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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente, de façon abstraite, une tête de dragon imaginée par le fils d'un poëte.

II. Au fils d’un poëte

Au fils d’un poëte – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 422.

Au fils d’un poëte – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Au fils d’un poëte, un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de I. À Aug. V. et suivi de III. Écrit en 1846.

Au fils d’un poëte


Au fils d’un poëte – Le texte

II
Au fils d’un poëte


Enfant, laisse aux mers inquiètes
Le naufragé, tribun ou roi ;
Laisse s’en aller les poëtes !
La poésie est près de toi.

Elle t’échauffe, elle t’inspire,
Ô cher enfant, doux alcyon,
Car ta mère en est le sourire,
Et ton père en est le rayon.

Les yeux en pleurs, tu me demandes
Où je vais, et pourquoi je pars.
Je n’en sais rien ; les mers sont grandes,
L’exil s’ouvre de toutes parts.

Ce que Dieu nous donne, il nous l’ôte.
Adieu, patrie ! adieu, Sion !
Le proscrit n’est pas même un hôte,
Enfant, c’est une vision.

Il entre, il s’assied, puis se lève,
Reprend son bâton et s’en va.
Sa vie erre de grève en grève
Sous le souffle de Jéhovah.

Il fuit sur les vagues profondes,
Sans repos, toujours en avant.
Qu’importe ce qu’en font les ondes !
Qu’importe ce qu’en fait le vent !

Garde, enfant, dans ta jeune tête
Ce souvenir mystérieux,
Tu l’as vu dans une tempête
Passer comme l’éclair des cieux.

Son âme aux chocs habituée
Traversait l’orage et le bruit.
D’où sortait-il ? De la nuée.
Où s’enfonçait-il ? Dans la nuit.

Bruxelles, juillet 1852.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente « la vaste aventure des flots », opposant l'ombre des profondeurs à la blancheur de l'écume.

VIII. À Jules J.

À Jules J. – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 438.

À Jules J. – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Jules J., un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de VII. Pour l’erreur, éclairer… et suivi de IX. Le Mendiant.

À Jules J.


À Jules J. – Le texte

VIII
À Jules J.


Je dormais en effet, et tu me réveillas.
Je te criai : « Salut ! » et tu me dis : « Hélas ! »
Et cet instant fut doux, et nous nous embrassâmes ;
Nous mêlâmes tes pleurs, mon sourire et nos âmes.

Ces temps sont déjà loin ; où donc alors roulait
Ma vie ? et ce destin sévère qui me plaît,
Qu’est-ce donc qu’il faisait de cette feuille morte
Que je suis, et qu’un vent pousse, et qu’un vent remporte ?
J’habitais au milieu des hauts pignons flamands ;
Tout le jour, dans l’azur, sur les vieux toits fumants,
Je regardais voler les grands nuages ivres ;
Tandis que je songeais, le coude sur mes livres,
De moments en moments, ce noir passant ailé,
Le temps, ce sourd tonnerre à nos rumeurs mêlé,
D’où les heures s’en vont en sombres étincelles,
Ébranlait sur mon front le beffroi de Bruxelles.
Tout ce qui peut tenter un cœur ambitieux
Était là, devant moi, sur terre et dans les cieux ;
Sous mes yeux, dans l’austère et gigantesque place,
J’avais les quatre points cardinaux de l’espace,
Qui font songer à l’aigle, à l’astre, au flot, au mont,
Et les quatre pavés de l’échafaud d’Egmont.

Aujourd’hui, dans une île, en butte aux eaux sans nombre,
Où l’on ne me voit plus, tant j’y suis couvert d’ombre,
Au milieu de la vaste aventure des flots,
Des rocs, des mers, brisant barques et matelots,
Debout, échevelé sur le cap ou le môle
Par le souffle qui sort de la bouche du pôle,
Parmi les chocs, les bruits, les naufrages profonds,
Morne histoire d’écueils, de gouffres, de typhons,
Dont le vent est la plume et la nuit le registre,
J’erre, et de l’horizon je suis la voix sinistre.

