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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente trois têtes empalées et leurs ombres projetées.

IV. Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire…

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire… – Les références

L’Année terribleMai ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 120.

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire…, un poème du recueil L’Année terrible, Mai, de Victor Hugo.

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire…


Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire… – Le texte

IV


Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire !
Toute l’ombre est livrée à l’immense colère.
Coups de foudre, bruits sourds. Pâles, nous écoutons.
Le supplice imbécile et noir frappe à tâtons.
Rien de divin ne luit. Rien d’humain ne surnage.
Le hasard formidable erre dans le carnage,
Et mitraille un troupeau de vaincus, sans savoir
S’ils croyaient faire un crime ou remplir un devoir.
L’ombre engloutit Babel jusqu’aux plus hauts étages.
Des bandits ont tué soixante-quatre otages,
On réplique en tuant six mille prisonniers.
On pleure les premiers, on raille les derniers.
Le vent qui souffle a presque éteint cette veilleuse,
La conscience. Ô nuit ! brume ! heure périlleuse !
Les exterminateurs semblent doux, leur fureur
Plaît, et celui qui dit : Pardonnez ! fait horreur.
Ici l’armée et là le peuple ; c’est la France
Qui saigne ; et l’ignorance égorge l’ignorance.
Le droit tombe. Excepté Caïn, rien n’est debout.
Une sorte de crime épars flotte sur tout.
L’innocent paraît noir tant cette ombre le couvre.
L’un a brûlé le Louvre. Hein ? Qu’est-ce que le Louvre ?
Il ne le savait pas. L’autre, horribles exploits,
Fusille devant lui, stupide. Où sont les lois ?
Les ténèbres avec leurs sombres sœurs, les flammes,
Ont pris Paris, ont pris les cœurs, ont pris les âmes.
Je tue et ne vois pas. Je meurs et ne sais rien.
Tous mêlés, l’enfant blond, l’affreux galérien,
Pères, fils, jeunes, vieux, le démon avec l’ange,
L’homme de la pensée et l’homme de la fange,
Dans on ne sait quel gouffre expirent à la fois.
Dans l’effrayant brasier sait-on de quelles voix
Se compose le cri du bœuf d’airain qui beugle ?

La mort sourde, ô terreur, fauche la foule aveugle.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la pluie qui s'abat en rafales obliques sur la terre. Le ciel est obscurcit de lourds nuages noirs.

VIII. Cette nuit, il pleuvait…

Cette nuit, il pleuvait… – Les références

ChâtimentsLivre VII – Les Sauveurs se sauveront ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 185.
Dans l’édition complète de 1870, il est placé en position X (et non VIII).

Cette nuit, il pleuvait… – L’enregistrement intégral

Je vous invite à écouter Cette nuit, il pleuvait…, un poème du recueil Châtiments, Livre VII – Les Sauveurs se sauveront, de Victor Hugo.

Cette nuit, il pleuvait…


Cette nuit, il pleuvait… – Le texte

VIII

Cette nuit, il pleuvait, la marée était haute,
Un brouillard lourd et gris couvrait toute la côte,
Les brisants aboyaient comme des chiens, le flot
Aux pleurs du ciel profond joignait son noir sanglot,
L’infini secouait et mêlait dans son urne
Les sombres tournoiements de l’abîme nocturne ;
Les bouches de la nuit semblaient rugir dans l’air.

J’entendais le canon d’alarme sur la mer.
Des marins en détresse appelaient à leur aide.
Dans l’ombre où la rafale aux rafales succède,
Sans pilote, sans mât, sans ancre, sans abri,
Quelque vaisseau perdu jetait son dernier cri.
Je sortis. Une vieille, en passant effarée,
Me dit : — Il a péri ; c’est un chasse-marée.
Je courus à la grève et ne vis qu’un linceul
De brouillard et de nuit, et l’horreur, et moi seul ;
Et la vague, dressant sa tête sur l’abîme,
Comme pour éloigner un témoin de son crime,
Furieuse, se mit à hurler après moi.

Qu’es-tu donc, Dieu jaloux, Dieu d’épreuve et d’effroi,
Dieu des écroulements, des gouffres, des orages,
Que tu n’es pas content de tant de grands naufrages,
Qu’après tant de puissants et de forts engloutis,
Il te reste du temps encor pour les petits,
Que sur les moindres fronts ton bras laisse sa marque,
Et qu’après cette France, il te faut cette barque !

