Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente des frondaisons sous un ciel contrasté entre douceur et tourments.

XVIII. Je sais bien qu’il est d’usage…

Je sais bien qu’il est d’usage… – Les références

Les ContemplationsLivre deuxième : L’Âme en fleur ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 312.

Je sais bien qu’il est d’usage… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Je sais bien qu’il est d’usage…, un poème du recueil Les Contemplations, L’Âme en fleur, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVII. Sous les arbres et suivi de XIX. N’envions rien.

Je sais bien qu’il est d’usage…


Je sais bien qu’il est d’usage… – Le texte

XVIII


Je sais bien qu’il est d’usage
D’aller en tous lieux criant
Que l’homme est d’autant plus sage
Qu’il rêve plus de néant ;

D’applaudir la grandeur noire,
Les héros, le fer qui luit,
Et la guerre, cette gloire
Qu’on fait avec de la nuit ;

D’admirer les coups d’épée,
Et la fortune, ce char
Dont une roue est Pompée,
Dont l’autre roue est César ;

Et Pharsale et Trasimène,
Et tout ce que les Nérons
Font voler de cendre humaine
Dans le souffle des clairons !

Je sais que c’est la coutume
D’adorer ces nains géants
Qui, parce qu’ils sont écume,
Se supposent océans ;

Et de croire à la poussière,
À la fanfare qui fuit,
Aux pyramides de pierre,
Aux avalanches de bruit.

Moi, je préfère, ô fontaines !
Moi, je préfère, ô ruisseaux !
Au Dieu des grands capitaines,
Le Dieu des petits oiseaux !

Ô mon doux ange, en ces ombres
Où, nous aimant, nous brillons,
Au Dieu des ouragans sombres
Qui poussent les bataillons,

Au Dieu des vastes armées,
Des canons au lourd essieu,
Des flammes et des fumées,
Je préfère le bon Dieu !

Le bon Dieu, qui veut qu’on aime,
Qui met au cœur de l’amant
Le premier vers du poëme,
Le dernier au firmament ;

Qui songe à l’aile qui pousse,
Aux œufs blancs, au nid troublé,
Si la caille a de la mousse,
Et si la grive a du blé ;

Et qui fait, pour les Orphées,
Tenir, immense et subtil,
Tout le doux monde des fées
Dans le vert bourgeon d’avril !

Si bien, que cela s’envole
Et se disperse au printemps,
Et qu’une vague auréole
Sort de tous les nids chantants !

Vois-tu, quoique notre gloire
Brille en ce que nous créons,
Et dans notre grande histoire
Pleine de grands panthéons ;

Quoique nous ayons des glaives,
Des temples, Chéops, Babel,
Des tours, des palais, des rêves,
Et des tombeaux jusqu’au ciel ;

Il resterait peu de choses
À l’homme qui vit un jour,
Si Dieu nous ôtait les roses,
Si Dieu nous ôtait l’amour !

Chelles, septembre 18..

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un lion ailé sur une stèle portant l'inscription "CI GIT HOMO SALVUS".

XXVIII. Il faut que le poëte…

Il faut que le poëte… – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 295.

Il faut que le poëte… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Il faut que le poëte…, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXVII. Oui, je suis le rêveur… et suivi de XXIX. Halte en marchant.

Il faut que le poëte…


Il faut que le poëte… – Le texte

XXVIII


Il faut que le poëte, épris d’ombre et d’azur,
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,
Chanteur mystérieux qu’en tressaillant écoutent
Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,
Devienne formidable à de certains moments.
Parfois, lorsqu’on se met à rêver sur son livre,
Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,
Où l’âme, à chaque pas, trouve à faire son miel,
Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel,
Au milieu de cette humble et haute poésie,
Dans cette paix sacrée où croît la fleur choisie,
Où l’on entend couler les sources et les pleurs,
Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,
Volent chantant l’amour, l’espérance et la joie,
Il faut que, par instants, on frissonne, et qu’on voie
Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve sortir de l’ombre en rugissant !
Il faut que le poëte aux semences fécondes
Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,
Pleines de chants, amour du vent et du rayon,
Charmantes, où, soudain, l’on rencontre un lion.

Paris, mai 1842.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la Terre dans son voyage de nuit.