Et voilà qu’à travers ces brumes et ces eaux,
Tes volumes exquis m’arrivent, blancs oiseaux,
M’apportant le rameau qu’apportent les colombes
Aux arches, et le chant que le cygne offre aux tombes,
Et jetant à mes rocs tout l’éblouissement
De Paris glorieux et de Paris charmant !
Et je lis, et mon front s’éclaire, et je savoure
Ton style, ta gaîté, ta douleur, ta bravoure.
Merci, toi dont le cœur aima, sentit, comprit !
Merci, devin ! merci, frère, poëte, esprit,
Qui viens chanter cet hymne à côté de ma vie !
Qui vois mon destin sombre et qui n’as pas d’envie !
Et qui, dans cette épreuve où je marche, portant
L’abandon à chaque heure et l’ombre à chaque instant,
M’as vu boire le fiel sans y mêler la haine !
Tu changes en blancheur la nuit de ma géhenne,
Et tu fais un autel de lumière inondé
Du tas de pierres noir dont on m’a lapidé.

Je ne suis rien ; je viens et je m’en vais ; mais gloire
À ceux qui n’ont pas peur des vaincus de l’histoire
Et des contagions du malheur toujours fui !
Gloire aux fermes penseurs inclinés sur celui
Que le sort, geôlier triste, au fond de l’exil pousse !
Ils ressemblent à l’aube, ils ont la force douce,
Ils sont grands ; leur esprit parfois, avec un mot,
Dore en arc triomphal la voûte du cachot !

Le ciel s’est éclairci sur mon île sonore,
Et ton livre en venant a fait venir l’aurore ;
Seul aux bois avec toi, je lis, et me souviens,
Et je songe, oubliant les monts diluviens,
L’onde, et l’aigle de mer qui plane sur mon aire ;
Et, pendant que je lis, mon œil visionnaire,
À qui tout apparaît comme dans un réveil,
Dans les ombres que font les feuilles au soleil,
Sur tes pages où rit l’idée, où vit la grâce,
Croit voir se dessiner le pur profil d’Horace,
Comme si, se mirant au livre où je te voi,
Ce doux songeur ravi lisait derrière moi !

Marine-Terrace, grève d’Azette, décembre 1854.

Ce détail d'un dessin abstrait de Victor Hugo représente une larme de sang qui coule vers le bas, échappée d'un œil à la paupière baissée.

I. À Aug. V.

À Aug. V. – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 421.

À Aug. V. – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Aug. V., premier poème du livre cinquième, En marche, des Contemplations, de Victor Hugo.
Il est suivi de II. Au fils d’un poëte.

À Aug. V.


À Aug. V. – Le texte

I
À Aug. V.


Et toi, son frère, sois le frère de mes fils.
Cœur fier, qui du destin relèves les défis,
Suis à côté de moi la voie inexorable.
Que ta mère au front gris soit ma sœur vénérable !
Ton frère dort couché dans le sépulcre noir ;
Nous, dans la nuit du sort, dans l’ombre du devoir,
Marchons à la clarté qui sort de cette pierre.
Qu’il dorme, voyant l’aube à travers sa paupière !
Un jour, quand on lira nos temps mystérieux,
Les songeurs attendris promèneront leurs yeux
De toi, le dévouement, à lui, le sacrifice.
Nous habitons du sphinx le lugubre édifice ;
Nous sommes, cœurs liés au morne piédestal,
Tous la fatale énigme et tous le mot fatal.
Ah ! famille ! ah ! douleur ! ô sœur ! ô mère ! ô veuve !
Ô sombres lieux, qu’emplit le murmure du fleuve !
Chaste tombe jumelle au pied du coteau vert !
Poëte, quand mon sort s’est brusquement ouvert,
Tu n’as pas reculé devant les noires portes,
Et, sans pâlir, avec le flambeau que tu portes,
Tes chants, ton avenir que l’absence interrompt,
Et le frémissement lumineux de ton front,
Trouvant la chute belle et le malheur propice,
Calme, tu t’es jeté dans le grand précipice !
Hélas ! c’est par les deuils que nous nous enchaînons.
Ô frères, que vos noms soient mêlés à nos noms !
Dieu vous fait des rayons de toutes nos ténèbres.
Car vous êtes entrés sous nos voûtes funèbres ;
Car vous avez été tous deux vaillants et doux ;
Car vous avez tous deux, vous rapprochant de nous
À l’heure où vers nos fronts roulait le gouffre d’ombre,
Accepté notre sort dans ce qu’il a de sombre,
Et suivi, dédaignant l’abîme et le péril,
Lui, la fille au tombeau, toi, le père à l’exil !

Jersey, Marine-Terrace, 4 septembre 1852.

Remarques

Ce texte, À Aug. V., est un hommage à Auguste Vacquerie, frère de Charles Vacquerie qui avait épousé Léopoldine et s’était noyé avec elle en tentant de la sauver, et qui avait suivi Victor Hugo en exil.

