Le soleil est ton amant ;

Et nous donnons notre fièvre
Aux fleurs où nous appuyons
Nos bouches, et notre lèvre
Sent le baiser des rayons.

Juin 18..

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente des champs au bord d'une rivière et aux pieds de deux collines sur lesquelles sont juchés des châteaux.

VI. La vie aux champs

La vie aux champs – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 259.

La vie aux champs – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La vie aux champs, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de V. À André Chénier et suivi de VII. Réponse à un acte d’accusation.

La vie aux champs


La vie aux champs – Le texte

VI
La vie aux champs


Le soir, à la campagne, on sort, on se promène,
Le pauvre dans son champ, le riche en son domaine ;
Moi, je vais devant moi ; le poëte en tout lieu
Se sent chez lui, sentant qu’il est partout chez Dieu.
Je vais volontiers seul. Je médite ou j’écoute.
Pourtant, si quelqu’un veut m’accompagner en route,
J’accepte. Chacun a quelque chose en l’esprit,
Et tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit.
Chaque fois qu’en mes mains un de ces livres tombe,
Volume où vit une âme et que scelle la tombe,
J’y lis.

Chaque soir donc, je m’en vais, j’ai congé,

Je sors. J’entre en passant chez des amis que j’ai.
On prend le frais, au fond du jardin, en famille.
Le serein mouille un peu les bancs sous la charmille ;
N’importe ! je m’assieds, et je ne sais pourquoi
Tous les petits enfants viennent autour de moi.
Dès que je suis assis, les voilà tous qui viennent.
C’est qu’ils savent que j’ai leurs goûts ; ils se souviennent
Que j’aime comme eux l’air, les fleurs, les papillons,
Et les bêtes qu’on voit courir dans les sillons.
Ils savent que je suis un homme qui les aime,
Un être auprès duquel on peut jouer, et même
Crier, faire du bruit, parler à haute voix ;
Que je riais comme eux et plus qu’eux autrefois,
Et qu’aujourd’hui, sitôt qu’à leurs ébats j’assiste,
Je leur souris encor, bien que je sois plus triste ;
Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais
Me fâcher ; qu’on s’amuse avec moi ; que je fais
Des choses en carton, des dessins à la plume ;
Que je raconte, à l’heure où la lampe s’allume,
Oh ! des contes charmants qui vous font peur la nuit,
Et qu’enfin je suis doux, pas fier et fort instruit.
Aussi, dès qu’on m’a vu : « le voilà ! » tous accourent.
Ils quittent jeux, cerceaux et balles ; ils m’entourent
Avec leurs beaux grands yeux d’enfants, sans peur, sans fiel,
Qui semblent toujours bleus, tant on y voit le ciel !

Les petits — quand on est petit, on est très brave —
Grimpent sur mes genoux ; les grands ont un air grave ;
Ils m’apportent des nids de merles qu’ils ont pris,
Des albums, des crayons qui viennent de Paris ;
On me consulte, on a cent choses à me dire,
On parle, on cause, on rit surtout ; — j’aime le rire,
Non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs,
Mais le doux rire honnête ouvrant bouches et cœurs,
Qui montre en même temps des âmes et des perles. —

J’admire les crayons, l’album, les nids de merles ;
Et quelquefois on dit quand j’ai bien admiré :
« Il est du même avis que monsieur le curé. »
Puis, lorsqu’ils ont jasé tous ensemble à leur aise,
Ils font soudain, les grands s’appuyant sur ma chaise,
Et les petits toujours groupés sur mes genoux,
Un silence, et cela veut dire : « Parle-nous. »

