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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente le choc de deux ombres menaçantes, l'une plus noire que l'autre, au-dessus d'une petite tache sombre.

V. Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire…

Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire… – Les références

ChâtimentsLivre V – L’Autorité est sacrée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 114.

Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire… – Enregistrement

Je vous invite à écouter le poème Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire…, du Livre V – L’Autorité est sacrée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.
Il est suivi de On est Tibère, on est Judas, on est Dracon….

Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire…


Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire… – Le texte

V


Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire !
Puissance, liberté, vieil honneur militaire,
Principes, droits, pensée, ils font en ce moment
De toute cette gloire un vaste abaissement.
Toute leur confiance est dans leur petitesse.
Ils disent, se sentant d’une chétive espèce :
— Bah ! nous ne pesons rien ! régnons. ─ Les nobles cœurs !
Ils ne savent donc pas, ces pauvres nains vainqueurs,
Sautés sur le pavois du fond d’une caverne,
Que lorsque c’est un peuple illustre qu’on gouverne,
Un peuple en qui l’honneur résonne et retentit,
On est d’autant plus lourd que l’on est plus petit !
Est-ce qu’ils vont changer, est-ce là notre compte ?
Ce pays de lumière en un pays de honte ?
Il est dur de penser, c’est un souci profond,
Qu’ils froissent dans les cœurs, sans savoir ce qu’ils font,
Les instincts les plus fiers et les plus vénérables.
Ah ! ces hommes maudits, ces hommes misérables
Éveilleront enfin quelque rébellion
À force de courber la tête du lion !
La bête est étendue à terre, et fatiguée ;
Elle sommeille au fond de l’ombre reléguée ;
Le mufle fauve et roux ne bouge pas, d’accord ;
C’est vrai, la patte énorme et monstrueuse dort ;
Mais on l’excite assez pour que la griffe sorte.
J’estime qu’ils ont tort de jouer de la sorte.

Jersey, juin 1853

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un château fort au pied duquel est un affreux cimetière. De la croix s'échappe une nuée sombre qui se dirige vers le castel.

I. Le sacre

Le sacre – Les références

ChâtimentsLivre V – L’Autorité est sacrée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 109.

Le sacre – Enregistrement

Je vous invite à écouter deux interprétations du premier poème, Le sacre, du Livre V – L’Autorité est sacrée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.

Le sacre – Première interprétation


Le sacre – Deuxième interprétation


Le sacre – Le texte

I
Le sacre
– Sur l’air de Malbrouck –


Dans l’affreux cimetière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Dans l’affreux cimetière
Frémit le nénuphar.

Castaing lève sa pierre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Castaing lève sa pierre
Dans l’herbe de Clamar,

Et crie et vocifère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Et crie et vocifère :
Je veux être César !

Cartouche en son suaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Cartouche en son suaire
S’écrie ensanglanté :

— Je veux aller sur terre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux aller sur terre
Pour être majesté !

Mingrat monte à sa chaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Mingrat monte à sa chaire,
Et dit, sonnant le glas :

— Je veux, dans l’ombre où j’erre,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Je veux, dans l’ombre où j’erre
Avec mon coutelas,

Être appelé : mon frère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Être appelé : mon frère,
Par le czar Nicolas !

Poulmann, dans l’ossuaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Poulmann dans l’ossuaire
S’éveillant en fureur,

Dit à Mandrin : — compère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Dit à Mandrin : — compère,
Je veux être empereur !

— Je veux, dit Lacenaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
— Je veux, dit Lacenaire,
Être empereur et roi !

Et Soufflard déblatère,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Et Soufflard déblatère,
Hurlant comme un beffroi :

— Au lieu de cette bière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Au lieu de cette bière,
Je veux le Louvre, moi !

Ainsi, dans leur poussière,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Ainsi, dans leur poussière,
Parlent les chenapans.

— Çà, dit Robert Macaire,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
— Çà, dit Robert Macaire,
Pourquoi ces cris de paons ?

Pourquoi cette colère ?
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Pourquoi cette colère ?
Ne sommes-nous pas rois ?

