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Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une tour sombre qui se dresse à gauche, au-dessus d'une ville. Une église apparaît dans le coin droit, en silhouette, et le clocher d'une autre, blanche, juste en dessous.

I. Apothéose

Apothéose – Les références

ChâtimentsLivre III – La Famille est restaurée ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 63.

Apothéose – Enregistrement

Je vous invite à écouter Apothéose, premier poème du Livre III – La Famille est restaurée, du recueil Châtiments, de Victor Hugo.

Apothéose


Apothéose – Le texte

I
Apothéose

Méditons. Il est bon que l’esprit se repaisse
De ces spectacles-là. L’on n’était qu’une espèce
De perroquet ayant un grand nom pour perchoir ;
Pauvre diable de prince, usant son habit noir,
Auquel mil huit cent quinze avait coupé les vivres.
On n’avait pas dix sous, on emprunte cinq livres.
Maintenant, remarquons l’échelle, s’il vous plaît :
De l’écu de cinq francs on s’élève au billet
Signé Garat ; bravo ! puis du billet de banque
On grimpe au million, rapide saltimbanque ;
Le million gobé fait mordre au milliard.
On arrive au lingot en partant du liard.
Puis carrosses, palais, bals, festins, opulence ;
On s’attable au pouvoir et l’on mange la France.
C’est ainsi qu’un filou devient homme d’État.

Qu’a-t-il fait ? Un délit ? Fi donc ! un attentat ;
Un grand acte, un massacre, un admirable crime
Auquel la Haute-cour prête serment. L’abîme
Se referme en poussant un grognement bourru.
La Révolution sous terre a disparu
En laissant derrière elle une senteur de soufre.
Romieu montre la trappe et dit : Voyez le gouffre !
Vivat Mascarillus ! roulement de tambours.
On tient sous le bâton parqués dans les faubourgs
Les ouvriers ainsi que des noirs dans leurs cases.
Paris sur ses pavés voit neiger les ukases ;
La Seine devient glace autant que la Néva.
Quant au maître, il triomphe ; il se promène, va
De préfet en préfet, vole de maire en maire,
Orné du Deux-Décembre, du Dix-huit Brumaire,
Bombardé de bouquets, voituré dans des chars,
Laid, joyeux, salué par des chœurs de mouchards.
Puis il rentre empereur au Louvre, il parodie
Napoléon, il lit l’histoire, il étudie
L’honneur et la vertu dans Alexandre six ;
Il s’installe au palais du spectre Médicis ;
Il quitte par moments sa pourpre ou sa casaque,
Flâne autour du bassin en pantalon cosaque,
Et riant, et semant les miettes sur ses pas,
Donne aux poissons le pain que les proscrits n’ont pas.
La caserne l’adore, on le bénit au prône ;
L’Europe est sous ses pieds et tremble sous son trône ;
Il règne par la mitre et par le hausse-col.
Ce trône a trois degrés : parjure, meurtre et vol.

Ô Carrare ! ô Paros ! ô marbres pentéliques !
Ô tous les vieux héros des vieilles républiques !
Ô tous les dictateurs de l’empire latin !
Le moment est venu d’admirer le destin,
Voici qu’un nouveau dieu monte au fronton du temple.
Regarde, peuple, et toi, froide histoire, contemple.
Tandis que nous, martyrs du droit, nous expions,
Avec les Périclès, avec les Scipions,
Sur les frises où sont les victoires aptères,
Au milieu des césars trainés par des panthères,
Vêtus de pourpre et ceints du laurier souverain,
Parmi les aigles d’or et les louves d’airain,
Comme un astre apparaît parmi ses satellites,
Voici qu’à la hauteur des empereurs stylites,
Entre Auguste à l’œil calme et Trajan au front pur,
Resplendit, immobile en l’éternel azur,
Sur vous, ô panthéons, sur vous, ô propylées,
Robert Macaire avec ses bottes éculées !

Jersey, décembre 1852.

Remarques

Les victoires aptères sont des statues de la Victoire privées d’ailes.
Carrare, Paros et Pentélique sont des lieux célèbres pour leurs marbres. Le marbre pentélique est celui utilisé pour construire l’Acropole. Sa restauration, actuellement, se fait avec le même.
Catherine de Médicis, instigatrice du massacre de la Saint-Barthélémy, a commencé en 1564 la construction du palais des Tuileries.
En janvier 1852, il fit à Paris un froid inhabituel. Ceci explique le vers La Seine devient glace autant que la Néva.
Le bandit Robert Macaire est le héros du mélodrame L’Auberge des Adrets. Frédérick Lemaître, acteur admiré par Victor Hugo, en avait fait un personnage emblématique.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente une fleur, ressemblant à une cocarde, et qui projette son ombre.

