Les contemplations – Livre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 279.
À Granville, en 1836 – L’enregistrement
Je vous invite à écouter À Granville, en 1836, un poème des Contemplations, de Victor Hugo, du premier livre : Aurore.
Il est précédé de XIII. À propos d’Horace et suivi de XV. La Coccinelle.
À Granville, en 1836
À Granville, en 1836 – Le texte
XIV
À Granville, en 1836
Voici juin. Le moineau raille
Dans les champs les amoureux ;
Le rossignol de muraille
Chante dans son nid pierreux.
Les herbes et les branchages,
Pleins de soupirs et d’abois,
Font de charmants rabâchages
Dans la profondeur des bois.
La grive et la tourterelle
Prolongent, dans les nids sourds,
La ravissante querelle
Des baisers et des amours.
Sous les treilles de la plaine,
Dans l’antre où verdit l’osier,
Virgile enivre Silène,
Et Rabelais Grandgousier.
Ô Virgile, verse à boire !
Verse à boire, ô Rabelais !
La forêt est une gloire ;
La caverne est un palais !
Il n’est pas de lac ni d’île
Qui ne nous prenne au gluau,
Qui n’improvise une idylle,
Ou qui ne chante un duo.
Car l’amour chasse aux bocages,
Et l’amour pêche aux ruisseaux,
Car les belles sont les cages
Dont nos cœurs sont les oiseaux.
De la source, sa cuvette,
La fleur, faisant son miroir,
Dit : « Bonjour, » à la fauvette,
Et dit au hibou : « Bonsoir. »
Le toit espère la gerbe,
Pain d’abord et chaume après ;
La croupe du bœuf dans l’herbe
Semble un mont dans les forêts.
L’étang rit à la macreuse,
Le pré rit au loriot,
Pendant que l’ornière creuse
Gronde le lourd chariot.
L’or fleurit en giroflée ;
L’ancien zéphyr fabuleux
Souffle avec sa joue enflée
Au fond des nuages bleus.
Jersey, sur l’onde docile,
Se drape d’un beau ciel pur,
Et prend des airs de Sicile
Dans un grand haillon d’azur.
Partout l’églogue est écrite :
Même en la froide Albion,
L’air est plein de Théocrite,
Le vent sait par cœur Bion ;
Et redit, mélancolique,
La chanson que fredonna
Moschus, grillon bucolique
De la cheminée Etna.
L’hiver tousse, vieux phtisique,
Et s’en va ; la brume fond ;
Les vagues font la musique
Des vers que les arbres font.
Toute la nature sombre
Verse un mystérieux jour ;
L’âme qui rêve a plus d’ombre
Et la fleur a plus d’amour.
L’herbe éclate en pâquerettes ;
Les parfums, qu’on croit muets,
Content les peines secrètes
Des liserons aux bleuets.
Les petites ailes blanches
Sur les eaux et les sillons
S’abattent en avalanches ;
Il neige des papillons.
Et sur la mer, qui reflète
L’aube au sourire d’émail,
La bruyère violette
Met au vieux mont un camail ;
Afin qu’il puisse, à l’abîme
Qu’il contient et qu’il bénit,
Dire sa messe sublime
Sous sa mitre de granit.
Granville, juin 1836.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/agranville-en1836-aurore-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-13 12:18:072018-06-14 10:20:48XIV. À Granville, en 1836
Les contemplations – Livre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 423.
Écrit en 1846 – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Écrit en 1846, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Vous pouvez aussi écouter Écrit en 1855, post-scriptum après neuf ans. Il est présenté à la suite de Écrit en 1846.
Ces deux poèmes sont précédés de II. Au fils d’un poëte et suivis de IV. La source tombait du rocher….
Écrit en 1846
Écrit en 1846 – Le texte
II
Écrit en 1846
« … Je vous ai vu enfant, monsieur, chez votre respectable mère, et nous sommes même un peu parents, je crois. J’ai applaudi à vos premières odes, la Vendée, Louis XVII… Dès 1827, dans votre ode dite À la colonne, vous désertiez les saines doctrines, vous abjuriez la légitimité ; la faction libérale battait des mains à votre apostasie. J’en gémissais… Vous êtes aujourd’hui, monsieur, en démagogie pure, en plein jacobinisme. Votre discours d’anarchiste sur les affaires de Gallicie est plus digne du tréteau d’une Convention que de la tribune d’une Chambre des pairs. Vous en êtes à la Carmagnole… Vous vous perdez, je vous le dis. Quelle est donc votre ambition ? Depuis ces beaux jours de votre adolescence monarchique, qu’avez-vous fait ? où allez-vous ?… »
(Le marquis de C. d’E. — Lettre à Victor Hugo. Paris, 1846.)
I
Marquis, je m’en souviens, vous veniez chez ma mère.
Vous me faisiez parfois réciter ma grammaire ;
Vous m’apportiez toujours quelque bonbon exquis ;
Et nous étions cousins quand on était marquis.
Vous étiez vieux, j’étais enfant ; contre vos jambes
Vous me preniez, et puis, entre deux dithyrambes
En l’honneur de Coblentz et des rois, vous contiez
Quelque histoire de loups, de peuples châtiés,
D’ogres, de jacobins, authentique et formelle,
Que j’avalais avec vos bonbons, pêle-mêle,
Et que je dévorais de fort bon appétit
Quand j’étais royaliste et quand j’étais petit.
J’étais un doux enfant, le grain d’un honnête homme.
Quand, plein d’illusions, crédule, simple, en somme,
Droit et pur, mes deux yeux sur l’idéal ouverts,
Je bégayais, songeur naïf, mes premiers vers,
Marquis, vous leur trouviez un arrière-goût fauve,
Les Grâces vous ayant nourri dans leur alcôve ;
Mais vous disiez : Pas mal ! bien ! C’est quelqu’un qui naît !
Et, souvenir sacré ! ma mère rayonnait.
Je me rappelle encor de quel accent ma mère
Vous disait : « Bonjour. » Aube ! avril ! joie éphémère !
Où donc est ce sourire ? où donc est cette voix ?
Vous fuyez donc ainsi que les feuilles des bois,
Ô baisers d’une mère ! Aujourd’hui, mon front sombre,
Le même front est là, pensif, avec de l’ombre,
Et les baisers de moins et les rides de plus !
Vous aviez de l’esprit, marquis. Flux et reflux,
Heur, malheur, vous avaient laissé l’âme assez nette ;
Riche, pauvre, écuyer de Marie-Antoinette,
Émigré, vous aviez, dans ce temps incertain,
Bien supporté le chaud et le froid du destin.
Vous haïssiez Rousseau, mais vous aimiez Voltaire.
Pigault-Lebrun allait à votre goût austère,
Mais Diderot était digne du pilori.
Vous détestiez, c’est vrai, madame Dubarry,
Tout en divinisant Gabrielle d’Estrée.
Pas plus que Sévigné, la marquise lettrée,
Ne s’étonnait de voir, douce femme rêvant,
Blêmir au clair de lune et trembler dans le vent,
Aux arbres du chemin, parmi les feuilles jaunes,
Les paysans pendus par ce bon duc de Chaulnes,
Vous ne preniez souci des manants qu’on abat
Par la force, et du pauvre écrasé sous le bât.
