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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un château, issu d'un songe de Shakspeare, fait d'ombre et de lumière.

XXVIII. Le Poëte

Le Poëte – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 367.

Le Poëte – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Le Poëte, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XXVII. J’aime l’araignée… et suivi de XXIX. La Nature.

Le Poëte


Le Poëte – Le texte

XXVIII
Le Poëte


Shakspeare songe ; loin du Versaille éclatant,
Des buis taillés, des ifs peignés, où l’on entend
Gémir la tragédie éplorée et prolixe,
Il contemple la foule avec son regard fixe,
Et toute la forêt frissonne devant lui.
Pâle, il marche, au dedans de lui-même ébloui ;
Il va, farouche, fauve, et, comme une crinière,
Secouant sur sa tête un haillon de lumière.
Son crâne transparent est plein d’âmes, de corps,
De rêves, dont on voit la lueur du dehors ;
Le monde tout entier passe à travers son crible ;
Il tient toute la vie en son poignet terrible ;
Il fait sortir de l’homme un sanglot surhumain.
Dans ce génie étrange où l’on perd son chemin,
Comme dans une mer, notre esprit parfois sombre ;
Nous sentons, frémissants, dans son théâtre sombre,
Passer sur nous le vent de sa bouche soufflant,
Et ses doigts nous ouvrir et nous fouiller le flanc.
Jamais il ne recule ; il est géant ; il dompte
Richard Trois, léopard, Caliban, mastodonte.
L’idéal est le vin que verse ce Bacchus.
Les sujets monstrueux qu’il a pris et vaincus
Râlent autour de lui, splendides ou difformes ;
Il étreint Lear, Brutus, Hamlet, êtres énormes,
Capulet, Montaigu, César, et, tour à tour,
Les stryges dans le bois, le spectre sur la tour ;
Et, même après Eschyle, effarant Melpomène,
Sinistre, ayant aux mains des lambeaux d’âme humaine,
De la chair d’Othello, des restes de Macbeth,
Dans son œuvre, du drame effrayant alphabet,
Il se repose ; ainsi le noir lion des jongles
S’endort dans l’antre immense avec du sang aux ongles.

Paris, avril 1835.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un bord de mer qui est peut-être le quai d'Anvers (d'où Alexandre Dumas vint saluer Victor Hugo partant pour l'exil).

XV. À Alexandre D. (Réponse à la dédicace de son drame La Conscience)

À Alexandre D. – Les références

Les contemplationsLivre cinquième : En marche ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor HugoPoésie II, p 446.

À Alexandre D. – L’enregistrement

Je vous invite à écouter À Alexandre D., un poème des Contemplations, En marche, de Victor Hugo.
Il est précédé de XIV. Claire P. et suivi de XVI. Lueur au couchant.

À Alexandre D.


À Alexandre D. – Le texte

XV
À Alexandre D.
(Réponse à la dédicace de son drame La Conscience)


Merci du bord des mers à celui qui se tourne
Vers la rive où le deuil, tranquille et noir, séjourne,
Qui défait de sa tête, où le rayon descend,
La couronne, et la jette au spectre de l’absent,
Et qui, dans le triomphe et la rumeur, dédie
Son drame à l’immobile et pâle tragédie !

Je n’ai pas oublié le quai d’Anvers, ami,
Ni le groupe vaillant, toujours plus raffermi,
D’amis chers, de fronts purs, ni toi, ni cette foule.
Le canot du steamer soulevé par la houle
Vint me prendre, et ce fut un long embrassement.
Je montai sur l’avant du paquebot fumant,
La roue ouvrit la vague, et nous nous appelâmes :
— Adieu ! — Puis, dans les vents, dans les flots, dans les lames,
Toi debout sur le quai, moi debout sur le pont,
Vibrant comme deux luths dont la voix se répond,
Aussi longtemps qu’on put se voir, nous regardâmes
L’un vers l’autre, faisant comme un échange d’âmes ;
Et le vaisseau fuyait, et la terre décrut ;
L’horizon entre nous monta, tout disparut ;
Une brume couvrit l’onde incommensurable ;
Tu rentras dans ton œuvre éclatante, innombrable,
Multiple, éblouissante, heureuse, où le jour luit ;
Et, moi, dans l’unité sinistre de la nuit.

Marine-Terrace, décembre 1854.