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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente Psyché, une âme, un papillon avec ses antennes.

III. ΨYXH

ΨYXH – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseI. Floréal ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 847.

ΨYXH – L’enregistrement

Je vous invite à écouter ΨYXH, un poème du Livre premier : Jeunesse, I. Floréal, du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo.
Il est précédé par II. Orphée, aux bois du Caÿstre… et suivi de IV. Le Poëte bat aux champs.

ΨYXH


ΨYXH – Le texte

III
ΨYXH


Psyché dans ma chambre est entrée,
Et j’ai dit à ce papillon :
— « Nomme-moi la chose sacrée.
« Est-ce l’ombre ? est-ce le rayon ?

« Est-ce la musique des lyres ?
« Est-ce le parfum de la fleur ?
« Quel est entre tous les délires
« Celui qui fait l’homme meilleur ?

« Quel est l’encens ? quelle est la flamme ?
« Et l’organe de l’avatar,
« Et pour les souffrants le dictame,
« Et pour les heureux le nectar ?

« Enseigne-moi ce qui fait vivre,
« Ce qui fait que l’œil brille et voit !
« Enseigne-moi l’endroit du livre
« Où Dieu pensif pose son doigt.

« Qu’est-ce qu’en sortant de l’Érèbe
« Dante a trouvé de plus complet ?
« Quel est le mot des sphinx de Thèbe
« Et des ramiers du Paraclet ?

« Quelle est la chose, humble et superbe,
« Faite de matière et d’éther,
« Où Dieu met le plus de son verbe
« Et l’homme le plus de sa chair ?

« Quel est le pont que l’esprit montre,
« La route de la fange au ciel,
« Où Vénus Astarté rencontre
« À mi-chemin Ithuriel ?

« Quelle est la clef splendide et sombre,
« Comme aux élus chère aux maudits,
« Avec laquelle on ferme l’ombre
« Et l’on ouvre le paradis ?

« Qu’est-ce qu’Orphée et Zoroastre,
« Et Christ que Jean vint suppléer,
« En mêlant la rose avec l’astre,
« Auraient voulu pouvoir créer ?

« Puisque tu viens d’en haut, déesse,
« Ange, peut-être le sais-tu ?
« Ô Psyché ! quelle est la sagesse ?
« Ô Psyché ! quelle est la vertu ?

« Qu’est-ce que, pour l’homme et la terre,
« L’infini sombre a fait de mieux ?
« Quel est le chef-d’œuvre du père ?
« Quel est le grand éclair des cieux ? »

Posant sur mon front, sous la nue,
Ses ailes qu’on ne peut briser,
Entre lesquelles elle est nue,
Psyché m’a dit : C’est le baiser.

Remarques

ΨYXH : souffle, âme, papillon. Psyché, qui aima Cupidon, était représentée dans la peinture pompéienne en petite fille ailée, en papillon.
Le Paraclet désigne le Saint-Esprit.
Dans le Paradis perdu de Milton, le chérubin Ithuriel est envoyé par l’archange Gabriel à la recherche de Satan.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les yeux d'une tête de mort, quand le corps est rendu à la nature, et que les os prennent la majesté des marbres.

XIII. Cadaver

Cadaver – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 500.

Cadaver – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Cadaver, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.

