L’Art d’être grand-père – IV. Le Poëme du Jardin des plantes ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 748.
À Jeanne – L’enregistrement
Je vous invite à écouter À Jeanne, poème de la partie IV. Le Poëme du Jardin des plantes, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
À Jeanne
À Jeanne – Le texte
VI
À Jeanne
Je ne te cache pas que j’aime aussi les bêtes ;
Cela t’amuse, et moi cela m’instruit ; je sens
Que ce n’est pas pour rien qu’en ces farouches têtes
Dieu met le clair-obscur des grands bois frémissants.
Je suis le curieux qui, né pour croire et plaindre,
Sonde, en voyant l’aspic sous des roses rampant,
Les sombres lois qui font que la femme doit craindre
Le démon, quand la fleur n’a pas peur du serpent.
Pendant que nous donnons des ordres à la terre,
Rois copiant le singe et par lui copiés,
Doutant s’il est notre œuvre ou s’il est notre père,
Tout en bas, dans l’horreur fatale, sous nos pieds,
On ne sait quel noir monde étonné nous regarde
Et songe, et sous un joug, trop souvent odieux,
Nous courbons l’humble monstre et la brute hagarde
Qui, nous voyant démons, nous prennent pour des dieux.
Oh ! que d’étranges lois ! quel tragique mélange !
Voit-on le dernier fait, sait-on le dernier mot,
Quel spectre peut sortir de Vénus, et quel ange
Peut naître dans le ventre affreux de Béhémoth ?
Transfiguration ! mystère ! gouffre et cîme !
L’âme rejettera le corps, sombre haillon ;
La créature abjecte un jour sera sublime,
L’être qu’on hait chenille on l’aime papillon.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/06/a-jeanne-jardin-art.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-06-23 10:05:102018-06-14 10:20:10VI. À Jeanne
— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois… – Les références
L’Art d’être grand-père – III. La Lune ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 737.
— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois… – L’enregistrement
Je vous invite à écouter — Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois…, quatrième et dernier poème de la partie III. La Lune, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?….
— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois…
— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois… – Le texte
IV
— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois.
Il faut leur donner tout, les cerises des bois,
Les pommes du verger, les gâteaux de la table ;
S’ils entendent la voix des vaches dans l’étable,
Du lait ! vite ! et leurs cris sont comme une forêt
De Bondy quand un sac de bonbons apparaît.
Les voilà maintenant qui réclament la lune !
Pourquoi pas ? Le néant des géants m’importune ;
Moi j’admire, ébloui, la grandeur des petits.
Ah ! l’âme des enfants a de forts appétits,
Certe, et je suis pensif devant cette gourmande
Qui voit un univers dans l’ombre, et le demande.
La lune ! Pourquoi pas ? vous dis-je. Eh bien, après ?
Pardieu ! si je l’avais, je la leur donnerais.
C’est vrai, sans trop savoir ce qu’ils en pourraient faire,
Oui, je leur donnerais, lune, ta sombre sphère,
Ton ciel, d’où Swedenborg n’est jamais revenu,
Ton énigme, ton puits sans fond, ton inconnu !
Oui, je leur donnerais, en disant : Soyez sages !
Ton masque obscur qui fait le guet dans les nuages,
Tes cratères tordus par de noirs aquilons,
Tes solitudes d’ombre et d’oubli, tes vallons,
Peut-être heureux, peut-être affreux, édens ou bagnes,
Lune, et la vision de tes pâles montagnes.
Oui, je crois qu’après tout, des enfants à genoux
Sauraient mieux se servir de la lune que nous ;
Ils y mettraient leurs vœux, leur espoir, leur prière ;
Ils laisseraient mener par cette aventurière
Leurs petits cœurs pensifs vers le grand Dieu profond.
La nuit, quand l’enfant dort, quand ses rêves s’en vont,
Certes, ils vont plus loin et plus haut que les nôtres.
Je crois aux enfants comme on croyait aux apôtres ;
Et quand je vois ces chers petits êtres sans fiel
Et sans peur, désirer quelque chose du ciel,
Je le leur donnerais, si je l’avais. La sphère
Que l’enfant veut, doit être à lui, s’il la préfère.
D’ailleurs, n’avez-vous rien au delà de vos droits ?
Oh ! je voudrais bien voir, par exemple, les rois
S’étonner que des nains puissent avoir un monde !
