Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la Terre et l'approche de la comète de Halley, annoncée par ses ondes.

La comète

La comète – Les références

La Légende des siècles – Nouvelle SérieXVI. La Comète – 1759 – ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 423.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des sièclesXLVI. La Comète, p. 675.

La comète – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La comète, un poème du recueil La Légende des siècles – Nouvelle Série, de Victor Hugo.

La comète


La comète – Le texte

La comète
– 1759 –


Il avait dit : — Tel jour cet astre reviendra. —

Quelle huée ! Ayez pour Vishnou, pour Indra,
Pour Brahma, pour Odin ou pour Baal un culte ;
Affirmez par le fer, par le feu, par l’insulte,
L’idole informe et vague au fond des bleus éthers,
Et tous les Jéhovahs et tous les Jupiters
Échoués dans notre âme obscure sur la grève
De Dieu, gouffre où le vrai flotte et devient le rêve ;
Sur les Saint-Baboleyns et sur les Saint-Andrés
Soyez absurde et sombre autant que vous voudrez ;
Dites que vous avez vu, parmi les mouettes
Et les aigles, passer dans l’air des silhouettes
De maisons qu’en leurs bras tenaient des chérubins ;
Dites que pour avoir aperçu dans leurs bains
Des déesses, rondeurs célestes, gorges blanches,
On est cerf à jamais errant parmi les branches ;
Croyez à tout, aux djinns, aux faunes, aux démons
Apportant Dieu tremblant et pâle sur les monts ;
Soyez bonze au Tonquin, mage dans les Chaldées ;
Croyez que les Lédas sont d’en haut fécondées
Et que les cygnes font aux vierges des enfants ;
Donnez l’Égypte aux bœufs et l’Inde aux éléphants ;
Affirmez l’oignon dieu, Vénus, Ève, et leur pomme ;
Et le soleil cloué sur place par un homme
Pour offrir un plus long carnage à des soldats ;
Inventez des Korans, des Talmuds, des Védas,
Soyez un imposteur, un charlatan, un fourbe,
C’est bien. Mais n’allez pas calculer une courbe,
Compléter le savoir par l’intuition,
Et, quand on ne sait quel flamboyant alcyon
Passe, astre formidable, à travers les étoiles,
N’allez pas mesurer le trou qu’il fait aux toiles
Du grand plafond céleste, et rechercher l’emploi
Qu’il a dans ce chaos d’où sort la vaste loi ;
Laissez errer là-haut la torche funéraire ;
Ne questionnez point sur son itinéraire
Ce fantôme, de nuit et de clarté vêtu ;
Ne lui demandez pas : Où vas-tu ? D’où viens-tu ?
Ne faites pas, ainsi que l’essaim sur l’Hymète,
Rôder le chiffre en foule autour de la comète ;
Ne soyez pas penseur, ne soyez pas savant,
Car vous seriez un fou. Docte, obstiné, rêvant,
Ne faites pas lutter l’espace avec le nombre ;
Laissez ses yeux de flamme à ce masque de l’ombre ;
Ne fixez pas sur eux vos yeux ; et ce manteau
De lueur où s’abrite un sombre incognito,
Ne le soulevez pas, car votre main savante
Y trouverait la vie et non pas l’épouvante,
Et l’homme ne veut point qu’on touche à sa terreur ;
Il y tient ; le calcul l’irrite ; sa fureur
Contre quiconque cherche à l’éclairer, commence
Au point où la raison ressemble à la démence ;
Alors il a beau jeu. Car imagine-t-on
Rien qui semble ici-bas mieux fait pour Charenton
Qu’un ascète perdu dans des recherches sombres
Après le chiffre, après le rêve, après des ombres,
Guetteur pâle, appliquant des verres grossissants
Aux faits connus, aux faits possibles, au bon sens,
Regardant le ciel spectre au fond du télescope,
Chez les astres voyant, chez les hommes myope !
Quoi de plus ressemblant aux insensés que ceux
Qui, voyant les secrets d’en haut venir vers eux,
Marchent à leur rencontre et donnent aux algèbres
L’ordre de prendre un peu de lumière aux ténèbres,
Et, sondant l’infini, mer qui veut se voiler,
Disent à la science impassible d’aller
Voir de près telle ou telle étoile voyageuse,
Et de ne revenir, ruisselante plongeuse,
De l’abîme qu’avec cette perle, le vrai !
D’ailleurs ce diamant, cet or, ce minerai,
Le réel, quel mineur le trouve ? Qui donc creuse
Et fouille assez avant dans la nature affreuse
Pour pouvoir affirmer quoi que ce soit ? Hormis
L’autel connu, les jougs sacrés, les dieux permis,
Et le temple doré que la foule contemple,