Avant quatre-vingt-neuf, galant incendiaire,
Vous portiez votre épée en quart de civadière ;
La poudre blanchissait votre dos de velours ;
Vous marchiez sur le peuple à pas légers — et lourds.
Quoique les vieux abus n’eussent rien qui vous blesse,
Jeune, vous aviez eu, vous, toute la noblesse,
Montmorency, Choiseul, Noaille, esprits charmants,
Avec la royauté des querelles d’amants ;
Brouilles, roucoulements ; Bérénice avec Tite.
La Révolution vous plut toute petite ;
Vous emboîtiez le pas derrière Talleyrand ;
Le monstre vous sembla d’abord fort transparent,
Et vous l’aviez tenu sur les fonds de baptême.
Joyeux, vous aviez dit au nouveau-né : Je t’aime !
Ligue ou Fronde, remède au déficit, protêt,
Vous ne saviez pas trop au fond ce que c’était ;
Mais vous battiez des mains gaîment, quand Lafayette
Fit à Léviathan sa première layette.
Plus tard, la peur vous prit quand surgit le flambeau.
Vous vîtes la beauté du tigre Mirabeau.
Vous nous disiez, le soir, près du feu qui pétille,
Paris de sa poitrine arrachant la Bastille,
Le faubourg Saint-Antoine accourant en sabots,
Et ce grand peuple, ainsi qu’un spectre des tombeaux,
Sortant, tout effaré de son antique opprobre,
Et le vingt juin, le dix août, le six octobre,
Et vous nous récitiez les quatrains que Boufflers,
Mêlait en souriant à ces blêmes éclairs.
Car vous étiez de ceux qui, d’abord, ne comprirent
Ni le flot, ni la nuit, ni la France, et qui rirent ;
Qui prenaient tout cela pour des jeux innocents ;
Qui, dans l’amas plaintif des siècles rugissants
Et des hommes hagards, ne voyaient qu’une meute ;
Qui, légers, à la foule, à la faim, à l’émeute,
Donnaient à deviner l’énigme du salon,
Et qui, quand le ciel noir s’emplissait d’aquilon,
Quand, accroupie au seuil du mystère insondable,
La Révolution se dressait formidable,
Sceptiques, sans voir l’ongle et l’œil fauve qui luit,
Distinguant mal sa face étrange dans la nuit,
Presque prêts à railler l’obscurité difforme,
Jouaient à la charade avec le sphinx énorme.
Vous nous disiez : « Quel deuil ! Les gueux, les mécontents,
« Ont fait rage ; on n’a pas su s’arrêter à temps.
« Une transaction eût tout sauvé peut-être.
« Ne peut-on être libre et le roi rester maître ?
« Le peuple conservant le trône eût été grand. »
Puis vous deveniez triste et morne ; et, murmurant :
« Les plus sages n’ont pu sauver ce bon vieux trône.
« Tout est mort ; ces grands rois, ce Paris Babylone,
« Montespan et Marly, Maintenon et Saint-Cyr ! »
Vous pleuriez. — Et, grand Dieu ! pouvaient-ils réussir,
Ces hommes qui voulaient, combinant vingt régimes,
La loi qui nous froissa, l’abus dont nous rougîmes,
Vieux codes, vieilles mœurs, droit divin, nation,
Chausser de royauté la Révolution ?
La patte du lion creva cette pantoufle !
II
Puis vous m’avez perdu de vue ; un vent qui souffle
Disperse nos destins, nos jours, notre raison,
Nos cœurs, aux quatre coins du livide horizon ;
Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière.
La seconde âme en nous se greffe à la première ;
Toujours la même tige avec une autre fleur.
J’ai connu le combat, le labeur, la douleur,
Les faux amis, ces nœuds qui deviennent couleuvres ;
J’ai porté deuils sur deuils ; j’ai mis œuvres sur œuvres ;
Vous ayant oublié, je ne le cache pas,
Marquis ; soudain j’entends dans ma maison un pas,
C’est le vôtre, et j’entends une voix, c’est la vôtre,
Qui m’appelle apostat, moi qui me crus apôtre !
Oui, c’est bien vous ; ayant peur jusqu’à la fureur,
Fronsac vieux, le marquis happé par la Terreur,
Haranguant à mi-corps dans l’hydre qui l’avale.
L’âge ayant entre nous conservé l’intervalle
Qui fait que l’homme reste enfant pour le vieillard,
Ne me voyant d’ailleurs qu’à travers un brouillard,
Vous criez, l’œil hagard et vous fâchant tout rouge :
« Ah çà ! qu’est-ce que c’est que ce brigand ? Il bouge ! »
Et du poing, non du doigt, vous montrez vos aïeux,
Et vous me rappelez ma mère, furieux.
— Je vous baise, ô pieds froids de ma mère endormie ! —
Et, vous exclamant : « Honte ! anarchie ! infamie !
« Siècle effroyable où nul ne veut se tenir coi ! »
Me demandant comment, me demandant pourquoi,
Remuant tous les morts qui gisent sous la pierre,
Citant Lambesc, Marat, Charette et Robespierre,
Vous me dites d’un ton qui n’a plus rien d’urbain :
« Ce gueux est libéral ! ce monstre est jacobin !
« Sa voix à des chansons de carrefour s’éraille.
« Pourquoi regardes-tu par-dessus la muraille ?
« Où vas-tu ? d’où viens-tu ? qui te rends si hardi ?
« Depuis qu’on ne t’a vu, qu’as-tu fait ? »
J’ai grandi.
Quoi ! parce que je suis né dans un groupe d’hommes
Qui ne voyaient qu’enfers, Gomorrhes et Sodomes,
Hors des anciennes mœurs et des antiques fois ;
Quoi ! parce que ma mère, en Vendée, autrefois,
Sauva dans un seul jour la vie à douze prêtres ;
Parce qu’enfant sorti de l’ombre des ancêtres,
Je n’ai su tout d’abord que ce qu’ils m’ont appris,
Qu’oiseau dans le passé comme en un filet pris,
Avant de m’échapper à travers le bocage,
J’ai dû laisser pousser mes plumes dans ma cage ;
Parce que j’ai pleuré, — j’en pleure encor, qui sait ? —
Sur ce pauvre petit nommé Louis dix-sept ;
Parce qu’adolescent, âme à faux jour guidée,
J’ai trop peu vu la France et trop vu la Vendée ;
Parce que j’ai loué l’héroïsme breton,
Chouan et non Marceau, Stofflet et non Danton,
Que les grands paysans m’ont caché les grands hommes,
Et que j’ai fort mal lu, d’abord, l’ère où nous sommes ;
Parce que j’ai vagi des chants de royauté,
Suis-je à toujours rivé dans l’imbécillité ?
Dois-je crier : Arrière ! à mon siècle ; — à l’idée :
Non ! — à la vérité : Va-t’en, dévergondée ! —
L’arbre doit-il pour moi n’être qu’un goupillon ?