XIX. Voyage de nuit

Voyage de nuit – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 513.

Voyage de nuit – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Voyage de nuit, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVIII. Hélas ! tout est sépulcre… et suivi de XX. Relligio.

Voyage de nuit


Voyage de nuit – Le texte

XIX
Voyage de nuit


On conteste, on dispute, on proclame, on ignore.
Chaque religion est une tour sonore ;
Ce qu’un prêtre édifie, un prêtre le détruit ;
Chaque temple, tirant sa corde dans la nuit,
Fait, dans l’obscurité sinistre et solennelle,
Rendre un son différent à la cloche éternelle.
Nul ne connaît le fond, nul ne voit le sommet.
Tout l’équipage humain semble en démence ; on met
Un aveugle en vigie, un manchot à la barre ;
À peine a-t-on passé du sauvage au barbare,
À peine a-t-on franchi le plus noir de l’horreur,
À peine a-t-on, parmi le vertige et l’erreur,
Dans ce brouillard où l’homme attend, songe et soupire,
Sans sortir du mauvais, fait un pas hors du pire,
Que le vieux temps revient et nous mord les talons,
Et nous crie : Arrêtez ! Socrate dit : Allons !
Jésus-Christ dit : Plus loin ! et le sage et l’apôtre
S’en vont se demander dans le ciel l’un à l’autre
Quel goût a la ciguë et quel goût a le fiel.
Par moments, voyant l’homme ingrat, fourbe et cruel,
Satan lui prend la main sous le linceul de l’ombre.
Nous appelons science un tâtonnement sombre.
L’abîme, autour de nous, lugubre tremblement,
S’ouvre et se ferme ; et l’œil s’effraie également
De ce qui s’engloutit et de ce qui surnage.
Sans cesse le progrès, roue au double engrenage,
Fait marcher quelque chose en écrasant quelqu’un.
Le mal peut être joie, et le poison parfum.
Le crime avec la loi morne et mélancolique
Lutte ; le poignard parle, et l’échafaud réplique.
Nous entendons, sans voir la source ni la fin,
Derrière notre nuit, derrière notre faim,
Rire l’ombre Ignorance et la larve Misère.
Le lys a-t-il raison ? et l’astre est-il sincère ?
Je dis oui, tu dis non. Ténèbres et rayons
Affirment à la fois. Doute, Adam ! Nous voyons
De la nuit dans l’enfant, de la nuit dans la femme ;
Et sur notre avenir nous querellons notre âme ;
Et, brûlé, puis glacé, chaos, semoun, frimas,
L’homme de l’infini traverse les climats.
Tout est brume ; le vent souffle avec des huées,
Et de nos passions arrache des nuées ;
Rousseau dit : L’homme monte ; et de Maistre : Il descend !
Mais, ô Dieu ! le navire énorme et frémissant,
Le monstrueux vaisseau sans agrès et sans voiles,
Qui flotte, globe noir, dans la mer des étoiles,
Et qui porte nos maux, fourmillement humain,
Va, marche, vogue et roule, et connaît son chemin ;
Le ciel sombre, où parfois la blancheur semble éclore,
À l’effrayant roulis mêle un frisson d’aurore ;
De moment en moment le sort est moins obscur ;
Et l’on sent bien qu’on est emporté vers l’azur.

Marine-Terrrace, octobre 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un archange, attristé, un passant des cieux.

XI. Oh ! par nos vils plaisirs…

Oh ! par nos vils plaisirs… – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 499.

Oh ! par nos vils plaisirs… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Oh ! par nos vils plaisirs…, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.

Oh ! par nos vils plaisirs…


Oh ! par nos vils plaisirs… – Le texte

XI


Oh ! par nos vils plaisirs, nos appétits, nos fanges,
Que de fois nous devons vous attrister, archanges !
C’est vraiment une chose amère de songer
Qu’en ce monde où l’esprit n’est qu’un morne étranger,
Où la volupté rit, jeune, et si décrépite !
Où dans les lits profonds l’aile d’en bas palpite,
Quand, pâmé, dans un nimbe ou bien dans un éclair,
On tend sa bouche ardente aux coupes de la chair,
À l’heure où l’on s’enivre aux lèvres d’une femme
De ce qu’on croit l’amour, de ce qu’on prend pour l’âme,
Sang du cœur, vin des sens âcre et délicieux,
On fait rougir là-haut quelque passant des cieux !