Et l’espèce de ciel qui s’adapte à ce temple,
Rien n’est certain. Est-il rien de plus surprenant
Qu’un rêveur qui demande au mystère tonnant,
À ces bleus firmaments où se croisent les sphères,
De lui conter à lui curieux leurs affaires,
Et qui veut avec l’ombre et le gouffre profond
Entrer en pourparlers pour savoir ce qu’ils font,
Quel jour un astre sort, quel jour un soleil rentre,
Et qui, pour éclairer l’immensité de l’antre
Où la Pléïade avec Sirius se confond,
Allume sa chandelle et dit : J’ai vu le fond !
Un pygmée à ce point peut-il être imbécile ?
Oui, Cardan de Pavie, Hicétas de Sicile
Furent extravagants, mais parmi les songeurs
Qui veillent, épiant les nocturnes rougeurs,
En est-il un, parmi les pires, qui promette
Le retour de ce monstre éperdu, la comète ?
La comète est un monde incendié qui court,
Furieux, au delà du firmament trop court ;
Elle a la ressemblance affreuse de l’épée ;
Est-ce qu’on ne voit pas que c’est une échappée ?
Peut-être est-ce un enfer dans le ciel envolé.
Ah ! vous ouvrez sa porte ! Ah ! vous avez sa clé !
Comme du haut d’un pont on voit l’eau fuir sous l’arche,
Vous voyez son voyage et vous suivez sa marche ;
Vous distinguez de loin sa sinistre maison ;
Ah ! vous savez au juste et de quelle façon
Elle s’évade et prend la fuite dans l’abîme !
Ce qu’ignorait Jésus, ce que le Kéroubime
Ne sait pas, ce que Dieu connaît, vous le voyez !
Les yeux d’une lumière invisible noyés,
Pensif, vous souhaitez déjà la bienvenue
Dans notre gouffre d’ombre à l’immense inconnue !
Vous savez le total quand Dieu jette les dés !
Quoi ! cet astre est votre astre, et vous lui défendez
De s’attarder, d’errer dans quelque route ancienne,
Et de perdre son temps, et votre heure est la sienne !
Ah ! vous savez le rythme énorme de la nuit !
Il faut que ce volcan échevelé qui fuit,
Que cette hydre, terreur du Cancer et de l’Ourse,
Se souvienne de vous au milieu de sa course
Et tel jour soit exacte à votre rendez-vous !
Quoi ! pour avoir, ainsi qu’à l’épouse l’époux,
Donné vos nuits à l’âpre algèbre, quoi ! pour être
Attentif au zénith comme au dogme le prêtre,
Quoi ! pour avoir pâli sur les nombres hagards
Qui d’Hermès et d’Euclide ont troublé les regards,
Vous voilà le seigneur des profondes contrées !
Vous avez dans la cage horrible vos entrées !
Vous pouvez, grâce au chiffre escorté de zéros,
Prendre aux cheveux l’étoile à travers les barreaux !
Vous connaissez les mœurs des fauves météores,
Vous datez les déclins, vous réglez les aurores,
Vous montez l’escalier des firmaments vermeils,
Vous allez et venez dans la fosse aux soleils !
Quoi ! vous tenez le ciel comme Orphée une lyre !
En vertu des bouquins qu’on peut sur les quais lire,
Qui sur les parapets s’étalent tout l’été
Feuilletés par le vent sans curiosité,
Vous atome, âme aveugle à tâtons élargie,
De par Bezout, de par l’X et l’Y grec, magie
Dont l’informe grimoire emplit votre grenier,
Vous nain, vous avez fait l’Infini prisonnier !
Votre altière hypothèse à vos calculs l’attelle !
Vous savez tout ! Le temps que met l’aube immortelle
À traverser l’azur d’un bout à l’autre bout,
Ce qui, dans les chaos, couve, fermente et bout,
Le bouvier, le lion, le chien, les dioscures,
La possibilité des rencontres obscures,
L’empyrée en tous sens par mille feux rayé,
Les cercles que peut faire un satan ennuyé
En crachant dans le puits de l’abîme, les ondes
Du divin tourbillon qui tourmente les mondes
Et les secoue ainsi que le vent le sapin,
Vous avez tout noté sur votre calepin !
Vous êtes le devin d’en haut, le cicerone
Du pâle Aldebaran inquiet sur son trône !
Vous êtes le montreur d’Allioth, d’Arcturus,
D’Orion, des lointains univers apparus,
Et de tous les passants de la forêt des astres !
Vous en savez plus long que les grands Zoroastres
Et qu’Esdras qui hantait les chênes de Membré ;
Vous êtes le cornac du prodige effaré ;
La comète est à vous ; vous êtes son pontife ;
Et vous avez lié votre fil à la griffe
De cet épouvantable oiseau mystérieux,
Et vous l’allez tirer à vous du fond des cieux !
Londre, offre ton Bedlam ! Paris, ouvre Bicêtre !

Tout cela s’écroula sur Halley.