Au sein de la nature, immense tourbillon,
Dois-je vivre, portant l’ignorance en écharpe,
Cloîtré dans Loriquet et muré dans Laharpe ?
Dois-je exister sans être et regarder sans voir ?
Et faut-il qu’à jamais pour moi, quand vient le soir,
Au lieu de s’étoiler, le ciel se fleurdelyse ?
III
Car le roi masque Dieu même dans son église,
L’azur.
IV
Écoutez-moi. J’ai vécu ; j’ai songé.
La vie en larmes m’a doucement corrigé.
Vous teniez mon berceau dans vos mains, et vous fîtes
Ma pensée et ma tête en vos rêves confites.
Hélas ! j’étais la roue et vous étiez l’essieu.
Sur la vérité sainte, et la justice, et Dieu,
Sur toutes les clartés que la raison nous donne,
Par vous, par vos pareils, — et je vous le pardonne,
Marquis, — j’avais été tout de travers placé.
J’étais en porte-à-faux, je me suis redressé.
La pensée est le droit sévère de la vie.
Dieu prend par la main l’homme enfant, et le convie
À la classe qu’au fond des champs, au sein des bois,
Il fait dans l’ombre à tous les êtres à la fois.
J’ai pensé. J’ai rêvé près des flots, dans les herbes,
Et les premiers courroux de mes odes imberbes
Sont d’eux-même en marchant tombés derrière moi.
La nature devient ma joie et mon effroi ;
Oui, dans le même temps où vous faussiez ma lyre,
Marquis, je m’échappais et j’apprenais à lire
Dans cet hiéroglyphe énorme : l’univers.
Oui, j’allais feuilleter les champs tout grands ouverts ;
Tout enfant, j’essayais d’épeler cette bible
Où se mêle, éperdu, le charmant au terrible ;
Livre écrit dans l’azur, sur l’onde et le chemin,
Avec la fleur, le vent, l’étoile, et qu’en sa main
Tient la création au regard de statue ;
Prodigieux poëme où la foudre accentue
La nuit, où l’océan souligne l’infini.
Aux champs, entre les bras du grand chêne béni,
J’étais plus fort, j’étais plus doux, j’étais plus libre ;
Je me mettais avec le monde en équilibre ;
Je tâchais de savoir, tremblant, pâle, ébloui,
Si c’est Non que dit l’ombre à l’astre qui dit Oui ;
Je cherchais à saisir le sens des phrases sombres
Qu’écrivaient sous mes yeux les formes et les nombres ;
J’ai vu partout grandeur, vie, amour, liberté ;
Et j’ai dit : — Texte : Dieu ; contre-sens : royauté. —
La nature est un drame avec des personnages ;
J’y vivais : j’écoutais, comme des témoignages,
L’oiseau, le lys, l’eau vive et la nuit qui tombait.
Puis je me suis penché sur l’homme, autre alphabet.
Le mal m’est apparu, puissant, joyeux, robuste,
Triomphant ; je n’avais qu’une soif : être juste ;
Comme on arrête un gueux volant sur le chemin,
Justicier indigné, j’ai pris le cœur humain
Au collet, et j’ai dit : Pourquoi le fiel, l’envie,
La haine ? Et j’ai vidé les poches de la vie.
Je n’ai trouvé dedans que deuil, misère, ennui.
J’ai vu le loup mangeant l’agneau, dire : Il m’a nui !
Le vrai boitant ; l’erreur haute de cent coudées ;
Tous les cailloux jetés à toutes les idées.
Hélas ! j’ai vu la nuit reine, et, de fers chargés,
Christ, Socrate, Jean Huss, Colomb ; les préjugés
Sont pareils aux buissons que dans la solitude
On brise pour passer : toute la multitude
Se redresse et vous mord pendant qu’on en courbe un.
Ah ! malheur à l’apôtre et malheur au tribun !
On avait eu bien soin de me cacher l’histoire ;
J’ai lu ; j’ai comparé l’aube avec la nuit noire,
Et les quatrevingt-treize aux Saint-Barthélémy ;
Car ce quatrevingt-treize où vous avez frémi,
Qui dut être, et que rien ne peut plus faire éclore,
C’est la lueur de sang qui se mêle à l’aurore.
Les Révolutions, qui viennent tout venger,
Font un bien éternel dans leur mal passager.
Les Révolutions ne sont que la formule
De l’horreur qui pendant vingt règnes s’accumule.
Quand la souffrance a pris de lugubres ampleurs ;
Quand les maîtres longtemps ont fait, sur l’homme en pleurs,
Tourner le bas-empire avec le moyen-âge,
Du midi dans le nord formidable engrenage ;
Quand l’histoire n’est plus qu’un tas noir de tombeaux,
De Crécys, de Rosbachs, becquetés des corbeaux ;
Quand le pied des méchants règne et courbe la tête
Du pauvre partageant dans l’auge avec la bête ;
Lorsqu’on voit aux deux bouts de l’affreuse Babel
Louis onze et Tristan, Louis quinze et Lebel ;
Quand le harem est prince et l’échafaud ministre ;
Quand toute chair gémit ; quand la lune sinistre
Trouve qu’assez longtemps l’herbe humaine a fléchi,
Et qu’assez d’ossements aux gibets ont blanchi ;
Quand le sang de Jésus tombe en vain, goutte à goutte,
Depuis dix-huit cents ans, dans l’ombre qui l’écoute ;
Quand l’ignorance a même aveuglé l’avenir ;
Quand, ne pouvant plus rien saisir et rien tenir,
L’espérance n’est plus que le tronçon de l’homme ;
Quand partout le supplice à la fois se consomme,
Quand la guerre est partout, quand la haine est partout,
Alors, subitement, un jour, debout, debout !
Les réclamations de l’ombre misérable,
La géante douleur, spectre incommensurable,
Sortent du gouffre ; un cri s’entend sur les hauteurs :
Les mondes sociaux heurtent leurs équateurs ;
Tout le bagne effrayant des parias se lève ;
Et l’on entend sonner les fouets, les fers, le glaive,
Le meurtre, le sanglot, la faim, le hurlement,
Tout le bruit du passé, dans ce déchaînement !
Dieu dit au peuple : Va ! l’ardent tocsin qui râle
Secoue avec sa corde obscure et sépulcrale
L’église et son clocher, le Louvre et son beffroi ;
Luther brise le pape et Mirabeau le roi !
Tout est dit. C’est ainsi que les vieux mondes croulent.
Oh ! l’heure vient toujours ! Des flots sourds au loin roulent.
À travers les rumeurs, les cadavres, les deuils,
L’écume, et les sommets qui deviennent écueils,
Les siècles devant eux poussent, désespérées,
Les Révolutions, monstrueuses marées,
Océans faits des pleurs de tout le genre humain.
V
Ce sont les rois qui font les gouffres ; mais la main
Qui sema, ne veut pas accepter la récolte ;
Le fer dit que le sang qui jaillit, se révolte.
Voilà ce que m’apprit l’histoire. Oui, c’est cruel,
Ma raison a tué mon royalisme en duel.
Me voici jacobin. Que veut-on que j’y fasse ?