Juin 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un nuage qui passe, à l'image de la vie, fugitive pour ceux qui nous quittent.

V. À Mademoiselle Louise B.

À Mademoiselle Louise B. – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 434.

À Mademoiselle Louise B. – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Mademoiselle Louise B., un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de IV. La Source tombait du rocher… et suivi de VI. À Vous qui êtes là.

À Mademoiselle Louise B.


À Mademoiselle Louise B. – Le texte

V
À Mademoiselle Louise B.


Ô vous l’âme profonde ! ô vous la sainte lyre !
Vous souvient-il des temps d’extase et de délire,
Et des jeux triomphants,
Et du soir qui tombait des collines prochaines ?
Vous souvient-il des jours ? Vous souvient-il des chênes
Et des petits enfants ?

Et vous rappelez-vous les amis, et la table,
Et le rire éclatant du père respectable,
Et nos cris querelleurs,
Le pré, l’étang, la barque et la lune, et la brise,
Et les chants qui sortaient de votre cœur, Louise,
En attendant les pleurs !

Le parc avait des fleurs et n’avait pas de marbres.
Oh ! comme il était beau, le vieillard, sous les arbres !
Je le voyais parfois
Dès l’aube sur un banc s’asseoir tenant un livre ;
Je sentais, j’entendais l’ombre autour de lui vivre
Et chanter dans les bois !

Il lisait, puis dormait au baiser de l’aurore ;
Et je le regardais dormir, plus calme encore
Que ce paisible lieu,
Avec son front serein d’où sortait une flamme,
Son livre ouvert devant le soleil, et son âme
Ouverte devant Dieu !

Et du fond de leur nid, sous l’orme et sous l’érable,
Les oiseaux admiraient sa tête vénérable,
Et, gais chanteurs tremblants,
Ils guettaient, s’approchaient et souhaitaient dans l’ombre
D’avoir, pour augmenter la douceur du nid sombre,
Un de ses cheveux blancs !

Puis il se réveillait, s’en allait vers la grille,
S’arrêtait pour parler à ma petite fille,
Et ces temps sont passés !
Le vieillard et l’enfant jasaient de mille choses…
Vous ne voyiez donc pas ces deux êtres, ô roses,
Que vous refleurissez !

Avez-vous bien le cœur, ô roses, de renaître
Dans le même bosquet, sous la même fenêtre ?
Où sont-ils, ces fronts purs ?
N’étaient-ce pas vos sœurs, ces deux âmes perdues
Qui vivaient, et se sont si vite confondues
Aux éternels azurs ?

Est-ce que leur sourire, est-ce que leurs paroles,
Ô roses, n’allaient pas réjouir vos corolles
Dans l’air silencieux,
Et ne s’ajoutaient pas à vos chastes délices,
Et ne devenaient pas parfums dans vos calices,
Et rayons dans vos cieux ?

Ingrates ! vous n’avez ni regrets, ni mémoire.
Vous vous réjouissez dans toute votre gloire ;
Vous n’avez point pâli.
Ah ! je ne suis qu’un homme et qu’un roseau qui ploie,
Mais je ne voudrais pas, quant à moi, d’une joie
Faite de tant d’oubli !

Oh ! qu’est-ce que le sort a fait de tout ce rêve ?
Où donc a-t-il jeté l’humble cœur qui s’élève,
Le foyer réchauffant,
Ô Louise, et la vierge, et le vieillard prospère,
Et tous ces vœux profonds, de moi pour votre père,
De vous pour mon enfant !

Où sont-ils, les amis de ce temps que j’adore ?
Ceux qu’a pris l’ombre et ceux qui ne sont pas encore
Tombés aux flots sans bords ;
Eux, les évanouis, qu’un autre ciel réclame,
Et vous, les demeurés, qui vivez dans mon âme,
Mais pas plus que les morts !

Quelquefois, je voyais, de la colline en face,
Mes quatre enfants jouer, tableau que rien n’efface !
Et j’entendais leurs chants ;
Ému, je contemplais ces aubes de moi-même
Qui se levaient là-bas dans la douceur suprême
Des vallons et des champs !

