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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le "ciel d'où nous venons", à l'instant où il "peut nous rouvrir ses portes", avec, en bas à gauche l'ombre de la vie matérielle qui nous aspire, et à droite, le firmament plein de la vaste clarté de l'amour.

VI. Sais-tu ce que Dieu dit à l’enfant qui va naître ?

Sais-tu ce que Dieu dit à l’enfant qui va naître ? – Les références

Toute la lyreSixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 388.

Sais-tu ce que Dieu dit à l’enfant qui va naître ? – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Sais-tu ce que Dieu dit à l’enfant qui va naître ?, poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est précédé de V. Vous m’avez éprouvé par toutes les épreuves… et suivi par le poème VII. Certe, elle n’était pas femme et charmante en vain….

Sais-tu ce que Dieu dit à l’enfant qui va naître ?


Sais-tu ce que Dieu dit à l’enfant qui va naître ? – Le texte

VI


Sais-tu ce que Dieu dit à l’enfant qui va naître ?
Quand cet humble regard s’entr’ouvre à notre jour,
Il lui dit : Va souffrir, va penser, va connaître ;
Âme, perds l’innocence et rapporte l’amour ! –

Oui, c’est là le secret. Oui, c’est là le mystère.
Quoi qu’on fasse, il n’est rien qu’on ne puisse blâmer,
On tombe à chaque pas qu’on fait sur cette terre,
Tout est rempli d’erreur, mais il suffit d’aimer.

Colombe, c’est l’amour qu’il faut que tu rapportes !
Après ce dur voyage, obscur, long, hasardeux,
Le ciel d’où nous venons peut nous rouvrir ses portes.
On en est sorti seul, il faut y rentrer deux.

19 juillet 1850.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente des champs au bord d'une rivière et aux pieds de deux collines sur lesquelles sont juchés des châteaux.

VI. La vie aux champs

La vie aux champs – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 259.

La vie aux champs – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La vie aux champs, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de V. À André Chénier et suivi de VII. Réponse à un acte d’accusation.

La vie aux champs


La vie aux champs – Le texte

VI
La vie aux champs


Le soir, à la campagne, on sort, on se promène,
Le pauvre dans son champ, le riche en son domaine ;
Moi, je vais devant moi ; le poëte en tout lieu
Se sent chez lui, sentant qu’il est partout chez Dieu.
Je vais volontiers seul. Je médite ou j’écoute.
Pourtant, si quelqu’un veut m’accompagner en route,
J’accepte. Chacun a quelque chose en l’esprit,
Et tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit.
Chaque fois qu’en mes mains un de ces livres tombe,
Volume où vit une âme et que scelle la tombe,
J’y lis.

Chaque soir donc, je m’en vais, j’ai congé,

Je sors. J’entre en passant chez des amis que j’ai.
On prend le frais, au fond du jardin, en famille.
Le serein mouille un peu les bancs sous la charmille ;
N’importe ! je m’assieds, et je ne sais pourquoi
Tous les petits enfants viennent autour de moi.
Dès que je suis assis, les voilà tous qui viennent.
C’est qu’ils savent que j’ai leurs goûts ; ils se souviennent
Que j’aime comme eux l’air, les fleurs, les papillons,
Et les bêtes qu’on voit courir dans les sillons.
Ils savent que je suis un homme qui les aime,
Un être auprès duquel on peut jouer, et même
Crier, faire du bruit, parler à haute voix ;
Que je riais comme eux et plus qu’eux autrefois,
Et qu’aujourd’hui, sitôt qu’à leurs ébats j’assiste,
Je leur souris encor, bien que je sois plus triste ;
Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais
Me fâcher ; qu’on s’amuse avec moi ; que je fais
Des choses en carton, des dessins à la plume ;
Que je raconte, à l’heure où la lampe s’allume,
Oh ! des contes charmants qui vous font peur la nuit,
Et qu’enfin je suis doux, pas fier et fort instruit.
Aussi, dès qu’on m’a vu : « le voilà ! » tous accourent.
Ils quittent jeux, cerceaux et balles ; ils m’entourent
Avec leurs beaux grands yeux d’enfants, sans peur, sans fiel,
Qui semblent toujours bleus, tant on y voit le ciel !

Les petits — quand on est petit, on est très brave —
Grimpent sur mes genoux ; les grands ont un air grave ;
Ils m’apportent des nids de merles qu’ils ont pris,
Des albums, des crayons qui viennent de Paris ;
On me consulte, on a cent choses à me dire,
On parle, on cause, on rit surtout ; — j’aime le rire,
Non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs,
Mais le doux rire honnête ouvrant bouches et cœurs,
Qui montre en même temps des âmes et des perles. —

J’admire les crayons, l’album, les nids de merles ;
Et quelquefois on dit quand j’ai bien admiré :
« Il est du même avis que monsieur le curé. »
Puis, lorsqu’ils ont jasé tous ensemble à leur aise,
Ils font soudain, les grands s’appuyant sur ma chaise,
Et les petits toujours groupés sur mes genoux,
Un silence, et cela veut dire : « Parle-nous. »

