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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un abîme. D'un côté, à gauche, juché sur un promontoire, une forteresse, de l'autre, la silhouette d'un homme coiffé d'un chapeau, qui observe.

XIV. Floréal

Floréal – Les références

ChâtimentsLivre VI – La Stabilité est assurée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 163.

Floréal – Enregistrement

Je vous invite à écouter le poème Floréal, du Livre VI – La Stabilité est assurée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.

Floréal


Floréal – Le texte

XIV
Floréal


Au retour des beaux jours, dans ce vert floréal
Où meurent les Danton trahis par les Réal,
Quand l’étable s’agite au fond des métairies,
Quand l’eau vive au soleil se change en pierreries,
Quand la grisette assise, une aiguille à la main,
Soupire, et, de côté regardant le chemin,
Voudrait aller cueillir des fleurs au lieu de coudre,
Quand les nids font l’amour, quand le pommier se poudre
Pour le printemps ainsi qu’un marquis pour le bal,
Quand, par mai réveillés, Charles douze, Annibal,
Disent : c’est l’heure ! et font vers les sanglants tumultes
Rouler, l’un les canons, l’autre les catapultes ;
Moi, je crie : ô soleil ! salut ! parmi les fleurs
J’entends les gais pinsons et les merles siffleurs ;
L’arbre chante ; j’accours ; ô printemps ! on vit double ;
Gallus entraîne au bois Lycoris qui se trouble ;
Tout rayonne ; et le ciel, couvant l’homme enchanté,
N’est plus qu’un grand regard plein de sérénité !
Alors l’herbe m’invite et le pré me convie ;
Alors j’absous le sort, je pardonne à la vie,
Et je dis : Pourquoi faire autre chose qu’aimer ?
Je sens, comme au dehors, tout en moi s’animer,
Et je dis aux oiseaux : petits oiseaux, vous n’êtes
Que des chardonnerets et des bergeronnettes,
Vous ne me connaissez pas même, vous allez
Au hasard dans les champs, dans les bois, dans les blés,
Pêle-mêle, pluviers, grimpereaux, hochequeues,
Dressant vos huppes d’or, lissant vos plumes bleues ;
Vous êtes, quoique beaux, très bêtes ; votre loi,
C’est d’errer ; vous chantez en l’air sans savoir quoi ;
Eh bien, vous m’inondez d’émotions sacrées !
Et quand je vous entends sur les branches dorées,
Oiseaux, mon aile s’ouvre, et mon cœur rajeuni
Boit à l’amour sans fond et s’emplit d’infini ! –
Et je me laisse aller aux longues rêveries.
Ô feuilles d’arbre ! oubli ! bœufs mugissants ! prairies !
Mais dans ces moments-là, tu le sais, Juvénal,
Qu’il sorte par hasard de ma poche un journal,
Et que mon œil distrait, qui vers les cieux remonte,
Heurte l’un de ces noms qui veulent dire : honte,
Alors toute l’horreur revient ; dans les bois verts
Némésis m’apparaît et me montre, à travers
Les rameaux et les fleurs, sa gorge de furie.

C’est que tu veux tout l’homme, ô devoir ! ô patrie !
C’est que lorsque ton flanc saigne, ô France, tu veux
Que l’angoisse nous tienne et dresse nos cheveux,
Que nous ne regardions plus autre chose au monde,
Et que notre œil, noyé dans la pitié profonde,
Cesse de voir les cieux pour ne voir que ton sang !

Et je me lève, et tout s’efface, et, frémissant,
Je n’ai plus sous les yeux qu’un peuple à la torture,
Crimes sans châtiment, griefs sans sépulture,
Les géants garrottés livrés aux avortons,
Femmes dans les cachots, enfants dans les pontons,
Bagnes, sénats, proscrits, cadavres, gémonies ;
Alors, foulant aux pieds toutes les fleurs ternies,
Je m’enfuis, et je dis à ce soleil si doux :
Je veux l’ombre ! et je crie aux oiseaux : taisez-vous !

Et je pleure ! et la strophe, éclose de ma bouche,
Bat mon front orageux de son aile farouche.

