Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un édifice oriental, dans une grande plaine, au bord d'un lac. L'ombre d'Abd-el-Kader place dans les cieux.

VI. Orientale

Orientale – Les références

ChâtimentsLivre III – La Famille est restaurée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 69.

Orientale – Enregistrement

Je vous invite à écouter Orientale, un poème du Livre III – La Famille est restaurée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.
Il est suivi de Un Bon Bourgeois dans sa maison.

Orientale


Orientale – Le texte

VI
Orientale

Lorsque Abd-el-Kader dans sa geôle
Vit entrer l’homme aux yeux étroits
Que l’histoire appelle – ce drôle, –
Et Troplong – Napoléon trois ; –

Qu’il vit venir, de sa croisée,
Suivi du troupeau qui le sert,
L’homme louche de l’Elysée, –
Lui, l’homme fauve du désert ;

Lui, le sultan né sous les palmes,
Le compagnon des lions roux,
Le hadji farouche aux yeux calmes,
L’émir pensif, féroce et doux,

Lui, sombre et fatal personnage
Qui, spectre pâle au blanc burnous,
Bondissait, ivre de carnage,
Puis tombait dans l’ombre à genoux ;

Qui, de sa tente ouvrant les toiles,
Et priant au bord du chemin,
Tranquille, montrait aux étoiles
Ses mains teintes de sang humain ;

Qui donnait à boire aux épées,
Et qui, rêveur mystérieux,
Assis sur des têtes coupées,
Contemplait la beauté des cieux ;

Voyant ce regard fourbe et traître,
Ce front bas, de honte obscurci,
Lui, le beau soldat, le beau prêtre,
Il dit : quel est cet homme-ci ?

Devant ce vil masque à moustaches,
Il hésita ; mais on lui dit :
« Regarde, émir, passer les haches !
» Cet homme, c’est César bandit.

» Écoute ces plaintes amères
» Et cette clameur qui grandit.
» Cet homme est maudit par les mères,
» Par les femmes il est maudit ;

» Il les fait veuves, il les navre ;
» Il prit la France et la tua,
» Il ronge à présent son cadavre. »
Alors le hadji salua.

Mais au fond toutes ses pensées
Méprisaient le sanglant gredin ;
Le tigre aux narines froncées
Flairait ce loup avec dédain.

Jersey, novembre 1852.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une tour sombre qui se dresse à gauche, au-dessus d'une ville. Une église apparaît dans le coin droit, en silhouette, et le clocher d'une autre, blanche, juste en dessous.

I. Apothéose

Apothéose – Les références

ChâtimentsLivre III – La Famille est restaurée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 63.

Apothéose – Enregistrement

Je vous invite à écouter Apothéose, premier poème du Livre III – La Famille est restaurée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.

Apothéose


Apothéose – Le texte

I
Apothéose

Méditons. Il est bon que l’esprit se repaisse
De ces spectacles-là. L’on n’était qu’une espèce
De perroquet ayant un grand nom pour perchoir ;
Pauvre diable de prince, usant son habit noir,
Auquel mil huit cent quinze avait coupé les vivres.
On n’avait pas dix sous, on emprunte cinq livres.
Maintenant, remarquons l’échelle, s’il vous plaît :
De l’écu de cinq francs on s’élève au billet
Signé Garat ; bravo ! puis du billet de banque
On grimpe au million, rapide saltimbanque ;
Le million gobé fait mordre au milliard.
On arrive au lingot en partant du liard.
Puis carrosses, palais, bals, festins, opulence ;
On s’attable au pouvoir et l’on mange la France.
C’est ainsi qu’un filou devient homme d’État.