Cadaver

Cadaver – Le texte

XIII
Cadaver

Ô mort ! heure splendide ! ô rayons mortuaires !
Avez-vous quelquefois soulevé des suaires ?
Et, pendant qu’on pleurait, et qu’au chevet du lit,
Frères, amis, enfants, la mère qui pâlit,
Éperdus, sanglotaient dans le deuil qui les navre,
Avez-vous regardé sourire le cadavre ?
Tout à l’heure il râlait, se tordait, étouffait ;
Maintenant il rayonne. Abîme ! qui donc fait
Cette lueur qu’a l’homme en entrant dans les ombres ?
Qu’est-ce que le sépulcre ? et d’où vient, penseurs sombres,
Cette sérénité formidable des morts ?
C’est que le secret s’ouvre et que l’être est dehors ;
C’est que l’âme — qui voit, puis brille, puis flamboie, —
Rit, et que le corps même a sa terrible joie.
La chair se dit : — Je vais être terre, et germer,
Et fleurir comme sève, et, comme fleur, aimer !
Je vais me rajeunir dans la jeunesse énorme
Du buisson, de l’eau vive, et du chêne, et de l’orme,
Et me répandre aux lacs, aux flots, aux monts, aux prés,
Aux rochers, aux splendeurs des grands couchants pourprés,
Aux ravins, aux halliers, aux brises de la nue,
Aux murmures profonds de la vie inconnue !
Je vais être oiseau, vent, cri des eaux, bruit des cieux,
Et palpitation du tout prodigieux ! —
Tous ces atomes las, dont l’homme était le maître,
Sont joyeux d’être mis en liberté dans l’être,
De vivre, et de rentrer au gouffre qui leur plaît.
L’haleine, que la fièvre aigrissait et brûlait,
Va devenir parfum, et la voix harmonie ;
Le sang va retourner à la veine infinie,
Et couler, ruisseau clair, aux champs où le bœuf roux
Mugit le soir avec l’herbe jusqu’aux genoux ;
Les os ont déjà pris la majesté des marbres ;
La chevelure sent le grand frisson des arbres,
Et songe aux cerfs errants, au lierre, aux nids chantants
Qui vont l’emplir du souffle adoré du printemps.
Et voyez le regard, qu’une ombre étrange voile,
Et qui, mystérieux, semble un lever d’étoile !

Oui, Dieu le veut, la mort, c’est l’ineffable chant
De l’âme et de la bête à la fin se lâchant ;
C’est une double issue ouverte à l’être double.
Dieu disperse, à cette heure inexprimable et trouble,
Le corps dans l’univers et l’âme dans l’amour.
Une espèce d’azur que dore un vague jour,
L’air de l’éternité, puissant, calme, salubre,
Frémit et resplendit sous le linceul lugubre ;
Et des plis du drap noir tombent tous nos ennuis.
La mort est bleue. Ô mort ! ô paix ! L’ombre des nuits,
Le roseau des étangs, le roc du monticule,
L’épanouissement sombre du crépuscule,
Le vent, souffle farouche ou providentiel,
L’air, la terre, le feu, l’eau, tout, même le ciel,
Se mêle à cette chair qui devient solennelle.
Un commencement d’astre éclôt dans la prunelle.

Au cimetière, août 1855

XXII. André Chénier

André Chénier – Les références

La Légende des siècles – Nouvelle SérieXVIII. Le Groupe des idylles ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 450.
Autre référence : Collection Poésie/Gallimard, La Légende des sièclesXXXVI. Le Groupe des idylles, p. 596.

André Chénier – L’enregistrement

Un premier enregistrement

Je vous invite à écouter André Chénier, un poème du recueil La Légende des siècles – Nouvelle Série, de Victor Hugo.