Votre ancêtre,

Ô rêveurs ! c’est le noir Prométhée, et vos cœurs,
Mordus comme le sien par les vautours moqueurs,
Saignent, et vous avez au pied la même chaîne ;
L’homme a pour les chercheurs un Caucase de haine ;
Empédocle est toujours brûlé par son volcan ;
Tous les songeurs, marqués au front, mis au carcan,
Râlent sur l’éternel pilori des génies
Et des fous. Ce Halley, certes, qu’aux gémonies
Rome eût traîné, qu’Athène au cloaque eût poussé,
Était impie, à moins qu’il ne fût insensé !
Jamais homme ici-bas ne s’était vu proscrire
Par un si formidable et sombre éclat de rire ;
Tout l’accabla, les gens légers, les sérieux,
Et les grands gestes noirs des prêtres furieux.
Quoi ! cet homme saurait ce que la Bible ignore !
La vaste raillerie est un dôme sonore
Au-dessus d’une tête, et ce sinistre mur
Parle et de mille échos emplit un crâne obscur.
C’est ainsi que le rire, infâme et froid visage,
Parvient à faire un fou de ce qui fut un sage.
Halley morne s’alla cacher on ne sait où.
Avait-il été sage et fut-il vraiment fou ?
On ne sait. Le certain c’est qu’il courba la tête
Sous le sarcasme, atroce et joyeuse tempête,
Et qu’il baissa les yeux qu’il avait trop levés.
Les petits enfants nus courant sur les pavés
Le suivaient, et la foule en tumulte accourue
Riait, quand il passait le soir dans quelque rue,
Et l’on disait : C’est lui ! chacun voulant punir
L’homme qui voit de loin une étoile venir.
C’est lui ! le fou ! Les cris allaient jusqu’aux nuées ;
Et le pauvre homme errait triste sous les huées.
Il mourut.

L’ombre est vaste et l’on n’en parla plus.

L’homme que tout le monde insulte est un reclus,
On l’évite vivant et mort on le rature.
Ce noir vaincu rentra dans la sombre nature ;
Il fut ce qui s’en va le soir sous l’horizon ;
On le mit dans un coin quelconque d’un gazon
À côté d’une église obscure, vraie ou fausse ;
Et la blême ironie autour de cette fosse
Voleta quelque temps, étant chauve-souris ;
Un mort donne fort peu de joie aux beaux esprits ;
Un cercueil bafoué ne vaut pas qu’on s’en vante ;
Ce qui plaît, c’est de voir saigner la chair vivante ;
Contre ce qui n’est plus pourquoi s’évertuer,
Et, quand un homme est mort, à quoi bon le tuer ?
Que sert d’assassiner de l’ombre et de la cendre ?
Donc chez les vers de terre on le laissa descendre ;
La haine s’éteignit comme toute rumeur ;
On finit par laisser tranquille ce dormeur,
Et tu t’en emparas, profonde pourriture ;
Ce jouet des vivants tomba dans l’ouverture
De l’inconnu, silence, ombre où s’épanouit
La grande paix sinistre éparse dans la nuit ;
Et l’herbe, ce linceul, l’oubli, ce crépuscule,
Eurent vite effacé ce tombeau ridicule.
L’oubli, c’est la fin morne ; on oublia le nom,
L’homme, tout ; ce rêveur digne du cabanon,
Ces calculs poursuivant dans leur vagabondage
Des astres qui n’ont point d’orbite et n’ont point d’âge,
Ces soleils à travers les chiffres aperçus ;
Et la ronce se mit à pousser là-dessus.

Un nom, c’est un haillon que les hommes lacèrent,
Et cela se disperse au vent.

Trente ans passèrent.

On vivait. Que faisait la foule ? Est-ce qu’on sait ?
Et depuis bien longtemps personne ne pensait
Au pauvre vieux rêveur enseveli sous l’herbe.
Soudain, un soir, on vit la nuit noire et superbe,
À l’heure où sous le grand suaire tout se tait,
Blêmir confusément, puis blanchir, et c’était
Dans l’année annoncée et prédite, et la cime
Des monts eut un reflet étrange de l’abîme
Comme lorsqu’un flambeau rôde derrière un mur,
Et la blancheur devint lumière, et dans l’azur
La clarté devint pourpre, et l’on vit poindre, éclore,
Et croître on ne sait quelle inexprimable aurore
Qui se mit à monter dans le haut firmament
Par degrés et sans hâte et formidablement ;
Les herbes des lieux noirs que les vivants vénèrent
Et sous lesquelles sont les tombeaux, frissonnèrent ;
Et soudain, comme un spectre entre en une maison,
Apparut, par-dessus le farouche horizon,
Une flamme emplissant des millions de lieues,
Monstrueuse lueur des immensités bleues,
Splendide au fond du ciel brusquement éclairci ;
Et l’astre effrayant dit aux hommes : « Me voici ! »

Remarque

Ce poème n’est pas court, comme vous avez pu le remarquer si vous avez écouté jusqu’au bout. Et si vous avez écouté jusqu’au bout, vous aurez entendu une énorme erreur de liaison mal-t-à propos. Je l’ai laissée parce que c’est le jeu du vivant. J’enregistre chaque poème dans son intégralité et je mets en ligne le résultat. Merci, vous qui avez accordez votre temps à ce poème, il reviendra à une heure précise en vous. Quand ? Je ne possède pas la science de Halley pour réaliser ce calcul…

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un animal tenu en laisse par un ange vers lequel vient un autre animal. Une horloge est au-dessus du premier animal.

