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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les frondaisons d'une forêt et la silhouette d'un arbre qui se détache sur une nuit d'été lumineuse.

XXI. Hier, la nuit d’été…

Hier, la nuit d’été… – Les références

Les Chants du crépuscule ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie I, p 750.

Hier, la nuit d’été… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Hier, la nuit d’été…, un poème des Chants du crépuscule, de Victor Hugo.

Hier, la nuit d’été…


Hier, la nuit d’été… – Le texte

XXI


Hier, la nuit d’été, qui nous prêtait ses voiles,
Était digne de toi, tant elle avait d’étoiles !
Tant son calme était frais ! tant son souffle était doux !
Tant elle éteignait bien ses rumeurs apaisées !
Tant elle répandait d’amoureuses rosées
Sur les fleurs et sur nous !

Moi, j’étais devant toi, plein de joie et de flamme,
Car tu me regardais avec toute ton âme !
J’admirais la beauté dont ton front se revêt ;
Et sans même qu’un mot révélât ta pensée,
La tendre rêverie en ton cœur commencée
Dans mon cœur s’achevait !

Et je bénissais Dieu, dont la grâce infinie
Sur la nuit et sur toi jeta tant d’harmonie,
Qui, pour me rendre calme et pour me rendre heureux,
Vous fit, la nuit et toi, si belles et si pures,
Si pleines de rayons, de parfums, de murmures,
Si douces toutes deux !

Oh oui, bénissons Dieu dans notre foi profonde !
C’est lui qui fit ton âme et qui créa le monde !
Lui qui charme mon cœur, lui qui ravit mes yeux !
C’est lui que je retrouve au fond de tout mystère !
C’est lui qui fait briller ton regard sur la terre
Comme l’étoile aux cieux !

C’est Dieu qui mit l’amour au bout de toute chose,
L’amour en qui tout vit, l’amour sur qui tout pose !
C’est Dieu qui fait la nuit plus belle que le jour.
C’est Dieu qui sur ton corps, ma jeune souveraine,
A versé la beauté, comme une coupe pleine,
Et dans mon cœur l’amour !

Laisse-toi donc aimer ! — Oh ! l’amour, c’est la vie.
C’est tout ce qu’on regrette et tout ce qu’on envie
Quand on voit sa jeunesse au couchant décliner.
Sans lui rien n’est complet, sans lui rien ne rayonne.
La beauté c’est le front, l’amour c’est la couronne.
Laisse-toi couronner !

Ce qui remplit une âme, hélas ! tu peux m’en croire,
Ce n’est pas un peu d’or, ni même un peu de gloire,
Poussière que l’orgueil rapporte des combats,
Ni l’ambition folle, occupée aux chimères,
Qui ronge tristement les écorces amères
Des choses d’ici-bas.

Non, il lui faut, vois-tu, l’hymen de deux pensées,
Les soupirs étouffés, les mains longtemps pressées,
Le baiser, parfum pur, enivrante liqueur,
Et tout ce qu’un regard dans un regard peut lire,
Et toutes les chansons de cette douce lyre
Qu’on appelle le cœur !

Il n’est rien sous le ciel qui n’ait sa loi secrète,
Son lieu cher et choisi, son abri, sa retraite,
Où mille instincts profonds nous fixent nuit et jour ;
Le pêcheur a la barque où l’espoir l’accompagne,
Les cygnes ont le lac, les aigles la montagne,
Les âmes ont l’amour !

Mai 18…

Détail d'un dessin de Victor Hugo qui représente la tour splendide et haute qui contient le sombre beffroi et le pont qui enjambe une rivière en direction de Mademoiselle J. (Juliette Drouet)

XXVI. À Mademoiselle J.

À Mademoiselle J. – Les références

Les Chants du crépuscule ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie I, p 756.

À Mademoiselle J. – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Mademoiselle J., un poème du recueil Les Chants du crépuscule, de Victor Hugo.

À Mademoiselle J.


À Mademoiselle J. – Le texte

À Mademoiselle J.
XXVI


Chantez ! chantez ! jeune inspirée !
La femme qui chante est sacrée
Même aux jaloux, même aux pervers !
La femme qui chante est bénie !
Sa beauté défend son génie.
Les beaux yeux sauvent les beaux vers !

Moi que déchire tant de rage,
J’aime votre aube sans orage ;
Je souris à vos yeux sans pleurs.
Chantez donc vos chansons divines.
À moi la couronne d’épines !
À vous la couronne de fleurs !

