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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une piscine, dans laquelle apparaît un nageur, en bord de mer. Une barque apparaît à droite ; au fond, l'horizon.

X. Printemps

Printemps – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 725.

Printemps – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Printemps, un poème de la partie I. À Guernesey, du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. Je prendrai par la main les deux petits enfants, et suivi de XI. Fenêtres ouvertes.

Printemps


Printemps – Le texte

X
Printemps


Tout rayonne, tout luit, tout aime, tout est doux ;
Les oiseaux semblent d’air et de lumière fous ;
L’âme dans l’infini croit voir un grand sourire.
À quoi bon exiler, rois ? à quoi bon proscrire ?
Proscrivez-vous l’été ? m’exilez-vous des fleurs ?
Pouvez-vous empêcher les souffles, les chaleurs,
Les clartés, d’être là, sans joug, sans fin, sans nombre,
Et de me faire fête, à moi banni, dans l’ombre ?
Pouvez-vous m’amoindrir les grands flots haletants,
L’océan, la joyeuse écume, le printemps
Jetant les parfums comme un prodigue en démence,
Et m’ôter un rayon de ce soleil immense ?
Non. Et je vous pardonne. Allez, trônez, vivez,
Et tâchez d’être rois longtemps, si vous pouvez.
Moi, pendant ce temps-là, je maraude, et je cueille,
Comme vous un empire, un brin de chèvrefeuille,
Et je l’emporte, ayant pour conquête une fleur.
Quand, au-dessus de moi, dans l’arbre, un querelleur,
Un mâle, cherche noise à sa douce femelle,
Ce n’est pas mon affaire et pourtant je m’en mêle,
Je dis : Paix là, messieurs les oiseaux, dans les bois !
Je les réconcilie avec ma grosse voix ;
Un peu de peur qu’on fait aux amants les rapproche.
Je n’ai point de ruisseau, de torrent, ni de roche ;
Mon gazon est étroit, et, tout près de la mer,
Mon bassin n’est pas grand, mais il n’est pas amer.
Ce coin de terre est humble et me plaît ; car l’espace
Est sur ma tête, et l’astre y brille, et l’aigle y passe,
Et le vaste Borée y plane éperdument.
Ce parterre modeste et ce haut firmament
Sont à moi ; ces bouquets, ces feuillages, cette herbe
M’aiment, et je sens croître en moi l’oubli superbe.
Je voudrais bien savoir comment je m’y prendrais
Pour me souvenir, moi l’hôte de ces forêts,
Qu’il est quelqu’un, là-bas, au loin, sur cette terre,
Qui s’amuse à proscrire, et règne, et fait la guerre,
Puisque je suis là seul devant l’immensité,
Et puisqu’ayant sur moi le profond ciel d’été
Où le vent souffle avec la douceur d’une lyre,
J’entends dans le jardin les petits enfants rire.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un voile d'écume d'argent sur le "sombre océan".

X. À Madame D. G. de G.

À Madame D. G. de G. – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 272.

À Madame D. G. de G. – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Madame D. G. de G., un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de IX. Le poëme éploré se lamente… et suivi de XI. Lise.

À Madame D. G. de G.


À Madame D. G. de G. – Le texte

X
À Madame D. G. de G.


Jadis je vous disais : — Vivez, régnez, Madame !
Le salon vous attend ! le succès vous réclame !
Le bal éblouissant pâlit quand vous partez !
Soyez illustre et belle ! aimez ! riez ! chantez !
Vous avez la splendeur des astres et des roses !
Votre regard charmant, où je lis tant de choses,
Commente vos discours légers et gracieux ;
Ce que dit votre bouche étincelle en vos yeux.
Il semble, quand parfois un chagrin vous alarme,
Qu’ils versent une perle et non pas une larme.
Même quand vous rêvez, vous souriez encor.
Vivez, fêtée et fière, ô belle aux cheveux d’or !
Maintenant vous voilà pâle, grave, muette,
Morte, et transfigurée, et je vous dis : — Poëte !
Viens me chercher ! Archange ! être mystérieux !
Fais pour moi transparents et la terre et les cieux !
Révèle-moi, d’un mot de ta bouche profonde,
La grande énigme humaine et le secret du monde !
Confirme en mon esprit Descarte ou Spinosa !
Car tu sais le vrai nom de celui qui perça,
Pour que nous puissions voir sa lumière sans voiles,
Ces trous du noir plafond qu’on nomme les étoiles !
Car je te sens flotter sous mes rameaux penchants ;
Car ta lyre invisible a de sublimes chants !
Car mon sombre océan, où l’esquif s’aventure,
T’épouvante et te plaît ; car la sainte nature,
La nature éternelle, et les champs, et les bois,
Parlent à ta grande âme avec leur grande voix !

Paris, 1840. – Jersey, 1855.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un village dans la brume surmonté sur sa gauche d'une sorte de soleil noir (qui est en fait l'arrondi du chapeau d'un champignon).

V. À André Chénier

À André Chénier – Les références

Les contemplationsLivre premier : Aurore ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 260.

À André Chénier – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Vieille chanson du jeune temps, un poème des Contemplations, Aurore, de Victor Hugo.
Il est précédé de IV. Le firmament est plein… et suivi de VI. La vie aux champs.

À André Chénier


À André Chénier – Le texte

V
À André Chénier


Oui, mon vers croit pouvoir, sans se mésallier,
Prendre à la prose un peu de son air familier.
André, c’est vrai, je ris quelquefois sur la lyre.
Voici pourquoi. Tout jeune encor, tâchant de lire
Dans le livre effrayant des forêts et des eaux,
J’habitais un parc sombre où jasaient des oiseaux,
Où des pleurs souriaient dans l’œil bleu des pervenches ;
Un jour que je songeais seul au milieu des branches,
Un bouvreuil qui faisait le feuilleton du bois
M’a dit : « Il faut marcher à terre quelquefois.
« La nature est un peu moqueuse autour des hommes ;
« Ô poëte, tes chants, ou ce qu’ainsi tu nommes,
« Lui ressembleraient mieux si tu les dégonflais.
« Les bois ont des soupirs, mais ils ont des sifflets.
« L’azur luit, quand parfois la gaîté le déchire ;
« L’Olympe reste grand en éclatant de rire ;
« Ne crois pas que l’esprit du poëte descend
« Lorsque entre deux grands vers un mot passe en dansant.
« Ce n’est pas un pleureur que le vent en démence ;
« Le flot profond n’est pas un chanteur de romance ;
« Et la nature, au fond des siècles et des nuits,
« Accouplant Rabelais à Dante plein d’ennuis,
« Et l’Ugolin sinistre au Grandgousier difforme,
« Près de l’immense deuil montre le rire énorme. »

Les Roches, juillet 1830.