Regardez, le saint-père,
Paris tremble, ô douleur, ô misère !
Regardez, le saint-père,
Portant sa grande croix,

Nous sacre tous ensemble,
Ô misère, ô douleur, Paris tremble !
Nous sacre tous ensemble
Dans Napoléon-trois !

Jersey, juillet 1853

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente, sur la droite, un fantôme portant un singe sur son épaule ; à gauche, une forme enjambe une tête couchée.

III. Fable ou Histoire

Fable ou Histoire – Les références

ChâtimentsLivre III – La Famille est restaurée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 65.

Fable ou Histoire – Enregistrement

Je vous invite à écouter Fable ou Histoire, un poème du Livre III – La Famille est restaurée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.

Fable ou Histoire


Fable ou Histoire – Le texte

III
Fable ou Histoire

Un jour, maigre et sentant un royal appétit,
Un singe d’une peau de tigre se vêtit.
Le tigre avait été méchant, lui fut atroce.
Il avait endossé le droit d’être féroce.
Il se mit à grincer des dents, criant : je suis
Le vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits !
Il s’embusqua, brigand des bois, dans les épines ;
Il entassa l’horreur, le meurtre, les rapines,
Égorgea les passants, dévasta la forêt,
Fit tout ce qu’avait fait la peau qui le couvrait.
Il vivait dans un antre, entouré de carnage.
Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.
Il s’écriait, poussant d’affreux rugissements :
Regardez, ma caverne est pleine d’ossements ;
Devant moi tout recule et frémit, tout émigre,
Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre !
Les bêtes l’admiraient, et fuyaient à grands pas.
Un belluaire vint, le saisit dans ses bras,
Déchira cette peau comme on déchire un linge,
Mit à nu ce vainqueur, et dit : tu n’es qu’un singe !

Jersey, septembre 1852.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un sommet illuminé par le "resplendissement farouche de la peine".

XXXII. Parfois c’est un devoir de féconder l’horreur…

Parfois c’est un devoir de féconder l’horreur… – Les références

Les Quatre Vents de l’espritLe Livre satirique – Le Siècle ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 1167.

Parfois c’est un devoir de féconder l’horreur… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Parfois c’est un devoir de féconder l’horreur…, un poème du Livre satirique – Le Siècle, du recueil Les Quatre Vents de l’esprit, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXXI. Le vieil esprit de nuit, d’ignorance et de haine…, enregistré le jour des événements du 7 janvier 2015, et suivi de XXXIII. C’est bien ; puisqu’au sénat, puisqu’à la pourriture…, non encore enregistré sur ce site.

Parfois c’est un devoir de féconder l’horreur…


Parfois c’est un devoir de féconder l’horreur… – Le texte

XXXII


Parfois c’est un devoir de féconder l’horreur.
Il convient qu’un feu sombre éclaire un empereur.
J’ai fait Les Châtiments. J’ai dû faire ce livre.
Moi que toute blancheur et toute grâce enivre,
Je me suis approché de la haine à regret.
J’ai senti qu’il fallait, quand l’honneur émigrait,
Mettre au-dessus du crime, en une ombre sereine,
Le resplendissement farouche de la peine,
Et j’ai fait flamboyer ce livre dans les cieux.
Haïr m’est dur. Mais quoi ! lorsqu’un séditieux
Interrompt du progrès les glorieuses tâches,
Tue un peuple, et devient l’infâme dieu des lâches,
Il faut qu’une lueur s’allume au firmament.
J’ai donc mis des rayons dans un livre inclément ;
J’ai soulevé du mal l’immense et triste voile ;
J’ai violé la nuit pour lui faire une étoile.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la face, vue de profil (sic), d'un lion avec une couronne sur sa crinière.

IX. La face de la bête est terrible ; on y sent…

La face de la bête est terrible ; on y sent… – Les références

L’Art d’être grand-pèreIV. Le Poëme du Jardin des plantes ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 754.

La face de la bête est terrible ; on y sent… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter La face de la bête est terrible ; on y sent…, poème de la partie IV. Le Poëme du Jardin des plantes, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.

