Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente des dunes en bord d'océan. Des paroles, invisibles à l’œil, y naissent.

XIII. Paroles sur la dune

Paroles sur la dune – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 443.

Paroles sur la dune – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Paroles sur la dune, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XII. Dolorosæ et suivi de XIV. Claire P..

Paroles sur la dune


Paroles sur la dune – Le texte

XIII
Paroles sur la dune


Maintenant que mon temps décroît comme un flambeau,
Que mes tâches sont terminées ;
Maintenant que voici que je touche au tombeau
Par les deuils et par les années,

Et qu’au fond de ce ciel que mon essor rêva,
Je vois fuir, vers l’ombre entraînées,
Comme le tourbillon du passé qui s’en va,
Tant de belles heures sonnées ;

Maintenant que je dis : — Un jour, nous triomphons ;
Le lendemain, tout est mensonge ! —
Je suis triste, et je marche au bord des flots profonds,
Courbé comme celui qui songe.

Je regarde, au-dessus du mont et du vallon,
Et des mers sans fin remuées,
S’envoler sous le bec du vautour aquilon,
Toute la toison des nuées ;

J’entends le vent dans l’air, la mer sur le récif,
L’homme liant la gerbe mûre ;
J’écoute, et je confronte en mon esprit pensif
Ce qui parle à ce qui murmure ;

Et je reste parfois couché sans me lever
Sur l’herbe rare de la dune,
Jusqu’à l’heure où l’on voit apparaître et rêver
Les yeux sinistres de la lune.

Elle monte, elle jette un long rayon dormant
À l’espace, au mystère, au gouffre ;
Et nous nous regardons tous les deux fixement,
Elle qui brille et moi qui souffre.

Où donc s’en sont allés mes jours évanouis ?
Est-il quelqu’un qui me connaisse ?
Ai-je encor quelque chose en mes yeux éblouis,
De la clarté de ma jeunesse ?

Tout s’est-il envolé ? Je suis seul, je suis las ;
J’appelle sans qu’on me réponde ;
Ô vents ! ô flots ! ne suis-je aussi qu’un souffle, hélas !
Hélas ! ne suis-je aussi qu’une onde ?

Ne verrai-je plus rien de tout ce que j’aimais ?
Au dedans de moi le soir tombe.
Ô terre, dont la brume efface les sommets,
Suis-je le spectre, et toi la tombe ?

Ai-je donc vidé tout, vie, amour, joie, espoir ?
J’attends, je demande, j’implore ;
Je penche tour à tour mes urnes pour avoir
De chacune une goutte encore !

Comme le souvenir est voisin du remord !
Comme à pleurer tout nous ramène !
Et que je te sens froide en te touchant, ô mort,
Noir verrou de la porte humaine !

Et je pense, écoutant gémir le vent amer,
Et l’onde aux plis infranchissables ;
L’été rit, et l’on voit sur le bord de la mer
Fleurir le chardon bleu des sables.

5 août 1854, anniversaire de mon arrivée à Jersey.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l'océan au pied d'une falaise. On aperçoit une gerbe d'écume sur la droite.

IV. La source tombait du rocher…

La source tombait du rocher… – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 433.

La source tombait du rocher… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La source tombait du rocher…, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de III. Écrit en 1846 et Écrit en 1855 et suivi de V. À Mademoiselle Louise B.

La source tombait du rocher…

La source tombait du rocher… – Le texte

IV

La source tombait du rocher
Goutte à goutte à la mer affreuse.
L’Océan, fatal au nocher,
Lui dit : « Que me veux-tu, pleureuse ?

« Je suis la tempête et l’effroi ;
« Je finis où le ciel commence.
« Est-ce que j’ai besoin de toi,
« Petite, moi qui suis l’immense ? »

La source dit au gouffre amer :
« Je te donne, sans bruit ni gloire,
« Ce qui te manque, ô vaste mer !
« Une goutte d’eau qu’on peut boire. »

Avril 1854.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une tache qui coule, sanglante, vers le bas, comme un cœur qui saignerait de douleur.

XII. Dolorosæ

Dolorosæ – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 442.

Dolorosæ – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Dolorosæ, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XI. Ponto et suivi de XIII. Paroles sur la dune.

Dolorosæ

Dolorosæ – Le texte

XII
Dolorosæ


Mère, voilà douze ans que notre fille est morte ;
Et depuis, moi le père et vous la femme forte,
Nous n’avons pas été, Dieu le sait, un seul jour
Sans parfumer son nom de prière et d’amour.
Nous avons pris la sombre et charmante habitude
De voir son ombre vivre en notre solitude,
De la sentir passer et de l’entendre errer,
Et nous sommes restés à genoux à pleurer.
Nous avons persisté dans cette douleur douce,
Et nous vivons penchés sur ce cher nid de mousse
Emporté dans l’orage avec les deux oiseaux.
Mère, nous n’avons pas plié, quoique roseaux.
Ni perdu la bonté vis-à-vis l’un de l’autre,
Ni demandé la fin de mon deuil et du vôtre
À cette lâcheté qu’on appelle l’oubli.
Oui, depuis ce jour triste où pour nous ont pâli
Les cieux, les champs, les fleurs, l’étoile, l’aube pure,
Et toutes les splendeurs de la sombre nature,
Avec les trois enfants qui nous restent, trésor
De courage et d’amour que Dieu nous laisse encor,
Nous avons essuyé des fortunes diverses,
Ce qu’on nomme malheur, adversité, traverses,
Sans trembler, sans fléchir, sans haïr les écueils,
Donnant aux deuils du cœur, à l’absence, aux cercueils,
Aux souffrances dont saigne ou l’âme ou la famille,
Aux êtres chers enfuis ou morts, à notre fille,
Aux vieux parents repris par un monde meilleur,
Nos pleurs, et le sourire à toute autre douleur.