Oui, je vous donnerais, anges à tête blonde,
Si je pouvais, à vous qui régnez par l’amour,
Ces univers baignés d’un mystérieux jour,
Conduits par des esprits que l’ombre a pour ministres,
Et l’énorme rondeur des planètes sinistres.
Pourquoi pas ? Je me fie à vous, car je vous vois,
Et jamais vous n’avez fait de mal. Oui, parfois,
En songeant à quel point c’est grand, l’âme innocente,
Quand ma pensée au fond de l’infini s’absente,
Je me dis, dans l’extase et dans l’effroi sacré,
Que peut-être, là-haut, il est, dans l’Ignoré,
Un dieu supérieur aux dieux que nous rêvâmes,
Capable de donner des astres à des âmes.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/06/oh-comme-ils-sont-lune-art.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-06-22 13:42:322018-06-14 10:20:11IV. — Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois...
Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?… – Les références
L’Art d’être grand-père – III. La Lune ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 737.
Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?… – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?…, troisième poème de la partie III. La Lune, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de Choses du soir et suivi de — Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois….
Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?…
Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?… – Le texte
III
Ah ! vous voulez la lune ? Où ? dans le fond du puits ?
Non ; dans le ciel. Eh bien, essayons. Je ne puis.
Et c’est ainsi toujours. Chers petits, il vous passe
Par l’esprit de vouloir la lune, et dans l’espace
J’étends mes mains, tâchant de prendre au vol Phoebé.
L’adorable hasard d’être aïeul est tombé
Sur ma tête, et m’a fait une douce fêlure.
Je sens en vous voyant que le sort put m’exclure
Du bonheur, sans m’avoir tout à fait abattu.
Mais causons. Voyez-vous, vois-tu, Georges, vois-tu,
Jeanne ? Dieu nous connaît, et sait ce qu’ose faire
Un aïeul, car il est lui-même un peu grand-père ;
Le bon Dieu, qui toujours contre nous se défend,
Craint ceci : le vieillard qui veut plaire à l’enfant ;
Il sait que c’est ma loi qui sort de votre bouche,
Et que j’obéirais ; il ne veut pas qu’on touche
Aux étoiles, et c’est pour en être bien sûr
Qu’il les accroche aux clous les plus hauts de l’azur.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/06/ah-vous-voulez-la-lune-art.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-06-21 18:37:192018-06-14 10:20:11III. Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?...
Le brouillard est froid, la bruyère est grise ;
Les troupeaux de bœufs vont aux abreuvoirs ;
La lune, sortant des nuages noirs,
Semble une clarté qui vient par surprise.
Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
Le voyageur marche et la lande est brune ;
Une ombre est derrière, une ombre est devant ;
Blancheur au couchant, lueur au levant ;
Ici crépuscule, et là clair de lune.
Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
La sorcière assise allonge sa lippe ;
L’araignée accroche au toit son filet ;
Le lutin reluit dans le feu follet
Comme un pistil d’or dans une tulipe.
Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
On voit sur la mer des chasse-marées ;
Le naufrage guette un mât frissonnant ;
Le vent dit : demain ! l’eau dit : maintenant !
Les voix qu’on entend sont désespérées.
Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
Le coche qui va d’Avranche à Fougère
Fait claquer son fouet comme un vif éclair ;
Voici le moment où flottent dans l’air
Tous ces bruits confus que l’ombre exagère.
Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
Dans les bois profonds brillent des flambées ;
Un vieux cimetière est sur un sommet ;
Où Dieu trouve-t-il tout ce noir qu’il met
Dans les cœurs brisés et les nuits tombées ?
Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
Des flaques d’argent tremblent sur les sables ;
L’orfraie est au bord des talus crayeux ;
Le pâtre, à travers le vent, suit des yeux
Le vol monstrueux et vague des diables.
Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
Un panache gris sort des cheminées ;
Le bûcheron passe avec son fardeau ;
On entend, parmi le bruit des cours d’eau,
Des frémissements de branches traînées.
Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
La faim fait rêver les grands loups moroses ;
La rivière court, le nuage fuit ;
Derrière la vitre où la lampe luit,
Les petits enfants ont des têtes roses.
Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/06/choses-du-soir-lune-art.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-06-20 15:44:272018-06-14 10:20:11II. Choses du soir
Jeanne songeait, sur l’herbe assise, grave et rose… – Les références
L’Art d’être grand-père – III. La Lune ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 735.
