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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une gerbe, qui jaillit des plumes d'un oiseau, tandis que lisent des enfants (que l'on ne voit pas).

X. Aux Feuillantines

Aux Feuillantines – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 441.

Aux Feuillantines – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Aux Feuillantines, un poème des Contemplations, du cinquième livre, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. Le Mendiant et suivi de XI. Ponto.

Aux Feuillantines


Aux Feuillantines – Le texte

X
Aux Feuillantines


Mes deux frères et moi, nous étions tout enfants.
Notre mère disait : « Jouez, mais je défends
« Qu’on marche dans les fleurs et qu’on monte aux échelles. »

Abel était l’aîné, j’étais le plus petit.
Nous mangions notre pain de si bon appétit,
Que les femmes riaient quand nous passions près d’elles.

Nous montions pour jouer au grenier du couvent.
Et, là, tout en jouant, nous regardions souvent,
Sur le haut d’une armoire un livre inaccessible.

Nous grimpâmes un jour jusqu’à ce livre noir ;
Je ne sais pas comment nous fîmes pour l’avoir,
Mais je me souviens bien que c’était une Bible.

Ce vieux livre sentait une odeur d’encensoir.
Nous allâmes ravis dans un coin nous asseoir ;
Des estampes partout ! quel bonheur ! quel délire !

Nous l’ouvrîmes alors tout grand sur nos genoux,
Et, dès le premier mot, il nous parut si doux,
Qu’oubliant de jouer, nous nous mîmes à lire.

Nous lûmes tous les trois ainsi, tout le matin,
Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,
Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes.

Tels des enfants, s’ils ont pris un oiseau des cieux,
S’appellent en riant et s’étonnent, joyeux,
De sentir dans leur main la douceur de ses plumes.

Marine-Terrace, août 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente l'élévation de la lune au-dessus d'une tour au bas d'une montagne.

XX. Relligio

Relligio – Les références

Les contemplationsLivre sixième : Au bord de l’infini ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 514.

Relligio – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Relligio, un poème du Livre sixième – Au bord de l’infini, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est précédé de XIX. Voyage de nuit et suivi de XXI. Spes.

Relligio


Relligio – Le texte

XX
Relligio


L’ombre venait ; le soir tombait, calme et terrible.
Hermann me dit : — Quelle est ta foi, quelle est ta bible ?
Parle. Es-tu ton propre géant ?
Si tes vers ne sont pas de vains flocons d’écume,
Si ta strophe n’est pas un tison noir qui fume
Sur le tas de cendre Néant,

Si tu n’es pas une âme en l’abîme engloutie,
Quel est donc ton ciboire et ton eucharistie ?
Quelle est donc la source où tu bois ? —
Je me taisais ; il dit : — Songeur qui civilises,
Pourquoi ne vas-tu pas prier dans les églises ? —
Nous marchions tous deux dans les bois.

Et je lui dis : — Je prie. — Hermann dit : — Dans quel temple ?
Quel est le célébrant que ton âme contemple,
Et l’autel qu’elle réfléchit ?
Devant quel confesseur la fais-tu comparaître ?
— L’église, c’est l’azur, lui dis-je ; et quant au prêtre… —
En ce moment le ciel blanchit.

La lune à l’horizon montait, hostie énorme ;
Tout avait le frisson, le pin, le cèdre et l’orme,
Le loup, et l’aigle, et l’alcyon ;
Lui montrant l’astre d’or sur la terre obscurcie,
Je lui dis : — Courbe-toi. Dieu lui-même officie,
Et voici l’élévation.

Marine-Terrace, octobre 1855

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un horizon de nature, avec trois arbres contournés par un chemin sur lequel sont projetées leurs ombres. Le disque du soleil couchant est sur l'horizon.

VIII. Je lisais. Que lisais-je ?…

Je lisais. Que lisais-je ?… – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 342.

Je lisais. Que lisais-je ?… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Je lisais. Que lisais-je ?…, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de VII. La Statue et suivi de IX. Jeune fille, la grâce emplit….

Je lisais. Que lisais-je ?…

Je lisais. Que lisais-je ?… – Le texte

VIII


Je lisais. Que lisais-je ? Oh ! le vieux livre austère,
Le poëme éternel ! — La Bible ? — Non, la terre.
Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,
Lisait les vers d’Homère, et moi les fleurs de Dieu.
J’épèle les buissons, les brins d’herbe, les sources ;
Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses
Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mes pieds.
Je m’en vais devant moi dans les lieux non frayés,
Et j’étudie à fond le texte, et je me penche,
Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche.
Donc, courbé, — c’est ainsi qu’en marchant je traduis
La lumière en idée, en syllabes les bruits, —
J’étais en train de lire un champ, page fleurie.
Je fus interrompu dans cette rêverie ;
Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait ; il disait : — Ô pauvre homme, tremblant
Entre le doute morne et la foi qui délivre,
Je t’approuve. Il est bon de lire dans ce livre.
Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité,
Et que les champs profonds t’emplissent de clarté !
Il est sain de toujours feuilleter la nature,
Car c’est la grande lettre et la grande écriture ;
Car la terre, cantique où nous nous abîmons,
A pour versets les bois et pour strophes les monts !
Lis. Il n’est rien dans tout ce que peut sonder l’homme
Qui, bien questionné par l’âme, ne se nomme.
Médite. Tout est plein de jour, même la nuit ;
Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,
A des rayons : la roue au dur moyeu, l’étoile,
La fleur, et l’araignée au centre de sa toile.
Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c’est aimer.
Les plaines où le ciel aide l’herbe à germer,
L’eau, les prés, sont autant de phrases où le sage
Voit serpenter des sens qu’il saisit au passage.
Marche au vrai. Le réel, c’est le juste, vois-tu ;
Et voir la vérité, c’est trouver la vertu.
Bien lire l’univers, c’est bien lire la vie.
Le monde est l’œuvre où rien ne ment et ne dévie,
Et dont les mots sacrés répandent de l’encens.
L’homme injuste est celui qui fait des contre-sens.
Oui, la création tout entière, les choses,
Les êtres, les rapports, les éléments, les causes,
Rameaux dont le ciel clair perce le réseau noir,
L’arabesque des bois sur les cuivres du soir,
La bête, le rocher, l’épi d’or, l’aile peinte,
Tout cet ensemble obscur, végétation sainte,
Compose en se croisant ce chiffre énorme : DIEU.
L’éternel est écrit dans ce qui dure peu ;
Toute l’immensité, sombre, bleue, étoilée,
Traverse l’humble fleur, du penseur contemplée ;
On voit les champs, mais c’est de Dieu qu’on s’éblouit.
Le lys que tu comprends en toi s’épanouit ;
Les roses que tu lis s’ajoutent à ton âme.
Les fleurs chastes, d’où sort une invisible flamme,
Sont les conseils que Dieu sème sur le chemin ;
C’est l’âme qui les doit cueillir, et non la main.
Ainsi tu fais ; aussi l’aube est sur ton front sombre,
Aussi tu deviens bon, juste et sage ; et dans l’ombre
Tu reprends la candeur sublime du berceau. —
Je répondis : — Hélas ! tu te trompes, oiseau.
Ma chair, faite de cendre, à chaque instant succombe ;
Mon âme ne sera blanche que dans la tombe ;
Car l’homme, quoi qu’il fasse, est aveugle ou méchant. —
Et je continuai la lecture du champ.

Juillet 1843.