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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo, abstrait, représente des coulées verticales, depuis la plus sombres (bleu de Prusse) à gauche jusqu'à la plus blanche et lumineuse (proche de l'aurore) à droite.

IV. Une tape

Une tape – Les références

L’Art d’être grand-pèreVI. Grand Âge et Bas Âge mêlés ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 767.

Une tape – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Une tape, poème de la partie VI. Grand Âge et Bas Âge mêlés, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de III. La Cicatrice, non encore enregistré sur ce site, et suivi de V. Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé….

Une tape


Une tape – Le texte

IV
Une tape


De la petite main sort une grosse tape.
— Grand-père, grondez-la ! Quoi ! c’est vous qu’elle frappe !
Vous semblez avec plus d’amour la regarder !
Grondez donc ! — L’aïeul dit : — Je ne puis plus gronder !
Que voulez-vous ? Je n’ai gardé que le sourire.
Quand on a vu Judas trahir, Néron proscrire,
Satan vaincre, et régner les fourbes ténébreux,
Et quand on a vidé son cœur profond sur eux ;
Quand on a dépensé la sinistre colère ;
Quand, devant les forfaits que l’église tolère,
Que la chaire salue et que le prêtre admet,
On a rugi, debout sur quelque âpre sommet ;
Quand sur l’invasion monstrueuse du parthe,
Quand sur les noirs serments vomis par Bonaparte,
Quand sur l’assassinat des lois et des vertus,
Sur Paris sans Barbès, sur Rome sans Brutus,
Sur le tyran qui flotte et sur l’état qui sombre,
Triste, on a fait planer l’immense strophe sombre ;
Quand on a remué le plafond du cachot ;
Lorsqu’on a fait sortir tout le bruit de là-haut,
Les imprécations, les éclairs, les huées
De la caverne affreuse et sainte des nuées ;
Lorsqu’on a, dans des jours semblables à des nuits,
Roulé toutes les voix du gouffre, les ennuis,
Et les cris, et les pleurs pour la France trahie,
Et l’ombre, et Juvénal, augmenté d’Isaïe,
Et des écroulements d’iambes furieux
Ainsi que des rochers de haine dans les cieux ;
Quand on a châtié jusqu’aux morts dans leurs tombes ;
Lorsqu’on a puni l’aigle à cause des colombes,
Et souffleté Nemrod, César, Napoléon,
Qu’on a questionné même le Panthéon,
Et fait trembler parfois cette haute bâtisse ;
Quand on a fait sur terre et sous terre justice,
Et qu’on a nettoyé de miasmes l’horizon,
Dame ! on rentre un peu las, c’est vrai, dans sa maison ;
On ne se fâche pas des mouches familières ;
Les légers coups de bec qui sortent des volières,
Le doux rire moqueur des nids mélodieux,
Tous ces petits démons et tous ces petits dieux
Qu’on appelle marmots et bambins, vous enchantent ;
Même quand on les sent vous mordre, on croit qu’ils chantent.
Le pardon, quel repos ! Soyez Dante et Caton
Pour les puissants, mais non pour les petits. Va-t-on
Faire la grosse voix contre ce frais murmure ?
Va-t-on pour les moineaux endosser son armure ?
Bah ! contre de l’aurore est-ce qu’on se défend ?
Le tonnerre chez lui doit être bon enfant.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un voile d'écume d'argent sur le "sombre océan".

X. À Madame D. G. de G.

À Madame D. G. de G. – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 272.

À Madame D. G. de G. – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Madame D. G. de G., un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. Le poëme éploré se lamente… et suivi de XI. Lise.

À Madame D. G. de G.


À Madame D. G. de G. – Le texte

X
À Madame D. G. de G.