Je leur parle de tout. Mes discours en eux sèment
Ou l’idée ou le fait. Comme ils m’aiment, ils aiment
Tout ce que je leur dis. Je leur montre du doigt
Le ciel, Dieu qui s’y cache, et l’astre qu’on y voit.
Tout, jusqu’à leur regard, m’écoute. Je dis comme
Il faut penser, rêver, chercher. Dieu bénit l’homme,
Non pour avoir trouvé, mais pour avoir cherché.
Je dis : Donnez l’aumône au pauvre humble et penché.
Recevez doucement la leçon ou le blâme.
Donner et recevoir, c’est faire vivre l’âme !
Je leur conte la vie, et que, dans nos douleurs,
Il faut que la bonté soit au fond de nos pleurs,
Et que, dans nos bonheurs, et que, dans nos délires,
Il faut que la bonté soit au fond de nos rires ;
Qu’être bon, c’est bien vivre ; et que l’adversité
Peut tout chasser d’une âme, excepté la bonté ;
Et qu’ainsi les méchants, dans leur haine profonde,
Ont tort d’accuser Dieu. Grand Dieu ! nul homme au monde
N’a droit, en choisissant sa route, en y marchant,
De dire que c’est toi qui l’as rendu méchant ;
Car le méchant, Seigneur, ne t’est pas nécessaire !

Je leur raconte aussi l’histoire ; la misère
Du peuple juif, maudit qu’il faut enfin bénir ;
La Grèce, rayonnant jusque dans l’avenir ;
Rome ; l’antique Égypte et ses plaines sans ombre,
Et tout ce qu’on y voit de sinistre et de sombre.
Lieux effrayants ! tout meurt ; le bruit humain finit.
Tous ces démons taillés dans des blocs de granit,
Olympe monstrueux des époques obscures,
Les Sphinx, les Anubis, les Ammons, les Mercures,
Sont assis au désert depuis quatre mille ans.
Autour d’eux le vent souffle, et les sables brûlants
Montent comme une mer d’où sort leur tête énorme ;
La pierre mutilée a gardé quelque forme
De statue ou de spectre, et rappelle d’abord
Les plis que fait un drap sur la face d’un mort ;
On y distingue encor le front, le nez, la bouche,
Les yeux, je ne sais quoi d’horrible et de farouche
Qui regarde et qui vit, masque vague et hideux.
Le voyageur de nuit, qui passe à côté d’eux,
S’épouvante, et croit voir, aux lueurs des étoiles,
Des géants enchaînés et muets sous des voiles.

La Terrasse, août 1840.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une ruine juchée sur un promontoire au pied duquel on aperçoit le clocher d'une église.

XVI. L’hirondelle au printemps…

L’hirondelle au printemps… – Les références

Les ContemplationsLivre deuxième : L’Âme en fleur ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 311.

L’hirondelle au printemps… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’hirondelle au printemps…, un poème du recueil Les Contemplations, L’Âme en fleur, de Victor Hugo.
Il est précédé de XV. Paroles dans l’ombre et suivi de XVII. Sous les arbres.

L’hirondelle au printemps…


L’hirondelle au printemps… – Le texte

XVI
L’hirondelle au printemps…


L’hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,
Débris où n’est plus l’homme, où la vie est toujours ;
La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée,
La forêt sombre et fraîche et l’épaisse ramée,
La mousse, et, dans les nœuds des branches, les doux toits
Qu’en se superposant font les feuilles des bois.
Ainsi fait l’oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville,
Le coin désert, l’abri solitaire et tranquille,
Le seuil qui n’a pas d’yeux obliques et méchants,
La rue où les volets sont fermés ; dans les champs,
Nous cherchons le sentier du pâtre et du poëte ;
Dans les bois, la clairière inconnue et muette
Où le silence éteint les bruits lointains et sourds.
L’oiseau cache son nid, nous cachons nos amours.

Fontainebleau, juin 18..

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un fleuve coulant entre deux falaises. On aperçoit un château au loin sur la gauche, et un navire sur ce fleuve.

XII. Églogue

Églogue – Les références

Les ContemplationsLivre deuxième : L’Âme en fleur ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 309.

Églogue – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Églogue, un poème du recueil Les Contemplations, L’Âme en fleur, de Victor Hugo.
Il est précédé de XI. Les femmes sont sur la terre… et suivi de XIII. Viens ! – une flûte invisible….