Jersey, avril 1853

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un ange noir qui apparaît, ailes déployées, sous la lune blanche, éclatante, lumineuse.

XVIII. Apparition

Apparition – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 449.

Apparition – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Apparition, un poème des Contemplations, du livre En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVII. Mugitusque boum et suivi de XIX. Au poëte qui m’envoie une plume d’aigle.

Apparition

Apparition – Le texte

XVIII
Apparition


Je vis un ange blanc qui passait sur ma tête ;
Son vol éblouissant apaisait la tempête,
Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit.
— Qu’est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit ?
Lui dis-je. Il répondit : — Je viens prendre ton âme.
Et j’eus peur, car je vis que c’était une femme ;
Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras :
— Que me restera-t-il ? car tu t’envoleras.
Il ne répondit pas ; le ciel que l’ombre assiège
S’éteignait… — Si tu prends mon âme, m’écriai-je,
Où l’emporteras-tu ? montre-moi dans quel lieu.
Il se taisait toujours. — Ô passant du ciel bleu,
Es-tu la mort ? lui dis-je, ou bien es-tu la vie ? —
Et la nuit augmentait sur mon âme ravie,
Et l’ange devint noir, et dit : — Je suis l’amour.
Mais son front sombre était plus charmant que le jour,
Et je voyais, dans l’ombre où brillaient ses prunelles,
Les astres à travers les plumes de ses ailes.

Jersey, septembre 1855

Ce dessin de Victor Hugo représente une forteresse imposante, avec une tour, ayant une flèche, bleue. Les lions y sont sans doute enfermés.

IV. Les lions

Les lions – Les références

La Légende des siècles – Première sérieI – D’Ève à Jésus ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 580.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 34.

Les lions – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Les lions, un poème de La Légende des siècles – Première Série, I – D’Ève à Jésus, de Victor Hugo.
Il est précédé du poème III. Puissance égale bonté et suivi de V. Le temple.

Les lions

Les lions – Le texte

IV
Les lions


Les lions dans la fosse étaient sans nourriture.
Captifs, ils rugissaient vers la grande nature
Qui prend soin de la brute au fond des antres sourds.
Les lions n’avaient pas mangé depuis trois jours.
Ils se plaignaient de l’homme, et, pleins de sombres haines,
À travers leur plafond de barreaux et de chaînes,
Regardaient du couchant la sanglante rougeur ;
Leur voix grave effrayait au loin le voyageur
Marchant à l’horizon dans les collines bleues.

Tristes, ils se battaient le ventre de leurs queues ;
Et les murs du caveau tremblaient, tant leurs yeux roux
À leur gueule affamée ajoutaient de courroux !

La fosse était profonde ; et, pour cacher leur fuite,
Og et ses vastes fils l’avaient jadis construite ;
Ces enfants de la terre avaient creusé pour eux
Ce palais colossal dans le roc ténébreux ;
Leurs têtes en ayant crevé la large voûte,
La lumière y tombait et s’y répandait toute,
Et ce cachot de nuit pour dôme avait l’azur.
Nabuchodonosor, qui régnait dans Assur,
En avait fait couvrir d’un dallage le centre ;
Et ce roi fauve avait trouvé bon que cet antre,
Qui jadis vit les Chams et les Deucalions,
Bâti par les géants, servît pour les lions.

Ils étaient quatre, et tous affreux. Une litière
D’ossements tapissait le vaste bestiaire ;
Les rochers étageaient leur ombre au-dessus d’eux ;
Ils marchaient, écrasant sur le pavé hideux
Des carcasses de bête et des squelettes d’homme.

Le premier arrivait du désert de Sodome ;
Jadis, quand il avait sa fauve liberté,
Il habitait le Sin, tout à l’extrémité
Du silence terrible et de la solitude ;
Malheur à qui tombait sous sa patte au poil rude !
Et c’était un lion des sables.

Le second

Sortait de la forêt de l’Euphrate fécond ;
Naguère, en le voyant vers le fleuve descendre,
Tout tremblait ; on avait eu du mal à le prendre,
Car il avait fallu les meutes de deux rois ;
Il grondait ; et c’était une bête des bois.