Ils couraient, s’appelaient dans les fleurs ; et les femmes
Se mêlaient à leurs jeux comme de blanches âmes ;
Et tu riais, Armand !
Et, dans l’hymen obscur qui sans fin se consomme,
La nature sentait que ce qui sort de l’homme
Est divin et charmant.

Où sont-ils ? Mère, frère, à son tour chacun sombre.
Je saigne et vous saignez. Mêmes douleurs ! même ombre !
Ô jours trop tôt décrus !
Ils vont se marier ; faites venir un prêtre ;
Qu’il revienne ! ils sont morts. Et, le temps d’apparaître,
Les voilà disparus !

Nous vivons tous penchés sur un océan triste.
L’onde est sombre. Qui donc survit ? qui donc existe ?
Ce bruit sourd, c’est le glas.
Chaque flot est une âme ; et tout fuit. Rien ne brille.
Un sanglot dit : Mon père ! un sanglot dit : Ma fille !
Un sanglot dit : Hélas !

Jersey, Marine-Terrace, juin 1855.

Remarques

Louise Bertin a composé la musique de l’opéra La Esmeralda, dont Victor avait écrit le livret (d’après le roman Notre-Dame de Paris) ; mais elle était aussi l’amie de Léopoldine, fille de Victor Hugo, disparue en 1843. Le père de Louise Bertin, fondateur du Journal des débats, meurt en 1841. Son frère Armand disparaît en 1854.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une barque à voile naviguant sur un fleuve.

I. Pure innocence !…

Pure innocence !… – Les références

Les contemplationsLivre quatrième : Pauca meae ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 395.

Pure innocence !… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Pure innocence !…, court poème des Contemplations, de Victor Hugo, qui ouvre le livre quatrième : Pauca meae.
Il est suivi de II. 15 février 1843.

Pure innocence !…

Pure innocence !… – Le texte

I

Pure innocence ! Vertu sainte !
Ô les deux sommets d’ici-bas !
Où croissent, sans ombre et sans crainte,
Les deux palmes des deux combats !

Palme du combat Ignorance !
Palme du combat Vérité !
L’âme, à travers sa transparence,
Voit trembler leur double clarté.

Innocence ! Vertu ! sublimes
Même pour l’œil mort du méchant !
On voit dans l’azur ces deux cimes,
L’une au levant, l’autre au couchant.

Elles guident la nef qui sombre ;
L’une est phare, et l’autre est flambeau ;
L’une a le berceau dans son ombre,
L’autre en son ombre a le tombeau.

C’est sous la terre infortunée
Que commence, obscure à nos yeux,
La ligne de la destinée ;
Elles l’achèvent dans les cieux.

Elles montrent, malgré les voiles
Et l’ombre du fatal milieu,
Nos âmes touchant les étoiles
Et la candeur mêlée au bleu.

Elles éclairent les problèmes ;
Elles disent le lendemain ;
Elles sont les blancheurs suprêmes
De tout le sombre gouffre humain.

L’archange effleure de son aile
Ce faîte où Jéhovah s’assied ;
Et sur cette neige éternelle
On voit l’empreinte d’un seul pied.

Cette trace qui nous enseigne,
Ce pied blanc, ce pied fait de jour,
Ce pied rose, hélas ! car il saigne,
Ce pied nu, c’est le tien, amour !

Janvier 1843.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une source qui semble sortir d'une bouche ouverte en un cri, qui pourrait être celui de Munch.

VI. La source

La source – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 341.

La source – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La source, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de V. Quia pulvis es et suivi de VII. La Statue.

La source


La source – Le texte

VI
La source


Un lion habitait près d’une source ; un aigle
Y venait boire aussi.
Or, deux héros, un jour, deux rois — souvent Dieu règle
La destinée ainsi —

Vinrent à cette source où des palmiers attirent
Le passant hasardeux,
Et, s’étant reconnus, ces hommes se battirent
Et tombèrent tous deux.

L’aigle, comme ils mouraient, vint planer sur leurs têtes,
Et leur dit, rayonnant :
— Vous trouviez l’univers trop petit, et vous n’êtes
Qu’une ombre maintenant !