XXI. Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde…

Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde… – Les références

La Légende des siècles – Série ComplémentaireXXI ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 695.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des siècles, p. 799.

Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde…, un poème du recueil La Légende des siècles – Série Complémentaire, de Victor Hugo.

Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde…


Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde… – Le texte

XXI


Dieu fait les questions pour que l’enfant réponde.
— Les deux bêtes les plus gracieuses du monde,
Le chat et la souris, se haïssent. Pourquoi ?
Explique-moi cela, Jeanne. — Non sans effroi
Devant l’énormité de l’ombre et du mystère,
Jeanne se mit à rire. — Eh bien ? — Petit grand-père,
je ne sais pas. Jouons. — Et Jeanne repartit :
— Vois-tu, le chat c’est gros, la souris c’est petit.
— Eh bien ? — Et Jeanne alors, en se grattant la tête,
Reprit : — Si la souris était la grosse bête,
À moins que le bon Dieu là-haut ne se fâchât,
Ce serait la souris qui mangerait le chat.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l’œil d'un homme tourmenté (un bûcheron) scrutant l'inconnu.

I. Une voix

[I]. Une voix – Les références

DieuVoix I à XIII ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 587.

Une voix – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Une voix, un poème du recueil Dieu, de Victor Hugo.

Une voix


[I]. Une voix – Le texte

[I] – Une voix


Les rudes bûcherons sont venus dans le bois.
— Si tu ne vois pas nie et doute si tu vois,
A dit Cratès. — Zénon, Gorgias, Pythagore,
Plaute et Sénèque ont dit : — Si tu vois, nie encore.
Bacon a dit — Voici l’objet, l’être, le corps,
Le fait. N’en sortez pas ; car tout tremble dehors.
— Quel est ce monde ? a dit Thalès. Apollodore
A dit : C’est de la nuit que de la cendre adore.
Et Démonax de Chypre, Epicharme de Cos,
Pyrrhon, le grand errant des monts et des échos,
Ont répondu : — Tout est fantôme. Pas de type.
Tout est larve. — Et fumée, a repris Aristippe.
— Rêve ! a dit Sergius, le fatal syrien.
— Rencontre de l’atome et de l’atome, et rien.
Ces mots noirs ont été jetés par Démocrite.
Ésope a dit : — À bas, monde ! masque hypocrite !
Épicure qui naît au mois Gamélion,
Et Job qui parle au ver, Dan qui parle au lion,
Amos et Jean troublés par les apocalypses,
Ont dit : — On ne le voit qu’à travers les éclipses.
— L’être est le premier texte et l’homme est le second.
Lisible dans la fleur et dans l’arbre fécond,
Et dans le calme éther des cieux que rien n’irrite,
La nature est dans l’homme obscure et mal transcrite.
Voilà ce qu’Alchindé l’Arabe a proclamé.
Cardan a dit : — Hélas ! c’est fermé, c’est fermé !
Alcidamas a dit : — Miracle, autel, croyance,
Dogme, religion, fondent sous la science ;
Dieu sous l’esprit humain, tas de neige au dégel.
Et Goethe au vaste front, Montaigne, Fichte, Hégel,
Se sont penchés pendant que le grand rieur maître,
Rabelais, chuchotait sur l’abîme : – Peut-être.
Diogène a crié : — Des flambeaux ! des flambeaux !
Shakespeare a murmuré, courbé sur les tombeaux :
— Fossoyeur, combien Dieu pèse-t-il dans ta pelle ?
Et Jean-Paul a repris : — Ce qu’ainsi l’homme appelle,
C’est la vague lueur qui tremble sur le sort ;
C’est la phosphorescence impalpable qui sort
De l’incommensurable et lugubre matière ;
Dieu, c’est le feu follet du monde cimetière.
Dante a levé les bras en s’écriant : Pourquoi ?
— Ô nuit, j’attends que tout s’affirme et dise : moi.
Quel est le sens des mots : foi, conscience humaine,
Raison, devoir ? a dit le pâle Anaximène.
Locke a dit : — On voit mal avec ces appareils.
Reuchlin a demandé : — Qu’est-ce que les soleils ?
Sont-ce des piloris ou des apothéoses ?
Lucrèce a dit : — Quelle est la nature des choses ?
Il a dit : – Tout est sourd, faux, muet, décevant.
Sous cette immense mort quelqu’un est-il vivant ?
Sent-on une âme au fond de la substance, et l’être
N’est-il pas tout entier dans ce mot : apparaître ?
L’ombre engendre la nuit. De quoi l’homme est-il sûr ?
Et le ciel, le hasard, l’obscurité, l’azur,
Le mystère, et la vie, et la tombe indignée
Retentissent encor de ces coups de cognée.

