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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un "bois plein de rêverie", avec de hautes herbes, un tronc qui s'élance vers le ciel et des fleurs des champs.

XXI. L’oubli

L’oubli – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 964.

L’oubli – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’oubli, poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, de Victor Hugo, qui clôt la partie VI. L’Éternel Petit Roman du Livre premier : Jeunesse.
Il est précédé de XX. Lettre.

L’oubli


L’oubli – Le texte

XXI
L’oubli


Autrefois inséparables,
Et maintenant séparés.
Gaie, elle court dans les prés,
La belle aux chants adorables ;

La belle aux chants adorés,
Elle court dans la prairie ;
Les bois pleins de rêverie
De ses yeux sont éclairés.

Apparition exquise !
Elle marche en soupirant,
Avec cet air conquérant
Qu’on a quand on est conquise.

La Toilette, cet esprit,
Cette déesse grisette,
Qu’adore en chantant Lisette,
À qui Minerve sourit,

Pour la faire encor plus belle
Que ne l’avait faite Dieu,
Pour que le vague oiseau bleu
Sur son front batte de l’aile,

A sur cet ange câlin
Épuisé toute sa flore,
Les lys, les roses, l’aurore,
Et la maison Gagelin.

Soubrette divine et leste,
La Toilette au doigt tremblant
A mis un frais chapeau blanc
Sur ce flamboiement céleste.

Regardez-la maintenant.
Que cette belle est superbe !
Le cœur humain comme l’herbe
Autour d’elle est frissonnant.

Oh ! la fière conquérante !
Le grand œil mystérieux !
Prévost craint pour Desgrieux,
Molière a peur pour Dorante.

Elle a l’air, dans la clarté
Dont elle est toute trempée,
D’une étincelle échappée
À l’idéale beauté.

Ô grâce surnaturelle !
Il suffit, pour qu’on soit fou,
Qu’elle ait un ruban au cou,
Qu’elle ait un chiffon sur elle.

Ce chiffon charmant soudain
Aux rayons du jour ressemble,
Et ce ruban sacré semble
Avoir fleuri dans l’Éden.

Elle serait bien fâchée
Qu’on ne vît pas dans ses yeux
Que de la coupe des cieux
Sa lèvre s’est approchée,

Qu’elle veut vaincre et charmer,
Et que c’est là sa manière,
Et qu’elle est la prisonnière
Du doux caprice d’aimer.

Elle sourit, et, joyeuse,
Parle à son nouvel amant
Avec le chuchotement
D’une abeille dans l’yeuse.

— Prends mon âme et mes vingt ans.
Je n’aime que toi ! dit-elle. —
Ô fille d’Ève éternelle,
Ô femme aux cheveux flottants,

Ton roman sans fin s’allonge ;
Pendant qu’aux plaisirs tu cours,
Et que, te croyant toujours
Au commencement du songe,

Tu dis en baissant la voix :
— Pour la première fois, j’aime ! —
L’amour, ce moqueur suprême,
Rit, et compte sur ses doigts.

Et, sans troubler l’aventure
De la belle aux cheveux d’or,
Sur ce cœur, si neuf encor,
L’amour fait une rature.

Et l’ancien amant ? Pâli,
Brisé, sans doute à cette heure,
Il se désespère et pleure…
Écoutez ce hallali.

Passez les monts et les plaines ;
La curée est dans les bois ;
Les chiens mêlent leurs abois,
Les fleurs mêlent leurs haleines ;

Le voyez-vous ? Le voilà.
Il est le centre. Il flamboie.
Il luit. Jamais plus de joie
Dans plus d’orgueil ne brilla.

Il brille au milieu des femmes,
Tous les yeux lui disant oui,
Comme un astre épanoui
Dans un triomphe de flammes.

Il cherche en face de lui
Un sourire peu sévère,
Il chante, il lève son verre,
Éblouissant, ébloui.