Le revers du louis dont vous aimez la face,
M’a fait peur. En allant librement devant moi,
En marchant, je le sais, j’afflige votre foi,
Votre religion, votre cause éternelle,
Vos dogmes, vos aïeux, vos dieux, votre flanelle,
Et dans vos bons vieux os, faits d’immobilité,
Le rhumatisme antique appelé royauté.
Je n’y puis rien. Malgré menins et majordomes,
Je ne crois plus aux rois propriétaires d’hommes ;
N’y croyant plus, je fais mon devoir, je le dis.
Marc-Aurèle écrivait : « Je me trompais jadis ;
Mais je ne laisse pas, allant au juste, au sage,
Mes erreurs d’autrefois me barrer le passage. »
Je ne suis qu’un atome, et je fais comme lui ;
Marquis, depuis vingt ans, je n’ai, comme aujourd’hui,
Qu’une idée en l’esprit : servir la cause humaine.
La vie est une cour d’assises ; on amène
Les faibles à la barre accouplés aux pervers.
J’ai, dans le livre, avec le drame, en prose, en vers,
Plaidé pour les petits et pour les misérables ;
Suppliant les heureux et les inexorables,
J’ai réhabilité le bouffon, l’histrion,
Tous les damnés humains, Triboulet, Marion,
Le laquais, le forçat et la prostituée ;
Et j’ai collé ma bouche à toute âme tuée,
Comme font les enfants, anges aux cheveux d’or,
Sur la mouche qui meurt, pour qu’elle vole encor.
Je me suis incliné sur tout ce qui chancelle,
Tendre, et j’ai demandé la grâce universelle ;
Et, comme j’irritais beaucoup de gens ainsi,
Tandis qu’en bas peut-être on me disait : merci,
J’ai recueilli souvent, passant dans les nuées,
L’applaudissement fauve et sombre des huées ;
J’ai réclamé des droits pour la femme et l’enfant ;
J’ai tâché d’éclairer l’homme en le réchauffant ;
J’allais criant : Science ! écriture ! parole !
Je voulais résorber le bagne par l’école ;
Les coupables pour moi n’étaient que des témoins.
Rêvant tous les progrès, je voyais luire moins
Que le front de Paris la tiare de Rome.
J’ai vu l’esprit humain libre, et le cœur de l’homme
Esclave ; et j’ai voulu l’affranchir à son tour,
Et j’ai tâché de mettre en liberté l’amour.
Enfin, j’ai fait la guerre à la Grève homicide,
J’ai combattu la mort, comme l’antique Alcide ;
Et me voilà ; marchant toujours, ayant conquis,
Perdu, lutté, souffert. — Encore un mot, marquis,
Puisque nous sommes là causant entre deux portes.
On peut être appelé renégat de deux sortes :
En se faisant païen, en se faisant chrétien.
L’erreur est d’un aimable et galant entretien.
Qu’on la quitte, elle met les deux poings sur sa hanche.
La vérité, si douce aux bons, mais rude et franche,
Quand pour l’or, le pouvoir, la pourpre qu’on revêt,
On la trahit, devient le spectre du chevet.
L’une est la harengère, et l’autre est l’euménide.
Et ne nous fâchons point. Bonjour, Épiménide.
Le passé ne veut pas s’en aller. Il revient
Sans cesse sur ses pas, reveut, reprend, retient,
Use à tout ressaisir ses ongles noirs ; fait rage ;
Il gonfle son vieux flot, souffle son vieil orage,
Vomit sa vieille nuit, crie : À bas ! crie : À mort !
Pleure, tonne, tempête, éclate, hurle, mord.
L’avenir souriant lui dit : Passe, bonhomme.
L’immense renégat d’Hier, marquis, se nomme
Demain ; mai tourne bride et plante là l’hiver ;
Qu’est-ce qu’un papillon ? le déserteur du ver ;
Falstaff se range ? il est l’apostat des ribotes ;
Mes pieds, ces renégats, quittent mes vieilles bottes ;
Ah ! le doux renégat des haines, c’est l’amour.
À l’heure où, débordant d’incendie et de jour,
Splendide, il s’évada de leurs cachots funèbres,
Le soleil frémissant renia les ténèbres.
Ô marquis peu semblable aux anciens barons loups,
Ô français renégat du celte, embrassons-nous.
Vous voyez bien, marquis, que vous aviez trop d’ire.
VI
Rien, au fond de mon cœur, puisqu’il faut le redire,
Non, rien n’a varié ; je suis toujours celui
Qui va droit au devoir, dès que l’honnête a lui,
Qui, comme Job, frissonne aux vents, fragile arbuste,
Mais veut le bien, le vrai, le beau, le grand, le juste.
Je suis cet homme-là, je suis cet enfant-là.
Seulement, un matin, mon esprit s’envola,
Je vis l’espace large et pur qui nous réclame ;
L’horizon a changé, marquis, mais non pas l’âme.
Rien au dedans de moi, mais tout autour de moi.
L’histoire m’apparut, et je compris la loi
Des générations, cherchant Dieu, portant l’arche,
Et montant l’escalier immense marche à marche.
Je restai le même œil, voyant un autre ciel.
Est-ce ma faute, à moi, si l’azur éternel
Est plus grand et plus bleu qu’un plafond de Versailles ?
Est-ce ma faute, à moi, mon Dieu, si tu tressailles
Dans mon cœur frémissant, à ce cri : Liberté !
L’œil de cet homme a plus d’aurore et de clarté,
Tant pis ! prenez-vous-en à l’aube solennelle.
C’est la faute au soleil et non à la prunelle.
Vous dites : Où vas-tu ? Je l’ignore ; et j’y vais.
Quand le chemin est droit, jamais il n’est mauvais.
J’ai devant moi le jour et j’ai la nuit derrière ;
Et cela me suffit ; je brise la barrière.
Je vois, et rien de plus ; je crois, et rien de moins.
Mon avenir à moi n’est pas un de mes soins.
Les hommes du passé, les combattants de l’ombre,
M’assaillent ; je tiens tête, et sans compter leur nombre,
À ce choc inégal et parfois hasardeux.
Mais Longwood et Goritz [1] m’en sont témoins tous deux,
Jamais je n’outrageai la proscription sainte.
Le malheur, c’est la nuit ; dans cette auguste enceinte,
Les hommes et les cieux paraissent étoilés.
Les derniers rois l’ont su quand ils s’en sont allés.
Jamais je ne refuse, alors que le soir tombe,
Mes larmes à l’exil, mes genoux à la tombe ;
J’ai toujours consolé qui s’est évanoui ;
Et, dans leurs noirs cercueils, leur tête me dit oui.
Ma mère aussi le sait ! et de plus, avec joie,
Elle sait les devoirs nouveaux que Dieu m’envoie ;
Car, étant dans la fosse, elle aussi voit le vrai.
Oui, l’homme sur la terre est un ange à l’essai ;
Aimons ! servons ! aidons ! luttons ! souffrons ! Ma mère
Sait qu’à présent je vis hors de toute chimère ;
Elle sait que mes yeux au progrès sont ouverts,
Que j’attends les périls, l’épreuve, les revers,
Que je suis toujours prêt, et que je hâte l’heure
De ce grand lendemain : l’humanité meilleure !