VII. Parfois, je me sens pris d’horreur…

Parfois, je me sens pris d’horreur pour cette terre… – Les références

L’Art d’être grand-pèreI. À Guernesey ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 722.

Parfois, je me sens pris d’horreur pour cette terre… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Parfois, je me sens pris d’horreur pour cette terre…, un poème du recueil L’Art d’être grand-père, de Victor Hugo.
Il est précédé de VI. Georges et Jeanne et suivi de VIII. Lætitia rerum.

Parfois, je me sens pris d’horreur pour cette terre…


Parfois, je me sens pris d’horreur pour cette terre… – Le texte

VII


Parfois, je me sens pris d’horreur pour cette terre ;
Mon vers semble la bouche ouverte d’un cratère ;
J’ai le farouche émoi
Que donne l’ouragan monstrueux au grand arbre ;
Mon cœur prend feu ; je sens tout ce que j’ai de marbre
Devenir lave en moi ;

Quoi ! rien de vrai ! le scribe a pour appui le reître ;
Toutes les robes, juge et vierge, femme et prêtre,
Mentent ou mentiront ;
Le dogme boit du sang, l’autel bénit le crime ;
Toutes les vérités, groupe triste et sublime,
Ont la rougeur au front ;

La sinistre lueur des rois est sur nos têtes ;
Le temple est plein d’enfer ; la clarté de nos fêtes
Obscurcit le ciel bleu ;
L’âme a le penchement d’un navire qui sombre ;
Et les religions, à tâtons, ont dans l’ombre
Pris le démon pour Dieu !

Oh ! qui me donnera des paroles terribles ?
Oh ! je déchirerai ces chartes et ces bibles,
Ces codes, ces korans !
Je pousserai le cri profond des catastrophes ;
Et je vous saisirai, sophistes, dans mes strophes,
Dans mes ongles, tyrans.

Ainsi, frémissant, pâle, indigné, je bouillonne ;
On ne sait quel essaim d’aigles noirs tourbillonne
Dans mon ciel embrasé ;
Deuil ! guerre ! une euménide en mon âme est éclose !
Quoi ! le mal est partout ! Je regarde une rose
Et je suis apaisé.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente trois têtes empalées et leurs ombres projetées.

IV. Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire…

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire… – Les références

L’Année terribleMai ;
Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie III, p 120.

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire… – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire…, un poème du recueil L’Année terrible, Mai, de Victor Hugo.

Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire…


Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire… – Le texte

IV


Est-il jour ? Est-il nuit ? horreur crépusculaire !
Toute l’ombre est livrée à l’immense colère.
Coups de foudre, bruits sourds. Pâles, nous écoutons.
Le supplice imbécile et noir frappe à tâtons.
Rien de divin ne luit. Rien d’humain ne surnage.
Le hasard formidable erre dans le carnage,
Et mitraille un troupeau de vaincus, sans savoir
S’ils croyaient faire un crime ou remplir un devoir.
L’ombre engloutit Babel jusqu’aux plus hauts étages.
Des bandits ont tué soixante-quatre otages,
On réplique en tuant six mille prisonniers.
On pleure les premiers, on raille les derniers.
Le vent qui souffle a presque éteint cette veilleuse,
La conscience. Ô nuit ! brume ! heure périlleuse !
Les exterminateurs semblent doux, leur fureur
Plaît, et celui qui dit : Pardonnez ! fait horreur.
Ici l’armée et là le peuple ; c’est la France
Qui saigne ; et l’ignorance égorge l’ignorance.
Le droit tombe. Excepté Caïn, rien n’est debout.
Une sorte de crime épars flotte sur tout.
L’innocent paraît noir tant cette ombre le couvre.
L’un a brûlé le Louvre. Hein ? Qu’est-ce que le Louvre ?
Il ne le savait pas. L’autre, horribles exploits,
Fusille devant lui, stupide. Où sont les lois ?
Les ténèbres avec leurs sombres sœurs, les flammes,
Ont pris Paris, ont pris les cœurs, ont pris les âmes.
Je tue et ne vois pas. Je meurs et ne sais rien.
Tous mêlés, l’enfant blond, l’affreux galérien,
Pères, fils, jeunes, vieux, le démon avec l’ange,
L’homme de la pensée et l’homme de la fange,
Dans on ne sait quel gouffre expirent à la fois.
Dans l’effrayant brasier sait-on de quelles voix
Se compose le cri du bœuf d’airain qui beugle ?

La mort sourde, ô terreur, fauche la foule aveugle.