Tandis que ces gaîtés franches
Tourbillonnent à sa voix,
Elle, celle d’autrefois,
Là-bas, bien loin, sous les branches,

Dans les taillis hasardeux,
Aime, adore, se recueille,
Et, près de l’autre, elle effeuille
Une marguerite à deux.

Fatal cœur, comme tu changes !
Lui sans elle, elle sans lui !
Et sur leurs fronts sans ennui
Ils ont la clarté des anges.

Le séraphin à l’œil pur
Les verrait avec envie,
Tant à leur âme ravie
Se mêle un profond azur !

Sur ces deux bouches il semble
Que le ciel met son frisson ;
Sur l’une erre la chanson.
Sur l’autre le baiser tremble.

Ces êtres s’aimaient jadis ;
Mais qui viendrait le leur dire
Ferait éclater de rire
Ces bouches du paradis.

Les baisers de l’autre année,
Où sont-ils ? Quoi ! nul remord !
Non ! tout cet avril est mort,
Toute cette aube est fanée.

Bah ! le baiser, le serment,
Rien de tout cela n’existe.
Le myosotis, tout triste,
Y perdrait son allemand.

Elle ! à travers ses longs voiles,
Que son regard est charmant !
Lui ! comme il jette gaîment
Sa chanson dans les étoiles !

Qu’elle est belle ! Qu’il est beau !
Le morne oubli prend dans l’ombre,
Par degrés, l’épaisseur sombre
De la pierre du tombeau.

Remarque

Gagelin était une maison de soieries et de cachemire.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le donjon d'un château, avec ses tourelles, qui surgissent dans un bois, cachant un monstre "dans ces buissons".

XIX. Réponse à l’esprit des bois

Réponse à l’esprit des bois – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 961.

Réponse à l’esprit des bois – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Réponse à l’esprit des bois, poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre premier : Jeunesse, VI. L’Éternel Petit Roman, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVIII. Dénonciation de l’esprit des bois, et suivi de XX. Lettre.

Réponse à l’esprit des bois


Réponse à l’esprit des bois – Le texte

XIX
Réponse à l’esprit des bois


Nain qui me railles,
Gnome aperçu
Dans les broussailles,
Ailé, bossu ;

Face moisie,
Sur toi, boudeur,
La poésie
Tourne en laideur.

Magot de l’Inde,
Dieu d’Abydos,
Ce mont, le Pinde,
Est sur ton dos.

Ton nom est Fable.
Ton boniment
Quelquefois hâble
Et toujours ment.

Ta verve est faite
De ton limon,
Et le poëte
Sort du démon.

Monstre apocryphe,
Trouble-raisons,
On sent ta griffe
Dans ces buissons.

Tu me dénonces
Un rendez-vous,
Ô fils des ronces,
Frère des houx,

Et ta voix grêle
Vient accuser
D’un sourire, elle,
Lui, d’un baiser.

Quel vilain rôle !
Je n’en crois rien,
Vieux petit drôle
Aérien.

Reprends ta danse,
Spectre badin ;
Reçois quittance
De mon dédain

Où j’enveloppe
Tous tes aïeux
Depuis Ésope
Jusqu’à Mayeux.

Remarque

Mayeux : figure de petit-bourgeois vaniteux inventé par le caricaturiste Charles Traviès ((1804-1859). Évoqué par Hugo dans Les Misérables et dans La Forêt mouillée.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les tours d'un château qui apparaissent dans un bois, où le "ciel charmant se mire à la source".

XVIII. Dénonciation de l’esprit des bois

Dénonciation de l’esprit des bois – Les références

Les Chansons des rues et des boisLivre premier : JeunesseVI. L’Éternel Petit Roman ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 960.

Dénonciation de l’esprit des bois – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Dénonciation de l’esprit des bois, poème du recueil Les Chansons des rues et des bois, du Livre premier : Jeunesse, VI. L’Éternel Petit Roman, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVII. À un visiteur parisien, et suivi de XIX. Réponse à l’esprit des bois.