Qu’heureux, triste, applaudi, chassé, vaincu, vainqueur,
Rien de ce but profond ne distraira mon cœur,
Ma volonté, mes pas, mes cris, mes vœux, ma flamme !
Ô saint tombeau, tu vois dans le fond de mon âme !
Oh ! jamais, quel que soit le sort, le deuil, l’affront,
La conscience en moi ne baissera le front ;
Elle marche, sereine, indestructible et fière ;
Car j’aperçois toujours, conseil lointain, lumière,
À travers mon destin, quel que soit le moment,
Quel que soit le désastre ou l’éblouissement,
Dans le bruit, dans le vent orageux qui m’emporte,
Dans l’aube, dans la nuit, l’œil de ma mère morte !
Paris, juin 1846.
Écrit en 1855 – Les références
Les contemplations – Livre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 433.
Écrit en 1855 – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Écrit en 1855, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de III. Écrit en 1846 et suivi de IV. La source tombait du rocher….
Écrit en 1855
Écrit en 1855 – Le texte
Écrit en 1846
J’ajoute un post-scriptum après neuf ans. J’écoute ;
Êtes-vous toujours là ? Vous êtes mort sans doute,
Marquis ; mais d’où je suis on peut parler aux morts.
Ah ! votre cercueil s’ouvre : — Où donc es-tu ? — Dehors.
Comme vous. — Es-tu mort ? — Presque. J’habite l’ombre.
Je suis sur un rocher qu’environne l’eau sombre,
Écueil rongé des flots, de ténèbres chargé,
Où s’assied, ruisselant, le blême naufragé.
— Eh bien, me dites-vous, après ? — La solitude
Autour de moi toujours a la même attitude ;
Je ne vois que l’abîme, et la mer, et les cieux,
Et les nuages noirs qui vont silencieux ;
Mon toit, la nuit, frissonne, et l’ouragan le mêle
Aux souffles effrénés de l’onde et de la grêle ;
Quelqu’un semble clouer un crêpe à l’horizon ;
L’insulte bat de loin le seuil de ma maison ;
Le roc croule sous moi dès que mon pied s’y pose ;
Le vent semble avoir peur de m’approcher, et n’ose
Me dire qu’en baissant la voix et qu’à demi
L’adieu mystérieux que me jette un ami.
La rumeur des vivants s’éteint diminuée.
Tout ce que j’ai rêvé s’est envolé, nuée !
Sur mes jours devenus fantômes, pâle et seul,
Je regarde tomber l’infini, ce linceul. —
Et vous dites : — Après ? — Sous un mont qui surplombe,
Près des flots, j’ai marqué la place de ma tombe ;
Ici, le bruit du gouffre est tout ce qu’on entend ;
Tout est horreur et nuit. — Après ? — Je suis content.
Jersey, janvier 1855.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/ecrit-en1846-enmarche-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-12 21:21:152018-06-14 10:20:49III. Écrit en 1846
Les contemplations – Livre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 422.
Au fils d’un poëte – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Au fils d’un poëte, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de I. À Aug. V. et suivi de III. Écrit en 1846.
Au fils d’un poëte
Au fils d’un poëte – Le texte
II
Au fils d’un poëte
Enfant, laisse aux mers inquiètes
Le naufragé, tribun ou roi ;
Laisse s’en aller les poëtes !
La poésie est près de toi.
Elle t’échauffe, elle t’inspire,
Ô cher enfant, doux alcyon,
Car ta mère en est le sourire,
Et ton père en est le rayon.
Les yeux en pleurs, tu me demandes
Où je vais, et pourquoi je pars.
Je n’en sais rien ; les mers sont grandes,
L’exil s’ouvre de toutes parts.
Ce que Dieu nous donne, il nous l’ôte.
Adieu, patrie ! adieu, Sion !
Le proscrit n’est pas même un hôte,
Enfant, c’est une vision.
Il entre, il s’assied, puis se lève,
Reprend son bâton et s’en va.
Sa vie erre de grève en grève
Sous le souffle de Jéhovah.
Il fuit sur les vagues profondes,
Sans repos, toujours en avant.
Qu’importe ce qu’en font les ondes !
Qu’importe ce qu’en fait le vent !
Garde, enfant, dans ta jeune tête
Ce souvenir mystérieux,
Tu l’as vu dans une tempête
Passer comme l’éclair des cieux.
Son âme aux chocs habituée
Traversait l’orage et le bruit.
D’où sortait-il ? De la nuée.
Où s’enfonçait-il ? Dans la nuit.
Bruxelles, juillet 1852.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/aufils-dun-poete.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-11 17:33:522018-06-14 10:20:51II. Au fils d'un poëte
Les Voix intérieures ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie I, p 911.
La tombe dit à la rose… – L’enregistrement
Je vous invite à écouter La tombe dit à la rose…, un poème du recueil Les Voix intérieures, de Victor Hugo.
La tombe dit à la rose…
La tombe dit à la rose… – Le texte
XXXI
La tombe dit à la rose :
— Des pleurs dont l’aube t’arrose
Que fais-tu, fleur des amours ?
La rose dit à la tombe :
— Que fais-tu de ce qui tombe
Dans ton gouffre ouvert toujours ?
La rose dit : — Tombeau sombre,
De ces pleurs je fais dans l’ombre
Un parfum d’ambre et de miel.
La tombe dit : — Fleur plaintive,
De chaque âme qui m’arrive
Je fais un ange du ciel !
Juin 1837.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/latombe-dit-voix-interieures.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-09 14:17:082018-06-14 10:20:54XXXI. La tombe dit à la rose...
Les Contemplations – Livre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 360.
Le revenant – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Le revenant, un poème du recueil Les Contemplations, du livre Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXII. La clarté du dehors… et suivi de XXIV. Aux arbres.
Le revenant
Le revenant – Le texte
XXIII
Le revenant
Mères en deuil, vos cris là-haut sont entendus.
Dieu, qui tient dans sa main tous les oiseaux perdus,
Parfois au même nid rend la même colombe.
Ô mères, le berceau communique à la tombe.
L’éternité contient plus d’un divin secret.
La mère dont je vais vous parler demeurait
À Blois ; je l’ai connue en un temps plus prospère ;
Et sa maison touchait à celle de mon père.
Elle avait tous les biens que Dieu donne ou permet.
On l’avait mariée à l’homme qu’elle aimait.
Elle eut un fils ; ce fut une ineffable joie.
Ce premier-né couchait dans un berceau de soie ;
Sa mère l’allaitait ; il faisait un doux bruit
À côté du chevet nuptial ; et, la nuit,
La mère ouvrait son âme aux chimères sans nombre,
Pauvre mère, et ses yeux resplendissaient dans l’ombre
Quand, sans souffle, sans voix, renonçant au sommeil,
Penchée, elle écoutait dormir l’enfant vermeil.
Dès l’aube, elle chantait, ravie et toute fière.
Elle se renversait sur sa chaise en arrière,
Son fichu laissant voir son sein gonflé de lait,
Et souriait au faible enfant, et l’appelait
Ange, trésor, amour ; et mille folles choses.