Ainsi pas de printemps ! ainsi pas de ciel bleu !
Ô bandits, et toi, fils d’Hortense de Saint-Leu,
Soyez maudits, d’abord d’être ce que vous êtes,
Et puis soyez maudits d’obséder les poëtes !
Soyez maudits, Troplong, Fould, Magnan, Faustin deux,
De faire au penseur triste un cortège hideux,
De le suivre au désert, dans les champs, sous les ormes,
De mêler aux forêts vos figures difformes !
Soyez maudits, bourreaux qui lui masquez le jour,
D’emplir de haine un cœur qui déborde d’amour !

Jersey, mai 1853.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une piscine, dans laquelle apparaît un nageur, en bord de mer. Une barque apparaît à droite ; au fond, l'horizon.

X. Printemps

Printemps – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 725.

Printemps – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Printemps, un poème de la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. Je prendrai par la main les deux petits enfants, et suivi de XI. Fenêtres ouvertes.

Printemps


Printemps – Le texte

X
Printemps


Tout rayonne, tout luit, tout aime, tout est doux ;
Les oiseaux semblent d’air et de lumière fous ;
L’âme dans l’infini croit voir un grand sourire.
À quoi bon exiler, rois ? à quoi bon proscrire ?
Proscrivez-vous l’été ? m’exilez-vous des fleurs ?
Pouvez-vous empêcher les souffles, les chaleurs,
Les clartés, d’être là, sans joug, sans fin, sans nombre,
Et de me faire fête, à moi banni, dans l’ombre ?
Pouvez-vous m’amoindrir les grands flots haletants,
L’océan, la joyeuse écume, le printemps
Jetant les parfums comme un prodigue en démence,
Et m’ôter un rayon de ce soleil immense ?
Non. Et je vous pardonne. Allez, trônez, vivez,
Et tâchez d’être rois longtemps, si vous pouvez.
Moi, pendant ce temps-là, je maraude, et je cueille,
Comme vous un empire, un brin de chèvrefeuille,
Et je l’emporte, ayant pour conquête une fleur.
Quand, au-dessus de moi, dans l’arbre, un querelleur,
Un mâle, cherche noise à sa douce femelle,
Ce n’est pas mon affaire et pourtant je m’en mêle,
Je dis : Paix là, messieurs les oiseaux, dans les bois !
Je les réconcilie avec ma grosse voix ;
Un peu de peur qu’on fait aux amants les rapproche.
Je n’ai point de ruisseau, de torrent, ni de roche ;
Mon gazon est étroit, et, tout près de la mer,
Mon bassin n’est pas grand, mais il n’est pas amer.
Ce coin de terre est humble et me plaît ; car l’espace
Est sur ma tête, et l’astre y brille, et l’aigle y passe,
Et le vaste Borée y plane éperdument.
Ce parterre modeste et ce haut firmament
Sont à moi ; ces bouquets, ces feuillages, cette herbe
M’aiment, et je sens croître en moi l’oubli superbe.
Je voudrais bien savoir comment je m’y prendrais
Pour me souvenir, moi l’hôte de ces forêts,
Qu’il est quelqu’un, là-bas, au loin, sur cette terre,
Qui s’amuse à proscrire, et règne, et fait la guerre,
Puisque je suis là seul devant l’immensité,
Et puisqu’ayant sur moi le profond ciel d’été
Où le vent souffle avec la douceur d’une lyre,
J’entends dans le jardin les petits enfants rire.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une ligne d'horizon au-dessus de laquelle scintille le soleil, éblouissant tout. En bas à droite, l'écritoire du poète apparaît.

VIII. Lætitia Rerum

Lætitia Rerum – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 723.

Lætitia Rerum – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Lætitia Rerum, un poème de la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de VII. Parfois, je me sens pris d’horreur pour cette terre… et suivi de IX. Je prendrai par la main les deux petits enfants….

Lætitia Rerum


Lætitia Rerum – Le texte

VIII
Lætitia Rerum


Tout est pris d’un frisson subit.
L’hiver s’enfuit et se dérobe.
L’année ôte son vieil habit ;
La terre met sa belle robe.

Tout est nouveau, tout est debout ;
L’adolescence est dans les plaines ;
La beauté du diable, partout,
Rayonne et se mire aux fontaines.