Dénonciation de l’esprit des bois


Dénonciation de l’esprit des bois – Le texte

XVIII
Dénonciation de l’esprit des bois


J’ai vu ton ami, j’ai vu ton amie ;
Mérante et Rosa ; vous n’étiez point trois.
Fils, ils ont produit une épidémie
De baisers parmi les nids de mon bois.

Ils étaient contents, le diable m’emporte !
Tu n’étais point là. Je les regardais.
Jadis on trompait Jupin de la sorte ;
Car parfois un dieu peut être un dadais.

Moi je suis très laid, j’ai l’épaule haute,
Mais, bah ! quand je peux, je ris de bon cœur.
Chacun a sa part ; on plane, je saute ;
Vous êtes les beaux, je suis le moqueur.

Quand le ciel charmant se mire à la source,
Quand les autres ont l’âme et le baiser,
Faire la grimace est une ressource.
N’étant pas heureux, il faut s’amuser.

Je dois t’avertir qu’un bois souvent couvre
Des détails, piquants pour Brantôme et Grimm,
Que les yeux sont faits pour qu’on les entr’ouvre,
Fils, et qu’une absence est un intérim.

Un cœur parfois trompe et se désabonne.
Qui veille a raison. Dieu, ce grand Bréguet,
Fit la confiance, et, la trouvant bonne,
L’améliora par un peu de guet.

Tu serais marmotte ou l’un des Quarante
Que tu ne pourrais dormir mieux que ça
Pendant que Rosa sourit à Mérante,
Pendant que Mérante embrasse Rosa.

Remarque

Bréguet, Abraham de son prénom, était un horloger et mécanicien célèbre, qui vécut de 1747 à 1823.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente, de façon abstraite, une cicatrice bleue sur une peau ocre sombre.

III. La Cicatrice

La Cicatrice – Les références

L’Art d’être grand-pèreVI. Grand Âge et Bas Âge mêlés ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 767.

La Cicatrice – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La Cicatrice, très court poème de la partie VI. Grand Âge et Bas Âge mêlés, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de II. Chant sur le berceau, non encore enregistré sur ce site, et suivi de IV. Une tape.

La Cicatrice


La Cicatrice – Le texte

III
La Cicatrice


Une croûte assez laide est sur la cicatrice.
Jeanne l’arrache, et saigne, et c’est là son caprice ;
Elle arrive, montrant son doigt presque en lambeau.
— J’ai, me dit-elle, ôté la peau de mon bobo. —
Je la gronde, elle pleure, et, la voyant en larmes,
Je deviens plat. — Faisons la paix, je rends les armes,
Jeanne, à condition que tu me souriras. —
Alors la douce enfant s’est jetée en mes bras,
Et m’a dit, de son air indulgent et suprême :
— Je ne me ferai plus de mal, puisque je t’aime. —
Et nous voilà contents, en ce tendre abandon,
Elle de ma clémence et moi de son pardon.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente, de façon abstraite, la confrontation du bleu "de droit céleste", de l' ocre, et du sombre.

V. Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé…

Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé… – Les références

L’Art d’être grand-pèreVI. Grand Âge et Bas Âge mêlés ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 768.

Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé…, poème de la partie VI. Grand Âge et Bas Âge mêlés, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de IV. Une tape et suivi de VI. Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir.

Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé…


Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé… – Le texte

V


Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé,
Étant femme, se sent reine ; tout l’A B C
Des femmes, c’est d’avoir des bras blancs, d’être belles,
De courber d’un regard les fronts les plus rebelles,
De savoir avec rien, des bouquets, des chiffons,
Un sourire, éblouir les cœurs les plus profonds,
D’être, à côté de l’homme ingrat, triste et morose,
Douces plus que l’azur, roses plus que la rose ;
Jeanne le sait ; elle a trois ans, c’est l’âge mûr ;
Rien ne lui manque ; elle est la fleur de mon vieux mur,
Ma contemplation, mon parfum, mon ivresse ;
Ma strophe, qui près d’elle a l’air d’une pauvresse,
L’implore, et reçoit d’elle un rayon ; et l’enfant
Sait déjà se parer d’un chapeau triomphant,
De beaux souliers vermeils, d’une robe étonnante ;
Elle a des mouvements de mouche frissonnante ;
Elle est femme, montrant ses rubans bleus ou verts,
Et sa fraîche toilette, et son âme au travers ;
Elle est de droit céleste et par devoir jolie ;
Et son commencement de règne est ma folie.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un animal à tête de crocodile, penché sur son tambour, les baguettes en main, en train d'en joue

VII. Chanson pour faire danser en rond les petits enfants

Chanson pour faire danser en rond les petits enfants – Les références

L’Art d’être grand-pèreVI. Grand Âge et Bas Âge mêlés ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 769.