André Chénier


André Chénier – Le texte

XXII
André Chénier


Ô belle, le charmant scandale des oiseaux
Dans les arbres, les fleurs, les prés et les roseaux,
Les rayons rencontrant les aigles dans les nues,
L’orageuse gaîté des néréides nues
Se jetant de l’écume et dansant dans les flots,
Blancheurs qui font rêver au loin les matelots,
Ces ébats glorieux des déesses mouillées
Prenant pour lit les mers comme toi les feuillées,
Tout ce qui joue, éclate et luit sur l’horizon
N’a pas plus de splendeur que ta fière chanson.
Ton chant ajouterait de la joie aux dieux mêmes.
Tu te dresses superbe. En même temps tu m’aimes ;
Et tu viens te rasseoir sur mes genoux. Psyché
Par moments comme toi prenait un air fâché,
Puis se jetait au cou du jeune dieu, son maître.
Est-ce qu’on peut bouder l’amour ? Aimer, c’est naître ;
Aimer, c’est savourer, aux bras d’un être cher,
La quantité de ciel que Dieu mit dans la chair ;
C’est être un ange avec la gloire d’être un homme.
Oh ! ne refuse rien. Ne sois pas économe.
Aimons ! Ces instants-là sont les seuls bons et sûrs.
Ô volupté mêlée aux éternels azurs !
Extase ! ô volonté de là-haut ! Je soupire,
Tu songes. Ton cœur bat près du mien. Laissons dire
Les oiseaux, et laissons les ruisseaux murmurer.
Ce sont des envieux. Belle, il faut s’adorer.
Il faut aller se perdre au fond des bois farouches.
Le ciel étoilé veut la rencontre des bouches ;
Une lionne cherche un lion sur les monts.
Chante ! il faut chanter. Aime ! il faut aimer. Aimons.
Pendant que tu souris, pendant que mon délire
Abuse de ce doux consentement du rire,
Pendant que d’un baiser complice tu m’absous,
La vaste nuit funèbre est au-dessous de nous,
Et les morts, dans l’Hadès plein d’effrayants décombres,
Regardent se lever, sur l’horizon des ombres,
Les astres ténébreux de l’Érèbe qui font
Trembler leurs feux sanglants dans l’eau du Styx profond.

Remarque

J’ai longtemps porté en moi ces vers sans savoir d’où ils venaient : Aimer, c’est savourer, aux bras d’un être cher, / La quantité de ciel que Dieu mit dans la chair. Je suis heureux de pouvoir réparer cet oubli auprès de ceux qui, comme moi, ne connaissent pas leur origine.

XLI. Qui que tu sois qui tiens un peuple dans ta main…

Qui que tu sois qui tiens un peuple dans ta main… – Les références

Les Quatre Vents de l’espritLe Livre satirique – Le Siècle ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 1175.

Qui que tu sois qui tiens un peuple dans ta main… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Qui que tu sois qui tiens un peuple dans ta main…, un poème du recueil Les Quatre Vents de l’esprit, du Livre satirique – Le Siècle, de Victor Hugo.

Qui que tu sois qui tiens un peuple dans ta main…


Qui que tu sois qui tiens un peuple dans ta main… – Le texte

XLI


Qui que tu sois qui tiens un peuple dans ta main,
Sultan, czar pseudo-grec, César pseudo-romain,
Roi pour rire, empereur pour pleurer, Claude ou Jacques,
Bonjour. Prospère, mange et règne, et fais tes pâques.
Je ne conteste pas ton prestige, et l’émoi
Que cause aux bonnes gens Ta Majesté. Pour moi,
Quand dans la rue un roi, que sa garde enveloppe,
Doré, superbe, orné de sabres nus, galope,
Ma foi, je tourne moins la tête que si c’est
Lise qui passe avec une rose au corset ;
Mais c’est un goût bizarre, et tous les autres hommes
Admirent qui leur fait payer de grosses sommes.
Donc sois heureux. Jouis du droit qu’on a d’abord
D’avaler son voisin si l’on est le plus fort ;
Va ! Dans la probité des princes rien n’accroche ;
Leur conscience auguste et sainte est une poche
Si grande qu’il y tient un royaume, et qu’on peut
Y fourrer tout un peuple et dessus faire un nœud ;
Et saisir Oldenbourg, Nassau, Hambourg, Hanovre,
D’un tour de main, avec le riche, avec le pauvre,
Avec châteaux, budgets et millions, avec
Prêtres et sénateurs, le Te Deum au bec.
Par-dessus le marché, vous êtes un grand homme.
C’est fait. Bandit, fi donc ! C’est héros qu’on vous nomme.
Prenez Francfort, ou bien Venise avec Saint-Marc.
Ce qui fut Metternich est aujourd’hui Bismarck ;
Tibère est un lion dont Séjan est la griffe.
Puisque le maître est grand, qu’importe l’escogriffe.
Tout est bien. Hurrah ! Prince ! aie un casque pointu.
Flanque au bagne l’honneur, la gloire, la vertu ;
Ôte à ceux-ci leur droit, à ceux-là leur patrie ;
Complète ta grandeur par de la Sibérie ;

Soit.