Jeanne songeait, sur l’herbe assise, grave et rose… – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Jeanne songeait, sur l’herbe assise, grave et rose…, premier poème de la partie III. La Lune, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est suivi de Choses du soir.
Jeanne songeait, sur l’herbe assise, grave et rose…
Jeanne songeait, sur l’herbe assise, grave et rose… – Le texte
I
Jeanne songeait, sur l’herbe assise, grave et rose ;
Je m’approchai : — Dis-moi si tu veux quelque chose,
Jeanne ? — car j’obéis à ces charmants amours,
Je les guette, et je cherche à comprendre toujours
Tout ce qui peut passer par ces divines têtes.
Jeanne m’a répondu : — Je voudrais voir des bêtes.
Alors je lui montrai dans l’herbe une fourmi.
— Vois ! — mais Jeanne ne fut contente qu’à demi.
— Non, les bêtes, c’est gros, me dit-elle.
Leur rêve,
C’est le grand. L’Océan les attire à sa grève,
Les berçant de son chant rauque, et les captivant
Par l’ombre, et par la fuite effrayante du vent ;
Ils aiment l’épouvante, il leur faut le prodige.
— Je n’ai pas d’éléphant sous la main, répondis-je.
Veux-tu quelque autre chose ? ô Jeanne, on te le doit !
Parle. — Alors Jeanne au ciel leva son petit doigt.
— Ça, dit-elle. — C’était l’heure où le soir commence.
Je vis à l’horizon surgir la lune immense.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/06/jeanne-songeait-lune-art.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-06-19 11:14:322018-06-14 10:20:12I. Jeanne songeait, sur l'herbe assise, grave et rose...
L’Art d’être grand-père – II. Jeanne endormie ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 731.
La sieste – L’enregistrement
Je vous invite à écouter La sieste, premier et seul poème de la partie II. Jeanne endormie, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
La sieste
La sieste – Le texte
I
La sieste
Elle fait au milieu du jour son petit somme ;
Car l’enfant a besoin du rêve plus que l’homme,
Cette terre est si laide alors qu’on vient du ciel !
L’enfant cherche à revoir Chérubin, Ariel,
Ses camarades, Puck, Titania, les fées,
Et ses mains quand il dort sont par Dieu réchauffées.
Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions,
Au fond de ce sommeil sacré, plein de rayons,
Ces paradis ouverts dans l’ombre, et ces passages
D’étoiles qui font signe aux enfants d’être sages,
Ces apparitions, ces éblouissements !
Donc, à l’heure où les feux du soleil sont calmants,
Quand toute la nature écoute et se recueille,
Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille
La plus tremblante oublie un instant de frémir,
Jeanne a cette habitude aimable de dormir ;
Et la mère un moment respire et se repose,
Car on se lasse, même à servir une rose.
Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sûr
Dorment ; et son berceau, qu’entoure un vague azur
Ainsi qu’une auréole entoure une immortelle,
Semble un nuage fait avec de la dentelle ;
On croit, en la voyant dans ce frais berceau-là,
Voir une lueur rose au fond d’un falbala ;
On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse,
Et c’est un astre, ayant de plus la petitesse ;
L’ombre, amoureuse d’elle, a l’air de l’adorer ;
Le vent retient son souffle et n’ose respirer.
Soudain, dans l’humble et chaste alcôve maternelle,
Versant tout le matin qu’elle a dans sa prunelle,
Elle ouvre la paupière, étend un bras charmant,
Agite un pied, puis l’autre, et, si divinement
Que des fronts dans l’azur se penchent pour l’entendre,
Elle gazouille… — Alors, de sa voix la plus tendre,
Couvant des yeux l’enfant que Dieu fait rayonner,
Cherchant le plus doux nom qu’elle puisse donner
À sa joie, à son ange en fleur, à sa chimère :
— Te voilà réveillée, horreur ! lui dit sa mère.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/06/lasieste-endormie-art.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-06-18 21:31:322018-06-14 10:20:12I. La sieste
L’Art d’être grand-père – I. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 727.
Un manque – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Un manque, poème qui clôture la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. Fenêtres ouvertes.
Un manque
Un manque – Le texte
XII
Un manque
Pourquoi donc s’en est-il allé, le doux amour ?