Chanson pour faire danser en rond les petits enfants – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Chanson pour faire danser en rond les petits enfants, poème de la partie VI. Grand Âge et Bas Âge mêlés, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de VI. Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir et suivi de VIII. Le Pot cassé.

Chanson pour faire danser en rond les petits enfants


Chanson pour faire danser en rond les petits enfants – Le texte

VII
Chanson
Pour faire danser en rond
Les petits enfants


Grand bal sous le tamarin.
On danse et l’on tambourine.
Tout bas parlent, sans chagrin,
Mathurin à Mathurine,
Mathurine à Mathurin.

C’est le soir, quel joyeux train !
Chantons à pleine poitrine
Au bal plutôt qu’au lutrin.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Découpé comme au burin,
L’arbre, au bord de l’eau marine,
Est noir sur le ciel serein.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Dans le bois rôde Isengrin.
Le magister endoctrine
Un moineau pillant le grain.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Broutant l’herbe brin à brin,
Le lièvre a dans la narine
L’appétit du romarin.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Sous l’ormeau le pèlerin
Demande à la pèlerine
Un baiser pour un quatrain.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Derrière un pli de terrain,
Nous entendons la clarine
Du cheval d’un voiturin.
Mathurin a Mathurine,
Mathurine a Mathurin.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo, abstrait, représente des coulées verticales, depuis la plus sombres (bleu de Prusse) à gauche jusqu'à la plus blanche et lumineuse (proche de l'aurore) à droite.

IV. Une tape

Une tape – Les références

L’Art d’être grand-pèreVI. Grand Âge et Bas Âge mêlés ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 767.

Une tape – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Une tape, poème de la partie VI. Grand Âge et Bas Âge mêlés, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de III. La Cicatrice, non encore enregistré sur ce site, et suivi de V. Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé….

Une tape


Une tape – Le texte

IV
Une tape


De la petite main sort une grosse tape.
— Grand-père, grondez-la ! Quoi ! c’est vous qu’elle frappe !
Vous semblez avec plus d’amour la regarder !
Grondez donc ! — L’aïeul dit : — Je ne puis plus gronder !
Que voulez-vous ? Je n’ai gardé que le sourire.
Quand on a vu Judas trahir, Néron proscrire,
Satan vaincre, et régner les fourbes ténébreux,
Et quand on a vidé son cœur profond sur eux ;
Quand on a dépensé la sinistre colère ;
Quand, devant les forfaits que l’église tolère,
Que la chaire salue et que le prêtre admet,
On a rugi, debout sur quelque âpre sommet ;
Quand sur l’invasion monstrueuse du parthe,
Quand sur les noirs serments vomis par Bonaparte,
Quand sur l’assassinat des lois et des vertus,
Sur Paris sans Barbès, sur Rome sans Brutus,
Sur le tyran qui flotte et sur l’état qui sombre,
Triste, on a fait planer l’immense strophe sombre ;
Quand on a remué le plafond du cachot ;
Lorsqu’on a fait sortir tout le bruit de là-haut,
Les imprécations, les éclairs, les huées
De la caverne affreuse et sainte des nuées ;
Lorsqu’on a, dans des jours semblables à des nuits,
Roulé toutes les voix du gouffre, les ennuis,
Et les cris, et les pleurs pour la France trahie,
Et l’ombre, et Juvénal, augmenté d’Isaïe,
Et des écroulements d’iambes furieux
Ainsi que des rochers de haine dans les cieux ;
Quand on a châtié jusqu’aux morts dans leurs tombes ;
Lorsqu’on a puni l’aigle à cause des colombes,
Et souffleté Nemrod, César, Napoléon,
Qu’on a questionné même le Panthéon,
Et fait trembler parfois cette haute bâtisse ;
Quand on a fait sur terre et sous terre justice,
Et qu’on a nettoyé de miasmes l’horizon,
Dame ! on rentre un peu las, c’est vrai, dans sa maison ;
On ne se fâche pas des mouches familières ;
Les légers coups de bec qui sortent des volières,
Le doux rire moqueur des nids mélodieux,
Tous ces petits démons et tous ces petits dieux
Qu’on appelle marmots et bambins, vous enchantent ;
Même quand on les sent vous mordre, on croit qu’ils chantent.
Le pardon, quel repos ! Soyez Dante et Caton
Pour les puissants, mais non pour les petits. Va-t-on
Faire la grosse voix contre ce frais murmure ?
Va-t-on pour les moineaux endosser son armure ?
Bah ! contre de l’aurore est-ce qu’on se défend ?
Le tonnerre chez lui doit être bon enfant.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente "la brute hagarde", bec (à moins que ce soit une gueule ?) grand ouvert vers le ciel.