Jadis je vous disais : — Vivez, régnez, Madame !
Le salon vous attend ! le succès vous réclame !
Le bal éblouissant pâlit quand vous partez !
Soyez illustre et belle ! aimez ! riez ! chantez !
Vous avez la splendeur des astres et des roses !
Votre regard charmant, où je lis tant de choses,
Commente vos discours légers et gracieux ;
Ce que dit votre bouche étincelle en vos yeux.
Il semble, quand parfois un chagrin vous alarme,
Qu’ils versent une perle et non pas une larme.
Même quand vous rêvez, vous souriez encor.
Vivez, fêtée et fière, ô belle aux cheveux d’or !
Maintenant vous voilà pâle, grave, muette,
Morte, et transfigurée, et je vous dis : — Poëte !
Viens me chercher ! Archange ! être mystérieux !
Fais pour moi transparents et la terre et les cieux !
Révèle-moi, d’un mot de ta bouche profonde,
La grande énigme humaine et le secret du monde !
Confirme en mon esprit Descarte ou Spinosa !
Car tu sais le vrai nom de celui qui perça,
Pour que nous puissions voir sa lumière sans voiles,
Ces trous du noir plafond qu’on nomme les étoiles !
Car je te sens flotter sous mes rameaux penchants ;
Car ta lyre invisible a de sublimes chants !
Car mon sombre océan, où l’esquif s’aventure,
T’épouvante et te plaît ; car la sainte nature,
La nature éternelle, et les champs, et les bois,
Parlent à ta grande âme avec leur grande voix !

Paris, 1840. – Jersey, 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente deux sommets enneigés et le ciel au-dessus d'eux.

XVII. Chanson

Chanson – Les références

Toute la lyreIV. [L’Art] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 322.

Chanson – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Chanson, un poème du recueil Toute la lyre, de la quatrième partie : [L’Art], de Victor Hugo.

Chanson


Chanson – Le texte

XVII
Chanson


Écoutez la voix touchante
De l’oiseau de l’air qui chante,
Du poète qui sourit ;
Écoutez ces voix fidèles,
Car les oiseaux ont des ailes,
Et le poète a l’esprit.

Pendant que le vin t’enivre ;
Pendant que tu lis le livre
Choisi par ta vanité ;
Ou que tu te prostitues
À ces trois froides statues,
Richesse, orgueil, volupté ;

Pendant que, face ridée,
Tu vas traînant ton idée,
Creusant ta vie ou ton champ ;
Pendant que ton instinct mène
Dans la grande ornière humaine
Quelque chariot penchant ;

Tandis que, gais ou moroses,
Vous faites cent tristes choses
Qui vous font baisser les yeux,
Vous avez tous sur vos têtes
Les oiseaux et les poètes,
Pêle-mêle dans les cieux.

21 juin 1843.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le visage tourmenté d'un homme barbu.

[IX]. Une autre voix

[IX]. Une autre voix – Les références

DieuVoix I à XIII ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 608.

Une autre voix – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Une autre voix, un poème du recueil Dieu, de Victor Hugo.

Une autre voix


[IX]. Une autre voix – Le texte

[IX] – Une autre voix


Te figures-tu donc être, par aventure,
Autre chose qu’un point dans l’aveugle nature ?
Toi, l’homme, cendre et chair, te persuades-tu
Que d’une fonction l’ombre t’a revêtu ?
Quel droit te crois-tu donc à chercher, à poursuivre,
À saisir ce qui peut exister, durer, vivre,
À surprendre, à connaître, à savoir, toi qui n’es
Qu’une larve, et qui meurs aussitôt que tu nais ?
J’admire ton néant inouï s’il suppose
Qu’il est par l’absolu compté pour quelque chose !
Quelle idée, ô songeur du songe humanité,
As-tu de ton cerveau pour croire, en vérité,
Qu’il peut prendre ou laisser une empreinte à l’abîme ?
Ta pensée est abjecte, étroite, folle, infime ;
L’homme est de la fumée obscure qui descend.
T’imagines-tu donc laisser trace, ô passant ?
Rêves-tu l’absolu comme ton fleuve Seine
Coulant entre les quais de ta ville malsaine,
Recueillant les égouts de toutes tes maisons,
Doctrines, volontés, illusions, raisons,
Ayant dans son courant, si quelqu’un te réclame,
Quelque pont de Saint-Cloud où l’on repêche l’âme ?
Crois-tu que cette eau vaste et sourde, Immensité,
Ne t’enveloppe pas d’oubli, de cécité,
De silence, et sanglote à ta chute, et soit triste ?
Crois-tu que ta chimère en ce gouffre persiste,
Qu’elle y garde sa forme, espoir, rêve, action ;
Et qu’on retrouve, après ta disparition,
Quelque chose de toi, ton cadavre ou ton ombre,
Aux noirs filets flottants de l’éternité sombre ?