XIV. Ultima Verba

Ultima Verba – Les références

ChâtimentsLivre VII – Les Sauveurs se sauveront ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 197.
Dans l’édition complète de 1870, il est placé en position XVII (et non XIV).

Ultima Verba – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Ultima Verba, un poème ô combien célèbre du recueil Châtiments, Livre VII – Les Sauveurs se sauveront, de Victor Hugo.

Ultima Verba


Ultima Verba – Le texte

XIV
Ultima Verba

La conscience humaine est morte ; dans l’orgie,
Sur elle il s’accroupit ; ce cadavre lui plaît,
Par moments, gai, vainqueur, la prunelle rougie,
Il se retourne et donne à la morte un soufflet.

La prostitution du juge est la ressource.
Les prêtres font frémir l’honnête homme éperdu ;
Dans le champ du potier ils déterrent la bourse ;
Sibour revend le Dieu que Judas a vendu.

Ils disent : — César règne, et le Dieu des armées
L’a fait son élu. Peuple, obéis, tu le dois ! —
Pendant qu’ils vont chantant, tenant leurs mains fermées,
On voit le sequin d’or qui passe entre leurs doigts.

Oh ! tant qu’on le verra trôner, ce gueux, ce prince,
Par le pape béni, monarque malandrin,
Dans une main le sceptre et dans l’autre la pince,
Charlemagne taillé par Satan dans Mandrin ;

Tant qu’il se vautrera, broyant dans ses mâchoires
Le serment, la vertu, l’honneur religieux ;
Ivre, affreux, vomissant sa honte sur nos gloires ;
Tant qu’on verra cela sous le soleil des cieux ;

Quand même grandirait l’abjection publique
À ce point d’adorer l’exécrable trompeur ;
Quand même l’Angleterre et même l’Amérique
Diraient à l’exilé : — Va-t’en ! nous avons peur !

Quand même nous serions comme la feuille morte,
Quand, pour plaire à César, on nous renîrait tous ;
Quand le proscrit devrait s’enfuir de porte en porte,
Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous,

Quand le désert, où Dieu contre l’homme proteste
Bannirait les bannis, chasserait les chassés ;
Quand même, infâme aussi, lâche comme le reste,
Le tombeau jetterait dehors les trépassés ;

Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche,
Calme, le deuil au cœur, dédaignant le troupeau,
Je vous embrasserai dans mon exil farouche,
Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau !

Mes nobles compagnons, je garde votre culte ;
Bannis, la République est là qui nous unit.
J’attacherai la gloire à tout ce qu’on insulte ;
Je jetterai l’opprobre à tout ce qu’on bénit !

Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre,
La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non !
Tandis que tes valets te montreront ton Louvre,
Moi, je te montrerai, César, ton cabanon.

Devant les trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre fidélité pour les choses tombées,
Sois ma force et ma joie et mon pilier d’airain !

Oui, tant qu’il sera là, qu’on cède ou qu’on persiste,
Ô France ! France aimée et qu’on pleure toujours,
Je ne reverrai pas ta terre douce et triste,
Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !

Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j’oublirai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente :
Je resterai proscrit, voulant rester debout.

J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme ;
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.

Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !

Jersey, 2 décembre 1852.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente les lignes tourmentées du destin et de l'exil, entrecroisées au-dessus des mots : « MA DESTINÉE ».

XXXVII. Exil

Exil – Les références

Les Quatre Vents de l’espritLe Livre lyrique – La Destinée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 1339.

Exil – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Exil, un poème du recueil Les Quatre Vents de l’esprit, du Livre lyrique – La Destinée, de Victor Hugo.

Exil


Exil – Le texte

XXXVII
Exil


Si je pouvais voir, ô patrie,
Tes amandiers et tes lilas,
Et fouler ton herbe fleurie,
Hélas !

Si je pouvais, ― mais, ô mon père,
Ô ma mère, je ne peux pas, ―
Prendre pour chevet votre pierre,
Hélas !

Dans le froid cercueil qui vous gêne,
Si je pouvais vous parler bas,
Mon frère Abel, mon frère Eugène,
Hélas !

Si je pouvais, ô ma colombe,
Et toi, mère, qui t’envolas,
M’agenouiller sur votre tombe,
Hélas !

Oh ! vers l’étoile solitaire,
Comme je lèverais les bras !
Comme je baiserais la terre,
Hélas !

Loin de vous, ô morts que je pleure,
Des flots noirs j’écoute le glas ;
Je voudrais fuir, mais je demeure,
Hélas !

Pourtant le sort, caché dans l’ombre,
Se trompe si, comptant mes pas,
Il croit que le vieux marcheur sombre
Est las.