Qu’a-t-il fait ? Un délit ? Fi donc ! un attentat ;
Un grand acte, un massacre, un admirable crime
Auquel la Haute-cour prête serment. L’abîme
Se referme en poussant un grognement bourru.
La Révolution sous terre a disparu
En laissant derrière elle une senteur de soufre.
Romieu montre la trappe et dit : Voyez le gouffre !
Vivat Mascarillus ! roulement de tambours.
On tient sous le bâton parqués dans les faubourgs
Les ouvriers ainsi que des noirs dans leurs cases.
Paris sur ses pavés voit neiger les ukases ;
La Seine devient glace autant que la Néva.
Quant au maître, il triomphe ; il se promène, va
De préfet en préfet, vole de maire en maire,
Orné du Deux-Décembre, du Dix-huit Brumaire,
Bombardé de bouquets, voituré dans des chars,
Laid, joyeux, salué par des chœurs de mouchards.
Puis il rentre empereur au Louvre, il parodie
Napoléon, il lit l’histoire, il étudie
L’honneur et la vertu dans Alexandre six ;
Il s’installe au palais du spectre Médicis ;
Il quitte par moments sa pourpre ou sa casaque,
Flâne autour du bassin en pantalon cosaque,
Et riant, et semant les miettes sur ses pas,
Donne aux poissons le pain que les proscrits n’ont pas.
La caserne l’adore, on le bénit au prône ;
L’Europe est sous ses pieds et tremble sous son trône ;
Il règne par la mitre et par le hausse-col.
Ce trône a trois degrés : parjure, meurtre et vol.

Ô Carrare ! ô Paros ! ô marbres pentéliques !
Ô tous les vieux héros des vieilles républiques !
Ô tous les dictateurs de l’empire latin !
Le moment est venu d’admirer le destin,
Voici qu’un nouveau dieu monte au fronton du temple.
Regarde, peuple, et toi, froide histoire, contemple.
Tandis que nous, martyrs du droit, nous expions,
Avec les Périclès, avec les Scipions,
Sur les frises où sont les victoires aptères,
Au milieu des césars trainés par des panthères,
Vêtus de pourpre et ceints du laurier souverain,
Parmi les aigles d’or et les louves d’airain,
Comme un astre apparaît parmi ses satellites,
Voici qu’à la hauteur des empereurs stylites,
Entre Auguste à l’œil calme et Trajan au front pur,
Resplendit, immobile en l’éternel azur,
Sur vous, ô panthéons, sur vous, ô propylées,
Robert Macaire avec ses bottes éculées !

Jersey, décembre 1852.

Remarques

Les victoires aptères sont des statues de la Victoire privées d’ailes.
Carrare, Paros et Pentélique sont des lieux célèbres pour leurs marbres. Le marbre pentélique est celui utilisé pour construire l’Acropole. Sa restauration, actuellement, se fait avec le même.
Catherine de Médicis, instigatrice du massacre de la Saint-Barthélémy, a commencé en 1564 la construction du palais des Tuileries.
En janvier 1852, il fit à Paris un froid inhabituel. Ceci explique le vers La Seine devient glace autant que la Néva.
Le bandit Robert Macaire est le héros du mélodrame L’Auberge des Adrets. Frédérick Lemaître, acteur admiré par Victor Hugo, en avait fait un personnage emblématique.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente, sur la droite, un fantôme portant un singe sur son épaule ; à gauche, une forme enjambe une tête couchée.

III. Fable ou Histoire

Fable ou Histoire – Les références

ChâtimentsLivre III – La Famille est restaurée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 65.

Fable ou Histoire – Enregistrement

Je vous invite à écouter Fable ou Histoire, un poème du Livre III – La Famille est restaurée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.

Fable ou Histoire


Fable ou Histoire – Le texte

III
Fable ou Histoire

Un jour, maigre et sentant un royal appétit,
Un singe d’une peau de tigre se vêtit.
Le tigre avait été méchant, lui fut atroce.
Il avait endossé le droit d’être féroce.
Il se mit à grincer des dents, criant : je suis
Le vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits !
Il s’embusqua, brigand des bois, dans les épines ;
Il entassa l’horreur, le meurtre, les rapines,
Égorgea les passants, dévasta la forêt,
Fit tout ce qu’avait fait la peau qui le couvrait.
Il vivait dans un antre, entouré de carnage.
Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.
Il s’écriait, poussant d’affreux rugissements :
Regardez, ma caverne est pleine d’ossements ;
Devant moi tout recule et frémit, tout émigre,
Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre !
Les bêtes l’admiraient, et fuyaient à grands pas.
Un belluaire vint, le saisit dans ses bras,
Déchira cette peau comme on déchire un linge,
Mit à nu ce vainqueur, et dit : tu n’es qu’un singe !