Oui, les douteurs, les fiers incrédules, les forts,
Ont appelé Quelqu’un, quoique restés dehors ;
Ils ont bravé l’odeur que le sépulcre exhale ;
Le front haut, ils disaient à l’ombre colossale :
— Ose donc nous montrer ton Dieu, que nous voyions
Ce qu’il a de carreaux, ce qu’il a de rayons,
Gouffre horrible, et si c’est avec de la colère
Ou du pardon divin que son visage éclaire !
Et, prêts à tout subir, sans peur, prêts à tout voir,
Calmes, ils regardaient en face le ciel noir,
Et le sourd firmament que l’obscurité voile,
Farouches, attendant quelque chute d’étoile !
Certes, ces curieux, ces hardis ignorants,
Ces lutteurs, ces esprits, ces hommes étaient grands,
Et c’étaient des penseurs à l’âme ferme et fière
Qui jetaient à la nuit ce défi de lumière.

Chercheur, trouveras-tu ce qu’ils n’ont pas trouvé ?
Songeur, rêveras-tu plus loin qu’ils n’ont rêvé ?

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente deux traits parallèles et verticaux dans la brume et dans la nuit. Ils symbolisent l'infaillibilité.

L’infaillibilité

L’infaillibilité – Les références

Le Pape ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 886.

L’infaillibilité – L’enregistrement et le texte

Je vous invite à écouter ou à lire L’infaillibilité, un poème du recueil Le Pape, de Victor Hugo.

L’infaillibilité


L’infaillibilité – Le texte

L’infaillibilité


Ah ! je suis l’Infaillible !

Ah ! c’est moi qui vois clair !

Et Dieu ?

Dieu ne sait pas ce que savait Kepler,

Ce que trouva Newton, ce qu’a vu Galilée ;
Il est dépaysé sous la voûte étoilée ;
Il a tous les défauts possibles ; dur, cassant,
Jaloux, inexorable, irascible ; il consent
À l’arrestation du soleil par un homme ;
Il damne l’univers pour le vol d’une pomme ;
Il foudroie au hasard, il châtie à côté ;
Il tue en bloc ; il met le diable en liberté ;
Molière le ferait sermonner par Alceste ;
Il extermine un bouge, il épargne l’inceste,
Détruit Sodome, et donne à Loth un exeat ;
Il double d’un enfer son paradis béat ;
Il ne sait ce qu’il fait, tant il est susceptible,
Et tâche de brûler notre âme incombustible
Dans un monstrueux lac de bitume et de poix.
Ah ! vous avez voulu lui mettre un contre-poids !
Oui, vous avez voulu corriger, j’imagine,
Ce Dieu qui du chaos tire son origine,
Qui maudit, sans savoir pourquoi, le genre humain,
Et qui marche en tâtant du bâton le chemin ;
Il a, certes, besoin d’un guide en sa nuit noire,
Et, grâce au compagnon qui l’aide, on aime à croire,
Malgré Pascal doutant et Voltaire niant,
Que Dieu peut-être aura moins d’inconvénient.
Donc son chien est le pape, et je comprends qu’en somme,
L’aveugle étant le dieu, le clairvoyant soit l’homme.

Dérision lugubre ! Insulte au firmament !

Donc le pape jamais ne chancelle et ne ment ;
Donc jamais une erreur ne tombe de sa bouche ;
L’infaillibilité formidable et farouche
Luit dans son œil suprême…

O nuit ! pardonne-leur !

Être un homme, un jouet quelconque du malheur,
Moins libre que le vent, plus frêle que la plante,
Le passant inquiet de la terre tremblante,
Une agitation qui frissonne et qui fuit,
Un peu d’ombre essayant de faire un peu de bruit,
Être cela ! sentir derrière soi l’abîme
Et devant soi le gouffre, et se croire la cime !
Avoir l’affreux squelette en ce vil corps charnel,
Et dire à Dieu : Je suis ton égal. Éternel !
Je suis l’autorité, je suis la certitude,
Et mon isolement, Dieu, vaut ta solitude ;
Le pape est avec toi le seul être debout
Sur cet immense Rien que l’homme appelle Tout ;
Tout n’est rien devant moi comme devant toi, Maître.
Je sais la fin, je sais le but, je connais l’Être ;
Je te tiens, ma clef t’ouvre, et je suis ton sondeur,
Dieu sombre, et jusqu’au fond je vois ta profondeur.
Dans l’obscur univers je suis le seul lucide ;
Je ne puis me tromper ; et ce que je décide
T’oblige ; et quand j’ai dit : Voici la vérité !
Tout est dit. Quand je veux que tu sois irrité,
Quand j’ai dit la loi, l’ordre, et le point où commence
Ta colère, et l’endroit où finit ta clémence,
Tu dois courber ton front énorme dans les cieux !
Le grand char étoilé tourne sur deux essieux,
Dieu, le Pape.