L’arbre est coquet ; parmi les fleurs
C’est à qui sera la plus belle ;
Toutes étalent leurs couleurs,
Et les plus laides ont du zèle.

Le bouquet jaillit du rocher ;
L’air baise les feuilles légères ;
Juin rit de voir s’endimancher
Le petit peuple des fougères.

C’est une fête en vérité,
Fête où vient le chardon, ce rustre ;
Dans le grand palais de l’été
Les astres allument le lustre.

On fait les foins. Bientôt les blés.
Le faucheur dort sous la cépée ;
Et tous les souffles sont mêlés
D’une senteur d’herbe coupée.

Qui chante là ? Le rossignol.
Les chrysalides sont parties.
Le ver de terre a pris son vol
Et jeté le froc aux orties ;

L’aragne sur l’eau fait des ronds ;
Ô ciel bleu ! l’ombre est sous la treille ;
Le jonc tremble, et les moucherons
Viennent vous parler à l’oreille ;

On voit rôder l’abeille à jeun,
La guêpe court, le frelon guette ;
À tous ces buveurs de parfum
Le printemps ouvre sa guinguette.

Le bourdon, aux excès enclin,
Entre en chiffonnant sa chemise ;
Un oeillet est un verre plein,
Un lys est une nappe mise.

La mouche boit le vermillon
Et l’or dans les fleurs demi-closes,
Et l’ivrogne est le papillon,
Et les cabarets sont les roses.

De joie et d’extase on s’emplit,
L’ivresse, c’est la délivrance.
Sur aucune fleur on ne lit :
Société de tempérance.

Le faste providentiel
Partout brille, éclate et s’épanche,
Et l’unique livre, le ciel,
Est par l’aube doré sur tranche.

Enfants, dans vos yeux éclatants
Je crois voir l’empyrée éclore ;
Vous riez comme le printemps
Et vous pleurez comme l’aurore.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le dos renversé d'une femme qui aime.

XII. À propos de Doña Rosa

À propos de Doña Rosa – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 953.

À propos de Doña Rosa – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À propos de Doña Rosa, poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre premier : Jeunesse, VI. L’Éternel Petit Roman, de Victor Hugo.

À propos de Doña Rosa


À propos de Doña Rosa – Le texte

XII
À propos de Doña Rosa


Au printemps, quand les nuits sont claires,
Quand on voit, vagues tourbillons,
Voler sur les fronts les chimères
Et dans les fleurs les papillons,

Pendant la floraison des fèves,
Quand l’amant devient l’amoureux,
Quand les hommes, en proie aux rêves,
Ont toutes ces mouches sur eux,

J’estime qu’il est digne et sage
De ne point prendre un air vainqueur,
Et d’accepter ce doux passage
De la saison sur notre cœur.

À quoi bon résister aux femmes,
Qui ne résistent pas du tout ?
Toutes les roses sont en flammes ;
Une guimpe est de mauvais goût.

Trop heureux ceux à qui les belles
Font la violence d’aimer !
À quoi sert-il d’avoir des ailes,
Sinon pour les laisser plumer ?

Ô Mérante, il n’est rien qui vaille
Ces purs attraits, tendres tyrans,
Un sourire qui dit : Bataille !
Un soupir qui dit : Je me rends !

Et je donnerais la Castille
Et ses plaines en amadou
Pour deux yeux sous une mantille,
Fiers, et venant on ne sait d’où.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la tête tournée d'une femme à laquelle le poète s'adresse : Tu ne veux pas aimer, méchante ?".

V. À Rosita

À Rosita – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 944.

À Rosita – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Rosita, un poème du Livre premier : Jeunesse, VI. L’Éternel Petit Roman, du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo.

À Rosita


À Rosita – Le texte

V
À Rosita


Tu ne veux pas aimer, méchante ?
Le printemps en est triste, vois ;
Entends-tu ce que l’oiseau chante
Dans la sombre douceur des bois ?

Sans l’amour rien ne reste d’Ève ;
L’amour, c’est la seule beauté ;
Le ciel, bleu quand l’astre s’y lève,
Est tout noir, le soleil ôté.