Et le troisième était un lion des montagnes.
Jadis il avait l’ombre et l’horreur pour compagnes ;
Dans ce temps-là, parfois, vers les ravins bourbeux
Se ruaient des galops de moutons et de bœufs ;
Tous fuyaient, le pasteur, le guerrier et le prêtre ;
Et l’on voyait sa face effroyable apparaître.

Le quatrième, monstre épouvantable et fier,
Était un grand lion des plages de la mer.
Il rôdait près des flots avant son esclavage.
Gur, cité forte, était alors sur le rivage ;
Ses toits fumaient ; son port abritait un amas
De navires mêlant confusément leurs mâts ;
Le paysan portant son gomor plein de manne
S’y rendait ; le prophète y venait sur son âne ;
Ce peuple était joyeux comme un oiseau lâché ;
Gur avait une place avec un grand marché,
Et l’Abyssin venait y vendre des ivoires ;
L’Amorrhéen, de l’ambre et des chemises noires ;
Ceux d’Ascalon, du beurre, et ceux d’Aser, du blé.
Du vol de ses vaisseaux l’abîme était troublé.
Or, ce lion était gêné par cette ville ;
Il trouvait, quand le soir il songeait immobile,
Qu’elle avait trop de peuple et faisait trop de bruit.
Gur était très-farouche et très-haute ; la nuit,
Trois lourds barreaux fermaient l’entrée inabordable ;
Entre chaque créneau se dressait, formidable,
Une corne de buffle ou de rhinocéros ;
Le mur était solide et droit comme un héros ;
Et l’Océan roulait à vagues débordées
Dans le fossé, profond de soixante coudées.
Au lieu de dogues noirs jappant dans le chenil,
Deux dragons monstrueux pris dans les joncs du Nil
Et dressés par un mage à la garde servile,
Veillaient des deux côtés de la porte de ville.
Or, le lion s’était une nuit avancé,
Avait franchi d’un bond le colossal fossé,
Et broyé, furieux, entre ses dents barbares,
La porte de la ville avec ses triples barres,
Et, sans même les voir, mêlé les deux dragons
Au vaste écrasement des verrous et des gonds ;
Et, quand il s’en était retourné vers la grève,
De la ville et du peuple il ne restait qu’un rêve,
Et, pour loger le tigre et nicher les vautours,
Quelques larves de murs sous des spectres de tours.

Celui-là se tenait accroupi sur le ventre.
Il ne rugissait pas, il bâillait ; dans cet antre
Où l’homme misérable avait le pied sur lui,
Il dédaignait la faim, ne sentant que l’ennui.

Les trois autres allaient et venaient ; leur prunelle,
Si quelque oiseau battait leurs barreaux de son aile,
Le suivait ; et leur faim bondissait, et leur dent
Mâchait l’ombre à travers leur cri rauque et grondant.

Soudain, dans l’angle obscur de la lugubre étable,
La grille s’entr’ouvrit ; sur le seuil redoutable,
Un homme que poussaient d’horribles bras tremblants,
Apparut ; il était vêtu de linceuls blancs ;
La grille referma ses deux battants funèbres ;
L’homme avec les lions resta dans les ténèbres.
Les monstres, hérissant leur crinière, écumant,
Se ruèrent sur lui, poussant ce hurlement
Effroyable, où rugit la haine et le ravage
Et toute la nature irritée et sauvage
Avec son épouvante et ses rébellions ;
Et l’homme dit : « La paix soit avec vous, lions ! »
L’homme dressa la main ; les lions s’arrêtèrent.

Les loups qui font la guerre aux morts et les déterrent,
Les ours au crâne plat, les chacals convulsifs
Qui pendant le naufrage errent sur les récifs,
Sont féroces ; l’hyène infâme est implacable ;
Le tigre attend sa proie et d’un seul bond l’accable ;
Mais le puissant lion, qui fait de larges pas,
Parfois lève sa griffe et ne la baisse pas,
Étant le grand rêveur solitaire de l’ombre.

Et les lions, groupés dans l’immense décombre,
Se mirent à parler entre eux, délibérant ;
On eût dit des vieillards réglant un différend
Au froncement pensif de leurs moustaches blanches.
Un arbre mort pendait, tordant sur eux ses branches.