Ce détail d'un dessin de Victor Hugo représente un intérieur misérable où la faim déforme les visages.

XVII. Chose vue un jour de printemps

Chose vue un jour de printemps – Les références

Les ContemplationsLivre troisième : Les Luttes et les rêves ;
Collection Bouquins chez Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie II, p 354.

Chose vue un jour de printemps – L’enregistrement

Je vous invite à écouter Chose vue un jour de printemps, un poème du recueil Les Contemplations, Les Luttes et les rêves, de Victor Hugo.
Il est précédé de XVI. Le Maître d’études et suivi de XVIII. Intérieur.

Chose vue un jour de printemps


Chose vue un jour de printemps – Le texte

VIII
Chose vue un jour de printemps


Entendant des sanglots, je poussai cette porte.

Les quatre enfants pleuraient et la mère était morte.
Tout dans ce lieu lugubre effrayait le regard.
Sur le grabat gisait le cadavre hagard ;
C’était déjà la tombe et déjà le fantôme.
Pas de feu ; le plafond laissait passer le chaume.
Les quatre enfants songeaient comme quatre vieillards.
On voyait, comme une aube à travers des brouillards,
Aux lèvres de la morte un sinistre sourire ;
Et l’aîné, qui n’avait que six ans, semblait dire :
« Regardez donc cette ombre où le sort nous a mis ! »

Un crime en cette chambre avait été commis.
Ce crime, le voici : — Sous le ciel qui rayonne,
Une femme est candide, intelligente, bonne ;
Dieu, qui la suit d’en haut d’un regard attendri,
La fit pour être heureuse. Humble, elle a pour mari
Un ouvrier ; tous deux, sans aigreur, sans envie,
Tirent d’un pas égal le licou de la vie.
Le choléra lui prend son mari ; la voilà
Veuve avec la misère et quatre enfants qu’elle a.
Alors, elle se met au labeur comme un homme.
Elle est active, propre, attentive, économe ;
Pas de drap à son lit, pas d’âtre à son foyer ;
Elle ne se plaint pas, sert qui veut l’employer,
Ravaude de vieux bas, fait des nattes de paille,
Tricote, file, coud, passe les nuits, travaille
Pour nourrir ses enfants ; elle est honnête enfin.
Un jour, on va chez elle, elle est morte de faim.

Oui, les buissons étaient remplis de rouges-gorges,
Les lourds marteaux sonnaient dans la lueur des forges,
Les masques abondaient dans les bals, et partout
Les baisers soulevaient la dentelle du loup ;
Tout vivait ; les marchands comptaient de grosses sommes ;
On entendait rouler les chars, rire les hommes ;
Les wagons ébranlaient les plaines ; le steamer
Secouait son panache au-dessus de la mer ;
Et, dans cette rumeur de joie et de lumière,
Cette femme étant seule au fond de sa chaumière,
La faim, goule effarée aux hurlements plaintifs,
Maigre et féroce, était entrée à pas furtifs,
Sans bruits, et l’avait prise à la gorge, et tuée.

La faim, c’est le regard de la prostituée,
C’est le bâton ferré du bandit, c’est la main
Du pâle enfant volant un pain sur le chemin,
C’est la fièvre du pauvre oublié, c’est le râle
Du grabat naufragé dans l’ombre sépulcrale.
Ô Dieu ! la sève abonde, et, dans ses flancs troublés,
La terre est pleine d’herbe et de fruits et de blés,
Dès que l’arbre a fini, le sillon recommence ;
Et pendant que tout vit, ô Dieu, dans ta clémence,
Que la mouche connaît la feuille du sureau,
Pendant que l’étang donne à boire au passereau,
Pendant que le tombeau nourrit les vautours chauves,
Pendant que la nature, en ses profondeurs fauves,
Fait manger le chacal, l’once et le basilic,
L’homme expire ! — Oh ! la faim, c’est le crime public ;
C’est l’immense assassin qui sort de nos ténèbres.

Dieu ! pourquoi l’orphelin, dans ses langes funèbres,
Dit-il : « J’ai faim ! » L’enfant, n’est-ce pas un oiseau ?
Pourquoi le nid a-t-il ce qui manque au berceau ?

Avril 1840.

Pourquoi Chose vue un jour de printemps est-il publié en ce 25 décembre 2014 ?

Parce que, comme me l’a précisé Arnaud Laster, Chose vue un jour de printemps a été publié le 25 décembre 1854 dans L’Almanach de l’exil, il y aura tout juste 160 ans. Il est bon, aussi, dans l’esprit de Noël, de rappeler certains faits toujours d’actualité.