La face de la bête est terrible ; on y sent…


La face de la bête est terrible ; on y sent… – Le texte

IX


La face de la bête est terrible ; on y sent
L’Ignoré, l’éternel problème éblouissant
Et ténébreux, que l’homme appelle la Nature ;
On a devant soi l’ombre informe, l’aventure
Et le joug, l’esclavage et la rébellion,
Quand on voit le visage effrayant du lion ;
Le monstre orageux, rauque, effréné, n’est pas libre,
Ô stupeur ! et quel est cet étrange équilibre
Composé de splendeur et d’horreur, l’univers,
Où règne un Jéhovah dont Satan est l’envers ;
Où les astres, essaim lumineux et livide,
Semblent pris dans un bagne, et fuyant dans le vide,
Et jetés au hasard comme on jette les dés,
Et toujours à la chaîne et toujours évadés ?
Quelle est cette merveille effroyable et divine
Où, dans l’éden qu’on voit, c’est l’enfer qu’on devine,
Où s’éclipse, ô terreur, espoirs évanouis,
L’infini des soleils sous l’infini des nuits,
Où, dans la brute, Dieu disparaît et s’efface ?
Quand ils ont devant eux le monstre face à face,
Les mages, les songeurs vertigineux des bois,
Les prophètes blêmis à qui parlent des voix,
Sentent on ne sait quoi d’énorme dans la bête ;
Pour eux l’amer rictus de cette obscure tête,
C’est l’abîme, inquiet d’être trop regardé,
C’est l’éternel secret qui veut être gardé
Et qui ne laisse pas entrer dans ses mystères
La curiosité des pâles solitaires ;
Et ces hommes, à qui l’ombre fait des aveux,
Sentent qu’ici le sphinx s’irrite, et leurs cheveux
Se dressent, et leur sang dans leurs veines se fige
Devant le froncement de sourcil du prodige.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente son nom, "VICTOR HUGO" dessiné sur une ombre réalisée au pochoir.

IX. Je prendrai par la main les deux petits enfants…

Je prendrai par la main les deux petits enfants… – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 725.

Je prendrai par la main les deux petits enfants… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Je prendrai par la main les deux petits enfants…, poème de la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de VIII. Lætitia rerum et suivi de X. Printemps.

Je prendrai par la main les deux petits enfants…


Je prendrai par la main les deux petits enfants… – Le texte

IX


Je prendrai par la main les deux petits enfants ;
J’aime les bois où sont les chevreuils et les faons,
Où les cerfs tachetés suivent les biches blanches
Et se dressent dans l’ombre effrayés par les branches ;
Car les fauves sont pleins d’une telle vapeur
Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur.
Les arbres ont cela de profond qu’ils vous montrent
Que l’éden seul est vrai, que les cœurs s’y rencontrent,
Et que, hors les amours et les nids, tout est vain ;
Théocrite souvent dans le hallier divin
Crut entendre marcher doucement la ménade.
C’est là que je ferai ma lente promenade
Avec les deux marmots. J’entendrai tour à tour
Ce que Georges conseille à Jeanne, doux amour,
Et ce que Jeanne enseigne à George. En patriarche
Que mènent les enfants, je réglerai ma marche
Sur le temps que prendront leurs jeux et leurs repas,
Et sur la petitesse aimable de leurs pas.
Ils cueilleront des fleurs, ils mangeront des mûres.
Ô vaste apaisement des forêts ! ô murmures !
Avril vient calmer tout, venant tout embaumer.
Je n’ai point d’autre affaire ici-bas que d’aimer.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente la silhouette du donjon d'un château fort. Il s'agit là d'un pochoir.

VI. Georges et Jeanne

Georges et Jeanne – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 721.

Georges et Jeanne – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Georges et Jeanne, poème de la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de V. L’autre et suivi de VII. Parfois, je me sens pris d’horreur pour cette terre….