Ô princes ! et vos os, hier pleins de jeunesse,
Ne seront plus demain
Que des cailloux mêlés, sans qu’on les reconnaisse,
Aux pierres du chemin !

Insensés ! à quoi bon cette guerre âpre et rude,
Ce duel, ce talion ?… —
Je vis en paix, moi, l’aigle, en cette solitude,
Avec lui, le lion.

Nous venons tous deux boire à la même fontaine,
Rois dans les mêmes lieux ;
Je lui laisse le bois, la montagne et la plaine,
Et je garde les cieux.

Octobre 1846.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une jeune femme à la taille frêle et souple comme le roseau.

X. Mon bras pressait ta taille frêle…

Mon bras pressait ta taille frêle… – Les références

Les ContemplationsLivre deuxième : L’Âme en fleur ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 307.

Mon bras pressait ta taille frêle… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Mon bras pressait ta taille frêle…, un poème du recueil Les Contemplations, L’Âme en fleur, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. En écoutant les oiseaux et suivi de X. Les femmes sont sur la terre….

Mon bras pressait ta taille frêle…


Mon bras pressait ta taille frêle… – Le texte

X


Mon bras pressait ta taille frêle
Et souple comme le roseau ;
Ton sein palpitait comme l’aile
D’un jeune oiseau.

Longtemps muets, nous contemplâmes
Le ciel où s’éteignait le jour.
Que se passait-il dans nos âmes ?
Amour ! Amour !

Comme un ange qui se dévoile,
Tu me regardais dans ma nuit,
Avec ton beau regard d’étoile,
Qui m’éblouit.

Forêt de Fontainebleau, juillet 18..

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un personnage étrange, triste, et pourtant porteur d'un nez rouge.

XXIII. L’enfance

L’enfance – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 289.

L’enfance – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’enfance, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXII. La fête chez Thérèse et suivi de XXIV. Heureux l’homme, occupé….

L’enfance


L’enfance – Le texte

XXIII
L’enfance


L’enfant chantait ; la mère au lit, exténuée,
Agonisait, beau front dans l’ombre se penchant ;
La mort au-dessus d’elle errait dans la nuée ;
Et j’écoutais ce râle, et j’entendais ce chant.

L’enfant avait cinq ans, et, près de la fenêtre
Ses rires et ses jeux faisaient un charmant bruit ;
Et la mère, à côté de ce pauvre doux être
Qui chantait tout le jour, toussait toute la nuit.

La mère alla dormir sous les dalles du cloître ;
Et le petit enfant se remit à chanter… —
La douleur est un fruit : Dieu ne le fait pas croître
Sur la branche trop faible encor pour le porter.

Paris, janvier 1835.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un rayon qui illumine le chemin qui mène à la porte du tombeau.

XXIV. En frappant à une porte

En frappant à une porte – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 532.

En frappant à une porte – L’enregistrement

Je vous invite à écouter En frappant à une porte, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXIII. Les mages et suivi de XXV. Nomen, numen, lumen.

En frappant à une porte


En frappant à une porte – Le texte

XXIV
En frappant à une porte


J’ai perdu mon père et ma mère,
Mon premier né, bien jeune, hélas !
Et pour moi la nature entière
Sonne le glas.

Je dormais entre mes deux frères ;
Enfants, nous étions trois oiseaux ;
Hélas ! le sort change en deux bières
Leurs deux berceaux.

Je t’ai perdue, ô fille chère,
Toi qui remplis, ô mon orgueil,
Tout mon destin de la lumière
De ton cercueil !

J’ai su monter, j’ai su descendre.
J’ai vu l’aube et l’ombre en mes cieux.
J’ai connu la pourpre, et la cendre
Qui me va mieux.

J’ai connu les ardeurs profondes,
J’ai connu les sombres amours ;
J’ai vu fuir les ailes, les ondes,
Les vents, les jours.

J’ai sur ma tête des orfraies ;
J’ai sur tous mes travaux l’affront,
Aux pieds la poudre, au cœur des plaies,
L’épine au front.

J’ai des pleurs à mon œil qui pense,
Des trous à ma robe en lambeau ;
Je n’ai rien à la conscience :
Ouvre, tombeau.

Marine-Terrace, 4 septembre 1855.