Il fut un temps, un temps d’ivresse,
Où l’aurore qui vous caresse
Rayonnait sur mon beau printemps ;
Où l’orgueil, la joie et l’extase,
Comme un vin pur d’un riche vase,
Débordaient de mes dix-sept ans !

Alors, à tous mes pas présente,
Une chimère éblouissante
Fixait sur moi ses yeux dorés ;
Alors, prés verts, ciels bleus, eaux vives,
Dans les riantes perspectives
Mes regards flottaient égarés !

Alors je disais aux étoiles :
Ô mon astre, en vain tu te voiles.
Je sais que tu brilles là-haut !
Alors je disais à la rive :
Vous êtes la gloire, et j’arrive.
Chacun de mes jours est un flot !

Je disais au bois : forêt sombre,
J’ai comme toi des bruits sans nombre.
À l’aigle : contemple mon front !
Je disais aux coupes vidées :
Je suis plein d’ardentes idées
Dont les âmes s’enivreront !

Alors, du fond de vingt calices,
Rosée, amour, parfums, délices,
Se répandaient sur mon sommeil ;
J’avais des fleurs plein mes corbeilles ;
Et comme un vif essaim d’abeilles,
Mes pensers volaient au soleil !

Comme un clair de lune bleuâtre
Et le rouge brasier du pâtre
Se mirent au même ruisseau ;
Comme dans les forêts mouillées,
À travers le bruit des feuillées
On entend le bruit d’un oiseau ;

Tandis que tout me disait : Aime !
Écoutant tout hors de moi-même,
Ivre d’harmonie et d’encens,
J’entendais, ravissant murmure,
Le chant de toute la nature
Dans le tumulte de mes sens !

Et roses par avril fardées,
Nuits d’été de lune inondées,
Sentiers couverts de pas humains,
Tout, l’écueil aux hanches énormes,
Et les vieux troncs d’arbres difformes
Qui se penchent sur les chemins,

Me parlaient cette langue austère,
Langue de l’ombre et du mystère,
Qui demande à tous : Que sait-on ?
Qui, par moments presque étouffée,
Chante des notes pour Orphée,
Prononce des mots pour Platon !

La terre me disait : Poète !
Le ciel me répétait : Prophète !
Marche ! parle ! enseigne ! bénis !
Penche l’urne des chants sublimes !
Verse aux vallons noirs comme aux cimes,
Dans les aires et dans les nids !

Ces temps sont passés. — À cette heure,
Heureux pour quiconque m’effleure,
Je suis triste au dedans de moi ;
J’ai sous mon toit un mauvais hôte ;
Je suis la tour splendide et haute
Qui contient le sombre beffroi.

L’ombre en mon cœur s’est épanchée ;
Sous mes prospérités cachée
La douleur pleure en ma maison ;
Un ver ronge ma grappe mûre ;
Toujours un tonnerre murmure
Derrière mon vague horizon !

L’espoir mène à des portes closes.
Cette terre est pleine de choses
Dont nous ne voyons qu’un côté.
Le sort de tous nos vœux se joue ;
Et la vie est comme la roue
D’un char dans la poudre emporté !

À mesure que les années,
Plus pâles et moins couronnées,
Passent sur moi du haut du ciel,
Je vois s’envoler mes chimères
Comme des mouches éphémères
Qui n’ont pas su faire de miel !

Vainement j’attise en moi-même
L’amour, ce feu doux et suprême
Qui brûle sur tous les trépieds,
Et toute mon âme enflammée
S’en va dans le ciel en fumée
Ou tombe en cendre sous mes pieds !

Mon étoile a fui sous la nue.
La rose n’est plus revenue
Se poser sur mon rameau noir.
Au fond de la coupe est la lie,
Au fond des rêves la folie,
Au fond de l’aurore le soir !

Toujours quelque bouche flétrie,
Souvent par ma pitié nourrie,
Dans tous mes travaux m’outragea.
Aussi que de tristes pensées,
Aussi que de cordes brisées
Pendent à ma lyre déjà !

Mon avril se meurt feuille à feuille ;
Sur chaque branche que je cueille
Croît l’épine de la douleur ;
Toute herbe a pour moi sa couleuvre ;
Et la haine monte à mon œuvre
Comme un bouc au cytise en fleur !

La nature grande et touchante,
La nature qui vous enchante
Blesse mes regards attristés.
Le jour est dur, l’aube est meilleure.
Hélas ! la voix qui me dit : Pleure !
Est celle qui vous dit : Chantez !

Chantez ! chantez ! belle inspirée !
Saluez cette aube dorée
Qui jadis aussi m’enivra.
Tout n’est pas sourire et lumière.
Quelque jour de votre paupière
Peut-être une larme éclora !