VI. À Jeanne

À Jeanne – Les références

L’Art d’être grand-pèreIV. Le Poëme du Jardin des plantes ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 748.

À Jeanne – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Jeanne, poème de la partie IV. Le Poëme du Jardin des plantes, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.

À Jeanne


À Jeanne – Le texte

VI
À Jeanne


Je ne te cache pas que j’aime aussi les bêtes ;
Cela t’amuse, et moi cela m’instruit ; je sens
Que ce n’est pas pour rien qu’en ces farouches têtes
Dieu met le clair-obscur des grands bois frémissants.

Je suis le curieux qui, né pour croire et plaindre,
Sonde, en voyant l’aspic sous des roses rampant,
Les sombres lois qui font que la femme doit craindre
Le démon, quand la fleur n’a pas peur du serpent.

Pendant que nous donnons des ordres à la terre,
Rois copiant le singe et par lui copiés,
Doutant s’il est notre œuvre ou s’il est notre père,
Tout en bas, dans l’horreur fatale, sous nos pieds,

On ne sait quel noir monde étonné nous regarde
Et songe, et sous un joug, trop souvent odieux,
Nous courbons l’humble monstre et la brute hagarde
Qui, nous voyant démons, nous prennent pour des dieux.

Oh ! que d’étranges lois ! quel tragique mélange !
Voit-on le dernier fait, sait-on le dernier mot,
Quel spectre peut sortir de Vénus, et quel ange
Peut naître dans le ventre affreux de Béhémoth ?

Transfiguration ! mystère ! gouffre et cîme !
L’âme rejettera le corps, sombre haillon ;
La créature abjecte un jour sera sublime,
L’être qu’on hait chenille on l’aime papillon.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la lune, "sombre sphère", et son "masque obscur qui fait le guet dans les nuages".

IV. — Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois…

— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois… – Les références

L’Art d’être grand-pèreIII. La Lune ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 737.

— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter — Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois…, quatrième et dernier poème de la partie III. La Lune, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?….

— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois…


— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois… – Le texte

IV


— Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois.
Il faut leur donner tout, les cerises des bois,
Les pommes du verger, les gâteaux de la table ;
S’ils entendent la voix des vaches dans l’étable,
Du lait ! vite ! et leurs cris sont comme une forêt
De Bondy quand un sac de bonbons apparaît.
Les voilà maintenant qui réclament la lune !

Pourquoi pas ? Le néant des géants m’importune ;
Moi j’admire, ébloui, la grandeur des petits.
Ah ! l’âme des enfants a de forts appétits,
Certe, et je suis pensif devant cette gourmande
Qui voit un univers dans l’ombre, et le demande.
La lune ! Pourquoi pas ? vous dis-je. Eh bien, après ?
Pardieu ! si je l’avais, je la leur donnerais.