L’autre


Georges et Jeanne – Le texte

VI
Georges et Jeanne


Moi qu’un petit enfant rend tout à fait stupide,
J’en ai deux ; George et Jeanne ; et je prends l’un pour guide
Et l’autre pour lumière, et j’accours à leur voix,
Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois.
Leurs essais d’exister sont divinement gauches ;
On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches,
Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit ;
Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit,
Moi dont le destin pâle et froid se décolore,
J’ai l’attendrissement de dire : Ils sont l’aurore.
Leur dialogue obscur m’ouvre des horizons ;
Ils s’entendent entr’eux, se donnent leurs raisons.
Jugez comme cela disperse mes pensées.
En moi, désirs, projets, les choses insensées,
Les choses sages, tout, à leur tendre lueur,
Tombe, et je ne suis plus qu’un bonhomme rêveur.
Je ne sens plus la trouble et secrète secousse
Du mal qui nous attire et du sort qui nous pousse.
Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis.
Je les regarde, et puis je les écoute, et puis
Je suis bon, et mon cœur s’apaise en leur présence ;
J’accepte les conseils sacrés de l’innocence,
Je fus toute ma vie ainsi ; je n’ai jamais
Rien connu, dans les deuils comme sur les sommets,
De plus doux que l’oubli qui nous envahit l’âme
Devant les êtres purs d’où monte une humble flamme ;
Je contemple, en nos temps souvent noirs et ternis,
Ce point du jour qui sort des berceaux et des nids.

Le soir je vais les voir dormir. Sur leurs fronts calmes,
Je distingue ébloui l’ombre que font les palmes
Et comme une clarté d’étoile à son lever,
Et je me dis : À quoi peuvent-ils donc rêver ?
Georges songe aux gâteaux, aux beaux jouets étranges,
Au chien, au coq, au chat ; et Jeanne pense aux anges.
Puis, au réveil, leurs yeux s’ouvrent, pleins de rayons.

Ils arrivent, hélas ! à l’heure où nous fuyons.

Ils jasent. Parlent-ils ? Oui, comme la fleur parle
À la source des bois ; comme leur père Charle,
Enfant, parlait jadis à leur tante Dédé ;
Comme je vous parlais, de soleil inondé,
Ô mes frères, au temps où mon père, jeune homme,
Nous regardait jouer dans la caserne, à Rome,
À cheval sur sa grande épée, et tout petits.
Jeanne qui dans les yeux a le myosotis,
Et qui, pour saisir l’ombre entr’ouvrant ses doigts frêles,
N’a presque pas de bras ayant encor des ailes,
Jeanne harangue, avec des chants où flotte un mot,
Georges beau comme un dieu qui serait un marmot.
Ce n’est pas la parole, ô ciel bleu, c’est le verbe ;
C’est la langue infinie, innocente et superbe
Que soupirent les vents, les forêts et les flots ;
Les pilotes Jason, Palinure et Typhlos
Entendaient la sirène avec cette voix douce
Murmurer l’hymne obscur que l’eau profonde émousse ;
C’est la musique éparse au fond du mois de mai
Qui fait que l’un dit : J’aime, et l’autre, hélas : J’aimai ;
C’est le langage vague et lumineux des êtres
Nouveau-nés, que la vie attire à ses fenêtres,
Et qui, devant avril, éperdus, hésitants,
Bourdonnent à la vitre immense du printemps.
Ces mots mystérieux que Jeanne dit à George,
C’est l’idylle du cygne avec le rouge-gorge,
Ce sont les questions que les abeilles font,
Et que le lys naïf pose au moineau profond ;
C’est ce dessous divin de la vaste harmonie,
Le chuchotement, l’ombre ineffable et bénie
Jasant, balbutiant des bruits de vision,
Et peut-être donnant une explication ;
Car les petits enfants étaient hier encore
Dans le ciel, et savaient ce que la terre ignore.
Ô Jeanne ! Georges ! voix dont j’ai le cœur saisi !
Si les astres chantaient, ils bégaieraient ainsi.
Leur front tourné vers nous nous éclaire et nous dore.
Oh ! d’où venez-vous donc, inconnus qu’on adore ?
Jeanne a l’air étonné ; George a les yeux hardis.
Ils trébuchent, encore ivres du paradis.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une tête de monstre inclinée vers le bas. Il s'agit là d'un pochoir.

V. L’autre

L’autre – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 720.