Jersey, septembre 1852.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente quatre têtes grotesques liées les unes aux autres par un seul trait (ou presque).

VII. Un bon bourgeois dans sa maison

Un bon bourgeois dans sa maison – Les références

ChâtimentsLivre III – La Famille est restaurée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 70.

Un bon bourgeois dans sa maison – Enregistrement

Je vous invite à écouter deux versions d’Un bon bourgeois dans sa maison, un poème du Livre III – La Famille est restaurée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.
Il est précédé du poème Orientale.

Un bon bourgeois dans sa maison


Un bon bourgeois dans sa maison (autre version)


Un bon bourgeois dans sa maison – Le texte

VII
Un bon bourgeois dans sa maison

Mais que je suis donc heureux d’être né en Chine ! Je possède une maison pour m’abriter, j’ai de quoi manger et boire, j’ai toutes les commodités de l’existence, j’ai des habits, des bonnets et une multitude d’agréments ; en vérité, la félicité la plus grande est mon partage !
THIEN-KI-CHI, Lettré chinois.


Il est certains bourgeois, prêtres du dieu Boutique,
Plus voisins de Chrysès que de Caton d’Utique,
Mettant par-dessus tout la rente et le coupon,
Qui, voguant à la Bourse et tenant un harpon,
Honnêtes gens d’ailleurs, mais de la grosse espèce,
Acceptent Phalaris par amour pour leur caisse,
Et le taureau d’airain à cause du veau d’or.
Ils ont voté. Demain ils voteront encor.
Si quelque libre écrit entre leurs mains s’égare,
Les pieds sur les chenets et fumant son cigare,
Chacun de ces votants tout bas raisonne ainsi :
– Ce livre est fort choquant. De quel droit celui-ci
Est-il généreux, ferme et fier, quand je suis lâche ?
En attaquant monsieur Bonaparte, on me fâche.
Je pense comme lui que c’est un gueux ; pourquoi
Le dit-il ? Soit, d’accord, Bonaparte est sans foi
Ni loi ; c’est un parjure, un brigand, un faussaire,
C’est vrai ; sa politique est armée en corsaire ;
Il a banni jusqu’à des juges suppléants ;
Il a coupé leur bourse aux princes d’Orléans ;
C’est le pire gredin qui soit sur cette terre ;
Mais puisque j’ai voté pour lui, l’on doit se taire.
Écrire contre lui, c’est me blâmer au fond ;
C’est me dire : voilà comment les braves font ;
Et c’est une façon, à nous qui restons neutres,
De nous faire sentir que nous sommes des pleutres.
J’en conviens, nous avons une corde au poignet.
Que voulez-vous ? la Bourse allait mal ; on craignait
La république rouge, et même un peu la rose ;
Il fallait bien finir par faire quelque chose ;
On trouve ce coquin, on le fait empereur ;
C’est tout simple. – On voulait éviter la terreur,
Le spectre de monsieur Romieu, la jacquerie ;
On s’est réfugié dans cette escroquerie.
Or, quand on dit du mal de ce gouvernement,
Je me sens chatouillé désagréablement.
Qu’on fouaille avec raison cet homme, c’est possible ;
Mais c’est m’insinuer à moi, bourgeois paisible
Qui fit ce scélérat empereur ou consul,
Que j’ai dit oui par peur et vivat par calcul.
Je trouve impertinent, parbleu, qu’on me le dise.
M’étant enseveli dans cette couardise,
Il me déplaît qu’on soit intrépide aujourd’hui,
Et je tiens pour affront le courage d’autrui. –

Penseurs, quand vous marquez au front l’homme punique
Qui de la loi sanglante arracha la tunique,
Quand vous vengez le peuple à la gorge saisi,
Le serment et le droit, vous êtes, songez-y,
Entre Sbogar qui règne et Géronte qui vote ;
Et votre plume ardente, anarchique, indévote,
Démagogique, impie, attente d’un côté
À ce crime ; de l’autre, à cette lâcheté.

Jersey, novembre 1852.

Remarques

Il y a deux enregistrements. Dans le premier, il y a une erreur prosodique de diction et un lapsus intervertissant un « b » et un « g ». Saurez-vous les découvrir ?
Je vous invite à comparer ces deux enregistrements pour ce faire.