Oh ! comme elle baisait ces beaux petits pieds roses !
Comme elle leur parlait ! L’enfant, charmant et nu,
Riait, et, par ses mains sous les bras soutenu,
Joyeux, de ses genoux montait jusqu’à sa bouche.
Tremblant comme le daim qu’une feuille effarouche,
Il grandit. Pour l’enfant, grandir, c’est chanceler.
Il se mit à marcher, il se mit à parler,
Il eut trois ans ; doux âge, où déjà la parole,
Comme le jeune oiseau, bat de l’aile et s’envole.
Et la mère disait : « Mon fils ! » et reprenait :
« Voyez comme il est grand ! Il apprend ; il connaît
Ses lettres. C’est un diable ! Il veut que je l’habille
En homme ; il ne veut plus de ses robes de fille.
C’est déjà très méchant, ces petits hommes-là !
C’est égal, il lit bien ; il ira loin ; il a
De l’esprit ; je lui fais épeler l’Évangile. » —
Et ses yeux adoraient cette tête fragile,
Et, femme heureuse, et mère au regard triomphant,
Elle sentait son cœur battre dans son enfant.
Un jour, — nous avons tous de ces dates funèbres ! —
Le croup, monstre hideux, épervier des ténèbres,
Sur la blanche maison brusquement s’abattit,
Horrible, et, se ruant sur le pauvre petit,
Le saisit à la gorge ; ô noire maladie !
De l’air par qui l’on vit sinistre perfidie !
Qui n’a vu se débattre, hélas ! ces doux enfants
Qu’étreint le croup féroce en ses doigts étouffants !
Ils luttent ; l’ombre emplit lentement leurs yeux d’ange,
Et de leur bouche froide il sort un râle étrange,
Et si mystérieux, qu’il semble qu’on entend,
Dans leur poitrine, où meurt le souffle haletant,
L’affreux coq du tombeau chanter son aube obscure.
Tel qu’un fruit qui du givre a senti la piqûre,
L’enfant mourut. La mort entra comme un voleur
Et le prit. — Une mère, un père, la douleur,
Le noir cercueil, le front qui se heurte aux murailles,
Les lugubres sanglots qui sortent des entrailles,
Oh ! la parole expire où commence le cri ;
Silence aux mots humains !
La mère au cœur meurtri,
Pendant qu’à ses côtés pleurait le père sombre,
Resta trois mois sinistre, immobile dans l’ombre,
L’œil fixe, murmurant on ne sait quoi d’obscur,
Et regardant toujours le même angle du mur.
Elle ne mangeait pas ; sa vie était sa fièvre ;
Elle ne répondait à personne ; sa lèvre
Tremblait ; on l’entendait, avec un morne effroi,
Qui disait à voix basse à quelqu’un : — Rends-le moi ! —
Et le médecin dit au père : — Il faut distraire
Ce cœur triste, et donner à l’enfant mort un frère. —
Le temps passa ; les jours, les semaines, les mois.
Elle se sentit mère une seconde fois.
Devant le berceau froid de son ange éphémère,
Se rappelant l’accent dont il disait : — Ma mère, —
Elle songeait, muette, assise sur son lit.
Le jour où, tout à coup, dans son flanc tressaillit
L’être inconnu promis à notre aube mortelle,
Elle pâlit. — Quel est cet étranger ? dit-elle.
Puis elle cria, sombre et tombant à genoux :
— Non, non, je ne veux pas ! non ! tu serais jaloux !
Ô mon doux endormi, toi que la terre glace,
Tu dirais : « On m’oublie ; un autre a pris ma place ;
« Ma mère l’aime, et rit ; elle le trouve beau,
« Elle l’embrasse, et, moi, je suis dans mon tombeau ! »
Non, non ! —
Ainsi pleurait cette douleur profonde.
Le jour vint, elle mit un autre enfant au monde,
Et le père joyeux cria : — C’est un garçon.
Mais le père était seul joyeux dans la maison ;
La mère restait morne, et la pâle accouchée,
Sur l’ancien souvenir tout entière penchée,
Rêvait ; on lui porta l’enfant sur un coussin ;
Elle se laissa faire et lui donna le sein ;
Et tout à coup, pendant que, farouche, accablée,
Pensant au fils nouveau moins qu’à l’âme envolée,
Hélas ! et songeant moins aux langes qu’au linceul,
Elle disait : — Cet ange en son sépulcre est seul !
— Ô doux miracle ! ô mère au bonheur revenue ! —
Elle entendit, avec une voix bien connue,
Le nouveau-né parler dans l’ombre entre ses bras,
Et tout bas murmurer : — C’est moi. Ne le dis pas.
Août 1843.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/le-revenant-luttes-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-08 14:19:182018-06-14 10:20:54XXIII. Le revenant
Les Contemplations – Livre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 360.
La clarté du dehors ne distrait pas mon âme.
La plaine chante et rit comme une jeune femme ;
Le nid palpite dans les houx ;
Partout la gaîté luit dans les bouches ouvertes ;
Mai, couché dans la mousse au fond des grottes vertes,
Fait aux amoureux les yeux doux.
Dans les champs de luzerne et dans les champs de fèves,
Les vagues papillons errent, pareils aux rêves ;
Le blé vert sort des sillons bruns ;
Et les abeilles d’or courent à la pervenche,
Au thym, au liseron, qui tend son urne blanche
À ces buveuses de parfums.
La nue étale au ciel ses pourpres et ses cuivres ;
Les arbres, tout gonflés de printemps, semblent ivres ;
Les branches, dans leurs doux ébats,
Se jettent les oiseaux du bout de leurs raquettes ;
Le bourdon galonné fait aux roses coquettes
Des propositions tout bas.
Moi, je laisse voler les senteurs et les baumes,
Je laisse chuchoter les fleurs, ces doux fantômes,
Et l’aube dire : Vous vivrez !
Je regarde en moi-même, et, seul, oubliant l’heure,
L’œil plein des visions de l’ombre intérieure,
Je songe aux morts, ces délivrés !
Encore un peu de temps, encore, ô mer superbe,
Quelques reflux ; j’aurai ma tombe aussi dans l’herbe,
Blanche au milieu du frais gazon,
À l’ombre de quelque arbre où le lierre s’attache ;
On y lira : — Passant, cette pierre te cache
La ruine d’une prison.
Ingouville, mai 1843.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/laclarte-dudehors-luttes-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-07 13:21:352018-06-14 10:20:55XXII. La clarté du dehors...
Les Contemplations – Livre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 347.
La chouette – L’enregistrement
Je vous invite à écouter La chouette, un poème du recueil Les Contemplations, du livre Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XII. Explication et suivi de XIV. À la mère de l’enfant mort.
La chouette
La chouette – Le texte
XIII
La chouette
Une chouette était sur la porte clouée ;
Larve de l’ombre au toit des hommes échouée.