Tu deviendras laide toi-même
Si tu n’as pas plus de raison.
L’oiseau chante qu’il faut qu’on aime,
Et ne sait pas d’autre chanson.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une fleur, des feuilles, au bout de leurs tiges, telles une allégorie du printemps mettant "l'hiver en déroute".

I. Ordre du jour de Floréal

Ordre du jour de Floréal – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseI. Floréal ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 845.

Ordre du jour de Floréal – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ordre du jour de Floréal, premier poème du Livre premier : Jeunesse, I. Floréal, du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo.
Il est suivi de Orphée, aux bois du Caÿstre….

Ordre du jour de Floréal


Ordre du jour de Floréal – Le texte

I
Ordre du jour de Floréal


Victoire, amis ! je dépêche
En hâte et de grand matin
Une strophe toute fraîche
Pour crier le bulletin.

J’embouche sur la montagne
La trompette aux longs éclats ;
Sachez que le printemps gagne
La bataille des lilas.

Jeanne met dans sa pantoufle
Son pied qui n’est plus frileux ;
Et voici qu’un vaste souffle
Emplit les abîmes bleus.

L’oiseau chante, l’agneau broute ;
Mai, poussant des cris railleurs,
Crible l’hiver en déroute
D’une mitraille de fleurs.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente, de façon abstraite, la propagation du bleu dans les creux de l'ombre.

XXII. La clarté du dehors…

La clarté du dehors… – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 360.

La clarté du dehors… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La clarté du dehors…, un poème du recueil Les Contemplations, du livre Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXI. Écrit sur la plinthe d’un bas-relief antique et suivi de XXIII. Le Revenant.

La clarté du dehors…


La clarté du dehors… – Le texte

XXII


La clarté du dehors ne distrait pas mon âme.
La plaine chante et rit comme une jeune femme ;
Le nid palpite dans les houx ;
Partout la gaîté luit dans les bouches ouvertes ;
Mai, couché dans la mousse au fond des grottes vertes,
Fait aux amoureux les yeux doux.

Dans les champs de luzerne et dans les champs de fèves,
Les vagues papillons errent, pareils aux rêves ;
Le blé vert sort des sillons bruns ;
Et les abeilles d’or courent à la pervenche,
Au thym, au liseron, qui tend son urne blanche
À ces buveuses de parfums.

La nue étale au ciel ses pourpres et ses cuivres ;
Les arbres, tout gonflés de printemps, semblent ivres ;
Les branches, dans leurs doux ébats,
Se jettent les oiseaux du bout de leurs raquettes ;
Le bourdon galonné fait aux roses coquettes
Des propositions tout bas.

Moi, je laisse voler les senteurs et les baumes,
Je laisse chuchoter les fleurs, ces doux fantômes,
Et l’aube dire : Vous vivrez !
Je regarde en moi-même, et, seul, oubliant l’heure,
L’œil plein des visions de l’ombre intérieure,
Je songe aux morts, ces délivrés !

Encore un peu de temps, encore, ô mer superbe,
Quelques reflux ; j’aurai ma tombe aussi dans l’herbe,
Blanche au milieu du frais gazon,
À l’ombre de quelque arbre où le lierre s’attache ;
On y lira : — Passant, cette pierre te cache
La ruine d’une prison.

Ingouville, mai 1843.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une ville en bord de mer au rivage battu par l'océan. Le ciel et les flots se confondent à l'horizon... un premier mai ?

I. Premier mai

Premier mai – Les références

Les ContemplationsLivre deuxième : L’Âme en fleur ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 301.

Premier mai – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Premier mai, premier poème de L’Âme en fleur, deuxième livre du recueil Les Contemplations, de Victor Hugo.
Il est suivi de II. Mes vers fuiraient…, l’un des premiers poèmes enregistrés sur ce site.