O soleils ! astres ! gouffres des êtres !

Que dites-vous du pape infaillible, et des prêtres,
Des conciles mettant le pied sur vos hauteurs,
Que dis-tu de ce tas de sinistres docteurs,
Ciel terrible, imposant leur néant au mystère,
Et tâchant d’ajouter à Dieu le ver de terre !

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l'océan par gros temps la nuit.

XX. Gros temps la nuit

Gros temps la nuit – Les références

Toute la lyreII. [La Nature] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 213.

Gros temps la nuit – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Gros temps la nuit, un poème du recueil Toute la lyre, de la deuxième partie : [La Nature], de Victor Hugo.

Gros temps la nuit


Gros temps la nuit – Le texte

XX
Gros temps la nuit


Le vent hurle ; la rafale
Sort, ruisselante cavale,
Du gouffre obscur,
Et, hennissant sur l’eau bleue,
Des crins épars de sa queue
Fouette l’azur.

L’horizon, que l’onde encombre,
Serpent, au bas du ciel sombre
Court tortueux ;
Toute la mer est difforme ;
L’eau s’emplit d’un bruit énorme
Et monstrueux.

Le flot vient, s’enfuit, s’approche,
Et bondit comme la cloche
Dans le clocher,
Puis tombe, et bondit encore ;
La vague immense et sonore
Bat le rocher.

L’océan frappe la terre.
Oh ! le forgeron Mystère,
Au noir manteau,
Que forge-t-il dans la brume,
Pour battre une telle enclume
D’un tel marteau ?

L’Hydre écaillée à l’œil glauque
Se roule sur le flot rauque
Sans frein ni mors ;
La tempête maniaque
Remue au fond du cloaque
Les os des morts.

La mer chante un chant barbare.
Les marins sont à la barre,
Tout ruisselants ;
L’éclair sur les promontoires
Éblouit les vagues noires
De ses yeux blancs.

Les marins qui sont au large
Jettent tout ce qui les charge,
Canons, ballots ;
Mais le flot gronde et blasphème :
Ce que je veux, c’est vous-même,
Ô matelots !

Le ciel et la mer font rage.
C’est la saison, c’est l’orage,
C’est le climat.
L’ombre aveugle le pilote.
La voile en haillons grelotte
Au bout du mât.

Tout se plaint, l’ancre à la proue,
La vergue au câble, la roue
Au cabestan.
On croit voir dans l’eau qui gronde,
Comme un mont roulant sous l’onde,
Léviathan.

Tout prend un hideux langage ;
Le roulis parle au tangage,
La hune au foc ;
L’un dit: – L’eau sombre se lève.
L’autre dit: – Le hameau rêve
Au chant du coq.

C’est un vent de l’autre monde
Qui tourmente l’eau profonde
De tout côté,
Et qui rugit dans l’averse ;
L’éternité bouleverse
L’immensité.

C’est fini. La cale est pleine.
Adieu, maison, verte plaine,
Âtre empourpré !
L’homme crie : ô Providence !
La mort aux dents blanches danse
Sur le beaupré.

Et dans la sombre mêlée,
Quelque fée échevelée,
Urgel, Morgan,
À travers le vent qui souffle,
Jette en riant sa pantoufle
À l’ouragan.

2 février 1854.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un vallon où il a plu. L'air et les arbres frissonnent. L'ombre ouvre un gouffre obscure.

VI. Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent…

Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent… – Les références

Toute la lyreII. [La Nature] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 205.

Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent…, un poème de la deuxième partie : [La Nature], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de V. … Une tempête.

Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent…


Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent… – Le texte

VI


Nous marchons ; il a plu toute la nuit ; le vent
Pleure dans les sapins ; pas de soleil levant ;
Tout frissonne ; le ciel, de teinte grise et mate,
Nous verse tristement un jour de casemate.
Tout à coup, au détour du sentier recourbé,
Apparaît un nuage entre deux monts tombé.
Il est dans le vallon comme en un vase énorme,
C’est un mur de brouillard, sans couleur et sans forme.
Rien au delà. Tout cesse. On n’entend aucun son ;
On voit le dernier arbre et le dernier buisson.
La brume, chaos morne, impénétrable et vide,
Où flotte affreusement une lueur livide,
Emplit l’angle hideux du ravin de granit.
On croirait que c’est là que le monde finit
Et que va commencer la nuée éternelle.

– Borne où l’âme et l’oiseau sentent faiblir leur aile,
Abîme où le penseur se penche avec effroi,
Puits de l’ombre infinie, oh! disais-je, est-ce toi ?