Et, grave, le lion des sables dit : « Lions,
Quand cet homme est entré, j’ai cru voir les rayons
De midi dans la plaine où l’ardent semoun passe,
Et j’ai senti le souffle énorme de l’espace ;
Cet homme vient à nous de la part du désert. »

Le lion des bois dit : « Autrefois, le concert
Du figuier, du palmier, du cèdre et de l’yeuse,
Emplissait jour et nuit ma caverne joyeuse ;
Même à l’heure où l’on sent que le monde se tait,
Le grand feuillage vert autour de moi chantait.
Quand cet homme a parlé, sa voix m’a semblé douce
Comme le bruit qui sort des nids d’ombre et de mousse ;
Cet homme vient à nous de la part des forêts. »

Et celui qui s’était approché le plus près,
Le lion noir des monts dit : « Cet homme ressemble
Au Caucase, où jamais une roche ne tremble ;
Il a la majesté de l’Atlas ; j’ai cru voir,
Quand son bras s’est levé, le Liban se mouvoir
Et se dresser, jetant l’ombre immense aux campagnes ;
Cet homme vient à nous de la part des montagnes. »

Le lion qui, jadis, au bord des flots rôdant,
Rugissait aussi haut que l’Océan grondant,
Parla le quatrième, et dit : « Fils, j’ai coutume,
En voyant la grandeur, d’oublier l’amertume,
Et c’est pourquoi j’étais le voisin de la mer.
J’y regardais — laissant les vagues écumer —
Apparaître la lune et le soleil éclore,
Et le sombre infini sourire dans l’aurore ;
Et j’ai pris, ô lions, dans cette intimité,
L’habitude du gouffre et de l’éternité ;
Or, sans savoir le nom dont la terre le nomme,
J’ai vu luire le ciel dans les yeux de cet homme ;
Cet homme au front serein vient de la part de Dieu. »

Quand la nuit eut noirci le grand firmament bleu,
Le gardien voulut voir la fosse, et cet esclave,
Collant sa face pâle aux grilles de la cave,
Dans la profondeur vague aperçut Daniel
Qui se tenait debout et regardait le ciel,
Et songeait, attentif aux étoiles sans nombre,
Pendant que les lions léchaient ses pieds dans l’ombre.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l'océan par gros temps la nuit.

XX. Gros temps la nuit

Gros temps la nuit – Les références

Toute la lyreII. [La Nature] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 213.

Gros temps la nuit – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Gros temps la nuit, un poème du recueil Toute la lyre, de la deuxième partie : [La Nature], de Victor Hugo.

Gros temps la nuit


Gros temps la nuit – Le texte

XX
Gros temps la nuit


Le vent hurle ; la rafale
Sort, ruisselante cavale,
Du gouffre obscur,
Et, hennissant sur l’eau bleue,
Des crins épars de sa queue
Fouette l’azur.

L’horizon, que l’onde encombre,
Serpent, au bas du ciel sombre
Court tortueux ;
Toute la mer est difforme ;
L’eau s’emplit d’un bruit énorme
Et monstrueux.

Le flot vient, s’enfuit, s’approche,
Et bondit comme la cloche
Dans le clocher,
Puis tombe, et bondit encore ;
La vague immense et sonore
Bat le rocher.

L’océan frappe la terre.
Oh ! le forgeron Mystère,
Au noir manteau,
Que forge-t-il dans la brume,
Pour battre une telle enclume
D’un tel marteau ?

L’Hydre écaillée à l’œil glauque
Se roule sur le flot rauque
Sans frein ni mors ;
La tempête maniaque
Remue au fond du cloaque
Les os des morts.

La mer chante un chant barbare.
Les marins sont à la barre,
Tout ruisselants ;
L’éclair sur les promontoires
Éblouit les vagues noires
De ses yeux blancs.

Les marins qui sont au large
Jettent tout ce qui les charge,
Canons, ballots ;
Mais le flot gronde et blasphème :
Ce que je veux, c’est vous-même,
Ô matelots !

Le ciel et la mer font rage.
C’est la saison, c’est l’orage,
C’est le climat.
L’ombre aveugle le pilote.
La voile en haillons grelotte
Au bout du mât.

Tout se plaint, l’ancre à la proue,
La vergue au câble, la roue
Au cabestan.
On croit voir dans l’eau qui gronde,
Comme un mont roulant sous l’onde,
Léviathan.