Alors je vous plaindrai, pauvre âme !
Hélas ! les larmes d’une femme,
Ces larmes où tout est amer,
Ces larmes où tout est sublime,
Viennent d’un plus profond abîme
Que les gouttes d’eau de la mer !

Mars 18..

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l'aurore sur un arbre tordu et un village en arrière-plan.

XX. L’Aurore s’allume…

L’Aurore s’allume… – Les références

Les Chants du crépuscule ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie I, p 746.

L’Aurore s’allume… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’Aurore s’allume, un poème du recueil Les Chants du crépuscule, de Victor Hugo.

L’Aurore s’allume…


L’Aurore s’allume… – Le texte

XX

I

L’aurore s’allume ;
L’ombre épaisse fuit ;
Le rêve et la brume
Vont où va la nuit ;
Paupières et roses
S’ouvrent demi-closes ;
Du réveil des choses
On entend le bruit.

Tout chante et murmure,
Tout parle à la fois,
Fumée et verdure,
Les nids et les toits ;
Le vent parle aux chênes,
L’eau parle aux fontaines ;
Toutes les haleines
Deviennent des voix !

Tout reprend son âme,
L’enfant son hochet,
Le foyer sa flamme,
Le luth son archet ;
Folie ou démence,
Dans le monde immense,
Chacun recommence
Ce qu’il ébauchait.

Qu’on pense ou qu’on aime,
Sans cesse agité,
Vers un but suprême,
Tout vole emporté ;
L’esquif cherche un môle,
L’abeille un vieux saule,
La boussole un pôle,
Moi la vérité !

II

Vérité profonde !
Granit éprouvé
Qu’au fond de toute onde
Mon ancre a trouvé !
De ce monde sombre,
Où passent dans l’ombre
Des songes sans nombre,
Plafond et pavé !

Vérité, beau fleuve
Que rien ne tarit !
Source où tout s’abreuve,
Tige où tout fleurit !
Lampe que Dieu pose
Près de toute cause !
Clarté que la chose
Envoie à l’esprit !

Arbre à rude écorce,
Chêne au vaste front,
Que selon sa force
L’homme ploie ou rompt,
D’où l’ombre s’épanche,
Où chacun se penche,
L’un sur une branche,
L’autre sur le tronc !

Mont d’où tout ruisselle !
Gouffre où tout s’en va !
Sublime étincelle
Que fait Jéhova !
Rayon qu’on blasphème !
Œil calme et suprême
Qu’au front de Dieu même
L’homme un jour creva !

III

Ô terre ! ô merveilles
Dont l’éclat joyeux
Emplit nos oreilles,
Éblouit nos yeux !
Bords où meurt la vague,
Bois qu’un souffle élague,
De l’horizon vague
Plis mystérieux !

Azur dont se voile
L’eau du gouffre amer,
Quand, laissant ma voile
Fuir au gré de l’air,
Penché sur la lame,
J’écoute avec l’âme
Cet épithalame
Que chante la mer !

Azur non moins tendre
Du ciel qui sourit
Quand, tâchant d’entendre
Ce que dit l’esprit,
Je cherche, ô nature,
La parole obscure
Que le vent murmure,
Que l’étoile écrit !

Création pure !
Être universel !
Océan, ceinture
De tout sous le ciel !
Astres que fait naître
Le souffle du maître,
Fleurs où Dieu peut-être
Cueille quelque miel !

Ô champs, ô feuillages !
Monde fraternel !
Clocher des villages
Humble et solennel !
Mont qui portes l’aire !
Aube fraîche et claire,
Sourire éphémère
De l’astre éternel !

N’êtes-vous qu’un livre,
Sans fin ni milieu,
Où chacun pour vivre
Cherche à lire un peu !
Phrase si profonde
Qu’en vain on la sonde !
L’œil y voit un monde,
L’âme y trouve un Dieu !

Beau livre qu’achèvent
Les cœurs ingénus,
Où les penseurs rêvent
Des sens inconnus,
Où ceux que Dieu charge
D’un front vaste et large
Écrivent en marge :
Nous sommes venus !

Saint livre où la voile
Qui flotte en tous lieux,
Saint livre où l’étoile
Qui rayonne aux yeux,
Ne trace, ô mystère !
Qu’un nom solitaire,
Qu’un nom sur la terre,
Qu’un nom dans les cieux !

Livre salutaire
Où le cœur s’emplit !
Où tout sage austère
Travaille et pâlit !
Dont le sens rebelle
Parfois se révèle !
Pythagore épèle
Et Moïse lit !

Décembre 1834.