L’autre – L’enregistrement

Je vous invite à écouter L’autre, poème de la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de IV. Victor, sed victus et suivi de VI. Georges et Jeanne.

L’autre


L’autre – Le texte

V
L’autre


Viens, mon George. Ah ! les fils de nos fils nous enchantent,
Ce sont de jeunes voix matinales qui chantent.
Ils sont dans nos logis lugubres le retour
Des roses, du printemps, de la vie et du jour !
Leur rire nous attire une larme aux paupières
Et de notre vieux seuil fait tressaillir les pierres ;
De la tombe entr’ouverte et des ans lourds et froids
Leur regard radieux dissipe les effrois ;
Ils ramènent notre âme aux premières années ;
Ils font rouvrir en nous toutes nos fleurs fanées ;
Nous nous retrouvons doux, naïfs, heureux de rien ;
Le cœur serein s’emplit d’un vague aérien ;
En les voyant on croit se voir soi-même éclore ;
Oui, devenir aïeul, c’est rentrer dans l’aurore.
Le vieillard gai se mêle aux marmots triomphants.
Nous nous rapetissons dans les petits enfants.
Et, calmés, nous voyons s’envoler dans les branches
Notre âme sombre avec toutes ces âmes blanches.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les ondes émises par la voix du poète s'adressant au monde, du haut vers le bas, là où apparaît la terre.

IV. Victor, sed victus

Victor, sed victus – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 719.

Victor, sed victus – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Victor, sed victus, poème de la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de III. Jeanne fait son entrée et suivi de V. L’autre.

Victor, sed victus


Victor, sed victus – Le texte

IV
Victor, sed victus


Je suis, dans notre temps de chocs et de fureurs,
Belluaire, et j’ai fait la guerre aux empereurs ;
J’ai combattu la foule immonde des Sodomes ;
Des millions de flots et des millions d’hommes
Ont rugi contre moi sans me faire céder ;
Tout le gouffre est venu m’attaquer et gronder,
Et j’ai livré bataille aux vagues écumantes,
Et sous l’énorme assaut de l’ombre et des tourmentes
Je n’ai pas plus courbé la tête qu’un écueil ;
Je ne suis pas de ceux qu’effraie un ciel en deuil,
Et qui, n’osant sonder les styx et les avernes,
Tremblent devant la bouche obscure des cavernes ;
Quand les tyrans lançaient sur nous, du haut des airs,
Leur noir tonnerre ayant des crimes pour éclairs,
J’ai jeté mon vers sombre à ces passants sinistres ;
J’ai traîné tous les rois avec tous leurs ministres,
Tous les faux dieux avec tous les principes faux,
Tous les trônes liés à tous les échafauds,
L’erreur, le glaive infâme et le sceptre sublime,
J’ai traîné tout cela pêle-mêle à l’abîme ;
J’ai devant les césars, les princes, les géants
De la force debout sur l’amas des néants,
Devant tous ceux que l’homme adore, exècre, encense,
Devant les Jupiters de la toute-puissance,
Été quarante ans fier, indompté, triomphant ;
Et me voilà vaincu par un petit enfant.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente, de façon abstraite, le gazouillement de Jeanne perçu par "Dieu, le bon vieux grand-père", sous forme d'ondes émises, à gauche, en direction d'une sphère située à droite.

III. Jeanne fait son entrée

Jeanne fait son entrée – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 719.

Jeanne fait son entrée – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Jeanne fait son entrée, poème de la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de II. Qu’est-ce que cette terre ? Une tempête d’âme… et suivi de IV. Victor, sed victus.

Jeanne fait son entrée


Jeanne fait son entrée – Le texte

III
Jeanne fait son entrée


Jeanne parle ; elle dit des choses qu’elle ignore ;
Elle envoie à la mer qui gronde, au bois sonore,
À la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament,
À l’immense nature un doux gazouillement,
Tout un discours, profond peut-être, qu’elle achève
Par un sourire où flotte une âme, où tremble un rêve,
Murmure indistinct, vague, obscur, confus, brouillé.
Dieu, le bon vieux grand-père, écoute émerveillé.