La nature, qui mêle une âme aux rameaux verts,
Qui remplit tout, et vit, à des degrés divers
Dans la bête sauvage et la bête de somme,
Toujours en dialogue avec l’esprit de l’homme,
Lui donne à déchiffrer les animaux, qui sont
Ses signes, alphabet formidable et profond ;
Et, sombre, ayant pour mots l’oiseau, le ver, l’insecte,
Parle deux langues : l’une, admirable et correcte,
L’autre, obscur bégaîment. L’éléphant aux pieds lourds,
Le lion, ce grand front de l’antre, l’aigle, l’ours,
Le taureau, le cheval, le tigre au bond superbe,
Sont le langage altier et splendide, le verbe ;
Et la chauve-souris, le crapaud, le putois,
Le crabe, le hibou, le porc, sont le patois.
Or, j’étais là, pensif, bienveillant, presque tendre,
Épelant ce squelette, et tâchant de comprendre
Ce qu’entre les trois clous où son spectre pendait,
Aux vivants, aux souffrants, au bœuf triste, au baudet,
Disait, hélas ! la pauvre et sinistre chouette,
Du côté noir de l’être informe silhouette.
*
Elle disait :
« Sur son front sombre
Comme la brume se répand !
Il remplit tout le fond de l’ombre.
Comme sa tête morte pend !
De ses yeux coulent ses pensées.
Ses pieds troués, ses mains percées
Bleuissent à l’air glacial.
Oh ! comme il saigne dans le gouffre !
Lui qui faisait le bien, il souffre
Comme moi qui faisait le mal.
« Une lumière à son front tremble.
Et la nuit dit au vent : « Soufflons
« Sur cette flamme ! » et, tous ensemble,
Les ténèbres, les aquilons,
La pluie et l’horreur, froides bouches,
Soufflent, hagards, hideux, farouches,
Et dans la tempête et le bruit
La clarté reparaît grandie… —
Tu peux éteindre un incendie,
Mais pas une auréole, ô nuit !
« Cette âme arriva sur la terre,
Qu’assombrit le soir incertain ;
Elle entra dans l’obscur mystère
Que l’ombre appelle son destin ;
Au mensonge, aux forfaits sans nombre,
À tout l’horrible essaim de l’ombre,
Elle livrait de saints combats ;
Elle volait, et ses prunelles
Semblaient deux lueurs éternelles
Qui passaient dans la nuit d’en bas.
« Elle allait parmi les ténèbres,
Poursuivant, chassant, dévorant
Les vices, ces taupes funèbres,
Le crime, ce phalène errant ;
Arrachant de leurs trous la haine,
L’orgueil, la fraude qui se traîne,
L’âpre envie, aspic du chemin,
Les vers de terre et les vipères,
Que la nuit cache dans les pierres
Et le mal dans le cœur humain.
« Elle cherchait ces infidèles,
L’Achab, le Nemrod, le Mathan,
Que, dans son temple et sous ses ailes,
Réchauffe le faux dieu Satan,
Les vendeurs cachés sous les porches,
Le brûleur allumant ses torches
Au même feu que l’encensoir,
Et, quand elle l’avait trouvée,
Toute la sinistre couvée
Se hérissait sous l’autel noir.
« Elle allait, délivrant les hommes
De leurs ennemis ténébreux ;
Les hommes, noirs comme nous sommes,
Prirent l’esprit luttant pour eux ;
Puis ils clouèrent, les infâmes,
L’âme qui défendait leurs âmes,
L’être dont l’œil jetait du jour ;
Et leur foule, dans sa démence,
Railla cette chouette immense
De la lumière et de l’amour !
« Race qui frappes et lapides,
Je te plains ! hommes, je vous plains !
Hélas ! je plains vos poings stupides,
D’affreux clous et de marteaux pleins !
Vous persécutez pêle-mêle
Le mal, le bien, la griffe et l’aile,
Chasseurs sans but, bourreaux sans yeux !
Vous clouez de vos mains mal sûres
Les hiboux au seuil des masures,
Et Christ sur la porte des cieux ! »
Mai 1843.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/la-chouette-luttes-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-06 13:59:032018-06-14 10:20:56XIII. La chouette
Les Contemplations – Livre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 351.
Le Maître d’études – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Le Maître d’études, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XV. Épitaphe et suivi de XVII. Chose vue un jour de printemps.
Le Maître d’études
Le Maître d’études – Le texte
XVI
Le Maître d’études
Ne le tourmentez pas, il souffre. Il est celui
Sur qui, jusqu’à ce jour, pas un rayon n’a lui ;
Oh ! ne confondez pas l’esclave avec le maître !
Et, quand vous le voyez dans vos rangs apparaître,
Humble et calme, et s’asseoir la tête dans ses mains,
Ayant peut-être en lui l’esprit des vieux romains
Dont il vous dit les noms, dont il vous lit les livres,
Écoliers, frais enfants de joie et d’aurore ivres,
Ne le tourmentez pas ! soyez doux, soyez bons.
Tous nous portons la vie et tous nous nous courbons ;
Mais, lui, c’est le flambeau qui la nuit se consomme ;
L’ombre le tient captif, et ce pâle jeune homme,
Enfermé plus que vous, plus que vous enchaîné,
Votre frère, écoliers, et votre frère aîné,
Destin tronqué, matin noyé dans les ténèbres,
Ayant l’ennui sans fin devant ses yeux funèbres,
Indigent, chancelant, et cependant vainqueur,
Sans oiseaux dans son ciel, sans amours dans son cœur,
À l’heure du plein jour, attend que l’aube naisse.
Enfance, ayez pitié de la sombre jeunesse !
Apprenez à connaître, enfants qu’attend l’effort,
Les inégalités des âmes et du sort ;
Respectez-le deux fois, dans le deuil qui le mine,
Puisque de deux sommets, enfants, il vous domine,
Puisqu’il est le plus pauvre et qu’il est le plus grand.
Songez que, triste, en butte au souci dévorant,
À travers ses douleurs, ce fils de la chaumière
Vous verse la raison, le savoir, la lumière,
Et qu’il vous donne l’or, et qu’il n’a pas de pain.
Oh ! dans la longue salle aux tables de sapin,
Enfants, faites silence à la lueur des lampes !
Voyez, la morne angoisse a fait blêmir ses tempes :
Songez qu’il saigne, hélas ! sous ses pauvres habits.
L’herbe que mord la dent cruelle des brebis,
C’est lui ; vous riez, vous, et vous lui rongez l’âme.
Songez qu’il agonise, amer, sans air, sans flamme ;
Que sa colère dit : Plaignez-moi ; que ses pleurs
Ne peuvent pas couler devant vos yeux railleurs !
Aux heures du travail votre ennui le dévore,
Aux heures du plaisir vous le rongez encore ;
Sa pensée, arrachée et froissée, est à vous,
Et, pareille au papier qu’on distribue à tous,
Page blanche d’abord, devient lentement noire.
Vous feuilletez son cœur, vous videz sa mémoire ;
Vos mains, jetant chacune un bruit, un trouble, un mot,
Et raturant l’idée en lui dès qu’elle éclôt,
Toutes en même temps dans son esprit écrivent.
Si des rêves, parfois, jusqu’à son front arrivent,
Vous répandez votre encre à flots sur cet azur ;
Vos plumes, tas d’oiseaux hideux au vol obscur,
De leurs mille becs noirs lui fouillent la cervelle.