Tout prend un hideux langage ;
Le roulis parle au tangage,
La hune au foc ;
L’un dit: – L’eau sombre se lève.
L’autre dit: – Le hameau rêve
Au chant du coq.

C’est un vent de l’autre monde
Qui tourmente l’eau profonde
De tout côté,
Et qui rugit dans l’averse ;
L’éternité bouleverse
L’immensité.

C’est fini. La cale est pleine.
Adieu, maison, verte plaine,
Âtre empourpré !
L’homme crie : ô Providence !
La mort aux dents blanches danse
Sur le beaupré.

Et dans la sombre mêlée,
Quelque fée échevelée,
Urgel, Morgan,
À travers le vent qui souffle,
Jette en riant sa pantoufle
À l’ouragan.

2 février 1854.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les frondaisons d'une forêt et la silhouette d'un arbre qui se détache sur une nuit d'été lumineuse.

XXI. Hier, la nuit d’été…

Hier, la nuit d’été… – Les références

Les Chants du crépuscule ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie I, p 750.

Hier, la nuit d’été… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Hier, la nuit d’été…, un poème des Chants du crépuscule, de Victor Hugo.

Hier, la nuit d’été…


Hier, la nuit d’été… – Le texte

XXI


Hier, la nuit d’été, qui nous prêtait ses voiles,
Était digne de toi, tant elle avait d’étoiles !
Tant son calme était frais ! tant son souffle était doux !
Tant elle éteignait bien ses rumeurs apaisées !
Tant elle répandait d’amoureuses rosées
Sur les fleurs et sur nous !

Moi, j’étais devant toi, plein de joie et de flamme,
Car tu me regardais avec toute ton âme !
J’admirais la beauté dont ton front se revêt ;
Et sans même qu’un mot révélât ta pensée,
La tendre rêverie en ton cœur commencée
Dans mon cœur s’achevait !

Et je bénissais Dieu, dont la grâce infinie
Sur la nuit et sur toi jeta tant d’harmonie,
Qui, pour me rendre calme et pour me rendre heureux,
Vous fit, la nuit et toi, si belles et si pures,
Si pleines de rayons, de parfums, de murmures,
Si douces toutes deux !

Oh oui, bénissons Dieu dans notre foi profonde !
C’est lui qui fit ton âme et qui créa le monde !
Lui qui charme mon cœur, lui qui ravit mes yeux !
C’est lui que je retrouve au fond de tout mystère !
C’est lui qui fait briller ton regard sur la terre
Comme l’étoile aux cieux !

C’est Dieu qui mit l’amour au bout de toute chose,
L’amour en qui tout vit, l’amour sur qui tout pose !
C’est Dieu qui fait la nuit plus belle que le jour.
C’est Dieu qui sur ton corps, ma jeune souveraine,
A versé la beauté, comme une coupe pleine,
Et dans mon cœur l’amour !

Laisse-toi donc aimer ! — Oh ! l’amour, c’est la vie.
C’est tout ce qu’on regrette et tout ce qu’on envie
Quand on voit sa jeunesse au couchant décliner.
Sans lui rien n’est complet, sans lui rien ne rayonne.
La beauté c’est le front, l’amour c’est la couronne.
Laisse-toi couronner !

Ce qui remplit une âme, hélas ! tu peux m’en croire,
Ce n’est pas un peu d’or, ni même un peu de gloire,
Poussière que l’orgueil rapporte des combats,
Ni l’ambition folle, occupée aux chimères,
Qui ronge tristement les écorces amères
Des choses d’ici-bas.

Non, il lui faut, vois-tu, l’hymen de deux pensées,
Les soupirs étouffés, les mains longtemps pressées,
Le baiser, parfum pur, enivrante liqueur,
Et tout ce qu’un regard dans un regard peut lire,
Et toutes les chansons de cette douce lyre
Qu’on appelle le cœur !

Il n’est rien sous le ciel qui n’ait sa loi secrète,
Son lieu cher et choisi, son abri, sa retraite,
Où mille instincts profonds nous fixent nuit et jour ;
Le pêcheur a la barque où l’espoir l’accompagne,
Les cygnes ont le lac, les aigles la montagne,
Les âmes ont l’amour !

Mai 18…