Je leur parle de tout. Mes discours en eux sèment
Ou l’idée ou le fait. Comme ils m’aiment, ils aiment
Tout ce que je leur dis. Je leur montre du doigt
Le ciel, Dieu qui s’y cache, et l’astre qu’on y voit.
Tout, jusqu’à leur regard, m’écoute. Je dis comme
Il faut penser, rêver, chercher. Dieu bénit l’homme,
Non pour avoir trouvé, mais pour avoir cherché.
Je dis : Donnez l’aumône au pauvre humble et penché.
Recevez doucement la leçon ou le blâme.
Donner et recevoir, c’est faire vivre l’âme !
Je leur conte la vie, et que, dans nos douleurs,
Il faut que la bonté soit au fond de nos pleurs,
Et que, dans nos bonheurs, et que, dans nos délires,
Il faut que la bonté soit au fond de nos rires ;
Qu’être bon, c’est bien vivre ; et que l’adversité
Peut tout chasser d’une âme, excepté la bonté ;
Et qu’ainsi les méchants, dans leur haine profonde,
Ont tort d’accuser Dieu. Grand Dieu ! nul homme au monde
N’a droit, en choisissant sa route, en y marchant,
De dire que c’est toi qui l’as rendu méchant ;
Car le méchant, Seigneur, ne t’est pas nécessaire !

Je leur raconte aussi l’histoire ; la misère
Du peuple juif, maudit qu’il faut enfin bénir ;
La Grèce, rayonnant jusque dans l’avenir ;
Rome ; l’antique Égypte et ses plaines sans ombre,
Et tout ce qu’on y voit de sinistre et de sombre.
Lieux effrayants ! tout meurt ; le bruit humain finit.
Tous ces démons taillés dans des blocs de granit,
Olympe monstrueux des époques obscures,
Les Sphinx, les Anubis, les Ammons, les Mercures,
Sont assis au désert depuis quatre mille ans.
Autour d’eux le vent souffle, et les sables brûlants
Montent comme une mer d’où sort leur tête énorme ;
La pierre mutilée a gardé quelque forme
De statue ou de spectre, et rappelle d’abord
Les plis que fait un drap sur la face d’un mort ;
On y distingue encor le front, le nez, la bouche,
Les yeux, je ne sais quoi d’horrible et de farouche
Qui regarde et qui vit, masque vague et hideux.
Le voyageur de nuit, qui passe à côté d’eux,
S’épouvante, et croit voir, aux lueurs des étoiles,
Des géants enchaînés et muets sous des voiles.

La Terrasse, août 1840.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente des dunes en bord d'océan. Des paroles, invisibles à l’œil, y naissent.

XIII. Paroles sur la dune

Paroles sur la dune – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 443.

Paroles sur la dune – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Paroles sur la dune, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XII. Dolorosæ et suivi de XIV. Claire P..

Paroles sur la dune


Paroles sur la dune – Le texte

XIII
Paroles sur la dune


Maintenant que mon temps décroît comme un flambeau,
Que mes tâches sont terminées ;
Maintenant que voici que je touche au tombeau
Par les deuils et par les années,

Et qu’au fond de ce ciel que mon essor rêva,
Je vois fuir, vers l’ombre entraînées,
Comme le tourbillon du passé qui s’en va,
Tant de belles heures sonnées ;

Maintenant que je dis : — Un jour, nous triomphons ;
Le lendemain, tout est mensonge ! —
Je suis triste, et je marche au bord des flots profonds,
Courbé comme celui qui songe.

Je regarde, au-dessus du mont et du vallon,
Et des mers sans fin remuées,
S’envoler sous le bec du vautour aquilon,
Toute la toison des nuées ;

J’entends le vent dans l’air, la mer sur le récif,
L’homme liant la gerbe mûre ;
J’écoute, et je confronte en mon esprit pensif
Ce qui parle à ce qui murmure ;

Et je reste parfois couché sans me lever
Sur l’herbe rare de la dune,
Jusqu’à l’heure où l’on voit apparaître et rêver
Les yeux sinistres de la lune.

Elle monte, elle jette un long rayon dormant
À l’espace, au mystère, au gouffre ;
Et nous nous regardons tous les deux fixement,
Elle qui brille et moi qui souffre.

Où donc s’en sont allés mes jours évanouis ?
Est-il quelqu’un qui me connaisse ?
Ai-je encor quelque chose en mes yeux éblouis,
De la clarté de ma jeunesse ?

Tout s’est-il envolé ? Je suis seul, je suis las ;
J’appelle sans qu’on me réponde ;
Ô vents ! ô flots ! ne suis-je aussi qu’un souffle, hélas !
Hélas ! ne suis-je aussi qu’une onde ?

Ne verrai-je plus rien de tout ce que j’aimais ?
Au dedans de moi le soir tombe.
Ô terre, dont la brume efface les sommets,
Suis-je le spectre, et toi la tombe ?

Ai-je donc vidé tout, vie, amour, joie, espoir ?
J’attends, je demande, j’implore ;
Je penche tour à tour mes urnes pour avoir
De chacune une goutte encore !

Comme le souvenir est voisin du remord !
Comme à pleurer tout nous ramène !
Et que je te sens froide en te touchant, ô mort,
Noir verrou de la porte humaine !

Et je pense, écoutant gémir le vent amer,
Et l’onde aux plis infranchissables ;
L’été rit, et l’on voit sur le bord de la mer
Fleurir le chardon bleu des sables.

5 août 1854, anniversaire de mon arrivée à Jersey.