Mais aie à l’esprit ceci présent, mon cher.

En même temps qu’on est de marbre, on est de chair.
Parfois on est un monstre en croyant être un ange,
Mais, quoi qu’on fasse, on est un homme. Chose étrange,
Un roi, cela vieillit, même un roi fort puissant.
Les rois ont des poumons, de la bile, du sang,
Un cœur, qui le croirait ? Et même des entrailles ;
La fièvre avant l’émeute a fréquenté Versailles ;
Le ventre peut manquer de respect ; les boyaux
Osent mal digérer les aliments royaux ;
Bons rois ! Dieu joue avec leur majesté contrite ;
Dans la toute-puissance il a mis la gastrite ;
Il faut bien l’avouer, dût en frémir d’Hozier,
Ainsi que les dindons, les rois ont un gésier ;
Louis le Grand avait un anus ; on constate
Quelquefois, chez César lui-même, une prostate ;
Charles neuf, faible et mou comme un jonc sous le vent,
Fut par les vers de terre habité tout vivant.
Or les sages pensifs font remarquer aux princes
Qu’il est toujours aisé d’empoigner des provinces,
Mais qu’un roi ne peut prendre, en eût-il grand besoin,
Un muscle de son râble au crocheteur du coin.
Un César souvent porte, à son dos qui cahote,
Son empire moins bien qu’un chiffonnier sa hotte,
Mais il ferait tuer ses preux jusqu’au dernier
Avant de conquérir les reins du chiffonnier.
Majesté, vous aurez plutôt Rome, la Chine,
L’Inde, qu’une vertèbre ou deux de son échine.
La migraine se plaît sous les couronnes d’or ;
Malgré l’huissier de garde au fond du corridor,
Elle entre. Trop d’azote et pas assez d’ozone,
C’est assez pour qu’allant du Gange à l’Amazone,
Le choléra-morbus s’abatte à plomb sur vous ;
L’effrayant typhus passe, il rend les hommes fous,
Vous êtes empereur, mais gare tout de même.
Vous dites : je suis presque un Alexandre. On m’aime !
Eh bien, même Campaspe et même Éphestion
N’ont pas à votre place une indigestion.
C’est doux d’avoir, avec des vins à pleine amphore,
Des femmes plus que n’a de vagues le Bosphore ;
Sérails et festins sont charmants, et malfaisants.
Les gens de Géorgie apportent tous les ans
Une vierge au sultan, c’est une politesse ;
Mais ne peuvent, hélas, quand même sa hautesse
Daignerait les rouer de coups de nerf de bœuf,
Avec la viande fraîche offrir l’estomac neuf.

On crache, on tousse, même en la plus haute sphère.
La nature est parfois insolente. Qu’y faire ?

On est le grand passant d’Arcole et d’Iéna ;
On est le cavalier de la victoire ; on a
Pour soleil Austerlitz et pour ombre brumaire,
Si bien que Juvénal vous prend aux mains d’Homère ;
Cela n’empêche pas le sternum d’exister.
Qui frappe ? C’est la mort qui vient vous débotter,
Sire.

On a beau régner, se faire un entourage

De trompettes, d’encens, de fumée et d’orage ;
On a beau se coiffer de lauriers sur les sous,
Avoir sous soi le peuple en paysans dissous,
Être le criméen, l’africain, le dacique,
S’asseoir sur l’aigle ainsi que le Jupin classique,
Se loger au Kremlin, vivre à l’Escurial,
Au moment où l’on est le plus impérial,
À l’heure où l’on remplit de son nom les deux pôles,
Voilà qu’on est poussé dehors par les épaules.
À rien ne sert d’aller se cacher dans des trous.
Dieu vient. On perd sa peine à fermer les verrous.
Ce fâcheux-là n’est point un de ceux qu’on évite.
Hélas, mon prince, on meurt brutalement et vite.
Il suffit d’un cheval emporté, d’un gravier
Dans le flanc, d’une porte entr’ouverte en janvier,
D’un rétrécissement du canal de l’urètre,
Pour qu’au lieu d’une fille on voie entrer un prêtre.