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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l'ombre d'un aigle (ou d'une colombe ?) dans l'obscurité de l'univers.

XVIII. Hélas ! tout est sépulcre…

Hélas ! tout est sépulcre… – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 512.

Hélas ! tout est sépulcre… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Hélas ! tout est sépulcre…, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVIII. Dolor et suivi de XIX. Voyage de nuit.

Hélas ! tout est sépulcre…


Hélas ! tout est sépulcre… – Le texte

XVIII


Hélas ! tout est sépulcre. On en sort, on y tombe ;
La nuit est la muraille immense de la tombe.
Les astres, dont luit la clarté,
Orion, Sirius, Mars, Jupiter, Mercure,
Sont les cailloux qu’on voit dans ta tranchée obscure,
Ô sombre fosse Éternité !

Une nuit, un esprit me parla dans un rêve,
Et me dit : — Je suis aigle en un ciel où se lève
Un soleil qui t’est inconnu.
J’ai voulu soulever un coin du vaste voile ;
J’ai voulu voir de près ton ciel et ton étoile ;
Et c’est pourquoi je suis venu ;

Et, quand j’ai traversé les cieux grands et terribles,
Quand j’ai vu le monceau des ténèbres horribles
Et l’abîme énorme où l’œil fuit,
Je me suis demandé si cette ombre où l’on souffre
Pourrait jamais combler ce puits, et si ce gouffre
Pourrait contenir cette nuit !

Et, moi, l’aigle lointain, épouvanté, j’arrive ;
Et je crie, et je viens m’abattre sur ta rive,
Près de toi, songeur sans flambeau.
Connais-tu ces frissons, cette horreur, ce vertige,
Toi, l’autre aigle de l’autre azur ? — Je suis, lui dis-je,
L’autre ver de l’autre tombeau.

Au dolmen de la Corbière, juin 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les arbres de la forêt sous la lumière du ciel.

XXIV. Aux arbres

Aux arbres – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 363.

Aux arbres – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Aux arbres, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXIII. Le Revenant et suivi de XXIV. L’enfant, voyant l’aïeule….

Aux arbres


Aux arbres – Le texte

XXIV
Aux arbres

Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme !
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous ! — vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le cœur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’œil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu !
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence !
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, — je vous atteste, ô bois aimés du ciel ! —
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère !
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives !
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime !

Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt ! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.

Juin 1843.