Églogue


Églogue – Le texte

XII
Églogue


Nous errions, elle et moi, dans les monts de Sicile.
Elle est fière pour tous et pour moi seul docile.
Les cieux et nos pensers rayonnaient à la fois.
Oh ! comme aux lieux déserts les cœurs sont peu farouches !
Que de fleurs aux buissons, que de baisers aux bouches,
Quand on est dans l’ombre des bois !

Pareils à deux oiseaux qui vont de cime en cime,
Nous parvînmes enfin tout au bord d’un abîme.
Elle osa s’approcher de ce sombre entonnoir ;
Et, quoique mainte épine offensât ses mains blanches,
Nous tâchâmes, penchés et nous tenant aux branches,
D’en voir le fond lugubre et noir.

En ce même moment, un titan centenaire,
Qui venait d’y rouler sous vingt coups de tonnerre,
Se tordait dans ce gouffre où le jour n’ose entrer ;
Et d’horribles vautours au bec impitoyable,
Attirés par le bruit de sa chute effroyable,
Commençaient à le dévorer.

Alors, elle me dit : « J’ai peur qu’on ne nous voie !
« Cherchons un antre afin d’y cacher notre joie !
« Vois ce pauvre géant ! nous aurions notre tour !
« Car les dieux envieux qui l’ont fait disparaître,
« Et qui furent jaloux de sa grandeur, peut-être
« Seraient jaloux de notre amour ! »

Septembre 18..

Remarque

Une églogue est un petit poème pastoral ou champêtre.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la vaste clarté du firmament, d'un bleu mêlé d'ombres blanches et noires.

IV. Le firmament est plein…

Le firmament est plein… – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 259.

Le firmament est plein… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Le firmament est plein…, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de III. Mes deux filles et suivi de V. À André Chénier.

Le firmament est plein…


Le firmament est plein… – Le texte

IV


Le firmament est plein de la vaste clarté ;
Tout est joie, innocence, espoir, bonheur, bonté.
Le beau lac brille au fond du vallon qui le mure ;
Le champ sera fécond, la vigne sera mûre ;
Tout regorge de sève et de vie et de bruit,
De rameaux verts, d’azur frissonnant, d’eau qui luit,
Et de petits oiseaux qui se cherchent querelle.
Qu’a donc le papillon ? qu’a donc la sauterelle ?
La sauterelle a l’herbe, et le papillon l’air ;
Et tous deux ont avril, qui rit dans le ciel clair.
Un refrain joyeux sort de la nature entière ;
Chanson qui doucement monte et devient prière.
Le poussin court, l’enfant joue et danse, l’agneau
Saute, et, laissant tomber goutte à goutte son eau,
Le vieux antre, attendri, pleure comme un visage ;
Le vent lit à quelqu’un d’invisible un passage
Du poëme inouï de la création ;
L’oiseau parle au parfum ; la fleur parle au rayon ;
Les pins sur les étangs dressent leur verte ombelle ;
Les nids ont chaud. L’azur trouve la terre belle ;
Onde et sphère ; à la fois tous les climats flottants ;
Ici l’automne, ici l’été, là le printemps.
Ô coteaux ! ô sillons ! souffles, soupirs, haleines !
L’hosanna des forêts, des fleuves et des plaines,
S’élève gravement vers Dieu, père du jour ;
Et toutes les blancheurs sont des strophes d’amour ;
Le cygne dit : lumière ! et le lys dit : clémence !
Le ciel s’ouvre à ce chant comme une oreille immense.
Le soir vient ; et le globe à son tour s’éblouit,
Devient un œil énorme et regarde la nuit ;
Il savoure, éperdu, l’immensité sacrée,
La contemplation du splendide empyrée,
Les nuages de crêpe et d’argent, le zénith,
Qui, formidable, brille et flamboie et bénit,
Les constellations, ces hydres étoilées,
Les effluves du sombre et du profond, mêlées
À vos effusions, astres de diamant,
Et toute l’ombre avec tout le rayonnement !
L’infini tout entier d’extase se soulève.
Et, pendant ce temps-là, Satan, l’envieux, rêve.

La Terrasse, avril 1840.