Alors je m’enfonçai dans ma pensée obscure,
Laissant mes compagnons errer à l’aventure.

Pyrénées, 28 août.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un ciel vers lequel est tendu un visage (ou une forme ?) dont le regard semble flirter avec l'infini.

II. Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder…

Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder… – Les références

Toute la lyreIII. [La Pensée] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 240.

Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder…, un poème de la troisième partie : [La Pensée], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé du poème I. Effets de réveil.

Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder…


Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder… – Le texte

II


Quand l’enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder.
Quand il pleure, j’entends le tonnerre gronder ;
Car penser c’est entendre ; et le visionnaire
Est souvent averti par un vague tonnerre.
Quand ce petit être, humble et pliant les genoux,
Attache doucement sa prunelle sur nous,
Je ne sais pas pourquoi je tremble ; quand cette âme,
Qui n’est pas homme encore et n’est pas encor femme,
En qui rien ne s’admire et rien ne se repent,
Sans sexe, sans passé derrière elle rampant,
Verse, à travers les cils de sa rose paupière,
Sa clarté dans laquelle on sent de la prière,
Sur nous les combattants, les vaincus, les vainqueurs,
Quand ce pur esprit semble interroger nos cœurs,
Quand cet ignorant, plein d’un jour que rien n’efface,
A l’air de regarder notre science en face,
Et jette, dans cette ombre où passe Adam banni,
On ne sait quel rayon de rêve et d’infini,
On dirait, tant l’enfance est ressemblante au temple,
Que la lumière, chose étrange, nous contemple ;
Toute la profondeur du ciel est dans cet œil.
Fût-on Christ ou Socrate, eût-on droit à l’orgueil,
On dit : laissez venir à moi cette auréole !
Comme on sent qu’il était hier l’esprit qui vole !
Comme on sent manquer l’aile à ce petit pied blanc !
Oh ! comme c’est débile et frêle et chancelant !
Comme on devine aux cris de cette bouche, un songe
De paradis qui jusqu’en enfer se prolonge,
Et que le doux enfant ne veut pas voir finir !
L’homme, ayant un passé, craint pour cet avenir ;
Que la vie apparaît fatale ! Comme on pense
À tant de peine avec si peu de récompense !
Oh ! comme on s’attendrit sur ce nouveau venu !
Lui cependant, qu’est-il, ô vivants ? l’inconnu.
Qu’a-t-il en lui ? l’énigme. Et que porte-t-il ? l’âme.
Il vit à peine ; il est si chétif qu’il réclame
Du brin d’herbe ondoyant aux vents, un point d’appui ;
Parfois, lorsqu’il se tait, on le croit presque enfui,
Car on a peur que tout ici-bas ne le blesse.
Lui, que fait-il ? Il rit. Fait d’ombre et de faiblesse
Et de tout ce qui tremble, il ne craint rien. Il est
Parmi nous le seul être encor vierge et complet ;
L’ange devient l’enfant lorsqu’il se rapetisse ;
Si toute pureté contient toute justice,
On ne rencontre pas l’enfant sans quelque effroi ;
On sent qu’on est devant un plus juste que soi ;
C’est l’atome, le nain souriant, le pygmée ;
Et quand il passe, honneur, gloire, éclat, renommée,
Méditent ; on se dit tout bas : Si je priais ?
On rêve ; et les plus grands sont les plus inquiets ;
Sa haute exception dans notre obscure sphère,
C’est que n’ayant rien fait, lui seul n’a pu mal faire ;
Le monde est un mystère inondé de clarté ;
L’enfant est sous l’énigme adorable abrité ;
Toutes les vérités couronnent, condensées
Ce doux front qui n’a pas encore de pensées ;
On comprend que l’enfant, ange de nos douleurs,
Si petit ici-bas, doit être grand ailleurs ;
Il se traîne, il trébuche ; il n’a dans l’attitude,
Dans la voix, dans le geste, aucune certitude ;
Un souffle à qui la fleur résiste fait ployer
Cet être à qui fait peur le grillon du foyer ;
L’œil hésite pendant que la lèvre bégaie ;
Dans ce naïf regard que l’ignorance égaie
L’étonnement avec la grâce se confond,
Et l’immense lueur étoilée est au fond.

Juin 1874

XXI. Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites…

Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites… – Les références

Toute la lyreIII. [La Pensée] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 255.

Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites…, un poème du recueil Toute la lyre, de la troisième partie : [La Pensée], de Victor Hugo.

Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites…


Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites… – Le texte

XXI


Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites.
Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes.
Tout, la haine et le deuil ! — Et ne m’objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas… —
Écoutez bien ceci :

Tête-à-tête, en pantoufle,

Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l’oreille au plus mystérieux
De vos amis de cœur, ou, si vous l’aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d’une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu ;
Ce mot que vous croyez qu’on n’a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l’ombre !
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin.
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
— Au besoin, il prendrait des ailes comme l’aigle ! —
Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera.
Il suit le quai, franchit la place, et cætera,
Passe l’eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez l’individu dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l’étage ; il a la clé,
Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe,
Entre, arrive, et, railleur, regardant l’homme en face,
Dit : — Me voilà ! je sors de la bouche d’un tel.

Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un personnage grotesque à grosse tête et grandes oreilles qui marche en levant la jambe et écartant les bras et les doigts.

XXV. Grandes oreilles

Grandes oreilles – Les références

Toute la lyreLa Corde d’airain ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 554.

Grandes oreilles – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Grandes oreilles, un poème du recueil Toute la lyre, de la Corde d’airain, de Victor Hugo.

Grandes oreilles


Grandes oreilles – Le texte

XXV
Grandes oreilles


C’est un bel attribut, la longueur de l’oreille.
L’oreille longue, au-fond de l’ombre, oscille, veille,
Songe, se couche à plat, se dresse tout debout,
Entend mal, comprend peu, s’épouvante, a du goût,
Frémit au moindre souffle agitant les ramées,
Se plaît dans les salons aux choses mal rimées,
S’émeut pour les tyrans sitôt qu’il en tombe un,
Fuit le poète, craint l’esprit, hait le tribun.
Ayez cette beauté, messieurs. La grande oreille
Avec le crâne altier et petit s’appareille ;
En être orné, c’est presque avoir diplôme ; on est
Le front touffu sur qui tombe le lourd bonnet ;
On a l’autorité de l’ignorance énorme ;
On dit: — Shakspeare est creux, Dante n’a que la forme ;
La Révolution est un phare trompeur
Qui mène au gouffre ; il est utile d’avoir peur. —
De l’effroi qu’on n’a plus on fait de la colère ;
Pour glorifier l’ordre, on mêle à de l’eau claire
Des phrases qui du sang ont la vague saveur ;
Dès que le progrès marche, on réclame un sauveur ;
On vénère Haynau, Boileau, l’état, l’église,
Et la férule ; et c’est ainsi qu’on réalise
Pour les Suins, les Dupins, les Cousins, les Parieux,
Les Nisards, l’idéal d’un homme sérieux,
Et qu’on a l’honneur d’être un bourgeois authentique,
Âne en littérature et lièvre en politique.

24 mai 1872.

Ce détail de deux dessins de Victor Hugo représente deux têtes d'hommes qui regardent en biais.

IV. Bourgeois parlant de Jésus-Christ

Bourgeois parlant de Jésus-Christ – Les références

Toute la lyreI. [L’Humanité] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 164.

Bourgeois parlant de Jésus-Christ – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Bourgeois parlant de Jésus-Christ, un poème du recueil Toute la lyre, de la première partie : [L’Humanité], de Victor Hugo.

Bourgeois parlant de Jésus-Christ


Bourgeois parlant de Jésus-Christ – Le texte

IV
Bourgeois parlant de Jésus-Christ


— Sa morale a du bon. — Il est mort à trente ans.
— Il changeait en vin l’eau. — Ça s’est dit dans son temps.
— Il était de Judée. — Il avait douze apôtres.
— Gens grossiers. — Gens de rien. — Jaloux les uns des autres.
— Il leur lavait les pieds. — C’est curieux, le puits
De la Samaritaine, et puis le diable, et puis
L’histoire de l’aveugle et du paralytique.
— J’en doute. — Il n’aimait pas les gens tenant boutique.
— A-t-il vraiment tiré Lazare du tombeau ?
— C’était un sage. — Un fou. — Son système est fort beau.
— Vrai dans la théorie et faux dans la pratique.
— Son procès est réel. Judas est authentique.
— L’honnête homme au gibet et le voleur absous !
— On voit bien clairement les prêtres là-dessous.
— Tout change. Maintenant il a pour lui les prêtres.
— Un menuisier pour père, et des rois pour ancêtres,
C’est singulier. — Non pas. Une branche descend,
Puis remonte, mais c’est toujours le même sang ;
Cela n’est pas très rare en généalogie.
— Il savait qu’on voulait l’accuser de magie
Et que de son supplice on faisait les apprêts.
— Sa Madeleine était une fille. — À peu près.
— Ça ne l’empêche pas d’être sainte. — Au contraire.
— Était-il Dieu ? — Non. — Oui. — Peut-être. — On n’y croit guère.
— Tout ce qu’on dit de lui prouve un homme très doux.
— Il était beau. — Fort beau, l’air juif, pâle. — Un peu roux.
— Le certain, c’est qu’il a fait du bien sur la terre ;
Un grand bien; il était bon, fraternel, austère ;
Il a montré que tout, excepté l’âme, est vain ;
Sans doute il n’est pas dieu, mais certe il est divin.
Il fit l’homme nouveau meilleur que l’homme antique.
— Quel malheur qu’il se soit mêlé de politique !