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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une arcade, avec une ferronnerie représentant un trèfle à trois feuilles et, derrière, le sommet de deux tours.

IV. Je n’ai pas de palais épiscopal en ville…

Je n’ai pas de palais épiscopal en ville… – Les références

L’Année terribleJuin ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 135.

Je n’ai pas de palais épiscopal en ville… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Je n’ai pas de palais épiscopal en ville…, poème de Juin, du recueil L’Année terrible, de Victor Hugo.

Je n’ai pas de palais épiscopal en ville…


Je n’ai pas de palais épiscopal en ville… – Le texte

IV


Je n’ai pas de palais épiscopal en ville,
Je n’ai pas de prébende et de liste civile,
Nul temple n’offre un trône à mon humilité,
Nul suisse en colonel ne brille à mon côté,
Je ne me montre pas aux gros yeux des ganaches
Sous un dais, à ses coins ayant quatre panaches ;
La France, même au fond de l’abîme, est pour moi
Le grand peuple en travail d’où sort la grande loi ;
Je hais qu’on la bâillonne ou qu’on la fleurdelyse ;
Je ne demande pas aux passants dans l’église
Tant pour voir le bon Dieu s’il est peint par Van-Dyck ;
Je n’ai ni marguillier, ni bedeau, ni syndic,
Ni custode, ni clerc, ni diacre, ni vicaire ;
Je ne garde aucun saint dans aucun reliquaire ;
Je n’ai pas de miracle en bouteille sous clé ;
Mon vêtement n’est pas de diamants bouclé ;
Je ne suis pas payé quand je fais ma prière ;
Je suis fort mal en cour ; aucune douairière
Ne m’admire quêtant des sous dans un plat rond,
La chape d’or au cou, la mitre d’or au front ;
Je ne fais point baiser ma main aux bonnes femmes ;
Je vénère le ciel, mais sans le vendre aux âmes ;
On ne m’appelle pas monseigneur ; je me plais
Dans les champs, et mes bas ne sont pas violets ;
Les fautes que je fais sont des fautes sincères ;
L’hypocrisie et moi sommes deux adversaires ;
Je crois ce que je dis, je fais ce que je crois ;
Je mets près de Socrate aux fers Jésus en croix ;
Lorsqu’un homme est traqué comme une bête fauve,
Fût-il mon ennemi, si je peux, je le sauve ;
Je méprise Basile et dédaigne Scapin ;
Je donne à l’enfant pauvre un morceau de mon pain ;
J’ai lutté pour le vrai, pour le bon, pour l’honnête,
Et j’ai subi vingt ans l’exil dans la tempête ;
Je recommencerai demain, si Dieu le veut ;
Ma conscience dit: – Marche ! – rien ne m’émeut,
J’obéis, et je vais, malgré les vents contraires,
Et je fais mon devoir ; et c’est pourquoi, mes frères,
Au dire du journal de l’évêque de Gand,
Si je n’étais un fou, je serais un brigand.

Remarque

J’ai enregistré et mis en ligne ce poème car je me suis trouvé plusieurs fois, sur internet, devant ce vers, cette citation attribuée à Victor Hugo, Je crois ce que je dis, je fais ce que je crois, sans que la référence soit jamais indiquée. Je ne la trouvais pas en cherchant sur internet. J’ai donc demandé au couple de spécialistes et amis de Victor Hugo qui m’accompagne depuis le début dans la création de ce site, Arnaud Laster et Danièle Gasiglia-Laster, et ils m’ont indiqué, après recherche, l’origine de ce vers. Je ne crois pas inutile de savoir d’où vient une citation, en particulier celle-ci, liée à L’Année terrible, en réponse à une accusation proférée par un religieux à l’encontre de Victor Hugo.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la Terre dans son voyage de nuit.

XIX. Voyage de nuit

Voyage de nuit – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 513.

Voyage de nuit – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Voyage de nuit, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVIII. Hélas ! tout est sépulcre… et suivi de XX. Relligio.

Voyage de nuit


Voyage de nuit – Le texte

XIX
Voyage de nuit


On conteste, on dispute, on proclame, on ignore.
Chaque religion est une tour sonore ;
Ce qu’un prêtre édifie, un prêtre le détruit ;
Chaque temple, tirant sa corde dans la nuit,
Fait, dans l’obscurité sinistre et solennelle,
Rendre un son différent à la cloche éternelle.
Nul ne connaît le fond, nul ne voit le sommet.
Tout l’équipage humain semble en démence ; on met
Un aveugle en vigie, un manchot à la barre ;
À peine a-t-on passé du sauvage au barbare,
À peine a-t-on franchi le plus noir de l’horreur,
À peine a-t-on, parmi le vertige et l’erreur,
Dans ce brouillard où l’homme attend, songe et soupire,
Sans sortir du mauvais, fait un pas hors du pire,
Que le vieux temps revient et nous mord les talons,
Et nous crie : Arrêtez ! Socrate dit : Allons !
Jésus-Christ dit : Plus loin ! et le sage et l’apôtre
S’en vont se demander dans le ciel l’un à l’autre
Quel goût a la ciguë et quel goût a le fiel.
Par moments, voyant l’homme ingrat, fourbe et cruel,
Satan lui prend la main sous le linceul de l’ombre.
Nous appelons science un tâtonnement sombre.
L’abîme, autour de nous, lugubre tremblement,
S’ouvre et se ferme ; et l’œil s’effraie également
De ce qui s’engloutit et de ce qui surnage.
Sans cesse le progrès, roue au double engrenage,
Fait marcher quelque chose en écrasant quelqu’un.
Le mal peut être joie, et le poison parfum.
Le crime avec la loi morne et mélancolique
Lutte ; le poignard parle, et l’échafaud réplique.
Nous entendons, sans voir la source ni la fin,
Derrière notre nuit, derrière notre faim,
Rire l’ombre Ignorance et la larve Misère.
Le lys a-t-il raison ? et l’astre est-il sincère ?
Je dis oui, tu dis non. Ténèbres et rayons
Affirment à la fois. Doute, Adam ! Nous voyons
De la nuit dans l’enfant, de la nuit dans la femme ;
Et sur notre avenir nous querellons notre âme ;
Et, brûlé, puis glacé, chaos, semoun, frimas,
L’homme de l’infini traverse les climats.
Tout est brume ; le vent souffle avec des huées,
Et de nos passions arrache des nuées ;
Rousseau dit : L’homme monte ; et de Maistre : Il descend !
Mais, ô Dieu ! le navire énorme et frémissant,
Le monstrueux vaisseau sans agrès et sans voiles,
Qui flotte, globe noir, dans la mer des étoiles,
Et qui porte nos maux, fourmillement humain,
Va, marche, vogue et roule, et connaît son chemin ;
Le ciel sombre, où parfois la blancheur semble éclore,
À l’effrayant roulis mêle un frisson d’aurore ;
De moment en moment le sort est moins obscur ;
Et l’on sent bien qu’on est emporté vers l’azur.

Marine-Terrrace, octobre 1855.