Le nuage d’ennui passe et se renouvelle.
Dormir, il ne le peut ; penser, il ne le peut.
Chaque enfant est un fil dont son cœur sent le nœud.
Oui, s’il veut songer, fuir, oublier, franchir l’ombre,
Laisser voler son âme aux chimères sans nombre,
Ces écoliers joueurs, vifs, légers, doux, aimants,
Pèsent sur lui, de l’aube au soir, à tous moments,
Et le font retomber des voûtes immortelles ;
Et tous ces papillons sont le plomb de ses ailes.
Saint et grave martyr changeant de chevalet,
Crucifié par vous, bourreaux charmants, il est
Votre souffre-douleurs et votre souffre-joies ;
Ses nuits sont vos hochets et ces jours sont vos proies,
Il porte sur son front votre essaim orageux ;
Il a toujours vos bruits, vos rires et vos jeux
Tourbillonnant sur lui comme une âpre tempête.
Hélas ! il est le deuil dont vous êtes la fête ;
Hélas ! il est le cri dont vous êtes le chant.
Et, qui sait ? sans rien dire, austère, et se cachant
De sa bonne action comme d’une mauvaise,
Ce pauvre être qui rêve accoudé sur sa chaise,
Mal nourri, mal vêtu, qu’un mendiant plaindrait,
Peut-être a des parents qu’il soutient en secret,
Et fait de ses labeurs, de sa faim, de ses veilles,
Des siècles dont sa voix vous traduit les merveilles,
Et de cette sueur qui coule sur sa chair,
Des rubans au printemps, un peu de feu l’hiver,
Pour quelque jeune sœur ou quelque vieille mère,
Changeant en goutte d’eau la sombre larme amère ;
De sorte que, vivant à son ombre sans bruit,
Une colombe vient la boire dans la nuit !
Songez que pour cette œuvre, enfants, il se dévoue,
Brûle ses yeux, meurtrit son cœur, tourne la roue,
Traîne la chaîne ! hélas, pour lui, pour son destin,
Pour ses espoirs perdus à l’horizon lointain,
Pour ses vœux, pour son âme aux fers, pour sa prunelle,
Votre cage d’un jour est prison éternelle !
Songez que c’est sur lui que marchent tous vos pas !
Songez qu’il ne rit pas, songez qu’il ne vit pas !
L’avenir, cet avril plein de fleurs, vous convie ;
Vous vous envolerez demain en pleine vie ;
Vous sortirez de l’ombre, il restera. Pour lui,
Demain sera muet et sourd comme aujourd’hui ;
Demain, même en juillet, sera toujours décembre,
Toujours l’étroit préau, toujours la pauvre chambre,
Toujours le ciel glacé, gris, blafard, pluvieux ;
Et, quand vous serez grands, enfants, il sera vieux.
Et, si quelque heureux vent ne souffle et ne l’emporte,
Toujours il sera là, seul sous la sombre porte,
Gardant les beaux enfants sous ce mur redouté,
Ayant tout de leur peine et rien de leur gaîté.
Oh ! que votre pensée aime, console, encense
Ce sublime forçat du bagne d’innocence !
Pesez ce qu’il prodigue avec ce qu’il reçoit.
Oh ! qu’il se transfigure à vos yeux, et qu’il soit
Celui qui vous grandit, celui qui vous élève,
Qui donne à vos raisons les deux tranchants du glaive,
Art et science, afin qu’en marchant au tombeau,
Vous viviez pour le vrai, vous luttiez pour le beau !
Oh ! qu’il vous soit sacré dans cette tâche auguste
De conduire à l’utile, au sage, au grand, au juste,
Vos âmes en tumulte à qui le ciel sourit !
Quand les cœurs sont troupeau, le berger est esprit.
Et, pendant qu’il est là, triste, et que dans la classe
Un chuchotement vague endort son âme lasse,
Oh ! des poëtes purs entr’ouverts sur vos bancs,
Qu’il sorte, dans le bruit confus des soirs tombants,
Qu’il sorte de Platon, qu’il sorte d’Euripide,
Et de Virgile, cygne errant du vers limpide,
Et d’Eschyle, lion du drame monstrueux,
Et d’Horace, et d’Homère à demi dans les cieux,
Qu’il sorte, pour sa tête aux saints travaux baissée,
Pour l’humble défricheur de la jeune pensée,
Qu’il sorte, pour ce front qui se penche et se fend
Sur ce sillon humain qu’on appelle l’enfant,
De tous ces livres pleins de hautes harmonies,
La bénédiction sereine des génies !
Juin 1843.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/lemaitre-detudes-luttes-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-05 11:42:472018-06-14 10:20:57XVI. Le Maître d'études
Les contemplations – Livre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo – Poésie II, p 452.
À Paul M., auteur du drame PARIS – L’enregistrement
Je vous invite à écouter À Paul M., auteur du drame PARIS, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XX. Cérigo et suivi de XXII. Je payai le pêcheur….
À Paul M., auteur du drame PARIS
À Paul M., auteur du drame PARIS – Le texte
XXI
À Paul M.
Auteur du drame PARIS
Tu graves au fronton sévère de ton œuvre
Un nom proscrit que mord en sifflant la couleuvre ;
Au malheur, dont le flanc saigne et dont l’œil sourit,
À la proscription, et non pas au proscrit,
— Car le proscrit n’est rien que de l’ombre, moins noire
Que l’autre ombre qu’on nomme éclat, bonheur, victoire ; —
À l’exil pâle et nu, cloué sur des débris,
Tu donnes ton grand drame où vit le grand Paris,
Cette cité de feu, de nuit, d’airain, de verre,
Et tu fais saluer par Rome le Calvaire.
Sois loué, doux penseur, toi qui prends dans ta main
Le passé, l’avenir, tout le progrès humain,
La lumière, l’histoire, et la ville, et la France,
Tous les dictames saints qui calment la souffrance,
Raison, justice, espoir, vertu, foi, vérité,
Le parfum poésie et le vin liberté,
Et qui sur le vaincu, cœur meurtri, noir fantôme,
Te penches, et répands l’idéal comme un baume !
Paul, il me semble, grâce à ce fier souvenir
Dont tu viens nous bercer, nous sacrer, nous bénir,
Que dans ma plaie, où dort la douleur, ô poëte !
Je sens de la charpie avec un drapeau faite.
Marine-Terrace, août 1855.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/apaulm-marche-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-04 18:06:452018-06-14 10:20:58XXI. À Paul M. Auteur du drame PARIS
Merci, poëte ! — Au seuil de mes lares pieux,
Comme un hôte divin, tu viens et te dévoiles ;
Et l’auréole d’or de tes vers radieux
Brille autour de mon nom comme un cercle d’étoiles.
Chante ! Milton chantait ; chante ! Homère a chanté.
Le poëte des sens perce la triste brume ;
L’aveugle voit dans l’ombre un monde de clarté.
Quand l’œil du corps s’éteint, l’œil de l’esprit s’allume.
Paris, mai 1842.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/aun-poete-aveugle-aurore-contemplations.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-03 18:03:032018-06-14 10:20:59XX. À un poëte aveugle