Premier mai


Premier mai – Le texte

I
Premier mai


Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.
Je ne suis pas en train de parler d’autres choses ;
Premier mai ! L’amour gai, triste, brûlant, jaloux,
Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ;
L’arbre où j’ai, l’autre automne, écrit une devise,
La redit pour son compte et croit qu’il l’improvise ;
Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,
Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en cœur ;
L’atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine
Des déclarations qu’au Printemps fait la plaine,
Et que l’herbe amoureuse adresse au ciel charmant.
À chaque pas du jour dans le bleu firmament,
La campagne éperdue, et toujours plus éprise,
Prodigue les senteurs, et, dans la tiède brise,
Envoie au renouveau ses baisers odorants ;
Tous ces bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans,
Dont l’haleine s’envole en murmurant : Je t’aime !
Sur le ravin, l’étang, le pré, le sillon même,
Font des taches partout de toutes les couleurs ;
Et, donnant les parfums, elle a gardé les fleurs ;
Comme si ses soupirs et ses tendres missives
Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives,
Et tous les billets doux de son amour bavard,
Avaient laissé leur trace aux pages du buvard !

Les oiseaux dans les bois, molles voix étouffées,
Chantent des triolets et des rondeaux aux fées ;
Tout semble confier à l’ombre un doux secret ;
Tout aime, et tout l’avoue à voix basse ; on dirait
Qu’au nord, au sud brûlant, au couchant, à l’aurore,
La haie en fleur, le lierre et la source sonore,
Les monts, les champs, les lacs et les chênes mouvants
Répètent un quatrain fait par les quatre vents.

Saint-Germain, 1er mai 18..

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un de ces "billets doux, devenus papillons", expression du printemps.

XII. Vere Novo

Vere Novo – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 274.

Vere Novo – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Vere Novo, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de XI. Lise et suivi de XIII. À propos d’Horace.

Vere Novo


Vere Novo – Le texte

XII
Vere Novo


Comme le matin rit sur les roses en pleurs !
Oh ! les charmants petits amoureux qu’ont les fleurs !
Ce n’est dans les jasmins, ce n’est dans les pervenches
Qu’un éblouissement de folles ailes blanches
Qui vont, viennent, s’en vont, reviennent, se fermant,
Se rouvrant, dans un vaste et doux frémissement.
Ô printemps ! quand on songe à toutes les missives
Qui des amants rêveurs vont aux belles pensives,
À ces cœurs confiés au papier, à ce tas
De lettres que le feutre écrit au taffetas,
Aux messages d’amour, d’ivresse et de délire
Qu’on reçoit en avril et qu’en mai l’on déchire,
On croit voir s’envoler, au gré du vent joyeux,
Dans les prés, dans les bois, sur les eaux, dans les cieux,
Et rôder en tous lieux, cherchant partout une âme,
Et courir à la fleur en sortant de la femme,
Les petits morceaux blancs, chassés en tourbillons,
De tous les billets doux, devenus papillons.

Mai 1831.

Remarques

J’ai mis en ligne sur mon blog d’acteur, en mars 2014, ce Vere Novo. Vous pourrez ainsi écouter une autre interprétation.
« Vere Novo » signifie « Au retour du printemps ».

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le visage d'une jeune fille regardant vers le bas, les cheveux volant dans le vent.

IX. Jeune fille, la grâce emplit…

Jeune fille, la grâce emplit… – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 344.

Jeune fille, la grâce emplit… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Jeune fille, la grâce emplit…, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de VIII. Je lisais. Que lisais-je ?… et suivi de X. Amour.

Jeune fille, la grâce emplit…


Jeune fille, la grâce emplit… – Le texte

IX


Jeune fille, la grâce emplit tes dix-sept ans.
Ton regard dit : Matin, et ton front dit : Printemps.
Il semble que ta main porte un lys invisible.
Don Juan te voit passer et murmure : Impossible ! —
Sois belle. Sois bénie, enfant, dans ta beauté.
La nature s’égaie à toute ta clarté ;
Tu fais une lueur sous les arbres ; la guêpe
Touche ta joue en fleur de son aile de crêpe ;
La mouche à tes yeux vole ainsi qu’à des flambeaux.
Ton souffle est un encens qui monte au ciel. Lesbos
Et les marins d’Hydra, s’ils te voyaient sans voiles,
Te prendraient pour l’Aurore aux cheveux pleins d’étoiles.
Les êtres de l’azur froncent leur pur sourcil
Quand l’homme, spectre obscur du mal et de l’exil,
Ose approcher ton âme, aux rayons fiancée.
Sois belle. Tu te sens par l’ombre caressée,
Un ange vient baiser ton pied quand il est nu,
Et c’est ce qui te fait ton sourire ingénu.

Février 1843.