C’est vrai, sans trop savoir ce qu’ils en pourraient faire,
Oui, je leur donnerais, lune, ta sombre sphère,
Ton ciel, d’où Swedenborg n’est jamais revenu,
Ton énigme, ton puits sans fond, ton inconnu !
Oui, je leur donnerais, en disant : Soyez sages !
Ton masque obscur qui fait le guet dans les nuages,
Tes cratères tordus par de noirs aquilons,
Tes solitudes d’ombre et d’oubli, tes vallons,
Peut-être heureux, peut-être affreux, édens ou bagnes,
Lune, et la vision de tes pâles montagnes.
Oui, je crois qu’après tout, des enfants à genoux
Sauraient mieux se servir de la lune que nous ;
Ils y mettraient leurs vœux, leur espoir, leur prière ;
Ils laisseraient mener par cette aventurière
Leurs petits cœurs pensifs vers le grand Dieu profond.
La nuit, quand l’enfant dort, quand ses rêves s’en vont,
Certes, ils vont plus loin et plus haut que les nôtres.
Je crois aux enfants comme on croyait aux apôtres ;
Et quand je vois ces chers petits êtres sans fiel
Et sans peur, désirer quelque chose du ciel,
Je le leur donnerais, si je l’avais. La sphère
Que l’enfant veut, doit être à lui, s’il la préfère.
D’ailleurs, n’avez-vous rien au delà de vos droits ?
Oh ! je voudrais bien voir, par exemple, les rois
S’étonner que des nains puissent avoir un monde !
Oui, je vous donnerais, anges à tête blonde,
Si je pouvais, à vous qui régnez par l’amour,
Ces univers baignés d’un mystérieux jour,
Conduits par des esprits que l’ombre a pour ministres,
Et l’énorme rondeur des planètes sinistres.
Pourquoi pas ? Je me fie à vous, car je vous vois,
Et jamais vous n’avez fait de mal. Oui, parfois,
En songeant à quel point c’est grand, l’âme innocente,
Quand ma pensée au fond de l’infini s’absente,
Je me dis, dans l’extase et dans l’effroi sacré,
Que peut-être, là-haut, il est, dans l’Ignoré,
Un dieu supérieur aux dieux que nous rêvâmes,
Capable de donner des astres à des âmes.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la lune "dans le ciel" vue de la terre. En bas, à droite, on aperçoit sa surface, parsemée de cratères. En bas à gauche, les créneaux d'une tour ?

III. Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?…

Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?… – Les références

L’Art d’être grand-pèreIII. La Lune ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 737.

Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?…, troisième poème de la partie III. La Lune, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de Choses du soir et suivi de — Oh ! comme ils sont goulus ! dit la mère parfois….

Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?…


Ah ! Vous voulez la lune ? Où ? Dans le fond du puits ?… – Le texte

III


Ah ! vous voulez la lune ? Où ? dans le fond du puits ?
Non ; dans le ciel. Eh bien, essayons. Je ne puis.
Et c’est ainsi toujours. Chers petits, il vous passe
Par l’esprit de vouloir la lune, et dans l’espace
J’étends mes mains, tâchant de prendre au vol Phoebé.
L’adorable hasard d’être aïeul est tombé
Sur ma tête, et m’a fait une douce fêlure.
Je sens en vous voyant que le sort put m’exclure
Du bonheur, sans m’avoir tout à fait abattu.
Mais causons. Voyez-vous, vois-tu, Georges, vois-tu,
Jeanne ? Dieu nous connaît, et sait ce qu’ose faire
Un aïeul, car il est lui-même un peu grand-père ;
Le bon Dieu, qui toujours contre nous se défend,
Craint ceci : le vieillard qui veut plaire à l’enfant ;
Il sait que c’est ma loi qui sort de votre bouche,
Et que j’obéirais ; il ne veut pas qu’on touche
Aux étoiles, et c’est pour en être bien sûr
Qu’il les accroche aux clous les plus hauts de l’azur.