Ils viennent un moment nous faire un peu de jour,
Puis partent. Ces enfants, que nous croyons les nôtres,
Sont à quelqu’un qui n’est pas nous. Mais les deux autres,
Tu ne les vois donc pas, vieillard ? Oui, je les vois,
Tous les deux. Ils sont deux, ils pourraient être trois.
Voici l’heure d’aller se promener dans l’ombre
Des grands bois, pleins d’oiseaux dont Dieu seul sait le nombre
Et qui s’envoleront aussi dans l’inconnu.
Il a son chapeau blanc, elle montre un pied nu,
Tous deux sont côte à côte ; on marche à l’aventure,
Et le ciel brille, et moi je pousse la voiture.
Toute la plaine en fleur a l’air d’un paradis ;
Le lézard court au pied des vieux saules, tandis
Qu’au bout des branches vient chanter le rouge-gorge.
Mademoiselle Jeanne a quinze mois, et George
En a trente ; il la garde ; il est l’homme complet ;
Des filles comme ça font son bonheur ; il est
Dans l’admiration de ces jolis doigts roses,
Leur compare, en disant toutes sortes de choses,
Ses grosses mains à lui qui vont avoir trois ans,
Et rit ; il montre Jeanne en route aux paysans.
Ah dame ! il marche, lui ; cette mioche se traîne ;
Et Jeanne rit de voir Georges rire ; une reine
Sur un trône, c’est là Jeanne dans son panier ;
Elle est belle ; et le chêne en parle au marronnier,
Et l’orme la salue et la montre à l’érable,
Tant sous le ciel profond l’enfance est vénérable.
George a le sentiment de sa grandeur ; il rit
Mais il protège, et Jeanne a foi dans son esprit ;
Georges surveille avec un air assez farouche
Cette enfant qui parfois met un doigt dans sa bouche ;
Les sentiers sont confus et nous nous embrouillons.
Comme tout le bois sombre est plein de papillons,
Courons, dit Georges. Il veut descendre. Jeanne est gaie.
Avec eux je chancelle, avec eux je bégaie.
Oh ! l’adorable joie, et comme ils sont charmants !
Quel hymne auguste au fond de leurs gazouillements !
Jeanne voudrait avoir tous les oiseaux qui passent ;
Georges vide un pantin dont les ressorts se cassent,
Et médite ; et tous deux jasent ; leurs cris joyeux
Semblent faire partout dans l’ombre ouvrir des yeux ;
Georges, tout en mangeant des nèfles et des pommes,
M’apporte son jouet ; moi qui connais les hommes
Mieux que George, et qui sait les secrets du destin,
Je raccommode avec un fil son vieux pantin.
Mon Georges, ne va pas dans l’herbe ; elle est trempée.
Et le vent berce l’arbre, et Jeanne sa poupée.
On sent Dieu dans ce bois pensif dont la douceur
Se mêle à la gaîté du frère et de la sœur ;
Nous obéissons, Jeanne et moi, Georges commande ;
La nourrice leur chante une chanson normande,
De celles qu’on entend le soir sur les chemins,
Et Georges bat du pied, et Jeanne bat des mains.
Et je m’épanouis à leurs divins vacarmes,
Je ris ; mais vous voyez sous mon rire mes larmes,
Vieux arbres, n’est-ce pas ? et vous n’avez pas cru
Que j’oublierai jamais le petit disparu.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/06/un-manque-guernesey-art.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-06-17 09:31:222018-06-14 10:20:12XII. Un manque
Tout rayonne, tout luit, tout aime, tout est doux ;
Les oiseaux semblent d’air et de lumière fous ;
L’âme dans l’infini croit voir un grand sourire.
À quoi bon exiler, rois ? à quoi bon proscrire ?
Proscrivez-vous l’été ? m’exilez-vous des fleurs ?
Pouvez-vous empêcher les souffles, les chaleurs,
Les clartés, d’être là, sans joug, sans fin, sans nombre,
Et de me faire fête, à moi banni, dans l’ombre ?
Pouvez-vous m’amoindrir les grands flots haletants,
L’océan, la joyeuse écume, le printemps
Jetant les parfums comme un prodigue en démence,
Et m’ôter un rayon de ce soleil immense ?
Non. Et je vous pardonne. Allez, trônez, vivez,
Et tâchez d’être rois longtemps, si vous pouvez.