Marine-Terrace, août 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les grands bois où le poète se promène avec son chien Ponto. Au sortir de ces bois, on aperçoit une église ; sur la droite, un peuplier.

XI. Ponto

Ponto – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 441.

Ponto – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ponto, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de X. Aux Feuillantines et suivi de XII. Dolorosæ.

Ponto

Ponto – Le texte

XI
Ponto

Je dis à mon chien noir : « Viens, Ponto, viens-nous-en ! »
Et je vais dans les bois, mis comme un paysan ;
Je vais dans les grands bois, lisant dans les vieux livres.
L’hiver, quand la ramée est un écrin de givres,
Ou l’été, quand tout rit, même l’aurore en pleurs,
Quand toute l’herbe n’est qu’un triomphe de fleurs,
Je prends Froissart, Montluc, Tacite, quelque histoire,
Et je marche, effaré des crimes de la gloire.
Hélas ! l’horreur partout, même chez les meilleurs !
Toujours l’homme en sa nuit trahi par ses veilleurs !
Toutes les grandes mains, hélas ! de sang rougies !
Alexandre ivre et fou, César perdu d’orgies,
Et, le poing sur Didier, le pied sur Witikind,
Charlemagne souvent semblable à Charles-Quint ;
Caton de chair humaine engraissant la murène ;
Titus crucifiant Jérusalem ; Turenne,
Héros, comme Bayard et comme Catinat,
À Nordlingue, bandit dans le Palatinat ;
Le duel de Jarnac, le duel de Carrouge ;
Louis neuf tenaillant les langues d’un fer rouge ;
Cromwell trompant Milton, Calvin brûlant Servet.
Que de spectres, ô gloire ! autour de ton chevet !
Ô triste humanité, je fuis dans la nature !
Et, pendant que je dis : « Tout est leurre, imposture,
« Mensonge, iniquité, mal de splendeur vêtu ! »
Mon chien Ponto me suit. Le chien, c’est la vertu
Qui, ne pouvant se faire homme, s’est faite bête.
Et Ponto me regarde avec son œil honnête.

Marine-Terrace, mars 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un ange noir qui apparaît, ailes déployées, sous la lune blanche, éclatante, lumineuse.

XVIII. Apparition

Apparition – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 449.

Apparition – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Apparition, un poème des Contemplations, du livre En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVII. Mugitusque boum et suivi de XIX. Au poëte qui m’envoie une plume d’aigle.

Apparition

Apparition – Le texte

XVIII
Apparition


Je vis un ange blanc qui passait sur ma tête ;
Son vol éblouissant apaisait la tempête,
Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit.
— Qu’est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit ?
Lui dis-je. Il répondit : — Je viens prendre ton âme.
Et j’eus peur, car je vis que c’était une femme ;
Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras :
— Que me restera-t-il ? car tu t’envoleras.
Il ne répondit pas ; le ciel que l’ombre assiège
S’éteignait… — Si tu prends mon âme, m’écriai-je,
Où l’emporteras-tu ? montre-moi dans quel lieu.
Il se taisait toujours. — Ô passant du ciel bleu,
Es-tu la mort ? lui dis-je, ou bien es-tu la vie ? —
Et la nuit augmentait sur mon âme ravie,
Et l’ange devint noir, et dit : — Je suis l’amour.
Mais son front sombre était plus charmant que le jour,
Et je voyais, dans l’ombre où brillaient ses prunelles,
Les astres à travers les plumes de ses ailes.

Jersey, septembre 1855

XXIV. J’ai cueilli cette fleur…

J’ai cueilli cette fleur… – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 454.

J’ai cueilli cette fleur… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter J’ai cueilli cette fleur…, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est suivi de XXV. Ô strophe du poëte… et précédé de XXIII. Pasteurs et troupeaux.

J’ai cueilli cette fleur…

J’ai cueilli cette fleur… – Le texte

XXIV


J’ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline.
Dans l’âpre escarpement qui sur le flot s’incline,
Que l’aigle connaît seul et peut seul approcher,
Paisible, elle croissait aux fentes du rocher.
L’ombre baignait les flancs du morne promontoire ;
Je voyais, comme on dresse au lieu d’une victoire
Un grand arc de triomphe éclatant et vermeil,
À l’endroit où s’était englouti le soleil,
La sombre nuit bâtir un porche de nuées.
Des voiles s’enfuyaient, au loin diminuées ;
Quelques toits, s’éclairant au fond d’un entonnoir,
Semblaient craindre de luire et de se laisser voir.
J’ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée.
Elle est pâle, et n’a pas de corolle embaumée.
Sa racine n’a pris sur la crête des monts
Que l’amère senteur des glauques goëmons ;
Moi, j’ai dit : « Pauvre fleur, du haut de cette cime,
« Tu devais t’en aller dans cet immense abîme
« Où l’algue et le nuage et les voiles s’en vont.
« Va mourir sur un cœur, abîme plus profond.
« Fane-toi sur ce sein en qui palpite un monde.
« Le ciel, qui te créa pour t’effeuiller dans l’onde,
« Te fit pour l’océan, je te donne à l’amour. »
Le vent mêlait les flots ; il ne restait du jour
Qu’une vague lueur, lentement effacée.
Oh ! comme j’étais triste au fond de ma pensée
Tandis que je songeais, et que le gouffre noir
M’entrait dans l’âme avec tous les frissons du soir !

Île de Serk, août 1855