Moi, pendant ce temps-là, je maraude, et je cueille,
Comme vous un empire, un brin de chèvrefeuille,
Et je l’emporte, ayant pour conquête une fleur.
Quand, au-dessus de moi, dans l’arbre, un querelleur,
Un mâle, cherche noise à sa douce femelle,
Ce n’est pas mon affaire et pourtant je m’en mêle,
Je dis : Paix là, messieurs les oiseaux, dans les bois !
Je les réconcilie avec ma grosse voix ;
Un peu de peur qu’on fait aux amants les rapproche.
Je n’ai point de ruisseau, de torrent, ni de roche ;
Mon gazon est étroit, et, tout près de la mer,
Mon bassin n’est pas grand, mais il n’est pas amer.
Ce coin de terre est humble et me plaît ; car l’espace
Est sur ma tête, et l’astre y brille, et l’aigle y passe,
Et le vaste Borée y plane éperdument.
Ce parterre modeste et ce haut firmament
Sont à moi ; ces bouquets, ces feuillages, cette herbe
M’aiment, et je sens croître en moi l’oubli superbe.
Je voudrais bien savoir comment je m’y prendrais
Pour me souvenir, moi l’hôte de ces forêts,
Qu’il est quelqu’un, là-bas, au loin, sur cette terre,
Qui s’amuse à proscrire, et règne, et fait la guerre,
Puisque je suis là seul devant l’immensité,
Et puisqu’ayant sur moi le profond ciel d’été
Où le vent souffle avec la douceur d’une lyre,
J’entends dans le jardin les petits enfants rire.
Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure… – Les références
Toute la lyre – Sixième partie : [L’Amour] ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie IV, p 385.
Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure… – L’enregistrement
Je vous invite à écouter Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure…, premier poème de la Sixième partie : [L’Amour], du recueil Toute la lyre, de Victor Hugo.
Il est suivi de II. Oh ! si vous existez, mon ange, mon génie….
Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure…
Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure… – Le texte
I
Lorsque ma main frémit si la tienne l’effleure,
Quand tu me vois pâlir, femme aux cheveux dorés,
Comme le premier jour, comme la première heure,
Rien qu’en touchant ta robe et ses plis adorés ;
Quand tu vois que les mots me manquent pour te dire
Tout ce dont tu remplis mon sein tumultueux ;
Lorsqu’en me regardant tu sens que ton sourire
M’enivre par degrés et fait briller mes yeux ;
Quand ma voix, sous le feu de ta douce prunelle,
Tremble en ma bouche émue, impuissante à parler,
Comme un craintif oiseau, tout à coup pris par l’aile,
Qui frissonne éperdu, sans pouvoir s’envoler ;
Ô bel ange créé pour des sphères meilleures,
Dis, après tant de deuils, de désespoirs, d’ennuis,
Et tant d’amers chagrins et tant de tristes heures
Qui souvent font tes jours plus mornes que des nuits ;
Oh, dis! ne sens-tu pas se lever dans ton âme
L’amour vrai, l’amour pur, adorable lueur,
L’amour, flambeau de l’homme, étoile de la femme,
Mystérieux soleil du monde intérieur !
Ne sens-tu point, dis-moi, passer sur ta paupière
Le souffle du matin, des ténèbres vainqueur ?
Ne vient-il pas des voix tout bas te dire : espère !
N’entends-tu pas un chant dans l’ombre de ton cœur ?
Oh! recueille ce chant, âme blessée et fière !
Cette aube qui se lève en toi, c’est le vrai jour.
Ne crains plus rien ! Dieu fit tes yeux pour la lumière,
Ton âme pour le ciel et ton cœur pour l’amour !
Regarde rayonner sur ton destin moins sombre
Ce soleil de l’amour qui pour jamais te luit,
Qui, même après la mort brille, sorti de l’ombre,
Qui n’a pas de couchant et n’aura pas de nuit !
9 novembre 1845.
http://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2015/05/lorsque-mamain-fremit-amour-lyre.jpg600800Pierre-François Kettlerhttp://entendre-victor-hugo.com/wp-content/uploads/2014/08/logo-site-essai-300x137.jpgPierre-François Kettler2015-05-29 11:47:042018-06-14 10:20:20I. Lorsque ma main frémit si la tienne l'effleure...